Jean Varenne
Spiritualité des arts martiaux entretien avec Michel Random

la pratique des arts martiaux a mis l’accent sur l’unité du corps et de l’esprit, et, de surcroît, sur une unité corps-esprit-univers. C’est là une connaissance que nous avons perdue depuis le XIIIe siècle. Le fameux dualisme occidental nous a détruits de l’intérieur et de l’extérieur, et les conséquences de cette destruction ne sont rien moins que la mort de l’Occident.

(Revue Question De. No 23. Mars-Avril 1978)

En 1968, Michel Random se rendait au Japon. Son ambition : retrouver le maître Awa, qui initia le Pr E. Herrigel au tir à l’arc. Le petit livre d’Herrigel : « l’Art chevaleresque du tir à l’arc », fut en effet le point de départ d’une aventure qui permettra à M. Random, non seulement de découvrir un grand maître du tir à l’arc, mais encore d’entreprendre une recherche qui le conduira en 1970 à pénétrer au sein de quelques très secrètes écoles de Budô au Japon. Il en rapportera les éléments d’un film : « les Arts martiaux du Japon », diffusé par plus de trente télévisions, et les très belles images d’un livre : « les Arts martiaux ou l’Esprit des Budô », aux éditions Nathan. Ce livre a été salué par l’ensemble de la critique et des professionnels comme un grand ouvrage, complet, et, en tous points, unique à ce jour. Michel Random a réalisé pour France-Culture de nombreuses émissions, et est l’auteur du livre « les Puissances du dedans » (éd. Denoël) consacré à Luc Dietrich, Lanza del Vasto, Gurdjieff, Roger Gilbert-Lecomte.

Jean Varenne. — Michel Random, vous venez d’écrire un ouvrage sur les Arts martiaux ou l’Esprit des Budô, magnifiquement illustré… Pouvez-vous me donner une définition des arts martiaux qui en englobe toutes les formes ?

Michel Random. — En réalité, les Budô expriment une connaissance ésotérique, la relation de l’homme et de l’univers, d’où découle une connaissance du souffle, de l’énergie et l’application de ces principes aux arts dits guerriers.

Le Budô, c’est aussi une conception de l’honneur, des droits et des devoirs (envers son suzerain, envers autrui, envers soi-même), et enfin une pratique des arts dits guerriers.

Les arts guerriers apparaissent donc comme des « voies » dans la mesure où c’est le Tout de l’homme qui se trouve concerné.

La première de ces voies fut celle de Kyuba no Michi : la Voie de l’Arc et du Cheval. Elle est restée (depuis le XIIIe siècle) sans doute la plus noble et la plus parfaite des voies. Puis la Voie du Sabre, comprenant aujourd’hui, outre le sabre, le Kendo, le Boken ou sabre de bois, les bâtons courts et longs, et le Naginata ou lance. Enfin, la Voie du Souffle et des Mains vides, comprenant autrefois des techniques telles que l’aïki-jutsu d’où est né l’aïkido moderne, et, en général, tous les modes d’attaque ou de défense à mains nues qui ont donné, à la fin du XIXe siècle, le judo, le karaté, l’aïkido et le sumo sous sa forme actuelle.

On peut, à ces trois voies majeures, ajouter une liste de techniques qui se trouvent annexées par le Budô sans constituer des voies pour autant. On y retrouve les célèbres armes d’Okinawa : Nunchaku (ou fléau articulé), Tonfa, (ou fléau de bois), Kama (ou serpe), et aussi d’autres armes plus traditionnelles : Saï (ou épieu de fer), Kusarigama (chaîne avec boule de plomb), etc.

La classe des samouraï

J.V. — Quand, en Occident, on parle de chevalier, on pense à des individus qui appartiennent à une sorte de caste, entre guillemets bien sûr… Est-ce que, au Japon, les Budô appartenaient eux aussi à une catégorie sociale déterminée ?

M.R. — Dans la mesure où l’initiation spirituelle et la pratique du Budô était réservée aux écoles secrètes des samouraï, les Ryû, seule la classe des samouraï avait droit à cette forme d’initiation.

Il était en effet inconcevable qu’un homme en provenance de la classe des paysans ou des marchands puisse accéder à de telles connaissances, mais cela mérite d’être nuancé selon les époques. Aujourd’hui, les anciens samouraï sont souvent devenus agriculteurs, et dans les vieux Ryû qui subsistent toujours, les descendants d’authentiques samouraï pourraient être confondus avec des paysans ; l’allure et le maintien en plus, il est vrai.

Jusqu’à l’avènement de l’ère Meiji en 1868, les samouraï (dont le nombre variait entre 400000 et 600000 hommes) constituaient la première classe du Japon.

