(Extrait de Le Corps énergétique de l’homme. L’espace bleu 1992)
L’objet de notre propos concerne le domaine des sons. De tous temps, il leur fut conféré un pouvoir mystérieux, celui de « donner » de l’énergie. Cependant, les processus par lesquels le monde sonore peut avoir un tel impact sont restés longtemps fort mal connus. De multiples interrogations à ce sujet n’ont reçu aucune réponse scientifique. Et pourtant, de toute évidence, les phénomènes sonores ont un effet certain dans l’énergétique sur le plan du tonus humain.
Comment surmonter l’écueil qui surgit dans la compréhension de cette « réalité » ? Les sciences physiques n’enseignent-elles pas que les vibrations acoustiques sont « adiabatiques », c’est-à-dire qu’elles ne produisent aucun échange thermique quelles que soient leurs longueurs d’ondes et leurs intensités ? Nul doute que dès lors une certaine confusion s’instaure. A cet égard, les conséquences hâtives laissent entendre que les sons ne peuvent par eux-mêmes fournir aucun moyen de générer l’énergie. Aussi, les résultats observés sont-ils à rechercher ailleurs, hors du champ réservé au physicien.
L’homme vit dans un bain acoustique et quand bien même il se croit enveloppé par un environnement silencieux, l’air crée autour de lui un champ actif, entretenu par l’agitation moléculaire. C’est sur la trame du tissu déterminé par ce fond vivant que se superposent les vibrations acoustiques. Le son apparaît comme une modulation du silence se greffant sur la vitesse quadratique moyenne des molécules d’où émanent le bruit de fond et la température ambiante.
C’est au niveau des activités sensorielles qu’il convient d’orienter les investigations concernant les sons et de tenter d’élucider leurs retentissements sur le corps humain. S’il y a réponse aux vibrations acoustiques, il va sans dire qu’il faut se diriger vers les réactions du système nerveux mis à contribution lorsqu’un organe est sollicité. L’oreille se place au premier rang face aux phénomènes sonores. Elle en est le récepteur majeur. Mais elle n’est pas pour autant l’unique récepteur réservé à l’intégration des sons.
Depuis les temps les plus anciens, l’organe auditif interpelle l’homme. Il a toujours été perçu comme étant la porte d’entrée du monde sonore, de la musique, du langage. « Le son a créé l’oreille et si tu veux connaître le son, étudie l’oreille », phrase doublement hermétique qui ne pouvait être attribuée qu’à Hermès Trismégiste lui-même. Bien qu’emplie d’un bon sens évident, elle rendait toute compréhension encore plus énigmatique puisqu’elle conduisait dans les arcanes du labyrinthe auditif.
Les anatomistes se sont plongés tardivement dans l’étude de la structure de l’appareil acoustique. Sans doute, l’enfouissement de celui-ci à plus de 4 cm dans la boîte crânienne ne facilitait guère une telle approche. Ce n’est que depuis le siècle dernier que ses éléments constitutifs sont enfin connus.
Peu d’organes ont été l’objet de recherches aussi nombreuses que celles consacrées à l’oreille, si l’on tient compte du système nerveux lui correspondant. Mais il y a seulement quelques décennies que l’on se préoccupe de ses fonctions extra-médicales. Le temps n’est pas loin, en effet, où l’oreille était encore considérée comme un organe dont il fallait avoir une profonde connaissance dans l’unique but de déterminer un diagnostic convenable à l’égard des affections qui risquaient de l’atteindre. L’orientation fondée sur la pathologie de l’oreille a mobilisé l’activité des ORL. Les dernières décennies ont été fertiles en investigations orientées sur la physiologie. Les conséquences qui en ont découlé ont été à l’origine d’une microchirurgie adaptée à certains types de surdités; et cette voie récemment ouverte ne cesse de progresser et de se perfectionner.
Vers les années cinquante, une nouvelle impulsion, et non des moindres, fut donnée : elle devait non pas déplacer l’intérêt portée sur l’oreille, mais y ajouter une dimension complémentaire centrée sur la dynamique fonctionnelle. Ainsi, l’appareil auditif devenait, en peu de temps, l’organe essentiel d’une systémique physio-linguistique, en se révélant le capteur essentiel des circuits audio-psycho-phonologiques.
