Marcel Hennart
Vie et Unité

Sans fin, l’Univers, fuyant l’unité fondamentale qui se trouve en lui, s’échafaude en organismes de plus en plus compliqués. Cependant, à chaque étape, se retrouve, transformée, sublimée peu à peu, l’éternelle inquiétude. La soif de l’Unité perdue, l’obscure soif de Dieu, embrase l’Univers. Certes, mille preuves physiques ne valent pas une seule intuition de l’âme. Ce désir, ce besoin d’Unité tourmentant la Création qui se connaît séparée, nous l’éprouvons au plus aigu de l’esprit.

(Revue Spiritualité. No 13. 15 Décembre 1945)

L’Infini se meut intensément dans son immuable stabilité.

(Hermès Trismégiste, cité dans : La Reconstruction de L’Homme)

Si nous considérons cette science, une première unité se présente. Unité d’ordre chimique: la plupart des substances se trouvant dans le corps se rattachent au même cycle. En effet, les propriétés absolument spéciales du carbone permettent la naissance, à partir d’un même atome, d’un grand nombre de molécules, souvent complexes.

Notons qu’un corps très voisin, le silicium, donne lieu à des produits semblables (hydrures, silicichloroforme, acide silicioxalique) ; mais le fait que la substance correspondant à l’anhydride carbonique1 soit un solide, démontre fort bien que le silicium ne pouvait remplacer le carbone dans le corps.

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Une unité voisine se présente : une des substances organiques, une protéine, aurait la propriété de se diviser ; et chaque partie redeviendrait pareille à la protéine initiale. Dans le cas du virus de la mosaïque, il ne s’agirait que du ferment de base. Mais, le bactériophage d’Hérelle correspondrait tout à fait à la molécule vivante.

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A l’étage directement supérieur, nous rencontrons la cellule, fondamentalement composée d’un cytoplasme et d’un noyau. Le protozoaire se compose d’une seule cellule ; mais quelle complexité n’y rencontre-t-on point ? Chez l’infusoire-type, les cils sont moteurs, l’intérieur est à la fois système digestif et système nerveux ; les vacuoles pulsatiles sont respiratoires. Dans le noyau, au micronucléus est affectée la fonction de reproduction ; au macronucléus, celle de réservation. Les fonctions sont multiples, l’individu naît.

Dans l’éponge et l’hydre, chaque cellule se spécialise : certaines sont digestives, d’autres nerveuses ; d’autres encore représentent les éléments mâles, d’autres les éléments femelles. Comme l’explique fort bien M. Brien, ces animaux forment chacun une république. L’unité qui en ressort est une unité de vie, de destin. Toutefois, jusqu’à un certain point, chaque cellule d’une éponge isolée peut reproduire tout un organisme : les fonctions qu’elle ne remplit pas, n’ont été qu’atrophiées.

Cette faculté se perd de plus en plus dans les organismes supérieurs. A la république cellulaire simple succède la république cellulaire complexe le corps comporte plusieurs systèmes, et chacun de ceux-ci constitue un agrégat de tissus indifférenciés.

Chose étrange ! Des hormones, provenant chacune de glandes spéciales, se répandent parmi tout l’organisme, coordonnent, régularisent ses différentes fonctions, lui apportent chacune certaines propriétés fort précises. L’une détermine le sexe, l’autre la pression sanguine, une autre la nutrition, une quatrième la croissance. Au-dessus d’elles, agit l’hypophyse qui fait partie du système nerveux.

L’unité qui en ressort est d’espèce particulière : unité collective administrative. Bref! il y a « homogénéité physiologique et hétérogénéité anatomique » (Carrel).

Mais en plus, au sein même du noyau, nous trouvons un facteur d’unité plus troublant : les chromosomes, et plus spécialement les gènes déterminent les caractères héréditaires de l’individu. Leur nombre, leur disposition, leur intégrité aussi, diffèrent d’un animal à l’autre. Certains facteurs extérieurs sont capables de les modifier : en particulier, l’action de la chaleur, des rayons X et gamma, sans doute aussi les rayonnements astraux ; ces vibrations agissent sur les atomes constituants (expériences sur les Drosophiles).

De plus, l’injection de colchicine détermine un gigantisme anormal des cellules.

Telles sont, en biologie, nos connaissances concernant l’Unité.

