Bohm et Krishnamurti

Partie 1 : Introduction de David Bohm Partie 2 : Bohm interviewé par Evelyn Blau Partie 3 : Bohm & K par M. Cadogan et M. Lutyens Partie 4 : Conversations entre K et David Bohm ______________________ 1 : Introduction MA RENCONTRE AVEC KRISHNAMURTI PAR DAVID BOHM Le premier contact que j’eus avec l’œuvre de Krishnamurti fut en 1959 quand je lus son livre « Première et […]

Partie 1 : Introduction de David Bohm

Partie 2 : Bohm interviewé par Evelyn Blau

Partie 3 : Bohm & K par M. Cadogan et M. Lutyens

Partie 4 : Conversations entre K et David Bohm

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1 : Introduction

David Bohm

MA RENCONTRE AVEC KRISHNAMURTI PAR DAVID BOHM

Le premier contact que j’eus avec l’œuvre de Krishnamurti fut en 1959 quand je lus son livre « Première et Dernière Liberté ». Ce qui m’intéressa plus particulièrement fut l’examen en profondeur de la question « Observateurs et chose observée ». Cette question était depuis longtemps au cœur de mon propre travail — en tant que théoricien de la physique — intéressé au départ par la théorie des quanta. Dans cette théorie, pour la première fois, dans le développement de la physique, l’idée que « observateur et observé » ne peuvent être séparés a été avancée comme nécessaire pour la compréhension des lois fondamentales de la matière en général.

À cause de ceci, et également à cause de bien d’autres choses, je sentis qu’il était urgent pour moi de parler à Krishnamurti directement et personnellement aussitôt que possible. Et, quand je le rencontrai lors de l’une de ses visites à Londres, je fus frappé de voir à quel point il était facile de communiquer avec lui. Ceci était rendu possible par l’intensité de son attention et la liberté, hors de toutes barrières et protections, avec laquelle il réagissait à ce que j’avais à dire. En tant qu’individu engagé dans la recherche scientifique, je me sentais tout à fait à l’aise avec ce genre de réaction, parce qu’elle était — en essence — de la même qualité que celle que j’avais rencontrée lors du contact avec d’autres scientifiques avec qui j’étais en communion d’esprit. Et je pense plus particulièrement à Einstein qui faisait preuve d’une même intensité et absence de barrière pendant les nombreuses discussions qui eurent lieu entre lui et moi.

NOUS IGNORONS TOUT DE NOTRE PENSÉE

Après cela, je commençai à voir Krishnamurti régulièrement et à discuter avec lui chaque fois qu’il venait à Londres. Ce fut le début d’une association devenue d’autant plus étroite que je me suis intéressé aux écoles, telles que Brockwood Park en Angleterre, fondées à son initiative. Pendant ces discussions, nous examinâmes en profondeur de nombreuses questions me concernant dans mon travail scientifique. Nous étudiâmes la nature de l’espace et du temps et de l’universel, à la fois par rapport à la nature extérieure et par rapport à l’esprit. Mais ensuite, nous en vînmes à considérer le désordre général et la confusion qui envahit la conscience de l’humanité. C’est là que je rencontrai ce que je sens être la plus importante découverte de Krishanamurti. Ce qu’il avançait avec sérieux est que tout ce désordre, cause partout de tant de malheur et de souffrance, et qui empêche les humains d’œuvrer efficacement ensemble, a sa racine dans le fait que nous ignorons tout de la nature générale de nos propres processus de pensée, ou, pour l’exprimer différemment, on peut dire que nous ne voyons pas ce qui se passe en fait quand nous sommes engagés dans l’activité de la pensée. En observant de très près cette activité, Krishnamurti sent qu’il perçoit directement cette pensée comme un processus matériel qui a lieu à l’intérieur de l’être humain, dans le cerveau et le système nerveux constituant un tout.

En général, nous avons tendance à être principalement conscients du contenu de cette pensée plutôt que de la manière dont cela se passe. On peut illustrer ce point en voyant ce qui se passe quand on lit un livre. D’habitude, on ne prête attention qu’au sens de ce qu’on lit.

Cependant, on peut avoir conscience également du livre lui-même, de la façon dont il est fait, des pages qui peuvent être tournées, des mots imprimés et de l’encre, de la texture du papier, etc. De même, nous pouvons prendre conscience de la structure et de la fonction réelle du processus de la pensée et non seulement de son contenu.

MÉDITER, C’EST METTRE DE L’ORDRE DANS LA PENSÉE

Comment une telle conscience peut-elle se développer ? Krishnamurti avance que cela exige ce qu’il appelle la méditation. Cependant, on a donné à ce mot tant de sens différents et même contradictoires, beaucoup d’entre eux sous-entendant une espèce de vague mysticisme. Krishnamurti a, à l’esprit, une notion précise et claire quand il se sert de ce mot. On peut obtenir une indication précieuse de son sens en considérant l’origine du mot. (Les racines des mots rapprochées du sens généralement admis aujourd’hui fournissent souvent d’étonnantes voies pour parvenir à leur signification profonde). Le mot anglais méditation est basé sur la racine latine « Med » qui signifie « Mesurer ». Le sens actuel est réfléchir, peser (c’est-à-dire peser, mesurer, et prêter une grande attention à).

De façon similaire, le mot sanskrit dhyana est apparenté de façon très proche à dhyati signifiant réfléchir. De sorte que, de cette façon, méditer serait « réfléchir, peser », tout en prêtant une grande attention à ce qui se déroule en réalité pendant ce temps. C’est peut-être ce que Krishnamurti entend par le commencement de la méditation. C’est-à-dire prêter une grande attention à ce qui se passe en conjonction avec l’activité réelle de la pensée qui est la source sous-jacente du désordre général. On fait cela sans choix ni critique, sans accepter ou rejeter ce qui se passe. Et tout ceci s’accompagne de réflexion sur le sens de ce que l’on apprend, sur l’activité de la pensée. (Ce pourrait être comme lire un livre dont les pages ont été brouillées et être intensément conscient de ce désordre, plutôt que d’essayer uniquement de trouver un sens au contenu confus qui se présente quand on prend les pages comme le hasard les a placées).

Krishnamurti a observé que le fait même de méditer met de l’ordre dans l’activité de la pensée sans l’intervention de la volonté, du choix, de la décision ou d’aucune autre action de « celui qui pense ». Au moment où cet ordre s’établit, le bruit et le chaos qui sont le fond habituel de notre conscience s’éteignent et l’esprit devient généralement silencieux (la pensée ne sait que lorsqu’elle est nécessaire puis s’arrête jusqu’à ce qu’elle soit de nouveau nécessaire).

LE SILENCE EST CRÉATEUR

Dans ce silence, Krishnamurti dit que quelque chose de nouveau et de créateur se produit, quelque chose qui ne peut être traduit en mots, mais qui est d’une extraordinaire signification pour l’ensemble de notre vie. Aussi ne tente-t-il pas de communiquer ceci avec des mots, mais il demande plutôt à ceux que cela intéresse d’explorer le problème de la méditation directement pour eux-mêmes en prêtant une attention vraie à la nature de la pensée.

L’œuvre de Krishnamurti est empreinte de ce que l’on peut appeler l’essence d’une approche scientifique des problèmes, sous sa forme la plus haute et la plus pure. Ainsi, il part d’un fait, ce fait concernant la nature du processus pensée. Ce fait est établi par une très grande attention sous-entendant l’observation soigneuse du processus de la conscience. En ceci, on apprend constamment et de cela vient la connaissance de la nature générale du processus de la pensée. Cette connaissance est ensuite mise à l’épreuve. D’abord on voit si elle est cohérente, rationnelle. Puis on voit si elle mène à l’ordre et à la cohérence, et ce qui en découle dans la vie est considéré comme un tout.

Krishnamurti met constamment l’accent sur le fait qu’il n’est en aucune façon une autorité. Il a fait certaines découvertes et il fait simplement de son mieux pour rendre ses découvertes accessibles à tous ceux qui sont capables de l’écouter. Son œuvre ne contient pas de doctrine et n’offre pas non plus de technique ou de méthodes pour obtenir le silence de l’esprit. Il ne cherche pas à fonder un nouveau système de croyance religieuse. Il pense plutôt que c’est à chaque être humain de voir s’il peut découvrir par lui-même ce que Krishnamurti a indiqué et, à partir de là, faire de nouvelles découvertes pour son propre compte.

