En quel sens « Jésus-Christ » peut-il être la réponse à cette question ? Sa doctrine, ses préceptes détiennent-ils la solution ? Ou est-il vrai, comme le proclame l’Église, que ce qu’il a été est plus important que ses propos ?
« Car la vraie Foi est ce que nous croyons et confessons ici : que notre Seigneur Jésus-Christ, le Fils de Dieu, est à la fois Dieu et Homme ; Dieu par la substance du Père, né avant la Création ; et Homme par la substance de sa Mère, née dans la Création ; Dieu parfait et Homme parfait : égal au Père par sa divinité et inférieur au Père par son humanité. Et bien qu’il soit à la fois Dieu et Homme, cependant il n’est pas deux personnes, mais un seul Christ ; un, non par la conversion de la Divinité en chair, mais par celle de l’humanité en Dieu ; un encore, non par mélange de substances, mais par unité de la personne. Car de même qu’une âme raisonnable dans un corps de chair est un homme, de même Dieu et l’homme sont un seul Christ [1]. »
Voilà qui est, d’après ce que l’on appelle le credo d’Athanase, le cœur de la question. En quoi cela nous aide-t-il ? Si l’on insiste surtout sur le fait que Dieu ne s’est fait homme qu’en 753 ab Urbe Condita [2], et seulement dans la peau de Jésus de Nazareth, on fait de Jésus un monstre, un phénomène sans rapports réels avec les gens. Si Jésus avait été doté des avantages uniques d’une telle situation, il eût été si loin au-dessus des autres hommes que suggérer qu’on puisse suivre son exemple ne pourrait être qu’une plaisanterie grossière.
Garantir que chaque mot qu’il a dit est à prendre au sérieux, littéralement, comme la vérité absolue à laquelle nous sommes tenus de croire nous est-il de quelque secours ? Existe-t-il une dette vieille de près de deux mille ans que j’aurais mystérieusement contractée auprès de lui ? Cela nous aide-t-il de savoir que tous ses faits et gestes sont le modèle parfait, idéal, de tout comportement moral — qu’il nous faut suivre sans avoir l’avantage d’être comme lui le Fils de Dieu ? Ou bien encore que grâce à un point de l’ancienne logique grecque, l’Humanité de Jésus est aussi mon Humanité, l’Humanité étant cette « substance » universelle dont nous sommes tous faits, un peu à la manière dont tous les pots sont en argile ? Mais s’il en est ainsi, Jésus ne m’a uni avec Dieu qu’au travers de ma seule Humanité, de ma nature humaine, mais non pas au travers de ma personne — c’est-à-dire de la forme particulière (le pot) qu’affecte en moi cette substance. On retombe alors dans l’éternel problème de savoir comment ma personne, ma volonté, mon ego, mon essence individuelle peuvent s’abandonner à la transformation de ma substance par le Christ.
Les doctrines sont sur ce point de plus en plus compliquées et nous viennent d’autant moins en aide. Quand Dieu le Fils se fit homme sous le nom de Jésus de Nazareth, cela n’entraîna qu’une union potentielle de son humanité avec la mienne. Pour assurer cette union, je dois être baptisé, puis confirmé, recevoir régulièrement le sacrement de la sainte communion et faire pénitence. Cependant, cela ne fait absolument pas passer l’union de mon humanité avec celle du Christ du stade potentiel au stade réel, ni ne rend la grâce plus accessible à ma personne, à ma volonté, même dans l’espoir que cela m’aidera à franchir le pas essentiel de la foi, de mon engagement personnel vers le salut accordé à mon humanité, à mon statut collectif et impersonnel d’être humain. N’oublions pas que la substance (l’argile) est une chose et que la personne (le pot) en est une autre, et que donc le salut accordé à la substance n’est pas la même chose que le salut accordé à la personne ; c’est le premier qui rend le second possible. Mais comme nous l’avons vu, il est aussi difficile de coopérer avec la grâce qu’il l’est d’obéir aux commandements de la loi d’un cœur sincère. Le don de grâce, ou union de mon humanité avec le Christ ne nous mène nulle part, et nous en sommes toujours au même point.
Ce qui précède n’est qu’un résumé simplifié à l’extrême du « comment nous sommes sauvés » (ou « comment il nous est possible d’être sauvés ») grâce à l’Incarnation du Fils de Dieu en la personne de Jésus de Nazareth. Mais est-ce sur de telles arguties, de telles analyses coupant les cheveux en quatre que l’évangile doit s’appuyer ? Il y a là un discours symbolique et une manière de penser qui sont tout à fait étrangers à ma vie comme membre participant à la culture occidentale du XXe siècle, et encore plus, si c’est possible, à des étudiants du Ghana ou de Tokyo. C’est un échec complet pour ce qui est de créer un lien direct entre la mort et la résurrection du Fils de Dieu d’un côté, et la vie quotidienne d’une famille de la banlieue de Los Angeles ou de Paris de l’autre.
Les Billy Graham [3] et autres panégyristes de la Bible du même acabit inventent ce « lien direct » tout simplement en omettant de dire comment la crucifixion de 34 après Jésus-Christ peut nous sauver en 1964 ; ils se contentent d’affirmer que c’est un fait, et poursuivent en tentant de nous convaincre du caractère noble et divin de Jésus, tel qu’il est décrit dans la Bible ; pour donner du poids à cet argument, il leur suffit d’ajouter que c’est précisément le caractère de Dieu qui vous a créé et vous maintient en vie maintenant. Ils vous diront que si vous voulez savoir ce qu’est Dieu, ce Dieu qui est à l’origine de votre existence actuelle, il nous faut lire ce que les évangiles disent de Jésus : « Éclat de la splendeur divine et image même de sa personne. » Vous pouvez alors communiquer avec la Puissance suprême, celle qui conditionne votre être ici et maintenant, sous le prétexte que cette Puissance ressemble à Jésus et est, en un certain sens, le Jésus historique de Nazareth, ressuscité d’entre les morts et régnant dans les cieux. Vous ne devez pas vous faire de soucis et demander comment Jésus peut bien vous sauver ; il vous suffit de prier pour communiquer avec lui et, à votre grande surprise, vous vous apercevrez que vous obtiendrez le pouvoir de vous abandonner immédiatement à lui.
Mais si le sort veut que vous ayez reçu la bénédiction (ou la malédiction) d’un esprit tant soit peu critique, tout ça ne marche pas. On s’aperçoit bien vite que s’abandonner à la volonté de Jésus n’est que l’acceptation inconditionnelle des mœurs patriarcales — et en d’autres termes, une attitude infantile. Le Jésus des Billy Graham et consorts n’est que l’image idéalisée du bourgeois provincial tout comme le Jésus catholique n’est qu’un prince féodal du XIIIe siècle ou une mère irlandaise virile, obnubilée par les problèmes sexuels.