Chose curieuse ! nous découvrons, supplémentairement, une parenté entre les divers embranchements du règne animal et du règne végétal. Ainsi, chez les ptéridophytes, on observe deux espèces d’individus pour une même plante : l’un, asexué, va produire des sporophylles à sporanges contenant des spores : c’est l’individu végétatif ; l’autre, né à partir d’une spore, se transforme en archégone contenant soit des éléments mâles, soit des éléments femelles. Dans l’archégone femelle, après fécondation, se forme le futur individu asexué.

Plus tard, conséquemment à l’évolution, tout se centralise : les sporophylles deviennent soit corporelles, soit étamines ; les spores ne quittent plus la plante-mère, mais se transforment, dans la fleur, en éléments sexués (Hauman).

D’autre part, l’embryon des vertébrés supérieurs récapitule, dans sa croissance, les diverses étapes de Darwin : l’ovule unicellulaire, fécondable par le spermatozoïde mobile correspond au stade protozoaire. Plus tard, sa division crée les formes blastula et gastrula (analogues à l’éponge) ; Monsieur Brien signalait aussi une étape où le fœtus est physiologiquement semblable aux animaux à branchies.

Ainsi, se révèle la grande Unité de la Vie.

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L’UNITÉ EN PSYCHOLOGIE.

Cependant, une dualité assez grave se présente à l’esprit.

Nous devons reconnaître l’existence d’une puissance (l’Âme, l’Esprit) dont la présence, à côté du physique, pose de bien graves problèmes. Tout d’abord, certains phénomènes inférieurs qu’on lui attribuait sont facilement explicables par des réactions physiques simples. Par exemple, on a pu mesurer le temps nécessaire pour que le corps excité en tel point, réagisse en tel autre.

En étudiant la sensibilité de la plante, Sir Jagadish Chandra Bose a retrouvé la grande unité de la vie sensorielle. D’après ses travaux, à côté d’un péristaltisme circulatoire, le végétal possède des organes mobiles (pulvinus) et même deux faisceaux nerveux.

On avait remarqué que, par temps sec, les capitules de carlines s’ouvrent, alors qu’au contraire les fleurs d’anastatica se ferment. Ces phénomènes sont dus à l’existence d’un tissu. Ce tissu, qui s’imbibe très facilement, se trouve, dans le premier cas, à l’intérieur de l’organe ; dans le deuxième, à l’extérieur.

Chandra Bose a démontré que de pareils phénomènes pouvaient correspondre aussi à la présence d’une substance très oxydable; conséquemment à l’oxydation, des différences de potentiel se créent.

D’autres savants ont retrouvé ces phénomènes chez l’homme : l’appareil psycho-galvanique mesure la différence de perméabilité électrique suivant les modifications d’humidité de la peau, provoquées par l’apparition d’une sensation (Ley).

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Mais où le problème se complique, c’est à l’intervention de la faculté d’abstraction. Cette puissance est attribuée à l’intellect (principe de compréhension). Un autre monde est mis en jeu.

Pour exemple… notre corps peut avoir d’un objet une connaissance assez bonne : son poids, son goût, sa forme. Mais notre attention peut être attirée par un détail : mettons qu’un porte-plume soit jaune ; l’observateur perçoit cette couleur, et grâce à la mémoire il la compare à d’autres jaunes, perçus ailleurs. Dès lors, s’est créée la notion « jaune ». Mais il se fait que l’observateur perçoit le poids du porte-plume par un processus de comparaison analogue, il acquiert la notion poids. Enfin, comparant les deux notions, il arrive à la connaissance de différents aspects purement subjectifs du même corps ; son esprit leur donne un lien d’unité, totalement en dehors de toute réalité tangible. Ce lien, c’est la notion « qualité ». Et de là, par un travail toujours identique, il peut tirer les idées « objet », « être », « matière ».

On conçoit que la connaissance du jaune perçue par sensation est toute différente de la conception intellectuelle « jaune » ou mieux encore « qualité ».

La réalité qui ne peut être perçue par connaissance directe est appelée « abstraction ». C’est elle qui se trouve à la base de la comparaison, de la généralisation, du jugement, du raisonnement.

La puissance particulière, qu’elle met en branle, est justement la raison de la croyance philosophique à l’âme : puissance « immatérielle », toute semblable à la puissance divine.

Il est en nous (dit-on) une conscience unique : le MOI (unité) qui se perpétue en gardant la mémoire de sa permanence (identité) et qui, pareil à Dieu, est capable de se déterminer en actes (activité) qui peuvent être indépendants de notre nature matérielle (spiritualité).

Bref ! dans cette théorie, l’âme est Unité, mais par sa nature introduit la dualité. Serait-ce la seule, mais redoutable exception ?