Disons en passant que la structure féodale subsiste dans le Japon moderne : à tous les niveaux, les responsables de la culture et de l’industrie japonaises sont encore aux deux tiers des descendants de samouraï.

Ajoutons que, traditionnellement, être membre de la première classe sociale, cela voulait dire avoir plus de devoirs que de droits.

Un enseignement traditionnel secret

J.V. — Est-ce que de nos jours, au Japon, la pratique des arts martiaux est ouverte à tous ou continue-t-elle à être l’apanage des gens appartenant à des familles privilégiées ?…

M.R. — Cette question souligne toute l’ambiguïté de ce que nous appelons les arts martiaux. Une minorité de vieilles écoles (Ryû), dont nous venons de parler, subsistent encore. A l’exception de quelques-unes qui ont une vitalité notable, telles que Katori-Shinto-Ryû, Maniwa-Nen-Ryû, ou Araki-Ryû, beaucoup de ces vieux Ryû ne sont plus représentés que par un vieux maître et au mieux quelques pratiquants. Les lois des anciens Ryû sont toujours respectées. La transmission des connaissances se fait au Japon, et ce, dans toutes les disciplines traditionnelles (artisanat, danse, musique, etc.), de père en fils. Quand le fils n’est pas digne de remplacer le père, c’est le meilleur disciple qui est adopté comme fils spirituel et héritier de l’enseignement.

Par ailleurs, l’interdiction de révéler l’enseignement et surtout son contenu ésotérique subsiste toujours, ce pourquoi il a été si difficile d’approcher ces vieilles écoles. Et beaucoup de démonstrations n’ont pu être ni photographiées ni filmées. Les dojo ou salles d’entraînement modernes, telles que nous les connaissons dans l’aïkido, le judo, le karaté, etc., ont une ambiance très différente des vieilles écoles : les interdits propres aux Ryû disparaissent. Tout élève qui veut apprendre sérieusement est le bienvenu.

Après l’abolition de la classe des samouraï en 1870, les guerriers, pour survivre, imaginèrent de donner des démonstrations publiques de leur savoir-faire. Des maîtres adaptèrent les enseignements anciens sous des formes neuves où l’accent était mis sur la formation intérieure : ainsi, apparurent le judo, le karaté-do, l’aïkido, etc. Ces disciplines sont toujours des branches du Budô. Ici encore, il y a ceux qui restent fidèles à l’enseignement traditionnel et ceux qui, profond contresens, voient les arts martiaux comme des sports de compétition analogues à la boxe ou aux poids et haltères.

VOCABULAIRE DES ARTS MARTIAUX

AIKIDO : Voie (dô) de l’harmonie (aï) avec l’Energie-universelle (Ki).

BUDO: les arts martiaux japonais en tant que Voie (dô) des Chevaliers (Bu). BUSHI : guerriers japonais.

DO : Voie, chemin spirituel (en chinois : Tao).

DOJO : lieu (jo) où l’on apprend à suivre la Voie (dô) ; école d’arts martiaux ; atelier où l’on pratique le Zen, etc.

JUDO : art (dô) de la souplesse (ju), développé au début de ce siècle, à partir de l’ancien Ju-Jutsu.

JU-JUTSU : techniques (jutsu) de combat non-armé, basées sur l’art de l’esquive (ju souplesse corporelle).

KENDO : art du sabre.

KI : énergie cosmique ; souffle vital (Ki veut dire « souffle »).

KIAI : cri, en tant qu’expression de concentration d’Energie (Ki).

MEIJI : nom que prend l’empereur réformiste Mutsu-Hito lorsqu’il accède au trône en 1867. Il « occidentalise » le Japon.

RYU : école traditionnelle où les arts martiaux sont enseignés.

SAMOURAI : chevalier guerrier ayant droit à porter deux sabres (ce droit lui fut retiré en 1876 par l’empereur Maïji).

SHADO : art du tir à l’arc.

SHINAI : sabre de bambou utilisé dans le Kendo.

TANDEN : centre spirituel de l’être humain. Il se situe un peu en dessous du nombril.

ZAZEN : méditation assise.

ZEN : (du chinois Chan, lui-même dérivé du sanskrit dhyâna : « méditation ») discipline qui mène à la réalisation de soi.

Des gestes sacrés

J.V. — Pensez-vous, d’après votre expérience, que la pratique des arts martiaux au Japon continue à avoir une valeur spirituelle ?