La piété chrétienne donne une image plutôt curieuse de l’objet de sa dévotion, « Jésus-Christ, le Crucifié ». LE CRUCIFIÉ Le moralisateur barbu, avec quelque chose dans le regard d’à la fois sévère, doux et vaguement navré. L’homme à la lanterne, frappant à la porte du cœur. Allez, venez les enfants! fini de faire les fous! Il est temps que nous ayons une discussion vraiment sérieuse ensemble. Le Christ Jésus, notre Seigneur. Jeez-us. Jeez-you [4]. Les adeptes du bouddhisme zen disent : « Rincez-vous la bouche chaque fois que vous dites « Bouddha ». » Le christianisme connaîtra une nouvelle vie le jour où quelqu’un se lèvera dans une église en s’écriant : « Rincez-vous la bouche chaque fois que vous dites « Jésus ». »
Nous sommes, en effet, spirituellement paralysés par le fétiche-Jésus. Même les athées le considèrent comme l’homme suprêmement bon, l’autorité morale exemplaire et indiscutable. Quelles que soient nos opinions, nous sommes poussés à falsifier les paroles de Jésus pour être d’accord avec lui. Pauvre Jésus! S’il avait su à quel point on allait le transformer en autorité suprême, il se serait bien gardé de dire le moindre mot. L’image littéraire que les évangiles donnent de lui après des siècles d’hommages l’a transformé en idole plus sûrement que les sculptures qui le représentent dans la pierre ou le bois ; si bien qu’aujourd’hui, l’acte d’adoration le plus authentique consisterait à détruire cette image. Selon ses propres mots, « Il est bon pour vous que je m’en aille, car si je ne m’en vais pas, le Saint-Esprit (Paraclet) ne peut descendre sur vous [5] ». Ou comme le dit l’ange aux disciples venus chercher le corps de Jésus dans sa tombe « Pourquoi cherchez-vous parmi les morts celui qui est vivant ? Il n’est pas ici. Il est ressuscité et vous a quittés… [6] ». Mais la piété chrétienne ne l’a pas laissé partir et continue de chercher le Christ vivant dans la lettre morte des annales historiques qui parlent de lui. Comme il l’a reproché aux juifs : « Vous cherchez dans les écritures, car par elles vous pensez avoir la vie éternelle. »
La crucifixion donne la vie éternelle au travers du renoncement de Dieu à être objet de possession, objet de connaissance et moyen d’assurer sa sécurité « car ceux qui voudront sauver leur âme la perdront [7] ». Se cramponner à Jésus revient à adorer un Christ non crucifié, une idole à la place du Dieu vivant.
Roc éternel, ouvert pour moi,
Laisse-moi me cacher en toi [8].
Les cafards se précipitent dans les fissures du mur.
Quel ami nous avons en Jésus
Pour prendre sur lui tous nos péchés [9] !
Mais le Christ qui « marche avec moi et parle avec moi » n’est pas le Christ intérieur ; c’est une béquille, non une colonne vertébrale. Le Sacrifice quotidiennement renouvelé à l’Autel, par lequel on consomme le Corps du Christ sous les espèces du Pain et du Vin, ne signifie plus rien s’il ne signifie pas que le Jésus imaginaire et le Dieu préconçu sont régulièrement abandonnés — coquille qu’on brise, grain qu’on enterre pour en retirer la vie. Comme l’a dit Jésus : « Un grain de blé demeure seul à moins qu’il ne tombe en terre et meure ; mais s’il meurt, il donnera une riche récolte [10]. » Mais les incrédules de l’époque objectaient, comme aujourd’hui les croyants : « Notre Loi enseigne que le Messie est éternel. Que veut dire : le Fils de l’Homme doit être crucifié ? » Et ceci :
O incarnation du Verbe de Dieu,
O Sagesse du Très-Haut,
O Vérité inchangée, inchangeable,
O Lumière dans l’obscurité de notre nuit
Nous te glorifions pour le
Rayonnement de ta parole sanctifiée
Lanterne qui guide nos pas
D’âge en âge [11].
Ainsi on sait parfaitement bien où on en est.
La croyance en un Christ objectif et définitif sur lequel on peut s’appuyer est l’antithèse de la foi ; c’est une attitude rigide, ni confiante ni souple. La piété chrétienne abonde d’ailleurs en images de rigidité :
Le Christ est fondation sûre,
Le Christ est pierre d’angle.
Ou, comme dit Samuel Johnson :
En vain, le choc coléreux de la vague,
En vain l’envahissement du sable :
Intangible sur son roc éternel
Se dresse la cité éternelle.
Et Luther :
Notre Dieu est forteresse puissante,
Un rempart qui jamais ne cède.
Dans un univers comme le nôtre, ce n’est pas de rocs et de bastions dont nous avons besoin, mais bien plutôt de savoir flotter et nager. À la longue, la flexibilité et l’élasticité du tissu vivant qui « prête » finit toujours par triompher de la pierre et de l’acier. Les dauphins furent peut-être plus avisés que nous lorsqu’ils abandonnèrent la terre ferme pour cabrioler et se rouler dans les océans. Nous conservons l’illusion de vivre dans un monde solide alors qu’en réalité une chaîne de montagnes en granite n’est qu’un réseau diaphane d’énergie électrique, et l’attitude du dauphin est aussi valable sur la terre que dans l’eau.
Avoir foi dans le « Christ crucifié », par conséquent, c’est croire qu’il puisse « être en nous et nous en lui », comme l’oiseau dans l’air et l’air dans l’oiseau. Ce n’est pas s’agripper à la croix, ou tendre la main au Sauveur dans l’obscurité. Il n’y a rien à quoi s’accrocher : « Le royaume des cieux est en vous. » Être vraiment « en le Christ » consiste à se préoccuper de moins en moins de l’image superficielle de Jésus qui se dégage des évangiles et qui conduit à transformer la vie chrétienne en un rite méticuleux. Il faudrait célébrer Pâques chaque année en brûlant solennellement et religieusement les Écritures saintes, la signification profonde de la résurrection et de l’ascension du Christ au Ciel, qui est « en dedans de nous », étant que notre humanité est à découvrir au-dedans de nous, ici et maintenant, et non en prenant la Bible à la lettre.
C’est pourquoi la quête du Jésus historique est aussi ennuyeuse que stérile. Les tentatives comme celle de Bultmann [12] pour dégager les faits historiques authentiques concernant Jésus de Nazareth sont en réalité aussi vaines et aussi entachées de superstition que les prétendues preuves scientifiques concoctées par certains sur la naissance virginale et la Résurrection pour en faire des événements réels. Dans un cas comme dans l’autre, on cherche Jésus dans le passé, et « pourquoi chercher le vivant parmi les morts [13] ? » Dépouillé de sa mythologie, le Christ devient invariablement une sorte de prophète barbant ou un fanatique du messianisme ; dans le meilleur des cas, c’est un homme luttant pour exprimer une expérience particulièrement profonde de « conscience cosmique » ; cela dans les termes du messianisme d’Isaïe et des visions apocalyptiques de fin du monde post-Maccabéenne, une théologie particulièrement étrangère au sens mystique qu’on trouve dans « l’union avec Dieu [14] ». Les différentes versions proposées du Jésus historique semblent en fait n’être que le reflet des préjugés individuels des érudits sur ce que Jésus aurait dû faire et dire ; d’où le profond désaccord régnant entre les « grands spécialistes » sur les parties vraiment authentiques des évangiles. Le Jésus historique peut être pris comme curiosité académique, mais il est difficile d’en extraire les éléments pour une quête spirituelle ; quant aux tentatives érudites pour extraire les faits concrets et les séparer de la poésie et de la mythologie évangéliques, elles ne sont pas sans ressembler à une étude des sonates de Mozart en termes de physique des sons.
Y a-t-il véritablement intérêt à déterminer si Jésus est né historiquement, au sens littéral, d’une vierge, et s’il est ressuscité physiquement d’entre les morts ? En insistant là-dessus, on ne réussit qu’à en faire un monstre humain, comme un bébé à deux têtes. Le merveilleux, dans un événement merveilleux, c’est sa signification et non sa réalité comme phénomène concret ; et ce qui est admirable dans les événements mythologiques est que leur signification est pratiquement inépuisable. Ce sont des miroirs magiques dans lesquels chaque homme peut voir la vérité qui est bonne pour lui et pour son temps. La signification des miracles est aussi importante pour une époque pour laquelle le miracle est un fait accepté que pour celle où il est reçu avec scepticisme ; dans les deux cas, le fait miraculeux lui-même n’a pas beaucoup de valeur. Ce n’est qu’en transposant le miracle du temps historique, terrestre, au temps mythologique que l’on peut trouver :
Le Christ marchant sur les eaux, non de Génésareth Mais de la Tamise [15]!