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En tout cas, on s’imagine mal la relation entre le physique et l’âme. De plus, certains phénomènes remettent le problème en question : l’action des drogues, l’hypnotisme, le dédoublement, la télépathie.

Dans les cas d’ivresse (spécialement s’il s’agit de stupéfiants), le subconscient et l’inconscient ne sont pas seulement atteints ; mais l’imagination et aussi l’intelligence sont considérablement affectées et dirigées dans des sens très déterminés (phénomène chimique). De même, chez l’hypnotisé, on croirait, comme dit Monsieur Ley, que le centre régulateur « conscience claire » (le MOI s’affirmant) est mis hors d’action, alors que les centres sensoriels et moteurs qui en dépendent continuent à agir sous la direction d’un centre conscient extérieur (phénomène vibratoire).

Lors du dédoublement, le MOI se divise ; et chaque partie poursuit une vie apparemment indépendante ; ce cas ne se présente pas seulement chez des somnambules, mais encore chez des gens parfaitement lucides (double vie).

De son côté, la télépathie consiste en la mise en vibration synchrone de deux personnes, parfois extrêmement éloignées, qui conçoivent alors une même abstraction.

Certains savants en ont déduit que l’âme, crue jadis immatérielle, se composait d’ondes mentales et sensorielles, bref ! de radiations électromagnétiques. En ce cas, l’Unité constitutive du monde serait rétablie.

De toute façon, l’âme ne doit pas se laisser confondre avec ses facultés. L’âme n’est pas divisée en parties, parmi lesquelles Dieu sait qui fait le choix.

Il est beaucoup plus simple d’y voir l’évolution d’une seule énergie se trouvant devant des circonstances différentes et qui peut elle-même abstraire de soi des tendances qu’elle appelle arbitrairement soit volontaires, soit raisonnantes. Ces facultés (intelligence, raison) sont, en somme, les expressions d’une même réalité objective, se présentant sous des apparences diverses.

Mais le fait que des abstractions introduisent dans l’esprit la notion de fausses réalités ne doit point exclure la floraison de moyens matériels, très efficaces, mis à la disposition de cette âme. Ainsi, le cervelet constitue un centre coordinateur et équilibrant ; l’organe de la conscience est situé dans les hémisphères cérébraux. Si l’on sectionne la moelle au niveau du bulbe, l’animal perd tout contrôle sur les nerfs dont les centres se trouvent à un étage inférieur ; on sait aussi que la lésion de certains centres détermine des paralysies précises.

Ainsi, se retrouve l’unité de coopération avec le corps. L’âme emplit une fonction parmi les autres. Toujours est-il qu’elle est le principe ordonnateur, nous suggérant la conscience et le sens de notre destin. Cette unité d’organisation se superpose à celle des hormones.

Ces unités réunies forment la petite Unité, qu’on appelle « individu ». Mais il est aussi quelque chose en elles, qui n’est pas spécifique, d’un seul homme.

Tout d’abord… l’action des hormones, nous dit Monsieur Brétéché, est en rapport très étroit avec les influences astrales2.

Mais même, les concepts et les sentiments, éternels, réagissent entre eux, divers MOI communiquent de l’un à l’autre et avec Dieu.

Les abstractions nous apparaissent, elles aussi, comme des formes créées à partir de la même Énergie. En effet, « les choses sont seulement matière ou esprit suivant le point de vue relatif où se place l’observateur qui les analyse ». (Linssen — La Reconstruction de l’Homme.)

Et voici que derrière la Forme, et la finalisant en lui, apparaît le Purusha, l’Antaryamin qui est Dieu3.

Comment ne pas admirer cette belle Unité de l’Esprit ?

LA THÉORIE DE LA POLARITÉ

Une polarité merveilleuse est à la base de toute matière. Des protons positifs y font face aux électrons négatifs. L’attirance vers l’Unité doit être énorme ; seulement, une force invincible entraîne les électrons dans une ronde éternelle qui les empêche de communiquer avec le noyau.

De plus, on a cru pouvoir y remarquer la manifestation d’une étonnante expansion. Tout comme Brahmâ s’épanche dans l’Espace et Temps, la masse électronique négative s’est merveilleusement dilatée (ectropie). Seul, le noyau serait demeuré à un état plus voisin du pralaya ou repos (entropie).

Qui sait si les natures du proton et de l’électron ne sont point identiques ? Et seuls, leur dynamisme et leur statisme créeraient l’apparence de polarité.