La cybernétique qui venait de naître par ailleurs aux mêmes dates plaidait en faveur des processus de contrôle et permettait d’objectiver les mécanismes de « régulations » régissant l’acte de la parole.
Une telle approche induisait à son tour une compréhension plus aiguisée de l’oreille elle-même. La physiologie de l’audition prenait une coloration totalement différente: elle se découvrait en termes de fonctions. De ce fait, un éclairage inattendu se projetait sur ses activités et sur la dynamique du système nerveux. La faculté d’écoute s’intégrait en premier lieu dans ce nouveau paysage et se greffait sur la fonction d’audition, transformant en totalité les concepts mis en place.
L’écoute permet de considérer l’oreille sous des aspects particuliers qui sont connus certes mais qui n’ont pas fait l’objet d’un schéma capable de mettre en exergue les principales fonctions de cet exceptionnel appareil sensoriel. Les unes sont pratiquement ignorées, les autres ont été étudiées de façon ponctuelle. Les premières sont celles qui expliquent le rôle dynamogénique de l’oreille interne, les secondes concernent plus spécialement l’équilibre. La faculté d’écoute va conjuguer les deux activités dans une perspective de dynamisation. En fait, elle les absorbe toutes les deux car celles-ci sont complémentaires.
La fonction de charge
La fonction de charge nous intéresse évidemment au plus haut point ici puisqu’elle entrouvre un volet sur un champ d’exploration qui fait l’objet de notre rencontre.
Le cerveau est un prodigieux collecteur d’informations venant de tous bords. Il se comporte comme un récepteur capable de les centraliser et de les traiter. Pour y parvenir, le système nerveux a besoin d’une quantité importante d’énergie. Les sources qui l’alimentent émanent de deux voies principales : d’une part, celle répondant au métabolisme propre du cerveau et, d’autre part, celle dérivant de l’activité due aux stimulations.
Les apports énergétiques produits par les « stimuli » ont fait l’objet de recherches conduites au Canada par l’équipe de Stanley Jones. Les résultats obtenus portaient à la fois sur le dénombrement des stimulations nécessaires au système nerveux et sur le retentissement causés par des phénomènes de déprivation sensorielle.
La conclusion la plus frappante a été la mise en évidence de la présence d’une « énergie » pouvant se manifester par un accroissement d’activité et de créativité allant de pair avec une modification du comportement. L’être stimulé devient plus serein; il est moins atteint par les fluctuations imposées par le quotidien. Les conditions de son vécu s’avèrent mieux assumées, quels que soient les tracas et les soucis rencontrés. Le sommeil retrouve des cadences normales, souvent raccourcies et devient plus récupérateur.
Toujours grâce à la même équipe de chercheurs, la quantité indispensable du nombre des stimuli a été estimée à 3 milliards par seconde durant au moins 4 heures et demie par jour. De prime abord, un tel chiffre peut paraître exorbitant. Cependant lorsque l’on connaît le mode d’action des sons, l’approximation proposée évolue dans une frange de normalité. En effet, l’onde acoustique étant un phénomène du substrat aérien, les stimulations sont en définitive des « piqûres » à l’échelle des molécules qui le composent et qui jouent sur la globalité corporelle — au niveau de l’oreille bien entendu — mais aussi sur l’enveloppe cutanée considérée dans sa totalité. Déjà ici, une orientation différente infléchit les conceptions habituelles centrées uniquement sur l’appareil auditif vers une extension concernant les effets des vibrations sonores au-delà de l’oreille humaine. En effet, la perception des sons par voie cutanée augmente encore lorsque la verticalité est acquise, par étalement de la surface cutanée antérieure considérablement plus riche en fibres sensorielles qu’ailleurs. Mais une telle posture entraîne à son tour la création de stimulations au niveau des muscles, des ligaments, des aponévroses, des os et des articulations.
Les descriptions ci-dessus élaborées rendent souhaitable une structure complémentaire autour d’une unicité d’action capable de gérer les énergies émanant des trains d’ondes du champ vibratoire acoustique. L’oreille permet d’orchestrer justement une telle organisation d’ensemble grâce à laquelle les stimulations peuvent être en permanence contrôlées, absorbées et distribuées. Ce qui revient à dire que désormais, elle dépasse largement les attributions qui lui sont ordinairement conférées.