Ce n’est que si Bethléem (la « Maison du Pain ») devient le corps humain qu’il y a quelque sens à chanter :
O Saint Enfant de Bethléem!
Descends sur nous qui prions ;
Remets-nous de nos péchés, entre en nous,
Et nais en nous aujourd’hui [16].
Ce n’est que si la dernière Cène n’est plus considérée comme un événement ayant eu lieu il y a longtemps à Jérusalem qu’il est possible au Christ de célébrer aujourd’hui la messe avec nous. Si le Sacrifice « qui nous a une fois pour toute rachetés sur l’arbre du Calvaire » ne s’est produit que le quatorzième jour de Nisan de l’an 34 après Jésus-Christ, la question : « Étiez-vous ici quand ils ont crucifié mon Seigneur ? » n’appelle qu’une réponse : « Non. » Et il est parfaitement absurde d’écrire comme Johann Heermann : « C’est moi, Seigneur Jésus, moi qui t’ai renié, moi qui t’ai crucifié. »
Réfugié en toute sécurité dans l’histoire ancienne ou ailleurs, dans quelque paradis improbable, le Christ ne peut plus être le mendiant qui vient frapper à la porte: « Toutes les fois que vous avez fait ces choses au plus petit de mes frères, c’est à moi que vous les avez faites [17] » n’est plus alors qu’une simple clause de style.
Mettre l’accent sur l’historicité du mythe chrétien revient à donner au Christ l’éloignement stérile d’une curiosité archéologique. Il est de fait que c’est un point de vue relativement moderne. Ce n’est guère avant 1700 que les artistes chrétiens ont pris l’habitude d’habiller Jésus et ses apôtres de burnous par souci de réalisme historique. On les voyait toujours auparavant habillés comme les contemporains de l’artiste ou à la rigueur comme les ecclésiastiques de l’époque. Si l’on suivait aujourd’hui la tradition chrétienne dans son esprit, on montrerait Jésus en cravate et complet-veston. On a pris pour acquis que les évangiles racontaient des événements historiques, mais cet aspect de la question n’avait guère d’importance. L’important était qu’au long de l’année liturgique et par la célébration quotidienne de la messe, ces événements merveilleux et salvateurs soient constamment réactualisés et revécus. Ils n’étaient pas seulement mémorisés : c’était des mystères auxquels les hommes prenaient immédiatement part, ce qui, spirituellement, est encore l’attitude fondamentale de l’Église catholique. La notion du christianisme comme seule religion historique, fondée sur l’intervention divine dans le processus historique n’apparaît guère chez les théologiens avant le XIXe siècle. Justement à une époque où le christianisme commence à cultiver un goût pieux de l’ancien, goût qui atteindra son point culminant de sentimentalité avec la construction d’églises de style roman en acier et béton. En attendant du baroque en plastique.
C’est également très récemment que le clergé a changé d’attitude sur des points comme la naissance virginale, considérée comme un « indubitable fait historique », comme s’il trouvait un regain de santé et de robustesse dans une telle croyance. Cette manière de voir trouve sa contrepartie logique avec le prétendu « vague » attribué aux « simples » mythes et symboles, bons pour les faibles d’esprit. De toute évidence, de telles attitudes relèvent d’un professionnalisme jaloux, essayant de justifier son obscurantisme et son barbarisme intellectuel. C’est le même état d’esprit que l’on trouve chez certaines personnes qui, pour affirmer leur virilité, adoptent en politique l’attitude fasciste : « Pendons-les tous, bon sang! »
Nous nous retrouvons donc à la question du départ : en quel sens Jésus-Christ est-il la réponse aux problèmes humains actuels ? Quel sens a un mythe aussi puissant pour des hommes qui se sentent solitaires dans un univers étranger, piégés par leur propre ingéniosité qui les pousse à contrôler une situation qui devient chaque jour de plus en plus difficile à maîtriser ? La réponse n’est sûrement pas dans un Jésus prédicateur donnant des instructions sans détours et terre à terre qu’il suffirait de mettre en pratique. Elle est encore moins dans un Jésus Deus ex machina, manière surnaturelle d’échapper à tous les problèmes et qui, si l’on y croit, nous rendrait notre perfection et le bonheur après notre mort.
Le personnage de Jésus, tel qu’il a été modelé par la tradition est tout d’abord un défi qu’aucun Occidental ne peut simplement éviter, en particulier s’il l’a subi pendant son enfance, ou mieux encore, s’il a été élevé dans l’orthodoxie juive [18]. Directement ou indirectement, l’image traditionnelle de Jésus a formé la personnalité, le sens de l’identité et l’échelle des valeurs de chaque membre de la culture occidentale. Même les plus dépourvus d’esprit religieux parmi nous doivent reconnaître qu’il y a encore quelque chose de suffisamment magique dans son Nom, puisqu’ils le transforment en juron.
La difficulté vient cependant du fait que le style occidental de personnalité est resté inachevé, exprimant le problème non encore résolu et posé par le Christ lui-même, le double commandement : « Tu dois aimer le Seigneur ton Dieu » et « Tu dois être libre ». Nous avons la responsabilité d’entretenir en nous un amour authentique du prochain. Nous tentons ainsi « exprès » d’être humain, ce qui revient à faire de grands efforts et à s’agiter pour avoir une tête. Et ce qui est encore plus gênant, c’est ce que dit Jésus : « J’ai souffert le martyre de la Croix par amour pour vous, et je suis mort pour vous sauver de vos péchés. Qu’allez-vous maintenant faire pour moi ? » Chaque Vendredi saint, le pasteur de notre paroisse avait l’habitude de nous donner une image en couleurs représentant un Jésus très triste sur sa croix, disant :
Voici ce que j’ai fait pour toi.
Qu’as-tu fait pour moi ?
À cause de la Chute, vous êtes déjà coupable du seul fait d’exister. Mais d’avoir été racheté à un prix aussi terrible doit vous mettre extrêmement mal à l’aise. Nos parents eux-mêmes apprennent à jouer avec notre amour en nous serinant le refrain des grands sacrifices qu’ils ont faits pour nous.
(« Ç’a ne suffit pas de dire que tu es désolé. Es-tu vraiment désolé ? Non, n’essaie pas de me dire quoi que ce soit : on verra bien comment tu te comporteras. Et il ne s’agit pas des efforts que tu pourrais faire pendant quelques jours. C’est à la longue que l’on verra ce qu’il en est… »)
O mon peuple, que t’ai-je fait ?
En quoi t’ai-je affligé ? Réponds-moi.
Alors que je t’ai amené en Terre Promise,
Tu as préparé une croix pour ton Sauveur.
Je t’ai donné un sceptre royal,
Et tu m’as donné une couronne d’épines.
Tout ceci n’est-il rien pour toi qui passes ici ?
Écoute et vois : il n’y a pas de douleur
Égale à ma douleur [19].