Il est évident, d’ailleurs, qu’une puissance plus mystérieuse est en jeu : puissance vibratoire analogue aux rayons lumineux.

Certains ont vu en elle des grains de lumière ou photons (conception anthropocentrique ?); d’autre y voient l’émanation d’une identique énergie (conception einsteinienne).

La matière même ne serait, à nos yeux, que la concrétisation de cette force. L’équation est : m = m0 / √ (1 – V2 / C2)

Il s’agit de la masse m à la vitesse V ; m0 signifie cette masse au repos ; et C représente la vitesse de la lumière.

Aux échelles supérieures, la polarité électronique se voile.

Dans le domaine de la chimie inorganique, les rapports sont, évidemment, encore visibles: l’ionisation des corps en solution correspond à la dissociation des molécules en particules électrisées. Ces particules correspondent, le plus souvent, à des atomes simples qui, dans le cas du cation perdent un électron et, dans le cas de l’anion, acquièrent un.

Mais en chimie organique (celle qui, justement, concerne la vie), l’ionisation, semble-t-il, n’a guère à voir. Il est ici question de superstructures fort ingénieuses : par le truchement de milieux appropriés des greffes se surajoutent. Mais on ne peut pas dire qu’il s’agisse normalement d’ions ; chaque substance en présence offre d’ailleurs, souvent tantôt la même polarité, tantôt l’ambivalence la plus bizarre (ampholytes). Néanmoins, une oxydation ou l’adjonction d’un atome de chlore ne se font pas au hasard ; ces phénomènes sont imputables à la structure électronique du carbone.

Autre part, la dualité paraît se dissoudre. Des polarités secondaires (ou plutôt des apparences de polarité) peuvent naître par changements dans l’orientation de structure (isométrie optique). Pasteur découvrit, le premier, ce cas chez l’acide tartrique. Son acide synthétique se composait de deux substances absolument identiques, mais dont l’une déviait la lumière du polariseur à droite et l’autre à gauche.

Toute illusoire que soit cette polarité, elle déterminerait les sexes du chlamydomonas, algue très faiblement sexuée.

La polarité sexuelle paraît un peu plus conciliable avec la polarité électronique.

Chez l’homme, on a découvert l’étrange parenté des hormones. Celles-ci contiennent un squelette « phénanthrène » qui donne aussi lieu à des cellules cancérigènes.

Cependant, la folliculine et l’hormone mâle ne diffèrent pas seulement par la saturation des noyaux ; mais la seconde possède en plus un radical méthyle.

Toujours est-il que cette parenté chimique est suggestive.

D’ailleurs, dans le sexe comme partout, les phénomènes restent imprégnés par le souvenir d’une unité perdue. Celle-ci tend à renaître, à se maintenir. Mais ce n’est plus l’admirable unité atomique.

Ainsi, l’hermaphrodisme est un essai ; il constitue la règle chez de nombreux invertébrés. Mais il régresse en raison inverse de l’évolution. Néanmoins, on le trouve encore à l’état naturel chez les batraciens, les oiseaux ; assez souvent chez certains mammifères ; rarement, chez l’homme.

Dans le domaine humain, d’étonnantes révélations ont pu concorder. Dans le Banquet, Platon décrit la curieuse aventure des Androgynes.

« Au commencement était l’Unité : le Père – Mère. Quand les parties furent séparées, un seul désir les posséda : retrouver l’Union. »

De son côté, Freud nous dit : « Dans tout individu, soit mâle, soit femelle, se trouvent des vestiges de l’organe du sexe opposé. Ils y sont à l’état rudimentaires et privés de toute fonction, ou adaptés à d’autres ».

Ainsi que dans l’atome, une ambivalence demeure latente. Non seulement, certaines qualités psychiques communément appelées soit masculines (qualités actives), soit féminines (qualités passives), mais encore des qualités physiques, s’entrepénétrant singulièrement. Les proportions d’hormones déterminant le sexe paraissent, pourrait-on dire, varier d’un individu à l’autre ; et même (par exemple, avec l’âge) une des deux substances l’emporte : d’où certains caractères nouveaux.

Une unité, même en dépit de la polarité sexuelle, perdure en nous; et les savants ont pu produire des interversions réelles soit par greffe (Steinach), soit même par simple ablation (Benoît).

Bref ! le mâle et la femelle sont comme les supports, qu’on peut dire asexués, de deux puissances qui les apparentent (lointainement, il est vrai) à la dualité primordiale : dualité électronique.