Il est clair qu’une introduction comme celle-ci peut, au mieux, montrer comment l’œuvre de Krishnamurti a été vue par une personne en particulier, par un scientifique tel que moi-même. Pour voir dans son ensemble ce que Krishnamurti veut dire, il est nécessaire, naturellement, de poursuivre et de lire ce qu’il dit lui-même avec cette qualité d’attention vis-à-vis de la totalité de nos réactions intérieures et extérieures dont nous venons de discuter.

David Bohm

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2 : Bohm interviewé par Evelyn Blau

Extrait du livre KRISHNAMURTI : 100 YEARS

Alors que l’intérêt et l’enthousiasme pour l’œuvre de Krishnamurti prenaient de l’ampleur en Angleterre, une nouvelle relation se forma, importante pour le physicien David Bohm comme pour Krishnamurti lui-même.

Bohm était un homme d’une grande intelligence, capable d’explorer des questions en profondeur, tout en conservant la prudence propre aux scientifiques. Pendant les années de guerre, il travailla sur la « dispersion des particules nucléaires » sous la supervision de J. Robert Oppenheimer. Il devient professeur assistant à l’université de Princeton en 1946, où il entama des discussions avec Einstein. Il quitta les États-Unis pour travailler au Brésil et en Israël, avant de s’installer à Londres comme professeur de physique théorique au Birkbeck College.

Les rencontres avec Krishnamurti devinrent légendaires et conférèrent un caractère d’urgence renouvelé au terme « dialogue » en tant que fondement de l’enseignement krishnamurtien. « Explorer ensemble, comme deux amis assis sous un arbre » ou « penser ensemble », telle est la manière dont ce processus a été décrit. Quelle que soit la façon dont on le caractérise, le dialogue est une approche à la fois ancienne et nouvelle pour examiner et questionner la condition humaine.

Evelyn Blau : Dr Bohm, pourriez-vous nous dire comment vous êtes entré en contact pour la première fois avec Krishnamurti ou son enseignement ?

David Bohm : Dans le cadre de mes travaux en physique, j’ai toujours été intéressé par les questions philosophiques générales liées à la physique et, plus généralement, par les questions universelles liées à l’ensemble de la constitution de la nature et de l’homme. L’un des points soulevés en physique, qui est quelque peu lié à ce que fait Krishnaji, est la théorie quantique, où l’on constate que l’énergie existe sous forme d’unités discrètes qui ne sont pas divisibles.

EB : Pourriez-vous préciser le terme « discret » dans ce contexte ?

DB : Selon un point de vue, la matière est continue, fluide, et selon un autre point de vue, elle est constituée d’atomes, qui sont discrets, mais il y a tellement d’atomes qu’elle semble être continue. Comme les grains d’un sablier, ils s’écoulent comme s’ils étaient de l’eau. Mais il est évident qu’ils sont constitués d’unités discrètes. La notion d’atomicité ou de discontinuité de la matière était déjà répandue depuis de nombreux siècles, mais au début du XXe siècle, on a découvert que l’énergie était elle aussi discrète. L’énergie se présente sous forme d’unités, bien qu’elles soient très petites ; nous ne les voyons donc pas facilement, et leur nombre est si important qu’elles semblent continues. Cela a des conséquences importantes, car cela signifie que les choses ne peuvent pas être séparées les unes des autres. Si deux éléments interagissent au moyen d’une énergie qui ne peut être divisée, ce lien est lui-même indivisible. Donc, fondamentalement, l’univers entier est indivisible, et en particulier, cela signifie que la chose observée et l’instrument qui l’observe ne peuvent pas être réellement séparés.

Nous avions déjà souligné le fait que l’observateur ne peut être séparé de l’observé. En fait, chaque fois que vous observez, la chose observée est modifiée parce que cette interaction ne peut être réduite en dessous d’un certain niveau. Il y a donc transformation de l’objet observé dans l’acte d’observation. J’avais déjà noté la similitude avec la conscience : si vous essayez d’observer votre pensée dans les moindres détails, toute la chaîne de pensée change. C’est clair. Il n’est donc pas possible de séparer l’observateur et l’observé dans la conscience. L’observateur modifie l’observé, et l’observé modifie l’observateur. Il y avait donc une qualité mystérieuse qui n’était pas vraiment comprise en physique.

EB : Cela faisait-il partie de vos observations, tant sur le plan scientifique que philosophique, lorsque vous êtes entré en contact avec Krishnamurti pour la première fois ?

DB : Oui, tout à fait, permettez-moi d’ajouter un autre point. Mon intérêt pour la physique… J’ai toujours eu tendance à dire que ce que j’explorais en physique devait se passer en moi. Je sentais qu’il y avait un parallèle entre ce qui est dans la conscience et ce qui est dans la matière en général, et je sentais que le mouvement était aussi une question essentielle : le mouvement que l’on voit à l’extérieur, nous le ressentons à l’intérieur. D’une manière générale, j’avais donc le sentiment que nous appréhendions directement la nature de la réalité dans notre propre être.

EB : Aviez-vous poursuivi cette démarche en contactant d’autres enseignants ou philosophes, ou s’agissait-il d’une question purement scientifique et de votre propre auto-observation ?

DB : À ce moment-là, c’était principalement ma propre réflexion. La question de l’observateur et de l’observé a évidemment été examinée dans le cadre de la mécanique quantique pour ce qui est de ses implications, en particulier par Nils Bohr, qui était en fait influencé par le philosophe William James. Il avait développé l’idée du courant de conscience, dans la lignée de ce que j’ai dit. Mais en fait, cette idée m’est venue indépendamment dès que j’ai lu sur la théorie quantique. Il y avait une analogie entre ce courant de conscience et le comportement de la matière. C’est à partir de là que j’ai commencé à m’intéresser à la science. J’essayais également de comprendre la nature universelle de la matière. Des questions comme la causalité, le temps et l’espace, la totalité, de toutes les saisir.

Si vous essayez d’observer votre pensée dans les moindres détails, c’est toute la chaîne de pensée qui change.

EB : Ce constat est-il partagé par d’autres scientifiques, existe-t-il des observations similaires ?

DB : Ceux qui sont enclins à ce genre de réflexion, oui, mais ce n’est pas le cas de la plupart d’entre eux. La majorité des scientifiques sont très pragmatiques et veulent surtout obtenir des résultats. Ils aimeraient élaborer une théorie qui permettrait de prédire la matière avec précision et de la contrôler, mais quelques-uns s’intéressent à cette question. C’est le cas d’Einstein. J’ai eu quelques discussions avec Einstein sur la théorie quantique lorsque j’étais à Princeton. La plupart des physiciens savent que la théorie quantique ne peut pas être comprise, ils la considèrent comme un outil de calcul permettant d’obtenir des résultats, et faire des prédictions. Ils disent que c’est tout ce qui compte vraiment et qu’une compréhension plus profonde serait intéressante, mais qu’elle n’est pas vraiment essentielle.

EB : C’est donc avec ce type d’intérêt en arrière-plan que vous en êtes venu à lire un livre de Krishnamurti ?

DB : Oui. Comme je l’ai dit, les scientifiques s’intéressent à la cosmologie et nombre d’entre eux tentent de comprendre la totalité du cosmos. Einstein en particulier voulait le comprendre comme un tout. En ce qui concerne Krishnamurti, ma femme et moi étions à Bristol, au Royaume-Uni. Nous avions l’habitude d’aller à la bibliothèque publique où je m’intéressais aux livres philosophiques, voire mystiques ou religieux, comme ceux d’Ouspensky et de Gurdjieff, car j’étais quelque peu insatisfait de ce que l’on pouvait faire dans la sphère ordinaire.