L’Homme-Dieu sur sa croix résume en une image toutes les cruautés qu’entraîne le fait d’être vivant, tous les ravages de l’indifférence et de l’égoïsme humains. C’est pourquoi on ne peut ni éviter ni ignorer Jésus. Mais qu’est-ce qu’il nous reste à faire ? Je peux bien pleurer et me frapper la poitrine, et consacrer le reste de ma vie à soigner gratuitement les plus déshérités, en acceptant les dons des actionnaires des fabriques de missiles et en utilisant des remèdes de laboratoires qui, par ailleurs, volent et grugent le public en lui vendant des drogues inutiles sinon dangereuses. Cela sera-t-il mieux si je choisis de l’ignorer ? Je peux prendre tout ça avec désespoir, un désespoir passif, regrettant de ne pouvoir arriver à relever le défi, et tâchant d’aller mon chemin en faisant le moins de mal possible. Je peux aussi interpeller le Seigneur : « Écoute, ne m’embarque pas là-dedans! Après tout, c’est toi qui es Dieu. Tu m’as créé, et tu as créé le monde tel qu’il est, non ? Et si tu n’aimes pas la manière dont je me comporte, c’est à toi de la changer. »
Encore une fois, si je suis doué d’un peu de sensibilité, si je me sens concerné et si j’ai quelque sens critique, aucune de ces réponses ne me satisfait. Je commence à prendre peu à peu conscience que le défi, le problème de l’Homme-Dieu sur la Croix, n’est pas simplement quelque chose que je contemple de l’extérieur. Plus je prends conscience de moi-même, plus je réalise que moi aussi je suis cloué à la même Croix. Ça fait aussi mal de mourir d’un cancer de l’estomac, d’être la cause involontaire des souffrances de ceux que l’on aime, ou de ressentir trop vivement que l’on est complice de toutes les horreurs commises par notre société que de mourir sur la Croix. La crucifixion est conscience aiguë. À ce niveau de compréhension, l’image conventionnelle de Jésus commence à disparaître. On ne trouve plus le jeune homme barbu à l’air sérieux en robe blanche, ou même le corps déjeté cloué sur la Croix. Cette image s’évanouit dans l’expérience de la souffrance physique mais aussi dans celle du vide aride de la question « Mon Dieu, Mon Dieu, pourquoi m’as-tu oublié [20] ? » Dès que j’écrase un moustique ou mange une huître, c’est le crucifix que je vois, et bien plus encore quand je rencontre la douleur humaine. La forme la plus problématique que prend alors cette crucifixion est la question récurrente : « Qu’est-ce que je peux y faire ? » Les réponses que je peux apporter sont toutes à côté de la question, même celles consistant à dire que j’ai toujours été à côté de la question. Comme l’a déjà remarqué Groddeck, il y a toujours quelque chose d’un peu pharisaïque chez le publicain rampant dans le temple et qui s’écrie en se frappant la poitrine : « Sois miséricordieux, Seigneur, pour mes péchés. » Une fois l’histoire connue et racontée, il devient parfaitement impossible d’en suivre l’exemple sans tomber dans le cercle vicieux de l’hypocrisie. Ce pourquoi certainement Jésus l’a rapportée. Car une fois qu’on a cité en exemple l’humilité la plus authentique, essayer de l’imiter est aussi dépourvu de sens que le rituel le plus sclérosé [21]. Mais enfin, que dois-je faire ?
J’ai dit à mon âme, sois tranquille et attends sans espoir
Car l’espoir serait espoir de choses fausses, attends
Sans amour
Car l’amour serait amour de choses fausses, reste encore
La foi
Mais foi, amour et espoir sont tout entiers dans
L’attente.
Attends sans penser, car tu n’es pas encore prête pour
Penser :
Et ainsi obscurité sera lumière, et immobilité,
Danse [22].
Mais puis-je seulement attendre, puis-je seulement ne rien faire sans que ce ne soit encore de la simulation ?
Les traditions mystiques occidentales veulent que la prière contemplative, considérée comme le contact avec Dieu le plus élevé qu’on puisse avoir ici-bas, consiste à endurer en silence l’humiliante impossibilité d’espérer ou d’aimer comme il faut. La contemplation dans la prière est simplement l’intime croyance que cette impossibilité est une crucifixion intérieure et que par elle on atteint plus immédiatement à l’union intime avec Dieu, la confrontation face à face avec Dieu ne devant se faire qu’après la mort. Jusque-là, le contact le plus parfait avec Dieu est celui qui passe par la Croix — on sait qu’on ne connaît pas Dieu, l’esprit se sent désolé, perdu dans un désert, on se sent absolument ordinaire et quotidien, tout en croyant fermement que cette obscurité est justement la Divinité voilée. « Aurais-je un Dieu que je comprendrais, avoue maître Eckhart, je ne le tiendrais pas un instant de plus pour Dieu. » Et pour citer une fois de plus Dom John Chapman : « Votre prière consistera à passer le temps du mieux que vous pouvez, dans la mesure du possible en vous laissant gagner par Dieu sans agir [il s’agit d’actes de dévotion] et sans essayer non plus d’éviter d’être distrait. Finalement, vous remercierez Dieu de vous donner précisément cette prière et non une autre ; elle consistera probablement soit (I) en distractions et inquiétudes, soit (II) en rien du tout, soit (III) en des sentiments d’abandon et de désespoir extrême, soit (IV) en l’impression qu’il n’y a pas de Dieu, soit (V) à penser que tout cela est affreux et n’est que douleur et perte de temps. Et c’est alors (mais certainement pas d’emblée) que vous ressentirez par l’intermédiaire de la part la plus élevée de votre âme, une part que vous ne soupçonniez même pas, combien tout cela est mieux que tout ce que vous aviez auparavant ; et qu’il vaut mieux souffrir ainsi, si c’est la volonté de Dieu, que d’éprouver les plaisirs les plus spirituels [23] . »
Comme l’a suggéré un autre bénédictin, Dom Aereld Graham, c’est ici qu’on peut trouver une certaine affinité entre le bouddhisme zen et le mysticisme occidental. C’est, en effet, dans l’ici-et-maintenant que le zen découvre la plus haute illumination, et non dans des visions en extase ; tout peut se résoudre « dans le claquement d’une tuile brisée ». À propos de la quotidienneté et de ce qu’elle a de fastidieux, on avait demandé au maître zen Bokuju : « Pourquoi faut-il s’habiller et manger chaque jour ? Comment peut-on éviter ces corvées ? » Il répondit : « On s’habille, on mange. » Le questionneur avoua qu’il n’avait pas compris la réponse. « Si tu n’as pas compris, dit Bokuju, mets tes vêtements et mange ton repas. » George Herbert [24] avait-il cela à l’esprit en écrivant :
Tout ce qui vient de toi doit être partagé ;
Il n’y a rien de si humble, qui,
Fait pour l’amour de toi,
Ne devienne brillant et clair.
Le serviteur qui pense ainsi
Rend les corvées divines ;
Et qui balaye une pièce en suivant ta loi
Sent cela et travaille bien.
Pas tout à fait. Aussi bien chez Herbert que chez Chapman, il y a un soupçon de masochisme spirituel qu’il ne s’agit nullement de déplorer, mais qui montre qu’ils sont sur le point d’arriver à un niveau de compréhension plus élevé. « Quelle chance j’ai, de souffrir ainsi! » Il y a une sorte d’étonnant sentiment inversé de sécurité à penser que, quoi qu’il arrive, tout va bien dans la mesure où l’on souffre.
Oh! Je bénis le Bon Dieu pour mes tourments,
Pour les souffrances du corps et celles de l’esprit,
Car sans elles ma Foi se fige
Et je suis voué au Feu éternel de l’Enfer [25].
