Arthur Haswell
Déconstruction des intuitions sous-jacentes au physicalisme et à l’illusionnisme

2025-02-07 Arthur Haswell propose une déconstruction dévastatrice et délicieusement bien argumentée des absurdités inhérentes au physicalisme et à son proche parent, l’illusionnisme. ____________ Après être sortis de l’église, nous avons discuté pendant un certain temps de l’ingénieux sophisme de l’évêque Berkeley pour prouver la non-existence de la matière et que chaque chose dans l’univers n’est […]

2025-02-07

Arthur Haswell propose une déconstruction dévastatrice et délicieusement bien argumentée des absurdités inhérentes au physicalisme et à son proche parent, l’illusionnisme.

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Après être sortis de l’église, nous avons discuté pendant un certain temps de l’ingénieux sophisme de l’évêque Berkeley pour prouver la non-existence de la matière et que chaque chose dans l’univers n’est qu’un idéal. J’ai fait remarquer que, bien que nous soyons convaincus que sa doctrine n’est pas vraie, il est impossible de la réfuter. Je n’oublierai jamais l’empressement avec lequel Johnson répondit, en frappant du pied avec force contre une grosse pierre, jusqu’à ce qu’il en rebondisse : « Je la réfute ainsi » [1].

La célèbre réfutation de l’idéalisme de Berkeley par le Dr Johnson est devenue emblématique de l’attrait intuitif de la croyance en une réalité physique. Aujourd’hui encore, lorsque de nombreuses personnes sont confrontées à l’affirmation idéaliste selon laquelle le monde est fondamentalement constitué de substance mentale, elles expriment une incrédulité semblable à l’égard de cette idée. Il semble clairement absurde de suggérer que le monde est entièrement constitué de l’étrange jus mental ectoplasmique sécrété par notre cerveau physique. Le physicalisme métaphysique pousse le charme intuitif de l’« appel à la pierre » de Johnson jusqu’à sa conclusion ultime, en théorisant que le monde est en fait entièrement constitué d’éléments physiques, et que tout ce qui semble être non physique (comme le jus mental ectoplasmique) est en quelque sorte irréel ou entièrement réductible à l’élément physique.

Mais l’appel de Johnson à la pierre a-t-il encore le même attrait aujourd’hui ? Il se peut qu’il n’en soit rien. Un point qui peut venir à l’esprit est l’affirmation éculée selon laquelle la physique moderne nous dit que la matière est essentiellement constituée d’espace vide. Or, il s’agit là d’une idée fausse. Si le noyau dense est minuscule par rapport au volume total de l’atome, le reste de l’atome, bien que beaucoup moins dense, n’est pas constitué d’espace vide, mais d’électrons qui existent sous forme d’ondes de densité de probabilité. C’est une science concrète. Cependant, elle reste contre-intuitive, tout comme l’idée que la matière est principalement constituée d’espace vide. En outre, la solidité d’une roche n’est pas due au fait qu’elle est constituée d’une myriade de particules dures et microscopiques, mais à la répulsion électromagnétique générée par les champs d’électrons.

« Je la réfute ainsi », a déclaré Johnson, en donnant un coup de pied contre une masse d’ondes de densité de probabilité qui repoussaient électromagnétiquement son pied.

À mon avis, cela n’a pas le même charme terre-à-terre que l’appel original à la pierre. Mais encore une fois, le physicalisme n’implique pas que les atomes soient métaphysiquement fondamentaux, et l’idéalisme n’implique pas qu’ils n’aient pas d’existence. Un idéaliste et un physicaliste pourraient être d’accord sur le fait que les atomes existent, mais aucun des deux ne prétendrait qu’ils sont ontologiquement primitifs. Nous devons donc aller plus loin pour découvrir ce que le physicaliste contemporain croit que la réalité (et donc la physique) est fondamentalement. Par « fondamental », j’entends le fondement même de la réalité : ce qui ne peut être réduit à quelque chose de plus fondamental, parce qu’il n’y a rien de plus fondamental.