Avec ma femme Saral, nous sommes tombés sur La première et dernière liberté. Elle y a vu une phrase mentionnant l’observateur et l’observé, et a pensé que cela pouvait avoir un rapport avec la théorie quantique, et elle me l’a fait remarquer. Lorsque j’ai lu le livre, j’ai été très intéressé. J’ai eu l’impression qu’il était très important et qu’il avait un effet considérable sur moi, car les questions de l’observateur et de l’observé étaient ramenées au niveau psychologique de l’existence, et j’avais l’espoir que l’on puisse relier la physique et les questions psychologiques. J’ai également lu les Commentaires sur la vie. C’étaient les seuls autres livres de la bibliothèque. J’ai écrit à l’éditeur américain pour lui demander s’il était possible d’obtenir d’autres livres ou si Krishnamurti était dans le coin. Quelqu’un m’a envoyé une lettre me suggérant d’entrer en contact avec les gens en Angleterre. Je leur ai écrit et ils m’ont envoyé une liste de livres.

EB : Vous souvenez-vous de l’année ?

DB : C’était peut-être vers 1958 ou 1959. Puis, vers 1960, il est revenu en Angleterre et a donné des conférences. C’était peut-être en 1960. Dans ma lettre de commande de livres, j’ai demandé si Krishnamurti était déjà venu en Angleterre, et on m’a répondu qu’il allait venir et que peu de personnes allaient pouvoir l’écouter. J’y suis allé avec Saral et, pendant mon séjour, j’ai écrit une lettre demandant si je pouvais parler à Krishnamurti, puis j’ai reçu un appel téléphonique pour fixer un rendez-vous. Ils louaient une maison à Wimbledon et je l’ai attendu avec Saral. Il est entré et il y eut un long silence, puis nous avons commencé à discuter. Je lui ai parlé de mes idées en physique, qu’il n’a sans doute pas comprises en détail, mais il en a saisi l’esprit. J’ai utilisé des mots comme « totalité », et quand j’ai utilisé ce mot « totalité », il m’a saisi par le bras et m’a dit : « C’est ça, c’est ça ».

EB : Vous aviez lu des livres de Krishnamurti. Quelle a été votre première impression en le rencontrant ?

DB : Je n’ai pas l’habitude de me faire ce genre d’impression, je me contente d’aller de l’avant. Mais l’impression que j’ai eue, c’est que lorsque nous… vous voyez, nous sommes restés silencieux, ce qui n’était pas habituel, mais cela ne m’a pas semblé étrange sur le moment, et il n’y avait pas de tension. Puis nous avons commencé à parler. En parlant, j’ai eu le sentiment d’une communication étroite, instantanée, du type de celle que j’ai parfois en science avec des personnes qui sont vivement intéressées par la même chose. Il y avait chez lui une énergie intense, une ouverture, une clarté et un sentiment d’absence de tension. Je ne me souviens pas des détails, mais il ne comprenait pas grand-chose de ce que je disais, si ce n’est le sens général.

EB : Vous parliez à un niveau plus scientifique ?

DB : Je parlais des questions dont j’ai parlé plus tôt, comme la théorie quantique et la relativité, et je soulevais ensuite la question de savoir si la totalité peut être saisie. Je dois dire aussi que mes intérêts s’étaient tournés vers la compréhension de la pensée. Je me suis progressivement rendu compte qu’il était nécessaire de comprendre notre pensée. En abordant la philosophie, la causalité et d’autres questions de ce genre, il s’agissait de savoir comment nous pensions.

J’avais déjà été influencé par des personnes qui s’intéressaient au matérialisme dialectique et j’ai parlé à un homme qui avait lu beaucoup Hegel et qui a soulevé la question de la nature même de notre pensée. Non seulement ce à quoi nous pensons, mais aussi la structure du fonctionnement de notre pensée, et le fait qu’elle fonctionne à travers les oppositions. Notre pensée unit inévitablement les deux caractéristiques opposées de la nécessité et de la contingence. Un autre homme que j’ai rencontré m’a dit que je devais prêter attention à ma pensée, à la façon dont elle fonctionne réellement. J’étais donc devenu très intéressé par la façon dont la pensée procède, considérant la pensée comme un processus en soi, non pas son contenu, mais sa nature et sa structure réelles.

EB : Vous avez donc trouvé des similitudes entre ce que disait Krishnamurti et quelqu’un comme Hegel.

DB : Il y a des similitudes, oui. J’ai trouvé une relation, et c’est la raison pour laquelle j’ai été fasciné par Krishnamurti. Il allait très loin dans la pensée, beaucoup plus loin que Hegel, dans le sens où il allait aussi dans le ressenti et dans la vie entière. Il ne s’arrêtait pas à la pensée abstraite.

Je m’étais beaucoup intéressé à la manière dont la pensée procède, considérant la pensée comme un processus en soi, non pas son contenu, mais sa nature et sa structure réelles.

EB : Pendant plusieurs années, vous vous êtes donc profondément familiarisé avec la pensée de Krishnamurti. Au cours de cette période, comment avez-vous envisagé la source de l’enseignement de Krishnamurti ?

DB : Je n’ai pas soulevé la question pendant un certain temps. Ce qui s’est passé, c’est que nous avons commencé à nous rencontrer chaque fois qu’il venait à Londres et à avoir une ou deux discussions. La première année, j’ai voulu discuter avec lui de la question de l’universel et du particulier, et nous avons soulevé la question suivante : « L’esprit est-il universel ? » Nous avons eu une bonne discussion à ce sujet. Lorsque nous nous sommes quittés, j’ai eu le sentiment que l’état d’esprit avait changé, je pouvais voir qu’il n’y avait pas d’émotion, mais de la clarté.

EB : Quand vous dites que l’état d’esprit avait changé, parlez-vous du vôtre ou des deux ?

DB : Je ne sais pas, je suppose qu’il était dans la même situation puisque nous étions en étroite communication. J’ai dit que je n’avais aucune émotion, et il a répondu : « Oui, c’est vrai », ce qui m’a surpris, parce que j’avais pensé auparavant que tout ce qui était intense devait forcément impliquer une forte émotion. Ensuite, quand je suis sorti, j’ai eu l’impression qu’il y avait une présence dans le ciel, mais en général, je ne pense pas à ce genre de choses et je me dis que c’est mon imagination.

EB : Était-ce une sensation physique ?

DB : Oui.

EB : Vous pouviez réellement voir quelques…

DB : Sentir. Ne pas voir quelque chose, mais sentir quelque chose, quelque chose d’universel.

EB : Aviez-vous déjà ressenti quelque chose de cette nature auparavant ?

DB : J’en ai eu l’intuition, mais je n’en ai pas parlé à mes parents ou à qui que ce soit, car ils m’auraient dit : « Tu imagines tout ça ».

EB : Avez-vous eu l’impression qu’il y avait un lien entre l’intensité de votre discussion et ce qui se passait ?

DB : Oui, j’ai probablement senti qu’ils étaient liés. En fait, j’aurais pu l’expliquer en disant que je projetais l’universalité dans le ciel, comme j’aurais pu le faire quand j’étais enfant.

EB : Quand avez-vous revu Krishnamurti ?

DB : Je ne le voyais pas souvent, mais nous avions des discussions chaque année à Londres lorsqu’il venait en juin et aussi lorsque j’allais à Saanen. Nous avons commencé à avoir des discussions au cours desquelles, au moins pendant un certain temps, je pouvais sentir un changement de conscience, mais lorsque je rentrais en Angleterre, cela se dissipait. Lorsque vous revenez à la vie ordinaire.

EB : Quelles sont, selon vous, les caractéristiques ou qualités importantes de son enseignement qui le différencient des autres ?

DB : Tout d’abord, la préoccupation totale pour toutes les phases de la vie et de la conscience, et ensuite la question de quelque chose au-delà de la conscience, qui a commencé à émerger dans nos discussions à Saanen.

EB : Krishnamurti a-t-il jamais décrit une influence particulière sur son enseignement ? Il disait qu’il ne lit pas de livres de nature religieuse ou philosophique, mais dans ses premières années, il est possible qu’il ait été en contact avec cela.

DB : Il ne me l’a pas décrit, mais j’ai entendu des gens dire qu’il avait lu Le nuage de l’inconnaissance, qui l’avait influencé, et probablement d’autres livres. J’ai l’impression qu’il devait aussi être familier avec l’enseignement théosophique. Les autres choses qu’il avait lues ou entendues ont pu l’éveiller dans une certaine mesure.

