Mais objectiver la gravitation, c’était la séparer de l’expérience qui lui a millénairement donné son sens. Tout comme la chute des corps, la gravitation ne pouvait plus être rattachée symboliquement à une signification religieuse. Cela donna un caractère étrangement abstrait au débat scientifique sur la gravitation — Newton lui-même s’en inquiétait. Il pouvait formuler mathématiquement la gravitation comme un comportement des choses dans la nature. Mais il ne pouvait s’empêcher de se demander si ce comportement qu’il avait si ingénieusement mesuré ne devait pas avoir quelque réalité substantielle, une base plus solide que celle des mathématiques. Qu’était la gravitation en dehors d’une équation algébrique ?
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Theodore Roszak : Le monstre, le titan et la nouvelle gnose
Connaître Dieu par l’ordonnance des choses est une déduction, peut-être fragile aux yeux des logiciens sceptiques, mais de caractère au moins vaguement scientifique. Connaître Dieu par la puissance de l’instant est une épiphanie, une connaissance qui nous mène loin de la respectabilité scientifique. Pourtant, c’est là que la gnose atteint son sommet, devient connaissance acceptant de se plier à la discipline du sacré. Elle ne se ferme pas devant les épiphanies qu’offre la vie sous prétexte qu’elles seraient « simplement subjectives ». Elle permet plutôt à l’expérience de s’étendre, elle l’invite à prendre tout son sens. Après tout, si Galilée avait raison de traiter de fous les hommes qui refusaient de regarder la Lune dans un télescope, que devrions-nous dire de ceux qui refusent l’invitation de Blake à voir l’éternité dans un grain de sable ? La gnose tente d’intégrer ces moments d’émerveillement extatique ; elle les considère comme une avance sur la réalité et, de loin, la démarche la plus excitante qu’ait entreprise l’esprit. Car là est la réalité qui donne à nos vies leur sens transcendant.