Quand on en est là, il devient urgent de voir qu’on a choisi une fausse sécurité, et que se complaire dans la souffrance n’est que le dernier masque emprunté par 1’ego, piégé sans espoir, et essayant à n’importe quel prix de FAIRE CE QU’IL FAUT. C’est vraiment désespéré. Non seulement « l’activisme » est erroné, mais le quiétisme aussi :ça ne sert à rien de décider de ne rien faire, puisque ne rien faire est un piège tout autant que faire quelque chose.
Si, en cette extrémité, Jésus-Christ est toujours « la bonne réponse » qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire ? Et qu’est-ce que cela veut dire d’en être là ? Qu’ai-je appris sur moi-même en comprenant que ni l’action ni l’inaction ne sont la réponse ? Et si j’ai découvert que je ne peux accomplir la seule et unique chose qui vaille la peine de l’être, que reste-t-il ?
Reprenons le problème : je ne peux pas éviter le défi de la Croix, car il signifie que par le seul fait d’être en vie, je suis inévitablement responsable d’indicibles misères et de terribles souffrances. Les excuses sont du vent. Essayer de s’améliorer ne fait que compliquer les choses. Rester passif revient à fuir la question.
Cela signifie que ce que je prends pour moi-même n’est qu’un fantôme. Mon ego n’a jamais eu d’existence effective. C’est un Acte Majeur que de supposer que je me contrôle et que je contrôle le monde — celui d’un enfant assis à côté du chauffeur d’une voiture qui se persuade qu’il conduit grâce à un volant miniature. Mais alors, qui, ou que suis-je ? Si je ne peux ni agir ni ne rien faire, au moins, je sais. Je suis conscient. Ne suis-je qu’un simple miroir qui se contente de refléter des expériences ? Qui est ce « qui », qui sait ? Autant que je puis le voir, il n’y a pas un « connaissant » mais la connaissance ; pas un « agissant » mais une action. Et tout cela est comme contenu dans cet étrange sentiment d’unité centrale que j’appelle « moi », ou « je ». Je sais de plus que vous éprouvez exactement le même sentiment d’être un centre, d’être un « moi » que moi-même. Ainsi, quand je meurs il n’y a aucune manière positive d’éprouver la non-existence, aucun état dans lequel on serait éternellement bouclé dans l’obscurité. Voilà le plus absurde cauchemar qui ait jamais oppressé l’imagination humaine. Au-delà de chaque mort, il n’y a plus qu’un « Je » quelque part ailleurs, comme lorsque l’on naît. Car « Je suis la vigne, et vous êtes les branches. » « Je suis le chemin, la vérité et la vie. » « Avant Abraham, j’existais. »
« Moi et le père sommes un. Alors les juifs prirent de nouveau des pierres pour le lapider. Jésus leur répondit : « Je vous ai fait voir plusieurs bonnes œuvres venant de mon Père : pour laquelle me lapidez-vous ? » Les Juifs lui répondirent : « Ce n’est point pour une bonne œuvre que nous te lapidons, mais pour un blasphème, et parce que toi, qui es un homme, tu te fais Dieu. » Jésus leur répondit : « N’est-il pas écrit dans votre loi : « J’ai dit : vous êtes des dieux ? » Si elle a appelé dieux ceux à qui la parole de Dieu a été adressée (et l’écriture ne peut être anéantie), comment pouvez-vous dire à celui que le Père a sanctifié et envoyé dans le monde « Tu blasphèmes! » parce que j’ai dit « Je suis un fils de Dieu ». » (Jean 10, 30-36 [26].)
Tout est dans cette notion d’identité avec Dieu. L’expression « fils de » signifie « de la nature de » ou bien « de l’essence de » comme aussi, lorsqu’on dit péjorativement « fils de chien ». C’est en ce sens que l’on peut prendre également Ésaïe : « Car il faut qu’ils sachent que du levant au couchant, il n’y a personne autre que moi. Je suis le Seigneur et il n’y a personne d’autre ailleurs. » C’est ce que dit encore un soufi islamique sur Allah : « Il n’y a de Dieu que lui, et rien n’est plus grand que lui » ; ou bien saint Paul : « Je suis crucifié avec le Christ, et cependant je vis, mais ce n’est plus moi, mais le Christ qui vit en moi » ; ou enfin saintes Catherine de Gênes : « Mon moi est mon Dieu, et je ne connais aucune autre identité qu’en Dieu. » Le choc final par lequel on réalise Qui est qui se produit au moment précis où l’on s’aperçoit que notre prétendue identité personnelle n’est rien. (Non pas un rien mauvais, mais un merveilleux mirage.) C’est alors que, suivant le principe de saint Paul selon lequel « ne rien avoir est tout posséder », le rien est compris comme identique au Tout, le vide comme égal au Plein. Dieu se vidant de lui jusqu’à son extrême limite est homme, et l’homme se vidant de lui jusqu’à son extrême limite est Dieu. Et être dans le Christ, ne faire qu’Un Seul Corps avec lui, être uni dans le Verbe fait chair, partager sa chair et son sang n’est que réaliser avec lui une identité qui est le « Je suis » d’avant Abraham lui-même.
(Avant d’en venir à ce qui suit, je tiens à préciser que je ne peux écrire qu’à la première personne, qui est la manière la plus honnête pour être direct. « On sent bien » est d’un style ampoulé et manque d’engagement ; le « nous » académique se réfère à une autorité inexistante, et les expressions comme « Il semblerait que » sont vraiment trop pédantes. C’est pourquoi j’utilise les expressions conventionnelles qu’on trouve dans les écritures et la liturgie, parlant ainsi le langage familier aux héritiers de la tradition chrétienne.)
Après avoir réfléchi à cette question de l’identité pendant des années, je ne vois pas d’autre manière de lui donner un sens. Plus je sonde les profondeurs de mon moi, plus elles me semblent au-delà de moi, si « moi » n’est pas autre chose que la conscience superficielle que j’en ai. Ces profondeurs sont une dimension de soi-même rarement reconnues. Je peux penser et repenser à la disparition de mon corps : à quoi peut bien ressembler le fait d’aller se coucher et de ne jamais se réveiller ? Inévitablement, cela m’évoque ma naissance — s’éveiller sans jamais avoir été dormir! Quel enfant aurais-je été avec la même mère, mais un autre père ? Bien sûr, la réponse est évidente et affolante : j’aurais pu être n’importe qui ; mais la seule manière d’être n’importe qui est d’être quelqu’un. Je suis toujours quelqu’un, l’expérience du « je » étant celle d’une certaine-personne-à-un-certain-moment. Tous les êtres sensibles, où qu’ils soient dans l’infinie multitude des galaxies, sont des « je ».
Quel que soit le « je » au-delà, en dessous ou au-dessus du petit cercle lumineux de l’ego, celui-ci va son chemin comme grandissent les os et comme circule le sang : tout se passe sans attention consciente. Et c’est de la même manière que le sentiment récurrent et éternel du « je » se déploie à travers tout le corps de l’univers. Car de même qu’un vol d’oiseaux, un amas de cellules ou un groupe de molécules se déplacent comme s’ils n’avaient qu’un seul cerveau, de même l’ego conscient appartient-il au soi universel. Mon sentiment d’être un centre et d’avoir une identité n’est jamais qu’un cas particulier (le cercle éclairé) de l’identité et de la « centralité » de ce soi universel, qui peut apparaître, « je » après « je », sans avoir le moindre besoin du souvenir conscient de chacun d’eux, pas plus que nous n’avons besoin de nous rappeler comment respirer. Étant la totalité de ce qui est, il n’y a aucun point de vue en dehors de ce soi d’où l’on puisse l’observer. Il n’a d’ailleurs pas davantage besoin d’être un objet identifié qu’un doigt a besoin de se toucher lui-même ou un œil de se voir.