EB : Avez-vous jamais eu l’impression qu’il vous détournait de vos intérêts scientifiques ?

DB : Non, car j’ai continué à poursuivre mes intérêts scientifiques. À l’époque, je voulais comprendre scientifiquement toute cette question de l’observateur et de l’observé, ainsi que la question d’aborder l’univers en tant que totalité. Cela ne m’a donc pas vraiment éloigné du travail scientifique. Je me suis de plus en plus intéressé à la question de la nature de la pensée, qui est cruciale dans tout, y compris dans la science, puisque c’est le seul instrument dont on dispose.

Lorsque j’étais à Londres avec Krishnaji, j’ai discuté de ce qu’il fallait faire en matière de recherche scientifique, et je me souviens qu’il m’a dit : « Commencez par l’inconnu. Essayez de commencer par l’inconnu ». J’ai pu constater que la question de se libérer du connu était la question cruciale en science, comme en toute chose. Par exemple, les découvertes scientifiques. Vous avez peut-être entendu parler d’Archimède et de ses découvertes. On lui a posé le problème de mesurer le volume d’une couronne de taille irrégulière afin de déterminer si elle était en or ou non en la pesant, et elle était trop irrégulière pour être mesurée, ce qui l’a laissé très perplexe, et soudain, alors qu’il prenait son bain, il remarqua que l’eau était déplacée par son corps. Il réalisa alors que, quelle que soit la forme de l’objet, l’eau déplacée était toujours égale à son volume. Il pouvait donc mesurer le volume de la couronne. Il est sorti en criant « Eurêka ». Maintenant, réfléchissez à la nature de ce qui s’est passé. L’obstacle fondamental à la vision était que les gens pensaient aux choses dans des compartiments différents, l’un étant la mesure du volume, et l’autre, l’eau déplacée n’ayant rien à voir avec cela. Pour permettre de les relier, l’esprit devait dissoudre ces compartiments rigides. Une fois le lien établi, n’importe qui utilisant un raisonnement ordinaire aurait pu faire le reste, n’importe quel écolier d’une intelligence raisonnable. La même chose s’est produite avec Newton.

De toute évidence, Archimède, Newton et Einstein étaient dans des états d’énergie intense lorsqu’ils travaillaient, et ce qui se passe, c’est que le moment de l’insight est la dissolution d’une barrière dans la pensée. C’est un insight de la nature de la pensée, et non du problème. Tous les insights sont les mêmes. C’est toujours un insight sur la nature de la pensée. Ce n’est pas son contenu, mais sa nature physique réelle qui crée la barrière. Et c’est ce que Krishnamurti voulait dire, je pense que l’insight transforme toute la structure de la pensée et modifie la conscience.

Pour les scientifiques, cela peut se produire pendant un moment, puis ils s’occupent du résultat et de son élaboration, mais Krishnamurti met l’accent sur l’insight en tant que l’essence de la vie elle-même. Sans arriver à une conclusion. Ne vous préoccupez pas trop des résultats, aussi importants soient-ils. L’insight, un insight original, est continuellement nécessaire. Cet insight dissout continuellement les compartiments rigides de la pensée. Et c’est là la transformation de la conscience. Notre conscience est aujourd’hui rigide et fragile parce qu’elle est maintenue dans des schémas de pensée figés en raison de notre conditionnement, et nous nous attachons à ces pensées, car elles nous procurent un sentiment de sécurité.

Krishnamurti met l’accent sur l’insight en tant que l’essence de la vie elle-même.

EB : Krishnamurti semble toujours capable de faire la distinction entre l’utilisation de la pensée comme outil et sa mise de côté lorsque l’outil n’est plus nécessaire pour une raison spécifique. Le fait de la mettre de côté laisse de l’espace pour des explorations plus approfondies.

DB : Oui, on pouvait sentir que cet espace était présent dans nos discussions.

EB : Quels seraient, selon vous, les traits les plus caractéristiques de l’enseignement de Krishnamurti ?

DB : Je pense qu’il y a plusieurs éléments que l’on pourrait qualifier de caractéristiques. L’accent mis sur la pensée comme source de nos problèmes. Krishnamurti dit que la pensée est un processus matériel. Il l’a toujours dit. La plupart des gens ont tendance à la considérer autrement, et je ne vois nulle part l’accent mis sur ce point. Il est très important de voir que la pensée est un processus matériel, en d’autres termes, la pensée peut être observée comme n’importe quelle matière peut l’être. Lorsque nous observons intérieurement, nous observons non pas le contenu de la pensée, non pas l’idée, non pas le sentiment, mais le processus matériel lui-même. Si quelque chose ne va pas dans la pensée, c’est parce que des choses erronées ont été enregistrées dans la mémoire, qui vous contrôle ensuite, et la mémoire doit être modifiée physiquement. Avec une cassette, vous pourriez effacer la mémoire avec un aimant, mais vous effaceriez les souvenirs nécessaires en même temps que les souvenirs inutiles.

EB : Krishnamurti semble indiquer qu’une certaine tabula rasa peut être atteinte par une perception claire.

DB : C’est exact, mais cela se produit nécessairement de manière intelligente, de sorte que vous n’effacez pas les souvenirs nécessaires, mais vous effacez les souvenirs qui donnent lieu de l’importance au moi. Il dit qu’il existe une énergie au-delà de la matière, qui est la vérité, et que la vérité agit avec la force de la nécessité. Elle agit sur la base matérielle de la pensée et de la conscience et la transforme en une forme ordonnée. Ainsi, la pensée cesse de créer le désordre. La pensée ne travaille alors que là où elle est nécessaire et laisse l’esprit vide pour quelque chose de plus profond.

EB : Les gens soulèvent souvent le fait qu’ils n’ont pas assez d’énergie pour poursuivre cette recherche dans leur vie quotidienne. Que répondriez-vous à cela ?

DB : C’est probablement que l’on ne comprend pas la nature de l’énergie. Faisons le lien avec une autre objection que les gens soulèvent. Ils perçoivent cela à certains moments, mais ensuite ça disparaît.

EB : C’est une plainte fréquente.

DB : Il faut voir ce qui est essentiel et universel, et cela transformera l’esprit. L’universel appartient à tout le monde et englobe tout, sous toutes les formes possibles. C’est la conscience générale de l’humanité. Nous en venons maintenant à l’énergie. Tout ce processus de l’ego gaspille continuellement de l’énergie, vous épuise et vous embrouille.

EB : En d’autres termes, la perception que l’individu a de lui-même en tant qu’être séparé est un gaspillage d’énergie.

La pensée peut être observée comme n’importe quelle matière.

DB : Oui, parce que si vous vous considérez comme un être particulier, v vous chercherez continuellement à vous protéger. Votre énergie sera alors dissipée.

EB : Vous disiez tout à l’heure que la pensée étant un processus matériel, il est nécessaire d’observer le processus de la pensée plutôt que son contenu. Comment le faire ? Comment opérer ce changement et observer ce processus matériel alors qu’il semble que la conscience ne perçoive que son contenu ?

DB : Avant d’aborder ce point, une autre différence importante chez Krishnamurti est l’accent qu’il met sur la vie réelle, sur le fait d’être conscient de tout, et aussi son refus d’accepter l’autorité, ce qui est vraiment extrêmement important. Certains bouddhistes disent que Krishnamurti dit à peu près la même chose que le bouddhisme, mais il répond « pourquoi commencer par le Bouddha, pourquoi ne pas commencer par ce qui est ici et maintenant ? » C’est un point très important, il refusait de prendre au sérieux la comparaison avec ce que d’autres avaient dit.

Revenons à ce que vous disiez à propos de l’observation du processus matériel. Il faut voir ce que l’on peut observer de la pensée en dehors des images, des sentiments et de sa signification. Tout ce que vous pensez apparaît dans la conscience comme un spectacle. C’est ainsi que la pensée fonctionne pour montrer son contenu, comme un spectacle d’imagination. Par conséquent, si vous pensez que l’observateur est séparé de l’observé, cela apparaîtra dans la conscience comme deux entités différentes. Le fait est que les mots sembleront provenir de l’observateur qui sait, qui voit, et donc qu’ils sont la vérité, qu’ils sont sa description. C’est là l’illusion. C’est exactement la même chose pour un magicien. Le travail de chaque magicien consiste à détourner votre attention afin que vous ne voyiez pas comment les choses sont reliées entre elles. Soudain, quelque chose apparaît de nulle part, mais vous ne voyez pas comment cela dépend de ses actions.