Ce n’est pas tout. Car la faculté d’écoute qui induit les différents agencements de ce nouveau montage permet de découvrir l’unité de l’oreille interne elle-même malgré les difficultés introduites par les descriptions anatomiques réservées au seul spécialiste. Les études classiques décomposent le labyrinthe membraneux en plusieurs pièces distinctes, auxquelles correspondent des activités de prime abord fort différentes. C’est ainsi que l’utricule surmonté de ses trois canaux semi-circulaires se trouve associé au saccule afin de constituer un seul bloc: le vestibule membraneux. La cochlée de son côté forme un organe destiné, semble-t-il, à d’autres activités qui l’individualisent dans sa spécificité. D’ailleurs, à l’extrême, les investigations portant sur chacun des éléments constitutifs du vestibule labyrinthique finissent par donner une véritable mosaïque de fonctions rendant vaine tout idée de globalité. Là, une fois de plus, l’écoute instaure la possibilité d’une vision holistique de l’organe auditif. Elle rétablit l’unité en révélant les diverses adaptations qu’elle a imposées à l’appareil auditif afin d’assurer sa propre évolution. L’écoute conduit ainsi l’oreille à devenir ce qu’elle est.
L’oreille, qu’est-elle ?
Les modifications touchant aux structures successives de l’organe auditif font apparaître les étapes fonctionnelles que l’oreille doit franchir pour satisfaire ultérieurement les demandes impératives imposées par la faculté d’écouter. Ainsi, les formes anatomiques archaïques comme celles observées chez les méduses permettent d’envisager avec certitude le rôle joué par l’amorce de la future structure. Au début, elle opère, à peu de chose près, comme un organe dynamogénique sur lequel se greffe une ébauche, bien embryonnaire, il est vrai, de ce qu’elle sera dans l’échelle de l’évolution, lors de sa progression vers l’écoute. Bientôt, l’importance de cette dernière sera telle qu’elle occultera rapidement la fonction primordiale de charge du système nerveux, bien balbutiant encore. Cependant celle-ci n’en existe pas moins et, tandis que les fonctions auditives se complètent, les mécanismes qui lui seront consacrés se perfectionnent.
Le cheminement vers la forme définitive de l’oreille interne procède par bonds successifs, de sorte qu’un élément complémentaire s’ajoute chaque fois que la nécessité s’en fait sentir. Dès lors, sous cette optique, l’ensemble du labyrinthe membraneux laisse transparaître son unité fonctionnelle malgré son allure disparate. Il n’apparaît plus comme un montage fabriqué de pièces et de morceaux, mais comme un assemblage réalisé de manière progressive afin de répondre aux besoins d’une perception aiguisée des phénomènes dynamiques. Ainsi sera rendue possible l’intégration des mouvements de grandes amplitudes comme ceux répondant aux déplacements et des mouvements relevant de l’analyse subtile des activités de faibles amplitudes comme celles des vibrations acoustiques.
Le bloc archaïque, constitué par l’utricule et les canaux semi-circulaires, se destinera plus spécialement au contrôle des déplacements. La partie plus récente, faite du saccule, s’orientera vers la définition spatiale du corps. De plus, elle parviendra à déterminer son image sonique lorsque la cochlée aura fait son apparition. Si bien que l’oreille révèle, dans son architecture, les superpositions de chacune des structures qui auront marqué sa progression en relation avec certaines exigences fonctionnelles et certaines adaptations.
Ainsi, dès lors que l’aspect unitaire transparaît, deux activités distinctes s’individualisent : l’une se préoccupant de contrôler tout ce qui concerne les changements de lieu, l’autre ayant le « souci » d’assurer la mouvance de l’image conceptuelle du corps en fonction de chaque mouvement et de modifier le cas échéant les références opérationnelles liées à l’activité somatique.