Toute existence dans la Création présente ces deux aspects, cette ambivalence : une partie, en surface, paraît s’être figée (une unité formelle en émane) ; l’autre est la manifestation attardée de deux forces étrangères, contradictoires (cette partie cherche à se réaliser parmi les formes).

Mais, tout au fond, nous devons retrouver l’Énergie principale, Lumière de l’Univers.

LA VERITABLE UNITE

Le concept Unité que nous croyons tirer des faits est partout identique à lui-même ; toutefois, ainsi vu, il n’a encore guère de valeur, car c’est une pure création de l’esprit.

Nous devons nous garder de toute illusion. « Analogie » ne veut nullement dire « parfaite similitude ». Les notions d’Unité et de Pluralité ne sont souvent que des constantes absolument abstraites, appliquées à des phénomènes totalement différents.

Les unités entrevues n’étaient pas la véritable Unité. C’en étaient les parodies. Néanmoins, tous ces organismes tendent vers un but jamais atteint.

Et l’homme, en dépit de tout son orgueil, paraît lui-même concrétiser un continuum résultant à chaque instant d’activités interdépendantes; et ce continuum constitue une activité parmi d’autres, intégrée dans un grand Continuum qui est le reflet de l’Unique.

Sans fin, l’Univers, fuyant l’unité fondamentale qui se trouve en lui, s’échafaude en organismes de plus en plus compliqués. Cependant, à chaque étape, se retrouve, transformée, sublimée peu à peu, l’éternelle inquiétude.

La soif de l’Unité perdue, l’obscure soif de Dieu, embrase l’Univers. Certes, mille preuves physiques ne valent pas une seule intuition de l’âme.

Ce désir, ce besoin d’Unité tourmentant la Création qui se connaît séparée, nous l’éprouvons au plus aigu de l’esprit.

En particulier, « le poète, souvent peut-être d’une manière inconsciente, affirme que derrière tout le conflit des apparences opposées, la vie de l’esprit est une. La métaphore, c’est la métaphysique appliquée de la poésie. Dans sa forme la plus pure, l’image, est la manifestation d’un mysticisme puisé à des sources qui dépendent de l’expérience courante »4.

C’est en l’homme que l’Amour s’est fait déchirant ; et nous errons, pareils aux fantômes que nul objet terrestre ne pourra rassasier…

Où donc est la Plénitude qui nous apporte la Paix ?

Ainsi, chacune de nos chutes prélude un pas vers l’Amour. Encore faut-il tendre son cœur vers la seule Réalité qui ne soit pas fallacieuse.

La vision de l’homme n’est qu’une illusion créée à son échelle : le ciel, la terre, notre maison, notre corps ne sont qu’apparences ; si nos yeux savaient voir, nous y distinguerions les mondes planétaires de l’atome, l’univers énergétique lumineux ; de même, si notre conscience était claire, le domaine sentimental et moral ferait place au combat de l’illusion et de Dieu.

Hélas ! nous n’avons qu’un désir… et dans nous, dans tout l’Univers, deux forces s’affrontent l’une, centrifuge, de personnalisation ; l’autre, centripète, de communion. Nous restons le MOI, assoiffé d’amour.

Où donc est Dieu ?

De l’Unique, nous ne voyons qu’un reflet. Cet Unique, nous disent les Initiés, était au début à la fois Être et Non-Être (sat, asat).

Mais un jour, la pensée de Dieu se fit ; les uns l’appelèrent Logos, les autres Verbe, les sages de l’Inde y virent le dieu trinitaire.

Et cette pensée se fit acte. Comme le disent poétiquement les prêtres de Yamato, l’éther se divisa en deux : sa clarté devint le Ciel, sa partie lourde et obscure la Terre.

Et ce poids, ce poids d’ignorance, beaucoup le sentent au plus profond de leur cœur. Où donc est l’Unique ?

Marcel HENNART

Qu’est-ce que l’Unique ? par R. Linssen

La découverte de l’unité a toujours hanté l’esprit des chercheurs d’avant-garde. Notre ami Marcel Hennart termine son intéressante étude sur le problème de l’unité par une question: Où donc est l’Unique ? L’homme semble à priori se trouver dans une position singulièrement défavorable pour donner une réponse correcte à cette question. Comment pourra-t-il trouver l’unique, lui, qui déjà en tant qu’observateur d’un spectacle éminemment multiforme, est rivé au monde phénoménal où tout n’est que multiplicité. La science — il est vrai — nous révèle qu’en dépit de ces apparences multiformes, l’univers est UN aux ultimes profondeurs.