Simplement, le « je » véritable dans le cercle lumineux, et au-delà, n’est rien moins que tout ce qui est. Je n’existe évidemment qu’en relation avec chaque chose autre que moi qui existe ; mais je n’ai pas établi cette relation en venant de quelque extérieur, comme si tout ce qui existe d’autre que moi m’était étranger ou était étranger aux autres. Je n’ai pas surgi dans cet univers comme un oiseau se pose sur une branche, venant de limbes non identifiés. J’ai poussé sur cette branche comme une feuille. Car je suis quelque chose en quoi tout participe, je suis tout un processus, agitant un drapeau appelé « moi » et s’écriant : « Hou-hou! »
Je n’ai donc plus besoin de me faire de souci pour moi. (En aucun cas et à aucun niveau.) Car dans le jeu cosmologique de cache-cache, je suis « Cela ». Et je dois laisser aller les choses : les apparences peuvent bien succéder aux apparences, les oublis aux disparitions et aux transformations, et les annihilations à de soudaines explosions dans une lumière de nulle part. Nul besoin de se souvenir, car quelle que soit sa forme, c’est toujours « Je » qui « suis ici », et la mort miséricordieuse est là qui me délivre encore et toujours de l’ennui de l’immortalité. Nul besoin non plus de s’agripper ou de croire à ce « Je suis » éternel, fondamental. Car il est ce qui est : avant lui, pas d’avant, après lui, pas d’après et en dehors de lui, pas de dehors.
Sous des formes légèrement différentes, il s’agit d’une des institutions les plus anciennes et les plus durables. La folie et la mégalomanie commencent seulement lorsqu’on conçoit le Soi de tous les sois à l’image de quelque Roi des rois chaldéen ou persan, dirigeant son royaume consciemment, d’un bras armé et puissant. Pendant des siècles, l’homme occidental a imaginé Dieu sur le mode royal, et a fini par se concevoir lui-même comme un sujet, un serf, étranger et extérieur à l’univers. C’est ainsi que lorsqu’on débarque au monde sous la forme d’un enfant, on n’a pas droit à un accueil franc et ouvert. Nous ne sommes pas traités comme de véritables êtres humains, sans doute handicapés par notre enfance, mais ayant au moins le droit de savoir toutes les règles du jeu que jouent les adultes. L’enfant est, au contraire, traité comme si ses limitations infantiles étaient un péché, comme si l’enfance était un noviciat à vivre honteusement, une période probatoire d’évolution dans la souffrance et de recherche de notre humaine nature. Élevé dans une telle atmosphère, un enfant finit par avoir le sentiment qu’il n’appartient pas au monde dans lequel il est; ainsi éduqués, les hommes traversent la vie sur la pointe des pieds, craignant constamment d’offenser la mystérieuse Autorité qui se cache derrière les choses; quant à proclamer qu’on ne fait qu’un avec le cosmos éternel, c’est là le sommet de l’impertinence et de l’effronterie.
Le christianisme n’a pas besoin de rester dans cette atmosphère de nurserie et de dortoir de collège. Ce qui ne signifie pas qu’il faille tous nous considérer comme des adultes accomplis pouvant se permettre à bon droit d’être désagréablement autoritaires; nous n’entrons pas dans un Nouvel Âge où tous les chrétiens seraient fondés à prendre des allures d’archevêque. Notre situation nous permet bien plutôt de voir que cette figuration impériale, monarchique de l’univers est une blague. Le Seigneur se ceint d’une couronne, s’orne d’une barbe, se pare d’une armure céleste et se dote de la panoplie complète de la guerre spirituelle pour s’impressionner lui-même en se regardant dans un miroir. L’identité ultime de l’homme avec Dieu n’est sûrement pas l’identité avec ce Général commandant en Chef l’univers.
Les théologiens sérieux ne prennent, bien entendu, pas au pied de la lettre un tel symbolisme royal et militaire, quoiqu’il influence probablement plus qu’ils ne le croient leurs attitudes. D’un côté, ils peuvent fort bien parler de Dieu comme d’un Esprit parfaitement imberbe « Sans corps, sans parties, sans passions », comme « le Cercle dont le centre est partout et la circonférence nulle part » ou comme « l’amour qui meut les étoiles et le soleil ». Mais d’un autre côté, ils vont caqueter sur la manière dont « notre Seigneur bien-aimé » est offensé par nos fornications et notre langage trivial, exactement comme si le royaume du ciel ressemblait à la cour de la reine Victoria. Il faut un état d’esprit plutôt compliqué pour lire Jacques Maritain ou William Temple et éprouver des émotions fortes en chantant « en avant, soldats du Christ » dans des processions.
La proposition « l’identité est Dieu » fait reculer la théologie traditionnelle, car elle met l’accent sur la valeur des identités multiples, mais irréductibles et uniques, celles des personnes subissant la loi et les oukazes d’un Seigneur ultra-personnalisé, image unique de l’intégrité dans son double sens d’individu complet et de rigueur inflexible. La théologie favorise la vision d’un Dieu clairement défini, ne pouvant être ni soudoyé ni amadoué et dont les contours c’est-à-dire les principes — ne peuvent être estompés par une fusion panthéiste avec l’univers. Toute altération de la distinction faite entre l’identité divine et celle des autres identités transforme Dieu en un accessoire du monde manifestement plein des péchés des hommes. Ce Dieu n’est Dieu que parce qu’il ne peut pas être manipulé. Il s’en tient irréductiblement à sa vision de l’ordre universel, sans faire le moindre compromis ni la moindre concession pour passer pour un bon gars agréable à vivre.
Tout cela est parfait tant que nous jouons le jeu du christianisme en supprimant la conspiration originelle unissant l’Éternel et le Diable. Le drame serait qu’elle soit réellement et complètement supprimée ; or la théologie du Dieu de rigueur ne paraît pas pouvoir admettre la moindre chose pouvant faire penser à un compromis. Elle doit maintenir la distinction entre le Créateur et la créature comme celle entre le bien et le mal jusqu’à la fin, aussi amère qu’elle soit — et elle l’est, en effet. Mais il doit bien être possible de considérer qu’une distinction très importante n’est pas forcément importante absolument. Une chanson ne perd pas sa valeur au moment où elle se termine et une différence entre le Créateur et la créature n’a pas à être négligée, sous prétexte qu’elle ne s’étend pas jusqu’aux racines de l’Être. Les différences entre les branches d’un arbre sont-elles annulées parce qu’elles se rejoignent dans un tronc ? Mes doigts sont-ils moins agiles d’appartenir à une main ?… Il devrait être possible d’accepter et de suivre aussi les règles d’un jeu (le langage ou la banque, par exemple) sans devoir pour autant les identifier aux lois divines ou aux lois de la nature, et cesser d’avoir un comportement décent et respectueux des lois dans n’importe quelle communauté sans être obligé à chaque fois d’évoquer l’autorité et les sanctions de l’infiniment Grand.