Outre l’ensemble structural fonctionnel qui invite à accepter la conception unitaire de l’oreille dans sa dynamique, un autre argument important plaide en faveur de cette évidence : il s’agit du périple évolutif parcouru par la cellule dite de « Corti ». Vieille de quelques millions d’années, elle est une cellule ciliée, en tous points comparable à un protozoaire muni d’un cil à l’une de ses extrémités lui permettant d’assurer la dynamisation par les mouvements et de préparer une ébauche de dialogue avec le milieu. La destinée de ce monocellulaire est significative car, à quelques détails près, il reste identique à lui-même bien qu’impliqué dans toutes les transformations subies par les éléments constitutifs du labyrinthe membraneux. A elle seule, la cellule sensorielle contribue à justifier l’unicité fonctionnelle. Elle est la manifestation de l’unité du système quelle qu’en soit la forme définitive.
Un dernier appoint confirmant la continuité de l’activité fondamentale de charge et traduisant la participation de contact avec le milieu ambiant est offert par l’évolution « extra-auditive » apparente de la cellule ciliée. En effet, elle bénéficie de deux types de modifications au sein de sa structure : l’une qui résulte de la perte du corps cellulaire ne laissant subsister en tout et pour tout que la plume ou le poil; l’autre au contraire qui favorise une transformation des éléments intrinsèques de la cellule. Tandis que le cil disparaît, le noyau et les mitochondries incluses dans le protoplasme donnent naissance aux corpuscules sensoriels de Meissner, de Krause, de Ruffini, de Pacini, de Golgi Mazzoni, distribués dans tout le corps, depuis l’enveloppe cutanée jusqu’aux muscles, tendons, articulations, voire les viscères eux-mêmes. Si bien que l’on peut signifier que l’homme est une oreille en totalité et que, dans sa verticalité, il se comporte comme une véritable antenne réceptrice.
Fort de toutes ces données, il est facile de percevoir le rôle des différentes parties de l’oreille d’autant plus que le système nerveux à son tour est fortement impliqué.
Effectivement, les fonctions de relations sont régies par quatre intégrateurs qui sont :
1° le Vestibulaire, tenant sous son contrôle tous les automatismes gestuels.
2° l’Olfactif, assurant la dynamique opérationnelle des premiers stades, les poissons notamment.
3° l’Ophtalmique, augmentant de manière considérable les potentialités relationnelles chez les oiseaux et jusqu’aux mammifères.
4° le Cochléaire, introduisant le dialogue verbalisant grâce auquel le monde est identifié par l’Homme.
En définitive, dans l’organisation cellulaire, tout conduit vers l’écoute. L’aboutissement au sommet se caractérise par la cristallisation de cette faculté qui peut être appréhendée sous divers aspects, évidemment imbriqués :
— écoute de l’autre. Et il est aisé d’imaginer les conséquences d’une telle aptitude sur le comportement social et humain.
— écoute du corps en soi. Bien des états pathologiques seraient ainsi évités si une dialectique s’instaurait entre l’Etre et son enveloppe somatique.
— écoute de la Création. Infinie génératrice dans laquelle l’homme puise sa créativité aux sources intarissables du Cosmos.
La nécessité d’une énergétique permanente trouve sa raison d’être dans cette centralisation coordinatrice, dont l’organe auditif occupe une place primordiale.
Comment créer de l’énergie ?
L’énergétique peut être envisagée sous deux aspects :
— tout d’abord, elle peut se concevoir en correspondance avec le Logos cosmique qui n’est autre que la vie assurant la dynamique de l’Univers lui-même. Elle poursuit son œuvre dans son processus d’expansion ;
— ensuite, un deuxième mode s’avère indispensable pour capter les énergies précédentes.
L’homme pris dans sa globalité se trouve bombardé d’un nombre considérable d’informations de tous ordres émanant des divers champs qui constituent l’énergétique de l’Univers. La plupart des « fluides » constituant la trame agissante des forces qui animent le Cosmos sont présents de manière permanente. Ils traversent l’homme, l’informent, le structurent. Ils érigent et soutiennent son organicité. Mais tout ce qui est existant jusqu’à l’Univers lui-même bénéficie des mêmes avantages. Cependant seul l’homme est promu à être ouvert à la conscience qui l’inonde et le plonge dans la créativité. Il est le véritable miroir dans lequel le monde se reflète. Mieux, il est conscient de l’être.