EB : Il vous manque ce lien invisible.

DB : En manquant le lien, vous changez complètement le sens.

EB : Ce qui semble être de la magie, c’est en fait de ne pas se rendre compte de la connexion de tous ces liens.

DB : Oui, et ce genre de magie a lieu dans la conscience, l’observateur et l’observé voient les choses apparaître et l’observateur semble ne pas être lié à l’observé. C’est pourquoi les choses apparaissent comme si elles venaient de rien. Et si cela venait de rien, ce serait la vérité. Quelque chose qui apparaît soudainement dans la conscience à partir de rien est considéré comme réel et vrai. Si vous voyez le lien avec la pensée, alors vous verrez que ce n’est pas si profond que cela.

Il existe une énergie au-delà de la matière, qui est la vérité, et cette vérité agit avec la force de la nécessité.

EB : Vous dites donc que la pensée est plus superficielle que nous ne le croyons.

DB : Oui, en fait, elle est extrêmement superficielle. La plupart de notre conscience est très, très superficielle.

EB : Et ce que nous considérons comme nos intuitions les plus profondes sont en fait des observations plutôt superficielles.

DB : Oui, ou même pas du tout des observations. Beaucoup d’entre elles ne sont que des illusions, une grande partie de ce que nous pensons de nous-mêmes n’est qu’une illusion. L’analogie qui est souvent faite dans la littérature indienne est celle d’une corde que vous prenez pour un serpent, votre cœur bat plus vite, votre esprit est confus, et à la minute où vous voyez que ce n’est pas un serpent, tout change. La simple perception suffit à changer l’état d’esprit. De la même manière, la perception que l’observateur et l’observé ne sont pas indépendants, signifie que les choses que l’observateur pense ne sont plus considérées comme des vérités. Elles perdent ce pouvoir.

Maintenant, si vous voyez l’ensemble… vous pourriez dire que toute l’énergie du cerveau est activée et dirigée par le spectacle que la pensée fait de son contenu, c’est comme une carte. Il y a un spectacle dans lequel tout ce contenu est considéré comme vrai, comme nécessaire. Le cerveau tout entier va alors s’organiser autour de ce spectacle. Et, tout va être arrangé pour améliorer le spectacle. Mais dès que vous voyez que ce n’est qu’un spectacle, tout s’arrête. Le cerveau se calme et se trouve dans un autre état. Il n’est plus piégé et peut donc faire quelque chose d’entièrement différent. Mais pour cela, il faut non seulement le dire, mais aussi le voir de la manière que nous avons suggérée.

J’ai pensé à un autre cas qui illustre le pouvoir de la perception. C’est le cas d’Helen Keller — vous avez peut-être entendu parler d’elle, elle était aveugle, sourde et muette. Lorsqu’elle ne pouvait pas communiquer, elle était un peu comme un animal sauvage. Ils ont trouvé une enseignante, Ann Sullivan, qui a joué à un jeu consistant à mettre la main de l’enfant en contact avec quelque chose, qui était son seul sens, et à tracer le mot sur sa main. Au début, ce n’était manifestement qu’un jeu — elle ne comprenait pas ce qui se passait. Puis Helen Keller se souvient qu’un matin, elle a été exposée à de l’eau dans un verre et le nom a été tracé, et l’après-midi à de l’eau dans une pompe, et le nom a été tracé, et soudain elle a eu un insight, un insight bouleversant : tout a un nom. Si l’eau était la même chose sous toutes ses formes, ce nom unique, l’eau, pouvait être communiqué à l’autre personne qui utilisait le même nom. À partir de là, elle commença à utiliser le langage et, en quelques jours, elle a appris de nombreux mots. En quelques jours, elle faisait des phrases et toute sa vie s’est transformée. Elle n’était plus cette personne violente et sauvage, elle était tout à fait différente.

Vous voyez donc que cette perception a tout transformé. Une fois qu’elle a eu cette perception, il n’y avait pas de retour en arrière. Ce n’était pas une perception passagère, puis oubliée et qu’il lui fallait avoir à nouveau. Je pense que Krishnamurti insinuait que voir que l’observateur est l’observé serait une perception qui irait bien au-delà de ce qu’elle avait. Cela aurait un effet bien plus révolutionnaire.

EB : Vous estimez donc que le concept de l’observateur et de l’observé est un concept clé dans les enseignements de Krishnamurti.

DB : Oui, en fait ils sont identiques.

EB : Je me demande si vous pourriez récapituler certains des autres facteurs clés de son enseignement.

DB : La question du temps, le temps psychologique étant simplement produit par la pensée. Le temps est la même chose que l’observateur et l’observé. La fin de l’observateur et de l’observé est identique à la fin du temps psychologique et donc un état intemporel apparaît.

EB : Et avec la perception de l’observateur et l’observé ne font qu’un, tous les phénomènes de souffrance, toutes les difficultés humaines que nous traversons prennent fin.

DB : C’est exact, parce qu’elles ont toutes pour origine l’ignorance de la véritable nature de cette question. C’est alors que l’accent est mis sur la compassion. La passion pour tous, pas seulement la passion pour ceux qui souffrent. Cela fait partie d’une passion qui va au-delà de la souffrance.

EB : L’autorité est certainement un autre facteur important dans son enseignement.

L’observateur et l’observé ne sont pas indépendants.

DB : Oui, vous comprenez maintenant pourquoi l’autorité est si importante. L’un des points à ajouter est l’énorme pouvoir qu’a l’esprit de se tromper lui-même, ce que Krishnamurti reconnaissait. L’autorité est l’une des principales formes d’auto-illusion. Il existe une autorité dans l’esprit, mais pas dans d’autres domaines, qui ne sont pas nécessairement de l’auto-illusion. Si quelqu’un se présente comme une autorité en matière de vérité, le danger est que vous commenciez à douter de certaines choses, mais que vous acceptiez maintenant ce qu’il dit pour vrai. Parce que vous voulez qu’il en soit ainsi.

En fait, la vérité doit être pour moi ce que je veux qu’elle soit. Je me sens mal à l’aise, effrayé, inquiet, et ainsi de suite, et l’autorité religieuse intervient et dit que Dieu prendra soin de vous tant que vous êtes bon et que vous croyez, et ainsi de suite. C’est pourquoi je veux croire et je dis que c’est la vérité. J’étais sur le point de remettre tout cela en question et voilà qu’arrive l’autorité qui m’épargne cette nécessité.

Il faut se demander pourquoi on accepte l’autorité. L’autorité ne vous donne aucune preuve, alors pourquoi l’acceptez-vous ? Parce que vous le voulez, vous en avez besoin. J’ai besoin de réconfort, de consolation et de sécurité. Et voici qu’arrive ce personnage impressionnant, très beau, peut-être vêtu d’une certaine manière, avec certaines cérémonies, une musique très agréable, des pensées consolatrices et de bonnes manières, et qui dit : « Tout va bien, tout va s’arranger. Il suffit d’y croire ».

EB : L’une des principales caractéristiques de l’autorité est qu’elle possède un grand pouvoir et que ce pouvoir se manifeste, comme vous l’avez dit, par des rituels et des cérémonies. Tout comme un pouvoir mondain, un roi, se montrerait à travers ses atours, sa couronne, etc.

DB : C’est exact. Mais vous voyez, c’est un spectacle vide. Le fait est que l’autorité construit un spectacle vide de pouvoir autour d’elle-même. Un étalage, comme vous l’avez dit. Il n’y a rien derrière, si ce n’est notre conviction qu’elle existe.

EB : Avez-vous pu observer dans les écrits de Krishnamurti un point de rupture où son enseignement a dévié ou pris une direction complètement différente ?

DB : Non, je ne vois aucun changement fondamental.

EB : Même lorsqu’il était jeune, cet enseignement était implicite dans tout ce qu’il disait.

DB : Oui, oui.

EB : Et il n’a jamais appris à partir d’autres modèles ?