Dans Consciousness and Fundamental Reality, Philip Goff caractérise le « physicalisme pur » comme la croyance qu’une description mathématique et nomologique de la réalité est exhaustive. Je pense que c’est exact. Il me semble que le physicaliste considère que le physique a une nature fondamentalement mathématique et nomologique. En d’autres termes, le physicaliste pense que la matière physique qui constitue la réalité fondamentale n’est ni plus ni moins que les structures mathématiques et les lois naturelles que la physique décrit. Peut-être qu’avec cette compréhension de la physique, l’appel de Johnson à la pierre conservera son pouvoir d’origine.

« Je la réfute ainsi », dit Johnson, en donnant un coup de pied contre une masse de formes mathématiques et nomologiques.

Cela ne semble toujours pas très convaincant d’un point de vue intuitif. Pire encore, l’idée que la réalité est fondamentalement constituée de formes mathématiques semble dangereusement platonicienne, et le platonisme est généralement considéré comme plus étroitement associé à l’idéalisme qu’au physicalisme. Néanmoins, certains, comme Max Tegmark, se considèrent volontiers comme des physicalistes tout en affirmant que la réalité a une nature fondamentalement platonique. Ils peuvent le faire en affirmant que, si la réalité fondamentale est mathématiquement platonique, elle est également non mentale. Par conséquent, une autre façon de formuler le physicalisme est de le faire dans un sens négatif : la réalité est fondamentalement et de manière monistique constituée du physique, le physique est intrinsèquement non-mental, donc le physicalisme est un point de vue qui inclut l’affirmation selon laquelle la réalité fondamentale est non-mentale.

Le problème, bien sûr, est que le physicaliste est alors contraint d’expliquer comment il existe un contenu mental dans une réalité uniquement constituée de choses non mentales. Cet essai est bien trop bref pour apporter une contribution à l’interminable discours sur ce sujet, mais en bref, je ne crois pas qu’une telle conception du physicalisme puisse rendre compte du contenu mental (pour une exploration plus détaillée des raisons pour lesquelles je pense cela, voir mon article précédent, Si vous rêvez d’un triangle, où se trouve le triangle ?). Je ne crois pas que la chaleur, la tristesse, la douleur, la peur, l’umami, la joie, ou tout autre contenu phénoménal puissent être revendiqués de manière cohérente comme existant dans une réalité définie négativement comme n’incluant pas un tel contenu.

Je ne pense pas que les affirmations de survenance [ou apparition] fonctionnent sans contredire les prémisses du physicalisme et sans s’effondrer dans une forme de dualisme ou de monisme à double aspect, et je crois que les diverses machines dialectiques de Heath Robinson construites pour rendre compte du contenu mental dans une conception physicaliste de la réalité ne sont que des tentatives d’obscurcissement de ce fait. Que vous soyez d’accord ou non avec cela, vous pouvez au moins admettre que les arguments de survenance n’ont pas l’attrait intuitif et direct de Johnson donnant un coup de pied dans son rocher.

L’une des possibilités qui s’offrent alors au physicaliste est de nier l’existence du contenu mental. La façon la plus à la mode de le faire est peut-être d’affirmer que la chaleur, la tristesse, la douleur, la peur, l’umami, la joie et tous les autres contenus mentaux sont en quelque sorte illusoires.

C’est ce qu’on appelle l’« illusionnisme ». On pourrait craindre que cela signifie que la douleur insondable et insoutenable que ressent une mère qui pleure son fils mort n’est qu’une illusion et n’est en fait qu’un ensemble de formes mathématico-nomiques. En fait, une telle affirmation pourrait sembler impliquer que l’horreur infinie des plus grandes atrocités de l’histoire n’a jamais vraiment eu lieu. Bien entendu, cela semble nous priver de notre humanité et dévaloriser la plus grande de nos tragédies. Plus pertinemment, une telle position semble profondément contre-intuitive.

Cependant, les défenseurs de la position illusionniste s’opposeraient au paragraphe précédent. En effet, s’ils affirment que le contenu mental est illusoire et inexistant, ils affirment également qu’il n’est pas illusoire et qu’il existe. Par exemple, l’illusionniste Keith Frankish affirme volontiers que la conscience existe, mais d’un autre côté, il suggère que la conscience ne nous permet pas de comprendre directement sa propre réalité, ce qui l’amène à créer une illusion de sa propre existence, alors qu’en réalité elle n’existe pas vraiment [2].