Les conditions précitées semblent être rarement rencontrées. Elles sont même l’exception car, pour entrer dans le cadre souhaité, il faut bénéficier d’une énergie complémentaire offrant la possibilité de capter et de traiter le flot des informations réceptionnées. De même, un merveilleux récepteur radio traversé par toutes les ondes hertziennes du monde n’a aucune chance de capter quoi que ce soit s’il n’a pas la bonne fortune d’être branché sur le courant électrique du secteur ou sur celui d’une batterie.
Donc, deux modes énergétiques méritent d’être individualisés, tout en agissant de manière concomitante. Leur différenciation est difficile à réaliser. L’un semble opérer de « l’extérieur », l’autre paraît être produit par « l’intérieur ». Le premier n’est autre que la composante des énergies cosmiques considérées globalement, le second résulte des énergies spécifiques indépendantes des précédentes et émanant du système somatique. Or, c’est par l’intermédiaire de ces dernières que les premières peuvent être « captées ».
Comment réaliser la production d’énergie afin d’assurer la réception de l’information?
Depuis les temps les plus anciens, l’une des préoccupations de l’homme fut assurément de découvrir les procédés capables de lui fournir l’énergie suffisante pour vivre dans une communication totale avec l’Absolu. Sans doute a-t-il senti confusément que les sons étaient le moyen le plus sûr pour parvenir à ses fins. C’est ce qui explique l’importance qu’il a attribuée au monde sonore. D’ailleurs, ce dernier est retrouvé et exploité dans tous les coins du globe dès l’instant où l’homme désire s’enfouir dans sa dimension métaphysique.
Les différentes techniques utilisées pour obtenir la plus grande efficacité dans les processus de dynamisation par les sons ont de nombreux traits communs. Elles sont identiques puisqu’elles font appel aux potentialités de l’oreille interne. Tous les moyens mis en œuvre ont pour but d’exploiter au maximum ces possibilités. Elles jouent sur deux plans : l’un vestibulaire, l’autre cochléaire, conjuguant ainsi les effets portant sur les deux fonctions, posturale et sonore. D’ailleurs, les convergences des actions respectives se réalisent puisqu’il s’avère impossible d’émettre un son de qualité si la position corporelle n’est pas adéquate.
Ainsi, au cœur d’une ascèse, la verticalité et les sons représentent le fondement même de la recherche centrée sur la recharge indispensable pour assumer l’adhésion à la Création par la pensée, la prière et la projection dans le domaine de la créativité.
La verticalité est la condition nécessaire pour que les sons soient assimilés avec un maximum d’informations à absorber. Ils sont évidemment choisis. Ils émanent de sources les plus variées et sont soigneusement transmis à l’oreille de l’écoutant. Dans le cas présent, une dépendance s’établit entre le récepteur et l’émetteur, entre l’oreille à l’écoute et l’instrument producteur de sons. L’idéal recherché est atteint lorsque le sujet à l’écoute parvient au stade où il est en même temps l’émetteur produisant lui-même les sons.
Là, plus encore que lors de l’écoute, la posture verticale est exigée car l’émission souhaitée remplit alors les caractéristiques optimales de charge corticale. Dans ces conditions, la posture est telle que le larynx se trouve plaqué contre la colonne vertébrale cervicale. Dès lors, tout le corps osseux se prend à vibrer et donne un son particulier riche en harmoniques. La gerbe élevée du spectre sonore l’analysant est justement la partie acoustique fournissant le plus d’énergie. Ainsi tout concourt pour que la production énergétique interne soit réalisée sans qu’il soit nécessaire de fournir de gros efforts par ailleurs. Seule est exigée une position bien spécifique dénommée la « posture d’écoute » dans laquelle les conditions rapportées ci-dessus doivent être observées.
Tout son ainsi réalisé mérite d’être dénommé « mantra ». Point n’est besoin de lui associer quelques mystérieuses formules incantatoires. Ce qui importe est la qualité des fréquences comprises dans le spectre d’émission et combinées avec l’énergie accordée par l’attitude posturale définie antérieurement.
Quelques exemples illustreront ce que nous venons d’avancer. Ils seront d’autant plus parlants que le montage neurophysiologique qui les sous-tend commence maintenant à nous être familier. Il nous permettra de faire ressortir les traits communs qui répondent aux mêmes impératifs : créer des sons énergétisants par l’intermédiaire de techniques qui semblent de prime abord totalement différentes.