DB : Non. Je pense que cela provient d’une source au-delà du cerveau qui est, en principe, ouverte à tous.

Extrait du livre KRISHNAMURTI : 100 YEARS

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3 : David Bohm et Krishnamurti par Mary cadogan et Mary Lutyens

1 : Mary Cadogan

Tout au long de sa vie d’exploration profonde, David Bohm s’est associé à de nombreuses personnes éminentes issues de milieux très différents. Sa relation avec Krishnamurti, qui s’est étendue sur plus de deux décennies, a été décrite par David Peat comme « la rencontre la plus significative de la vie de Bohm ». Beaucoup y ont vu, pour le dire crûment, l’association d’un homme de Dieu et d’un homme de science. Il s’agissait certainement d’une amitié inspirante entre un grand maître spirituel et un physicien de premier plan. C’était une exploration mutuelle qui les a conduits tous deux aux confins du connu et qui, heureusement, nous a donné des explications verbales de ce qui ne peut généralement pas être exprimé par des mots.

Dans les archives de la Fondation Krishnamurti à Brockwood Park, il y a plus de 100 enregistrements (certains audio et d’autres vidéo) de dialogues et conversations entre Krishnamurti et Bohm (parfois avec d’autres personnes). Certains de ces enregistrements ont été publiés sous forme de livres, notamment Le temps aboli, The Future of Humanity et Les Limites de la pensée. Je reviendrai plus tard sur la façon dont chacun a influencé le langage et les découvertes de l’autre, mais j’aimerais d’abord mentionner quelques éléments tirés de ma propre relation avec Krishnamurti et avec Dave et Saral Bohm.

Je connaissais Krishnamurti (Krishnaji) depuis le début des années 1950 et j’ai travaillé pour ses organisations à partir de 1957. L’arrivée de Dave dans ce que nous pourrions appeler le monde de Krishnamurti, au début des années 1960, a été un événement joyeux. Sa soif de vérité et son accessibilité amicale à tous étaient très remarquées et appréciées. Mon mari Alex et moi-même avons rapidement compté Dave et Saral parmi nos amis proches et, malgré le sérieux et la timidité de Dave, il était facile de le côtoyer. Nous avons partagé beaucoup de rires ainsi que des explorations profondes sur ce qui se trouve au-delà de la pensée.

Dans les dialogues avec Bohm, Krishnamurti a trouvé des moyens d’expression différents et plus précis.

Dave a toujours fait preuve d’une grande chaleur et d’une grande générosité d’esprit. À titre d’exemple, je citerai ma petite fille, Teresa, qui, à l’époque, avait des difficultés en mathématiques. Mon mari était souvent sollicité pour l’aider à faire ses devoirs de mathématiques, mais je me suis soudain rendu compte que, depuis une semaine ou deux, il ne le faisait pas. Lorsque je lui ai demandé pourquoi elle ne consultait pas Alex, elle m’a répondu très joyeusement : « Oh, je n’ai pas besoin de déranger papa. J’ai téléphoné à David Bohm et il m’a aidée. Il est vraiment bon en maths, tu sais ! » Je pense qu’il s’agit là d’un bel exemple de la gentillesse, de l’accessibilité et de la patience de Dave. Rien n’était trop compliqué pour lui, même expliquer les mystères de l’algèbre et de la géométrie pour un enfant de 8 ans.

En 1961, la lecture de La première et dernière liberté de Krishnamurti avait ouvert à Dave une porte sur ce qui se trouve au-delà de la pensée. Dave déclarait que ce qui l’avait particulièrement incité à rencontrer Krishnaji était la profonde compréhension de K de la question de l’observateur et de l’observé, un sujet qui avait été pendant un certain temps proche du centre de son propre travail en tant que physicien théorique. Il avait senti que pour aller plus loin en science, il avait besoin non seulement d’un nouveau langage, mais aussi de nouvelles mathématiques et d’un ordre entièrement nouveau en physique. Le contact avec Krishnaji lui a donné un nouveau langage qui a permis d’élargir et d’approfondir son travail.

Lors des grandes conférences publiques de Krishnamurti, des questions étaient posées, mais la plupart des auditeurs semblaient incapables de poser ce que Krishnaji considérait comme « les bonnes questions », de sorte que l’élément de discussion ou de dialogue était souvent décevant. Bien entendu, Krishnaji ne permettait aucun compromis ni aucun repli sur des échappatoires, des clichés et des réponses à sa convenance. Dans les années 60, il semblait que personne en Occident, et très peu en Orient, ne pouvait entamer et maintenir un dialogue avec Krishnamurti. Dave le fit, à de nombreuses reprises et pendant plusieurs années, et Krishnamurti apprécia leurs rencontres et leurs discussions. Certaines se sont déroulées en privé, d’autres en présence d’un public.

La méditation de Krishnamurti avait « atteint la source de toute énergie ».

L’impact de David Bohm et de Krishnaji l’un sur l’autre a été fort, en particulier sur le langage utilisé par chacun. Dave estimait que le contact avec Krishnaji lui avait donné un nouveau langage, et il ne fait aucun doute que dans les dialogues avec Dave, Krishnaji a lui aussi trouvé des moyens d’expression différents et plus précis, en particulier dans des domaines où les définitions sont habituellement très difficiles, certains diraient même impossibles. Dans leurs dialogues, Krishnamurti transmettait une conscience directe de ce qu’il appelait le fondement universel (la source de toute énergie au-delà de la pensée). Dave n’a pas seulement poussé Krishnamurti à clarifier ses enseignements, mais il a parfois été capable, comme le dit David Peat, « d’entrer et de rester dans ce qui ne peut être formulé en mots ».

En particulier, la série de dialogues qu’ils ont eus en 1980, publiée en 1984 sous le titre Le temps aboli, explore les implications du voyage intérieur vers la source de la création. Ces dialogues ont eu lieu peu après que la méditation de Krishnaji eut, selon ses propres termes, « atteint la source de toute énergie » et qu’il eut la perception qu’il n’y avait rien au-delà : c’était « l’ultime, le commencement et la fin, l’absolu ». Dans les dialogues entre Krishnaji et Dave, il est fait référence au « fondement ». De nombreuses personnes à travers le monde, à l’époque et depuis, ont trouvé cette exploration extrêmement significative.

Extrait d’un discours prononcé à Londres, en 2009, lors de la conférence « Infinite Potential : The Legacy of David Bohm ».

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2 : Mary Lutyens

C’est à la suite de ces conversations avec David Bohm, qui se sont échelonnées sur une dizaine d’années, que K en est venu à parler toujours davantage de la cessation de la pensée. Ces discussions l’ont passionné et grandement stimulé, car il lui semble qu’il s’est établi un pont entre l’esprit scientifique et l’esprit religieux. C’est, dans son enseignement, une approche nouvelle, plus intellectuelle qu’intuitive ; en tant que telle, elle présente un attrait certain pour nombre de personnes qui étudient K depuis des années, et pour celles qui viennent de le découvrir.

Il y a, chez Bohm, tout un jeu sémantique, lorsqu’il évoque, dans ces dialogues, l’étymologie des mots employés. Ainsi, « communiquer » procède d’une racine latine : « commun » dont le sens est le même que celui du mot « commun » en français. Il s’y ajoute le suffixe « ic » et celui-ci est proche de « fie », dont le sens est « faire ». Le mot entier signifie donc « faire qu’une chose soit commune ». Sans doute ce fait est-il intéressant en lui-même, mais on ne voit pas en quoi il nous aiderait à transmettre ou a recevoir une communication, pas plus, d’ailleurs, que la connaissance de l’origine du mot « intelligence » ne permet de devenir intelligent. Depuis que K s’entretient avec le Professeur Bohm, il a changé le sens de l’un des mots qu’il emploie, mais comme il ne le fait pas de façon suivie, cela peut prêter à confusion. Il s’agit de « réalité ». À titre d’exemple, voici ce que dit K, dans une de ses causeries de Saanen, en 1971 :

Si vraiment l’on veut découvrir ce qui se rapporte à Dieu, ce qu’est Dieu, s’il y a une telle chose que l’on ne peut nommer… si tel est l’intérêt majeur de votre vie, cet intérêt même établira l’ordre. Cela implique que, pour découvrir cette Réalité, l’on doit vivre différemment, d’une façon profondément différente. Il doit y avoir de l’austérité sans rudesse, il doit y avoir un immense amour. Et l’amour ne peut exister s’il y a de la crainte ou si l’esprit poursuit le plaisir. Ainsi, pour trouver cette Réalité, il faut se comprendre soi-même, la structure et la nature de notre « moi ».