Tenter d’amener les problèmes de morale devant la Cour Céleste n’est pas sans faire penser à essayer de régler les conflits internationaux à coup de bombes nucléaires. La violence apocalyptique de la fournaise infernale est une menace pratiquement sans effet pour l’amélioration de la justice et la diminution de la méchanceté, car tout comme la bombe H, elle est inconcevable, impensable ; elle entraîne simplement, comme la torture judiciaire et la peine capitale, un manque de respect accru pour l’autorité. (Imaginez donc comme il sera agréable d’être bien installé à faire de la musique avec les anges, cependant que votre fille est plongée dans les souffrances atroces d’un éternel enfer!) Quelle différence cela fait-il de dire que ce n’est pas Dieu qui inflige cette punition, mais que c’est l’individu qui l’a provoquée en rejetant l’amour de Dieu ? Ou que le feu de l’Enfer n’est que la façon dont on est frappé par la Lumière de Gloire après qu’on l’a volontairement repoussée ? Ce qui compte, c’est le fait qu’un univers envisageant sérieusement une telle possibilité n’est, dès le départ, qu’une monstrueuse construction.
Cependant, si l’on part du point de vue voulant que toute identité soit Dieu (tat tvam asi) on s’aperçoit que derrière ce cauchemar théologique se cache la fascination d’un céleste masochisme. Derrière la façade de terreur, de culpabilité, de tortures éternelles inimaginables ne détruisant pas le corps et de bouleversements émotionnels de total désespoir, se trouve finalement l’éternelle préoccupation de l’homme : l’extase. La fascination, l’attirance positive pour ces horreurs est, en termes psychanalytiques, inconsciente, ou mieux, non admise, de même qu’on n’admet pas le plaisir secret de la haine ou du chagrin, ou d’avoir échoué professionnellement. On considère d’habitude que de telles fascinations ont un caractère morbide et pathologique, bien que cela ne veuille dire qu’une chose : que dans notre conscience « normale » elles sont rejetées et non reconnues. Il est pourtant évident que la vie, considérée comme un système d’organismes s’autodétruisant en se nourrissant de lui-même, « veut » la souffrance tout autant qu’elle veut le plaisir. Il s’ensuit que maîtriser sa vie revient à admettre, à rendre consciente la secrète préoccupation que l’on a pour l’extase à travers la douleur — mais nullement pour se punir soi-même ou pour se concilier le Père par un dernier effort désespéré pour « faire ce qu’il faut ». Si, comme l’on dit de nombreux mystiques, la croix est le cœur même de l’univers, cela ne veut pas dire que Dieu se déteste lui-même, mais bien plutôt que l’Indestructible a les plus extrêmes audaces. Plus haut et loin en arrière du masochisme obséquieux du genre « Je bénis le Ciel pour mes souffrances » ou « comme toutes ces souffrances sont bonnes pour moi ! », se trouve le lieu mystérieux où se rejoignent l’amour extrême et l’extrême souffrance. Je dis « mystérieux », car l’ambivalence du plaisir et de la souffrance est l’un des problèmes communs à la physiologie, à la psychologie et à l’esthétique le moins étudié. Mystérieux, aussi, parce qu’il fait partie du domaine sensible à l’extrême et redoutable où se trouve tout ce que nous savons sans l’admettre, et dont nous nions farouchement l’existence quand quelqu’un d’autre y fait allusion.
Le chrétien orthodoxe traditionnel se trouve alors pris dans une alternative remarquable. S’il se refuse à admettre la fascination secrète qu’exerce la douleur comme extase, et que tout ce qui extérieurement apparaît comme angoisse humaine est intérieurement divin abandon de soi, il doit admettre la réalité vengeresse des enfers effroyables dont l’existence, aussi éloignée qu’elle soit dans l’obscurité n’est pas sans faire tache sur la limpidité du ciel de l’Éden. Ou alors il lui faut choisir de rejoindre la communion des saints qui, si j’en crois ce que suggère saint Thomas, contempleront depuis les célestes remparts le juste châtiment des damnés en se pourléchant les lèvres.
En somme, le sens caché de la croyance dans un salut consistant en « Jésus le Crucifié », est que cette image puissante transforme et fait même éclater notre sens de l’identité. Tant que nous insistons sur l’idée d’identité individuelle et séparée, la Crucifixion est un scandaleux et impossible fardeau à porter, car nous ne pouvons rien faire ni rester sans rien faire. Cette frustration, c’est déjà être « crucifié avec le Christ », c’est déjà comprendre que notre identité, vécue dans le style « On-est-si-peu-de-choses », n’est qu’une illusion. Associée à l’impossible commandement : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu », cette crucifixion amène le sentiment d’être un individu séparé, conscient et volontaire à un point critique d’absurdité, qui fait que l’illusion vole en éclats, découvrant notre Identité originelle, éternelle.
Il devient maintenant possible de voir que notre chute, notre aventure comme individus séparés se termine comme elle a commencé, par le mystère du sacrifice, de la kenosis où l’on se « vide de soi ». Elle débuta lorsque Dieu souffla son esprit — le Ruach Adonaï — dans les narines du premier Adam ; elle finit par le sacrifice du deuxième Adam sur la croix, disant : « Entre tes mains, Seigneur, je remets mon esprit [27]. » La Divinité est vie éternelle parce qu’elle est abandon de soi, et élan en avant. Kenosis, c’est Dieu se perdant éternellement lui-même pour se retrouver et se perdre à nouveau et encore, guérison de l’identique par l’identique ; c’est Celui-qui-porte-la-lumière vaincu par l’étoile du matin, c’est l’Arbre qui porte la mort vaincu par la mort de l’Arbre.
L’homme qui a su mourir à son vieux sentiment d’identité trouve que non seulement sa vie, mais aussi la vie de tous les autres êtres est merveilleusement transfigurée. Ce qui apparaissait autrefois comme la souffrance et le mal, est compris maintenant comme le jeu de cache-cache de Dieu. Du point de vue conventionnel de la religion, c’est de la folie furieuse, comme aussi de vivre sans se faire le moindre souci pour l’avenir. C’est qu’il y a, en effet, quelque analogie entre l’homme fou et l’homme saint [28], l’un comme l’autre ayant « perdu l’esprit », s’étant « perdus eux-mêmes », étant « inconscients » ou « insouciants ». En Russie orthodoxe, on appelait habituellement un tel homme Krista-rady you-rodivy, « fou pour l’amour de Dieu ».