Afin de rendre plus perceptibles les points de similitude, l’analyse spectrale des sons sera prise comme critère de comparaison. Il en existe d’autres, bien entendu mais, dans le cadre qui nous est ici imparti, la visualisation obtenue à partir de systèmes appréhendant les sons sous plusieurs de leurs angles, nous a semblé être le moyen le plus approprié. Il s’agit donc de graphismes dont la lecture est rendue possible lorsque l’on on connaît les éléments qui y sont représentés.
En tout premier lieu, on se souvient que tout son s’identifie par son intensité, son timbre et sa durée.
L’intensité est le paramètre le plus facile à mettre en évidence. Il n’est pas besoin d’être un expert acousticien pour reconnaître un son de forte intensité d’un son faible. Les procédés pour mesurer ces différenciations soniques sont désormais devenus classiques et le « décibel » évoque parfaitement la résultante des variations de pressions acoustiques, un peu comme on est tenté de qualifier un vin par sa teneur en degré d’alcool.
Le timbre représente un paramètre plus délicat à apprécier. C’est lui qui détermine la qualité. Cependant certaines oreilles ne parviennent pas à la discerner avec finesse. Pour reprendre la comparaison choisie concernant les vins, bien des gens sont incapables d’apprécier les subtilités gustatives qui différencient un cru d’un autre. L’initiation consiste à acquérir la connaissance des valeurs différentielles, pertinentes, distinguant un élément d’un autre.
La durée, quant à elle, est facile à concevoir intellectuellement, bien qu’elle soit parfois difficile à mettre en évidence. Là encore, une éducation s’avère souhaitable pour distinguer les rythmes et les cadences destinées à moduler la coulée temporelle.
Les sons qui provoquent le plus avantageusement les stimulations suscitées par les vibrations acoustiques sont ceux émanant des sonorités riches en aigus. Cela signifie que la gerbe élevée située dans le spectre les définissant est dense en fréquences. Ces dernières constituent l’ensemble des composantes qui déterminent la couleur des sons.
D’ailleurs, il existe une analogie entre les vibrations du domaine acoustique et celles concernant les couleurs. C’est ainsi que le spectre qui caractérise l’audition humaine s’étend de 16 à 16.000 périodes par seconde ou encore hertz, (deux termes qui définissent le nombre de fréquences par seconde) et correspond à l’étalement homothétique en quelque sorte des couleurs allant des terres de Sienne au bleu indigo. Chaque son bénéficie ainsi de sa couleur spécifique.
Le spectre d’analyse sonore est composé de sons « fondamentaux », dénommés aussi « formants » qui siègent dans les graves. Ils sont souvent accompagnés de résonances en fonction du milieu ambiant, le silence sous-jacent étant le matériau acoustique sur lequel le son modulera.
Les sonorités les plus « rechargeantes » sont celles qui, dans leur structure fréquentielle, s’étalent de 1000 à 10.000 Hertz (Hz) et au-dessus. Elles se situent dans la zone des aigus. Celles sous-jacentes, comprises entre 300 et 1000 Hz répondent à la plage des médiums, tandis que, au-dessous de 300 Hz, la bande sonore caractérise les sons graves.
La potentialité de réception des sons est en rapport direct avec la répartition du nombre des cellules sensorielles au niveau de la cochlée. C’est ainsi que peu de cellules ciliées de Corti sont attribuées aux fréquences graves. Plus nombreuses dans la plage des médiums, elles atteignent leur plus grande densité dans la zone réservée au aigus. Ainsi, une adéquation s’établit et s’équilibre entre l’augmentation des fréquences et la densité des cellules sensorielles.
Enfin, un dernier détail d’importance est l’obligation d’observer une posture dans laquelle la verticalité est la dominante. Celle-ci permet une meilleure utilisation des stimulations fournies par la dialectique qui s’instaure entre le corps et la pesanteur.
Les schémas des séquences sonores choisies sont respectivement ceux recueillis à partir des sons qui exigent une dynamisation permettant de centrer l’activité cérébrale sur la dimension métaphysique à la rencontre de la divinité. Rien assurément ne demande autant de dépense énergétique que la pratique d’une telle ascèse.