M.R. — Vous savez que l’arrivée des croiseurs de l’amiral Perry en 1854 a brutalement jeté le Japon hors de son isolement insulaire… Il a dû faire face à l’Occident et épouser, pour survivre, la civilisation qui le narguait. Demander si le Budô continue à avoir une valeur spirituelle revient en fait à demander si le Japon occidental moderne n’a pas tué l’âme du vieux Japon… Evidemment, nous l’avons dit, le Budô des vieux Ryû ne concerne plus qu’une minorité de Japonais, alors que le kendo compte trois millions de pratiquants, l’aïkido un million, le judo et le karaté quelques millions aussi.

Tout ce qui s’adresse aux masses perd son caractère initiatique ou spirituel. Il reste que le respect du maître, la salutation, la vénération du petit temple shinto, qui se trouve dans tout dojo, l’esprit d’obéissance, la méditation, sont de règle dès que vous pratiquez l’une de ces disciplines. C’est là un fait spirituel, si l’on veut, ou que l’on peut ressentir comme tel, par rapport à nos dojo, où rares sont les traditionalistes. N’oubliez pas que l’esprit shinto imprègne toute l’âme japonaise, ce qui explique la hiérarchie omniprésente qui est la clef du Japon.

Cette hiérarchie, même profondément altérée parfois, se trouve partout au Japon, et en particulier dans les arts martiaux. Elle possède un sens spirituel. Il n’est que de voir l’importance du maître, le « Senseï », à qui l’on porte un immense respect et qui possède une importance inconnue en Occident. Ajoutons qu’un grand « Senseï », au Japon, est un homme complet, il connaît merveilleusement le corps, les circuits d’énergie, il sait soigner et guérir, sans parler, bien entendu, du fait qu’il maîtrise parfaitement la plupart des arts martiaux.

La maîtrise de l’énergie

J.V. — Quelle est, à votre avis, l’importance des arts martiaux japonais sur l’Occident ?

M.R. — C’est un phénomène complexe et difficile à analyser. On peut en dire le meilleur et le pire.

Le meilleur, parce que la pratique des arts martiaux a mis l’accent sur l’unité du corps et de l’esprit, et, de surcroît, sur une unité corps-esprit-univers. C’est là une connaissance que nous avons perdue depuis le XIIIe siècle. Le fameux dualisme occidental nous a détruits de l’intérieur et de l’extérieur, et les conséquences de cette destruction ne sont rien moins que la mort de l’Occident.

Mais, précisément, il y a mort et résurrection. Toute la contre-culture représente un appel vers l’unité ; le regard vers des pratiques spirituelles ou physiques qui nous viennent de l’Orient ou de l’Extrême-Orient signifie la même chose.

De fait, si l’on pénètre un peu dans l’enseignement du Budô, que découvre-t-on ? L’importance donnée au Hara. Et qu’est-ce que le Hara ? C’est un point situé à deux centimètres au-dessus de l’ombilic, et c’est là que se trouve le centre de notre énergie psychique et physique et spirituelle. Si l’on veut maîtriser les trois pouvoirs en un, il faut posséder un solide Hara, le développer par l’exercice et la respiration. A partir du Hara, on apprend à développer et à libérer l’énergie : c’est ce qu’on appelle avoir le Kokyu. Et cette énergie que l’on libère n’est autre que l’énergie de l’univers, on la nomme le Ki. Le Ki, c’est précisément l’énergie même de la Création, ce qui, depuis la Création, est le principe vital et agissant de chaque chose. Avoir le Ki, c’est posséder le pouvoir de se mettre en harmonie avec cette énergie de l’univers, c’est pouvoir s’en servir consciemment et quand on veut.

L’essence du Ki est d’être une énergie pure qui traverse. L’énergie vient de l’infini et retourne à l’infini. L’efficacité absolue consiste à faire en soi le vide, alors l’énergie qui vient du vide ne rencontre que le vide et, de ce fait, l’homme est invulnérable : cette petite phrase recèle en réalité le secret profond de tout l’art du combat chinois ou japonais.

La vision de l’unité

J.V. — Qu’est-ce qui faisait la valeur des samouraï ?

M.R. — Nous sommes au cœur de notre question. Qu’est-ce que le Ki ? C’est une force spontanée, jaillissante, c’est une dimension du temps aussi, un temps qui s’apparente à un présent permanent. C’est pourquoi un grand maître perçoit son adversaire, il saisit sa pensée et ses perceptions les plus subtiles, et, s’il le juge nécessaire, il répond instantanément à cette perception. C’est pourquoi il est d’usage de dire qu’il n’y a pas l’épaisseur d’un cheveu entre la pensée et l’action.