Les variétés de couleurs, de propriétés, de poids de la matière sont pratiquement illimitées, mais les constituants ultimes de toute la matérialité de l’Univers se résument à deux éléments de base : les électrons et les neutrons. Et ces derniers n’apparaissent qu’à titre de simples singularisations d’une seule et même énergie. Mais tandis que les efforts de l’homme se dirigent vers les ultimes profondeurs de la matière, bien au delà des systèmes atomiques, pour découvrir l’unité d’un immense océan d’ondes, la direction qu’emprunte l’intelligence au cours d’une telle recherche a pour tendance de lui faire totalement oublier les apparences de surface.

Certes, nous savons fort bien que dans ce monde de matière tout est évanescent. Nous savons, comme nous l’ont proclamé jadis les philosophes bouddhistes, que le caractère fondamental de cet univers phénoménal et de tout ce qui s’y trouve est l’IMPERMANENCE. Néanmoins, si nous procédons à un excès de zèle inhérent à tous les fanatismes, et si cet excès de zèle nous fait oublier la facette du monde, telle qu’il se présente dans ses apparences évanescentes de surface, nous nous égarons de l’unique que nous prétendons ne découvrir qu’aux ultimes profondeurs. Et nous reposons la question : mais où donc est l’Unique ?

L’unique n’est pas seulement la totalité des apparences de surface. L’unique n’est pas seulement l’essence UNE et UNIVERSELLE des profondeurs. Si nous voulons réaliser l’unité, il nous faut une fois pour toutes comprendre que l’Univers est un TOUT INDIVISIBLE, dont l’homme expérimente successivement différentes facettes. Le monde des apparences phénoménales est l’une de ces facettes. Tout y a un commencement, tout y a une fin. Tout y naît, mais tout y meurt. Le monde des ultimes profondeurs, celui de l’unité d’essence est l’autre facette de ce TOUT indivisible.

Encore faut-il insister sur le fait, que si nous consentons à procéder à ces divisions entre un aspect que, pour nous faire comprendre, nous appelons « aspect de surface » et un autre aspect, que nous nommons « aspect de profondeur », ces divisions n’existent pas en elles-mêmes. Elles sont mises en relief pour les commodités de l’exposé.

L’unique est donc la totalité des aspects manifestés et non manifestés de l’Univers. Il est l’ensemble des manifestations matérielles (apparentées aux manifestations corpusculaires) et des manifestations spirituelles (apparentées aux manifestations ondulatoires).

Comment définir l’Unique, sinon en empruntant cette définition magistrale de Carlo Suarès qui nous présente un continuum dynamique : La totalité des mouvements vers le plus et vers le moins, la totalité des morts et des naissances d’un Univers, l’ensemble des fécondations et des stérilisations, se traduit toujours par un plus. S’il n’en n’était pas ainsi l’univers serait transformé en pur néant.

Ainsi, la totalité cosmique des existences se traduit par une unité dynamique, essentiellement mouvante, vivante, créatrice. L’unique auquel s’accrochait toutes nos anciennes philosophies était un unique essentiellement statique.

Dieu n’est ni plus ni moins que cette énergie. Cette énergie est une, car elle est l’unique substance ou s’alimentent les mondes innombrables. Ainsi que le disait Spinoza, la substance est UNE, mais les modes sont innombrables. Peu importe leur infinie variété. Encore faut-il comprendre, que cette substance n’a rien de statique, mais qu’elle doit sa substantialité à une continuité de jaillissement, à l’acuité d’une recréation constante d’elle-même. Cette réalité est à tel point dynamique que le terme substance que nous sommes obligés de lui attribuer est employé dans l’unique but de faire comprendre aux chercheurs qu’il s’agit de quelque chose de réel, de vivant, de positif. Mais hélas, les vérités de l’intuition sont souvent des paradoxes pour l’intellect.

Le problème de l’Unique peut être aisément résolu. Mais pour l’être correctement, nous devons le dépouiller de toutes les tendances cristallisatrices des philosophies traditionnelles.

R. Linssen

1 Anhydride carbonique (CO2), produit de combustion des composés carbonés ; servant aussi à la synthèse de la chlorophylle.

2 Y aurait-il action sélective des radiations sur les molécules ?

3 Dans la revue « Signes du Temps », M. Bauwens nous dit : « Là et là seulement où notre âme est spirituelle, nous ne subissons pas l’influence des astres ».

4 Mêmes croyances dans l’Inde, chez les Juifs. Ève ne fut-elle point tirée d’une côte d’Adam ?