Enfin chacun des spectres est à lire de la manière suivante : en abscisses, le temps (T), en ordonnées, les fréquences (F), la noirceur plus ou moins accusée du trait définit l’intensité (I).
Psalmodie védique : figure 1
La richesse des aigus est à noter. Elle atteint 10.000 Hz. Les formants, lisibles dans le bas du tracé, sont bien répartis. La densité des sons compris entre 1000 et 3000 Hz est remarquable et par ailleurs harmonieusement distribuée.
Psalmodie bouddhique : figure 2
Le spectre révèle des sons allégés, aériens, parfaitement modulés qui invitent à la verticalité par le simple fait de leur distribution ascendante.
Psalmodie tibétaine : figure 3
Aspect tout à fait différent ici traduisant la difficulté de produire des sons riches dans la gerbe élevée, conséquence de la raréfaction de l’air en fonction de l’altitude. Néanmoins, la régularité des sons fondamentaux et de leurs résonances supérieures allant jusqu’à 4000 Hz, est impressionnante par la notion d’équilibre qu’elle suscite.
Il est évident que les fréquences situées au-delà de 4000 Hz sont mieux perçues par l’exécutant que par le microphone capteur qui, lui, est par la force des choses plongé dans un environnement aérien rendant la production des aigus difficiles. Malgré tout, des allumages dans les zones hautes sont la manifestation de la présence de sons aigus résultant de la vibration de sons osseux.
Appel à la prière dans l’Islam : figure 4
L’absence de représentation au niveau habituel des formants témoigne du serrage laryngé caractérisque de cette émission vocale.
Une telle manière de produire les sons rend plus difficile la perception des vibrations osseuses dont la réalisation ne dépasse pas 6000 Hz.
Chant des Derviches : figure 5
Le spectre à lui seul témoigne de la richesse particulière, de cette modulation sonore harmonieusement répartie sur toute l’échelle des fréquences associées aux cadences rythmiques des lapas.
Cantillation sépharade : figure 6
L’émission est ici tout autre. Elle laisse apparaître un appui laryngé important doublé d’une résonance nasale spécifique tandis que les fréquences aiguës correspondant aux sons osseux s’étalent jusqu’à 20.000 Hz.
Cantillation achkénase : figure 7
Etalement encore plus remarquable en direction des aigus, rendus faciles à reproduire en fonction des lieux plus vibrants dans lesquels les populations juives furent conduites à vivre.
Les deux derniers schémas traduisent admirablement les effets dus aux influences résonantielles ethniques.
Chant ambrosien : figure 8
Répartition des fréquences centrée entre 2000 et 5000 Hz avec un étalement harmonieux, apaisé, des formants.
Grégorien de Solesmes : figure 9
Modulation particulièrement équilibrée, balancée aux rythmes des « arcis » et des « thesis ».
Un véritable sentiment d’apaisement ressort de la lecture de ce graphisme qui met en évidence tout à la fois les inflexions liées aux mouvements de l’âme et l’émission tranquille s’écoulant sur une expiration lente, elle-même à la limite de l’apnée, sur laquelle s’impriment les cadences d’un rythme cardiaque calme.
Les propos qui viennent d’être exposés ne constituent bien sûr qu’un résumé de ce qui peut être dit en matière de dynamisation sonique. Un tel sujet, en effet, demanderait à lui seul de multiples développements. Cependant une approche aussi concise que celle-ci aura, pensons-nous, le mérite d’éveiller l’intérêt de certains chercheurs dans un domaine qui devrait susciter de nombreuses investigations. Ces dernières permettraient de mieux comprendre les effets des sons dans l’énergétique humaine et de mieux concevoir ainsi l’utilité des vibrations acoustiques dans les mécanismes cérébraux touchant à la perception en général et à la créativité en particulier.
Alfred TOMATIS (1920-2001) était Oto-rhino-laryngologiste, phoniatre, spécialiste de l’audition et du langage
Bibliographie Alfred TOMATIS :
La Nuit utérine, Stock, 1981
L’Oreille et la Vie, Laffont, 1990
L’Oreille et le Langage, Seuil, 1991
Pourquoi Mozart, Fixot, 1991
Nous sommes tous polyglottes, Fixot, 1991