L’efficacité absolue qui caractérise les grands maîtres vient de cette spontanéité absolue. Le sabre jaillit à la vitesse d’une balle de revolver : c’est un acte instantané.

Quand deux samouraï d’égale valeur venaient à s’affronter, il n’était pas rare de les voir se fendre consciencieusement de part en part l’un et l’autre, et ce, au même instant.

Ce trait pittoresque et terrifiant ne doit pas nous distraire. La puissance de ces deux samouraï signifiait aussi une libération : ils avaient dépassé la peur de la mort.

Le Ki est avant tout une énergie qui ne peut se réaliser et se comprendre si elle ne devient pas totalisante, si elle n’englobe pas l’être tout entier. Dès cet instant, tout est possible. Et, de fait, de Myamoto Musashi — le plus grand des samouraï du Japon, qui mourut après avoir médité les dernières années de sa vie dans une grotte, comme saint François d’Assise, au maître Ueshiba (fondateur de l’aïkido), nous voyons une même vénération de la Nature et, au-delà, de la nature cosmique, une même exaltation et une même pénétration du divin. Cette ouverture à l’énergie souveraine aboutit parfois à la vision de l’unité. C’est dans cette perspective qu’il faut comprendre, par exemple, l’aïkido et le tir à l’arc. L’aïkido ouvre le geste, en fait un cercle où inévitablement l’adversaire se trouve attiré et rejeté au même instant.

Quant à l’archer, regardez-le, il est parfaitement stable sur ses deux jambes écartées, ses bras ouvrent et tendent l’arc comme on tend la corde même de l’univers. La tension de l’arc et de la flèche, la maîtrise du souffle et de l’attention doivent se résoudre dans un geste spontané et innocent : la flèche doit être tirée malgré tout librement, sans effort… Quand un tel tir est réalisé, c’est l’unité qui est atteinte. C’est pourquoi l’on dit : un tir, une vie. Quand la flèche est tirée, elle ne perce pas le but, elle continue en esprit, et l’archer garde un instant de suspension pour s’imprégner de ce sentiment de la flèche qui continue. On dit qu’il faut viser plus loin que le but : viser un tir qui soit celui de son destin…

C’est pourquoi le maître mot de la fin, résumant tout ce que nous venons de dire, trop sommairement, pourrait être : décide ce que tu veux que soit ton destin, et tire.

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LA TACTIQUE DANS LES ARTS MARTIAUX

La transparence intérieure signifie dans la voie des Budô adéquation instantanée entre l’attaque et la défense. Mais comment parvenir à une telle adéquation ? L’arme (épée, sabre, boken, jo, bo, shinai, etc.) ou la discipline elle-même (Aïkido, Karate, Judo, etc.) sont à l’origine de la tactique. Dès lors, la règle est celle de l’apprentissage parfait du maniement de l’arme, des projections ou des coups.

L’exercice répété maintes et maintes fois devient naturel. Des mouvements ou des actions, au début difficiles, s’expriment librement et comme sans effort.

Le rythme

C’est alors que se découvre le rythme. Tout mouvement est rythme, à l’égal de la peinture, de la musique ou de la poésie. Si le rythme est perçu, on peut ressentir ce qui est contraire au rythme, ou ce qui va dans le sens du rythme. Le travail sur les rythmes est déjà une règle de vie et en soi une connaissance des correspondances et des oppositions, qui explique précisément pourquoi les arts martiaux sont constamment en évolution, et pourquoi les principes initiaux, revécus et expérimentés, font l’objet de synthèses nouvelles d’où naissent naturellement des écoles et des enseignements nouveaux.

Quand se découvre le rythme, le temps d’un combat n’est ni plus long ni plus court. Le rythme est hors du temps. Il peut en apparence être lent ou d’une rapidité fulgurante. Mais ce n’est ni la lenteur ni la rapidité qui sont exprimées. Un sabre qui tranche vite — explique Musashi — ne tranche pas du tout.

Voir sans regarder = percevoir

« Voir, dit Musashi, est plus important que de regarder. » C’est là une autre règle du Budô, qui recommande constamment de ne jamais fixer son esprit sur la pointe du sabre (ou du shinaï), sur le poing, ou le geste, ou les yeux de l’adversaire, ou la cible.

La règle est de voir sans voir, de percevoir sans fixer l’attention, de pressentir et non de parer ou de répondre à une attaque. Ce sont les yeux intérieurs qui voient.

Percevoir l’adversaire

Tout l’art consiste à s’exercer au point que l’adversaire devienne transparent, autrement dit que l’intention de son attaque soit perçue avant l’attaque elle-même. Par la pratique, on peut deviner la trajectoire de l’arme ou du mouvement adverse.