Mais aujourd’hui, par suite de ses discussions avec David Bohm, le mot « réalité » est devenu pour K l’antithèse de l’inconnu, de Dieu, de « ce qui ne peut être nommé », au lieu d’en être, comme précédemment, le synonyme. Actuellement, K s’exprime ainsi : « Toute chose qui peut faire l’objet d’une pensée, que celle-ci soit ou non raisonnable, est une réalité… Je dis que la réalité n’a rien à voir avec la vérité ». La réalité, c’est la chaise sur laquelle nous sommes assis, le stylo que nous avons dans la main, les vêtements que nous portons et la douleur que nous ressentons, aussi bien qu’une « partie du mental conditionné ». Bohm explique que « réalité » vient du latin « res » qui signifie « chose », ou « fait ». C’est bien le sens exact de ce mot. Lorsque les enfants demandent « si c’est réel », ils veulent dire « est-ce que cela peut m’arriver à moi ? » — mais K, pendant de nombreuses années, s’est servi de ce terme dans son autre sens, et il lui arrive encore de retomber dans ses anciennes habitudes, de dire « réalité » pour signifier l’ultime vérité.

Dans quelle mesure ce discours sémantique et intellectuel peut-il servir à réaliser l’objectif de l’enseignement de K, qui est d’amener le psychisme humain à une transformation complète ? Sans doute est-ce une question de tempérament. Il faut avoir la tournure d’esprit qui permette d’y trouver un motif d’éveil et d’intérêt plus vifs, et ceux que n’inspire nullement la forme de mysticisme poétique de K pourront être attirés par ce genre d’approche. D’autres, cependant, trouveront sans doute que leur réceptivité se trouve davantage stimulée par la lecture, en guise de prélude à son enseignement, de simples descriptions de la nature comme celle-ci :

Le soleil du soir éclairait l’herbe nouvelle et chaque brin d’herbe était un abîme de splendeur. Les feuilles printanières se balançaient au-dessus de la tête, si délicates qu’on les sentait à peine quand on les touchait… C’était une soirée merveilleuse, remplie de cette étrange splendeur qui est au cœur même du printemps. On se tenait là, sans une pensée, mais vivant de la vie de chaque arbre, de chaque brin d’herbe, et entendant au passage l’autobus plein de monde.

Parmi bien d’autres traits remarquables de K, se trouve la facilité avec laquelle il s’entretient aussi bien avec un Swami qu’un savant occidental, un industriel milliardaire ou un Premier ministre. Il a parlé de méditation avec le Dalaï-Lama et c’est sans appréhension qu’il aborderait la rencontre des grands philosophes du monde. Pourtant, c’est sans conteste un homme timide et d’une excessive modestie. Il évite les conversations ordinaires, a très peu lu (et oublié la plupart de ses lectures) et n’a aucune prétention intellectuelle. Je crois que l’explication de cette anomalie est qu’il perçoit une certaine réalité aussi clairement qu’il voit sa propre main. Aucun argument contraire ne peut troubler celui qui possède une vision aussi nette. Tandis que d’autres ergotent et discutent de la théorie de X, ce que K tient devant lui comme une pomme, c’est X dans sa réalité même.

Extrait du livre de Mary Lutyens Les années d’accomplissement

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En 1980, David Bohm, accompagné de son épouse, vint séjourner à Ojai, inaugurant avec K une série d’entretiens. David Bohm était professeur de physique théorique au Birbeck College de l’Université de Londres. Ami d’Einstein, il avait écrit plusieurs ouvrages sur la théorie des quanta et la relativité. Son dernier livre allait être publié dans le courant de l’été 1980, suscitant l’approbation d’un large secteur de l’opinion scientifique. Il s’agissait de La Plénitude de l’Univers dont les théories révolutionnaires s’accordent avec l’idée de la plénitude et de l’unicité de la vie telle qu’on la trouve dans l’enseignement de K.

Depuis 1961, le Professeur Bohm avait suivi presque toutes les conférences de K en Europe comme en Californie et ils avaient eu, déjà, de nombreux entretiens. À Ojai, en avril, il y eut entre eux huit dialogues. Cinq autres s’y ajoutèrent à Brockwood Park, en juin. Le tout forme un ensemble qui parut sous le titre Le Temps aboli. De tous les ouvrages de K, ce fut celui qui remporta le plus vif succès.

Pour certains, ce livre se lit comme un roman policier, d’autres le trouvent plus ardu. Les conversations sont pleines de questions et de réponses très brèves et ne se prêtent donc pas à la citation. On y parle de la cessation de la pensée et du temps — le temps psychologique et la pensée appartenant l’un comme l’autre au passé. Ce que nous avons appris, ce que nous sommes, le contenu de notre conscience et cet encombrement du cerveau, cette accumulation de traces laissées par le passé font qu’il n’y a pas de place pour la vision intérieure. Tout est perçu au travers d’un brouillard de pensée, nécessairement limité par l’ego. Si l’on veut que la nouveauté paraisse, il faut que le passé, en tant que pensée, en tant que mémoire, s’efface.

Cette évacuation du passé, dit K, c’est-à-dire de la colère, de la jalousie, des croyances, des dogmes, des attachements, etc., est indispensable. Si tout cela n’est pas évacué, s’il en persiste la moindre trace, c’est la voie ouverte à l’illusion, inéluctablement. Le cerveau ou l’esprit doit être totalement exempt de toute illusion, que celle-ci soit l’effet du désir, du besoin de sécurité. Le Temps peut-il réellement prendre fin ? — toute cette conception du temps comme passé — chronologiquement, de sorte qu’il n’existe plus du tout de lendemain ? Avoir le sentiment, la certitude psychologique réelle qu’il n’y a pas de lendemain. J’estime que c’est le mode de vie le plus salubre — ce qui ne veut pas dire que je devienne irresponsable ! Ce serait par trop puéril.

Approfondissant la question, K et David Bohm nous parlent de ce qui constitue le fondement de l’être, de ce qui est au commencement et à la fin de toute chose, de la nécessité pour l’humanité d’entrer en contact avec ce fondement, afin que la vie retrouve son véritable sens.

Le cerveau s’use dans cette obscurité qu’il a lui-même créée et c’est de là que naissent les conflits. Le cerveau peut-il se renouveler ? Peut-on empêcher la détérioration des cellules cérébrales, la sénilité ? K suggère que grâce à la vision intérieure directe, les neurones sont susceptibles de changer, de subir une transformation physique. Ils agissent alors de façon ordonnée et le cerveau ne tarde pas à se guérir du mal que des années de mauvais fonctionnement y avaient introduit.

Dans l’avant-propos d’un opuscule contenant deux dialogues qu’il eut avec K, David Bohm nous apporte quelques précisions à ce sujet :

Il n’est pas inutile de souligner que les recherches actuelles concernant le cerveau et le système nerveux appuient considérablement l’affirmation de Krishnamurti selon laquelle une vision intérieure directe serait capable de transformer les cellules cérébrales. Par exemple, nous savons aujourd’hui que le corps produit des substances importantes, les hormones et les neurotransmetteurs, dont l’effet sur l’ensemble du cerveau et du système nerveux est fondamental. À tout moment, ces substances réagissent à ce que l’individu sait, à ce qu’il pense, à ce que tout cela signifie pour lui. Il est assez bien établi, actuellement, que l’état des cellules cérébrales et leur fonctionnement sont profondément affectés par les connaissances du sujet et par ses dispositions passionnelles. Il est donc parfaitement plausible que la vision intérieure, qui s’accompagne d’énergie mentale et de passion, soit capable de modifier bien plus profondément encore les neurones du cerveau.