« Le yourodivy voit briller dans les moindres choses, même les plus vulgaires, l’esprit de Dieu ; dans la poussière du chemin, dans les pierres aiguës qui lui meurtrissent les pieds, dans les ronces qui déchirent sa peau, dans le froid mordant de l’hiver, dans l’intolérable chaleur de l’été, dans la puanteur de l’asile de nuit ; chez les hommes et les femmes les plus ignobles [29]. »
Ou comme l’a exprimé un mystique russe moderne : « Chacun de nous peut, à tout moment et en tout lieu, voir la face de notre Seigneur. Les hommes d’aujourd’hui ont l’esprit réaliste, et, lorsque les saints et les mystiques viennent leur dire : « Nous avons vu le Seigneur », ils répondent avec saint Thomas : « Je ne le croirai que lorsque j’aurai mis ma main sur son flanc. » Jésus accepte le défi. Il permet qu’on le voie, qu’on le touche, qu’on lui parle. Jésus nous montre le pauvre, le malade, le pécheur et tous les hommes, et nous dit : « Vois mes mains et mes pieds… Touche-moi et vois ; car un esprit n’est fait ni de chair ni d’os, comme je le suis [30]. »
Cette vision, cette folie divine, cette mort de la vieille identité n’est pas une question d’audace. (C’est mon ego indépendant qui est audacieux.) Cela vient de la certitude absolue qu’il n’y a pas d’alternative, pas d’autre chemin à suivre… Je me retrouve ici avec Ésaïe dans le temple, et je vois « Le Seigneur siégeant sur un trône élevé » entouré par les ailes flamboyantes des séraphins, et je me meurs de peur. L’espace s’agrandit jusqu’à ce que chacune de ces ailes fasse mille kilomètres de long, chaque plume étant un colossal morceau de cuivre vivant ; et je suis une toute petite chose, tout en bas sur le sol. Et la voix du Très-Haut dans un bruit de tonnerre de mille cataractes, dit : « De même que les Cieux sont plus hauts que la Terre, de même mes voies sont plus hautes que tes voies, et mes pensées que les tiennes. » Que peut-il bien me rester à faire face à quelqu’un capable de monter un spectacle pareil ? Je ne peux que dire : « Oui, Seigneur! Oui, Seigneur! Comme vous dites, Seigneur! Oh! oui, Seigneur ; tu es mon Père, mon soutien, mon créateur et je n’ai rien qui ne vienne de toi! »
C’est alors qu’à celle du Seigneur, se joignent les voix des patriarches, des prophètes, des apôtres, des martyrs, des papes, des archevêques, des confesseurs et des docteurs, graves de l’autorité et de la sagesse de deux millénaires, me disant qu’il n’y a rien de commun entre Dieu et moi, qu’il est Celui qui est, et que je ne suis rien ; qu’il est tout amour mais aussi sévère, alors que je ne suis qu’une minable vermine qui ne mérite même pas d’aller griller en enfer. Et maintenant, en dépit de la triste figure que je fais, je désire plus que tout ne serait-ce qu’apercevoir Ses Yeux. Si seulement j’avais le cou aussi souple que ceux qui chantent l’hymne dans lequel ils aspirent :
À nous prosterner devant ton Trône jusqu’à toucher le sol,
Pour te contempler et nous donner à toi!
Au même moment, je deviens conscient de ces Yeux qui me regardent directement à travers ma tête ; des Yeux qui atteignent jusqu’aux replis les plus honteux de mon âme, qui bientôt semblent m’entourer de toute part, qui me voient de l’extérieur comme de l’intérieur, jusqu’à ce que tout ne soit plus qu’un seul Œil. Et comme il n’y a ni sourcils ni visage, il m’est impossible de dire qu’elle est l’expression de cet Œil. Il ne fait que regarder, ce que je ne peux supporter. Je tombe sur le sol, je m’y roule, je ferme les yeux, je me couvre la tête. L’Œil arrive alors sur moi du plus profond de moi-même, plus vaste que jamais, remplissant tout l’espace imaginable.
Il n’y a nulle part où aller, absolument nulle part. Il n’y a même plus un centimètre carré sur lequel se tenir ou derrière lequel se cacher. Le seul lambeau de moi qui reste est juste ma terreur, une terrible envie de fuir cet Œil. Il n’y a plus rien à faire : seul, l’Œil est là, qui regarde. Ma terreur ne peut se réfugier nulle part, personne ne peut venir calmer mes sanglots, aucune ombre ne peut me cacher, aucun trou n’est là pour ensevelir mon corps. Et, juste à cet instant, je suis l’Œil. Car « l’œil avec lequel je vois Dieu » dit maître Eckhart, « est le même œil avec lequel Dieu me voit ».
Extrait de Être Dieu (au-delà de l’au-delà). Ed Denoël 1977
________________________________________________________________
1 Le Livre de la Prière ordinaire (ouvrage protestant de liturgie). (N.d.T.)
2 « A partir de la Fondation de la Ville » (de Rome) ; système de datation du calendrier romain. (N.d.T.)
3 Prédicateur américain contemporain particulièrement télégénique. (N.d.T.)
4 Jeu de mots intraduisible fondé sur le fait que « us » veut dire « nous » en anglais. « Je-nous, Je-vous. » (N.d.T.)
5 Voir en particulier Jean 16, 7-8. (N.d.T.)
6 Voir Luc 24, 5-6, Marc 16, 6-7, ou Matthieu 28, 5-6-7. (N.d.T.)
7 Matthieu 16, 25-26. (N.d.T.)
8 Extraits d’hymnes anglicans. (N.d.T.)
9 Idem.
10 Jean 12, 24-25. (N.d.T.)
11 Citation tirée du cantique anglican The Holz Scripture de William Walsham How (1823-1897). (N.d.T.)
12 Rudolf Bultmann, théologien luthérien allemand contemporain, surtout connu pour sa prise de position en faveur d’une « démythologisation » des évangiles. (N.d.T.)
13 Luc 24, 5-6. (N.d.T.)
14 Si Jésus avait possédé une très forte « conscience cosmique » du type habituel, dans laquelle l’individu ressent que son moi profond, sous l’ego superficiel, est Dieu, il lui aurait été pratiquement impossible de l’exprimer en termes de théologie hébraïque sans blasphémer. Ce qu’il avait de mieux à faire était de s’identifier publiquement avec l’image plus orthodoxe du Messie, à la fois le Serviteur souffrant d’Isaïe et l’apocalyptique « Fils de l’Homme », venu régner sur terre grâce à un pouvoir céleste plutôt que par la force des armes.
15 Deux derniers vers du poème de Francis Thompson (1859-1907) Pimlico Road, que Watts cite à nouveau infra.
16 Extrait d’un hymne de Noël célèbre (Christmas Carol) dû à Phillips Brooks (1835-1893) O Little town of Bethleem. (N.d.T.)
17 Matthieu 25, 40-41. (N.d.T.)
18 Un des problèmes essentiels du juif occidental est qu’il est obligé de vivre au milieu de chrétiens, étant par là même dans l’impossibilité d’ignorer les différences cruciales entre le judaïsme et le christianisme. Sa tradition refuse toujours de se poser la question de savoir pourquoi Jésus a été amené devant Pilate, et il n’y aura pas de paix pour lui tant qu’il n’aura pas pris ce fait en compte.
19 Les trois derniers vers sont tirés des lamentations de Jérémie (I, 12). (N.d.T.)
20 Marc 15, 34-35. (N.d.T.)
21 On peut comparer cela au précepte destructeur de préceptes : « Vous avez appris qu’il a été dit : Tu ne commettras point l’adultère. Mais moi je vous dis que quiconque regarde une femme pour la convoiter a déjà commis un adultère avec elle en son cœur. » Matthieu 5, 27-28.
22 T. S. Eliot, Œuvres poétiques et théâtrales complètes, p. 126-127, New York, 1958.
23 Dom John Chapman, Lettres spirituelles, p. 143-144. Londres 1944.
24 George Herbert : poète anglais (1593-1633) de l’école dite des « métaphysiques ». (N.d.T.)
25 Hymne calviniste du XVIIIe siècle, cité par John Betjeman. Continual Dew, Londres, 1937.
26 A. Watts précise que sa traduction de la Bible s’éloigne des versions anglaises classiques qui rendent (à tort selon lui) la dernière phrase soit par : « Je suis le Fils de Dieu » soit par « I am God’s Son », habile manière d’esquiver le problème qu’appréciera le lecteur anglophone. La citation des écritures faite par Jésus est tirée du Psaume 82 : « J’avais dit : Vous êtes des dieux, Vous êtes tous des fils du Très-Haut, mais vous mourrez comme des hommes, vous tomberez comme aussi les princes. » (N.d. T.)
27 Luc 23, 46-47. (N.d.T.)
28 On me pardonnera ce jeu de mots qu’évidemment A. Watts n’avait pas prévu, mais qui l’aurait certainement ravi. (N.d.T.)
29 Julia de Beausobre, La Souffrance créatrice. Londres 1940.
30 Écrit par un moine anonyme de l’Église orientale : Sur l’invocation du nom de Jésus, Londres 1953, p. 17-20.