Cette faculté de percevoir une attaque fait l’objet du développement d’un sixième sens. Elle vise aussi à découvrir le rythme de l’adversaire et donc à le vaincre en lui imposant un rythme contraire ou inhabituel.

Un seul tir, un seul coup

Autre règle des Budô qui s’exprime dans l’idée « un tir, une vie » ; c’est de faire du premier coup le coup décisif. Cela se dit aussi « rythme unique ». Un coup engage l’être tout entier. Cela signifie qu’il faut visualiser le coup, le mouvement. La projection a déjà été faite devant soi. Le coup a déjà été frappé. C’est pourquoi il est dit que la victoire précède le vainqueur.

Dans le Kendo, le Kiaï, la puissance donnée au bond en avant, la puissance de frappe du shinai, tout est coordonné dans un rythme puissant et vivace pour donner au premier coup une totale efficacité. C’était aussi une règle du combat au sabre. (Nous sommes loin ici des techniques de parade et de défense des élégants virtuoses de l’épée, chers à l’Occident.)

Combattre plusieurs adversaires à la fois

Le maître Ueshiba a fait de cette règle un principe essentiel de l’Aïkido. Combattre avec de nombreux adversaires équivaut à combattre avec un seul. L’efficacité de la tactique est totale ou elle n’est pas. Si un grand maître de sabre était pratiquement invincible contre dix ou vingt adversaires à la fois, c’est bien la preuve qu’il n’employait aucune technique. Musashi mit plusieurs fois en fuite ou tailla en pièces des groupes de Samouraï armés de sabres, de longues lances et d’arcs. Il agissait de telle façon qu’il sortait de la bataille indemne et sans une égratignure. La règle du Budô dit que les adversaires ne doivent pas nous toucher d’un doigt.

Initiative sur initiative

Cette règle aussi d’ordre tactique peut se résumer ainsi : dominer toujours l’adversaire physiquement et psychologiquement, dans l’espace et le temps. S’assurer donc de la meilleure position des lieux, de la position du soleil (ou des lumières). Il est dit que la victoire appartient à celui qui sait prendre l’initiative de l’attaque, et sait en quelque sorte manœuvrer l’adversaire selon sa volonté. L’attaquer au moment même où il attaque, et l’empêcher de mener à bien une autre attaque, d’imaginer une nouvelle tactique, etc.

Oter le fond

La voie de la tactique est très complexe. Dans les Dô, elle ne vise pas à la destruction de l’adversaire, encore que tout art martial, ne l’oublions pas, peut devenir un art de combat si nécessité il y a, et aller jusqu’aux conséquences extrêmes.

Toutefois, dans les Dô, l’adversaire se mue en partenaire alors que dans les Bugei d’autrefois il s’agissait le plus souvent de détruire l’adversaire par tous les moyens loyaux de la tactique. Il était recommandé non seulement de détruire l’adversaire, mais de lui ôter « le fond » c’est-à-dire jusqu’au désir même de combattre à nouveau. Ce pourquoi nombre de guerriers vaincus, à qui il avait été accordé la vie sauve, se faisaient moines zen.

Parvenir à la victoire par n’importe quel moyen

Cette règle ne signifie pas que tous les moyens sont bons pour parvenir à la victoire, mais que l’étude poussée de certaines techniques est insuffisante en elle-même. Tout ce qui vient d’une démarche et d’une préparation efficace et volontaire, n’est rien en regarde d’une vision globale et d’une vraie maîtrise intérieure. Un maître peut vaincre avec n’importe quelle arme, voire même sans armes. C’est pourquoi il est recommandé de se méfier des écoles et des techniques trop précises qui, par leur enseignement parcellaire et abstrait, maintiennent le pratiquant dans une situation illusoire quant à ses vraies possibilités.

Le début ressemble à la fin : la voie sans voie

Quand la tactique est dépassée, c’est-à-dire parfaitement assimilée, l’homme ressemble au novice qu’il était quand il ne savait rien. Il retrouve le même état d’innocence. Maintenant comme alors il ignore toutes les règles. Il a réalisé la voie sans voie : la réalité ultime qu’exprime Lao Tseu et après lui les maîtres de Zen : « La voie qui est la voie n’est pas la voie, le nom qui est le nom n’est pas le nom. »

Le vide

Musashi dit alors : « Considérez la voie comme « vide ». Dans ce « vide », il y a le bien et pas le mal. L’intelligence est « être » : les principes sont « être ». Les voies sont « être ». Mais l’esprit est vide. »

Extrait de l’ouvrage de M. Random « L’esprit du Budô » (Ed. Nathan).