Extrait du livre La porte ouverte de Mary Lutyens

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4 : Conversations audio et vidéo (Sélectionnées par l’équipe de la Fondation)

Heureusement, la plupart des conversations et des dialogues entre Krishnamurti ont été enregistrés, soit en audio, soit en vidéo. Nous les avons compilés sur notre chaîne YouTube officielle.

Regarder : Conversations

Regarder : Discussions de groupe et séminaires

Audio et vidéo : Faits marquants de la série

La transformation de l’homme : Cette série de vidéos datant de 1976 est l’une des séries les plus populaires de discussions avec Krishnamurti. Bohm et Krishnamurti ont été rejoints par le psychiatre David Shainberg et, ensemble, ils se sont penchés sur des sujets tels que la conscience d’être fragmenté, le mode de vie mécanique désordonné, la question de savoir si nous pouvons changer à la racine même de notre être, la solitude et la sécurité totale, les images et les relations, et le caractère sacré de la vie. Regarder.

Le Temps aboli : Ces dialogues entre J. Krishnamurti et David Bohm ont eu lieu en Amérique et en Angleterre entre avril et septembre 1980. Ils commencent par aborder l’origine des conflits humains. Les deux hommes s’accordent pour l’attribuer à la nature séparative et limitée dans le temps du moi et à la manière dont elle nous conditionne à dépendre à tort de la pensée, qui est basée sur une expérience passée inévitablement limitée. La possibilité d’une prise de conscience (insight) qui mettrait fin à cette mentalité défectueuse a fait l’objet d’une discussion approfondie. L’accent est ensuite mis sur la signification de la mort et sur une discussion concernant le « fondement » de l’être et la place de la conscience dans l’univers. Les derniers dialogues examinent le lien profond que Krishnamurti et Bohm ont vu entre ces questions ultimes et la vie quotidienne, et ce que nous pouvons faire pour surmonter les obstacles qui se dressent sur notre chemin. Regarder/écouter.

Les limites de la pensée : Une série de dialogues pénétrants entre Krishnamurti et David Bohm. Le point de départ de leurs échanges engageants est la question suivante : si la vérité est quelque chose de totalement différent de la réalité, alors quelle est la place de l’action dans la vie quotidienne par rapport à la vérité et à la réalité ? Krishnamurti et Bohm explorent la nature de la conscience et la condition de l’humanité. Ces dialogues éclairants abordent les questions de la vérité, le désir, la conscience, la tradition et l’amour. Regarder.

L’avenir de l’humanité : David Bohm : « Ces deux dialogues ont eu lieu trois ans après une série de dialogues similaires entre Krishnamurti et moi-même, qui ont été publiés dans le livre Le Temps aboli. Ils ont donc inévitablement été profondément affectés par ce qui avait été discutait dans ces dialogues antérieurs. Dans un certain sens, les deux séries de dialogues traitent donc de questions étroitement liées. Bien sûr, Le Temps aboli peut, en raison de sa longueur beaucoup plus importante, aborder ces questions de manière plus approfondie et plus détaillée. Néanmoins, ces deux dialogues tiennent par eux-mêmes ; ils abordent les problèmes de la vie humaine à leur manière et apportent des éclairages supplémentaires importants sur ces problèmes. En outre, je pense qu’ils sont plus faciles à suivre et qu’ils peuvent donc servir d’introduction à Le Temps aboli.

Le point de départ de nos discussions a été la question « Quel est l’avenir de l’humanité ? ». Cette question est aujourd’hui d’une importance vitale pour tout le monde, car il est clair que la science et la technologie modernes ont ouvert d’immenses possibilités de destruction. Il est vite apparu, au fil de nos discussions, que l’origine ultime de cette situation se trouve dans la mentalité généralement confuse de l’humanité, qui n’a pas changé fondamentalement à cet égard tout au long de l’histoire, et probablement depuis bien plus longtemps encore. De toute évidence, il était essentiel d’enquêter profondément sur la racine de cette difficulté si l’on veut que l’humanité puisse un jour être détournée de son cours actuel, qui est très dangereux. Regarder.

La nature de l’esprit : En avril 1982, la première de quatre discussions d’une heure a eu lieu sur «

La nature de l’esprit » entre Krishnamurti, David Bohm, John Ridley, un psychiatre en pratique privée à Ojai, et Rupert Sheldrake qui était à l’époque consultant à l’International Crops Institute à Hyderabad. La première discussion portait sur les racines du désordre psychologique, la deuxième sur la souffrance psychologique, la troisième sur le besoin de sécurité et la quatrième sur ce qu’est un esprit sain. Ces discussions, enregistrées sur vidéo en couleur, ont été parrainées par la Fondation Robert E. Simon, un organisme privé qui accorde des subventions substantielles pour la promotion de la santé mentale. Ces enregistrements ont été immédiatement demandés par divers centres universitaires et de formation à travers le pays, qui pouvaient soit les acheter, soit les emprunter pour les diffuser. Elles ont également été diffusées sur plusieurs chaînes de télévision câblées, notamment à New York. Regarder.

Les premières discussions — Pensée, immobilité et temps : Mis à part les réunions privées qui n’ont pas été enregistrées, les premières interactions entre Krishnamurti et David Bohm ont eu lieu lors des réunions publiques de Londres en 1961 et 1963. Cependant, en 1965, Bohm a été invité à participer à des discussions en petits groupes à Gstaad, dans lesquelles il figure en bonne place. La série s’intitule Thought, stillness and time (Pensée, immobilité et temps). Les sujets abordés sont les suivants : « La pensée est-elle nuisible ? », « Suis-je conscient du processus de la pensée ? », « Qu’est-ce qui me fera comprendre que la pensée engendre la frustration ? », « D’où viennent l’attachement et le détachement ? », « Silence total », et « Lorsque l’esprit est complètement calme, comment peut-il y avoir du temps ? ». Regarder.

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Livres

La Vérité et l’événement : Le livre s’ouvre sur trois discussions extraites d’une série plus longue avec le célèbre physicien David Bohm. Dans la partie principale du livre, Krishnamurti examine comment la conscience de l’homme a des idées fausses sur le « moi », ou l’ego. Krishnamurti déclare : « Vous ne pouvez pas traverser la réalité pour arriver à la vérité ; vous devez comprendre la limitation de la réalité, qui est tout le processus de la pensée ». La Vérité et l’événement se compose à la fois d’exposés et de dialogues de Krishnamurti. Les dialogues traitent du problème de la vérité, de l’actualité dans laquelle nous vivons telle qu’elle est perçue par les sens, de la réalité telle qu’elle apparaît à notre conscience, et de la relation entre les deux.

Le Temps aboli : Ce livre classique est une série de dialogues importants et éclairants dans lesquels Krishnamurti et David Bohm — des hommes d’horizons très différents — discutent de questions existentielles profondes qui éclairent la nature fondamentale de l’existence, en approfondissant des sujets tels que l’insight, l’illusion, l’éveil, la transcendance, le renouvellement, la morale, le temporel et le spirituel. Krishnamurti et Bohm, qui ont eu des conversations pendant de nombreuses années, dont le point culminant est ce livre, explorent la relation de chacun à la société et offrent de nouvelles perspectives sur la pensée, la mort, l’éveil, la réalisation de soi, le problème de l’esprit fragmenté, la pureté de la compassion, l’amour et une intelligence qui trouve son origine au-delà de la pensée et du temps. Ce livre clarifie en profondeur de nombreux thèmes de l’enseignement de Krishnamurti.

Les limites de la pensée : Ce livre est constitué d’une série de dialogues pénétrants entre les deux hommes. Leurs conversations éclairent davantage leurs explorations stimulantes sur la nature de la conscience et la condition de l’humanité. Le point de départ de leurs échanges engageants est la question suivante : si la vérité est quelque chose de totalement différent de la réalité, alors quelle est la place de l’action dans la vie quotidienne par rapport à la vérité et à la réalité ? Ces dialogues éclairants abordent les questions de la pensée, du désir, de la conscience, de la tradition et de l’amour. Il s’agit d’un livre important écrit par deux personnalités respectées. Toute personne intéressée par la façon dont Krishnamurti et Bohm explorent certaines des questions les plus essentielles de notre existence même sera attirée par cet ouvrage.

Texte original : https://kfoundation.org/krishnamurti-and-david-bohm/