L’affirmation selon laquelle nous ne pouvons pas connaître la « véritable » nature du contenu mental, comme la douleur, est vulnérable à l’argument du malin génie de Descartes : même si un malin génie ou des processus neuronaux créent toutes nos expériences, nous restons prisonniers de leur présence. Lorsqu’il est confronté à ce point, l’illusionniste peut prétendre qu’il ne nie pas l’existence d’expériences, mais que nous n’avons pas d’accès direct à leur véritable réalité. Mais alors, bien sûr, ce qui obscurcit cette réalité doit aussi avoir une certaine forme d’existence pour constituer une obstruction, et ne peut pas être lui-même la réalité qu’il obscurcit, car alors nous accéderions directement à cette réalité en ressentant simplement de la douleur.

Pour le physicaliste, la réalité est physique, donc ce qui nous empêche d’accéder à la réalité ne doit pas être lui-même physique, ou cela ne constituerait pas une obstruction et nous accéderions simplement à la réalité en accédant à l’« obstruction ». Il est également étrange que, bien que l’illusionniste n’ait pas accès à la véritable nature de sa propre douleur, il ait néanmoins accès à un critère non arbitraire, non illusoire et apparemment transcendantal qui lui permet d’évaluer de manière véridique ce qui mérite d’être considéré comme « réel » et ce qui mérite d’être considéré comme « illusoire ».

En fait, une autre évaluation des contradictions de l’illusionnisme est inutile, car il s’agit au fond d’un argument de type « motte castrale ». Lorsqu’il attaque, l’illusionniste peut prétendre qu’il n’y a pas de problème difficile de la conscience, que la conscience n’est qu’une activité neuronale, ou que les qualia n’existent pas, ce qui implique que l’expérience n’existe pas. Lorsqu’il se défend, l’illusionniste peut affirmer que l’illusionnisme ne concerne même pas le problème difficile, que l’illusionnisme n’est pas physicaliste, qu’il ne nie pas l’expérience (il pense simplement que le concept de qualia est erroné), ou qu’en fait, l’illusionnisme n’a aucune prétention ontologique ou métaphysique du tout. Il existe peut-être une version particulièrement radicale du dialethéisme qui pourrait s’accommoder de telles contradictions, mais même si c’était le cas, on serait très, très loin de l’appel direct et pragmatique à la pierre de Johnson.

Il semble toutefois qu’une autre option s’offre au physicaliste. Le philosophe Pete Mandik a formulé une hypothèse qui, si elle est vraie, pourrait être très inquiétante pour ceux qui ne sont pas sous l’emprise de l’hylomanie [obsession par la matière ou matérialisme philosophique]. L’un des arguments les plus célèbres contre le physicalisme est connu sous le nom de « chambre de Marie » ou « argument de la connaissance ». On imagine une femme qui a passé toute sa vie dans une pièce entièrement monochrome, mais qui apprend tout ce que la science peut découvrir sur l’expérience de la vision du rouge. Après cela, elle quitte finalement la pièce et voit une pomme rouge, sa première expérience de la couleur rouge. La question qui se pose alors est la suivante : Mary a-t-elle appris quelque chose de nouveau en voyant du rouge, même après avoir appris tout ce que la science peut découvrir sur l’expérience de voir du rouge ?

Certains physicalistes affirment qu’elle apprendrait quelque chose de nouveau, mais comme cela ne montre qu’un fossé épistémologique plutôt qu’ontologique, cela ne réfute pas le physicalisme (comme mentionné précédemment, mon problème avec ce point de vue est que je pense qu’il s’effondre dans une certaine forme de dualisme ou de monisme à double aspect). D’autres, cependant, affirment qu’elle pourrait, au moins théoriquement, apprendre ce que c’est que de voir la couleur rouge sans la voir réellement. Mandik est allé plus loin et a suggéré qu’il ne s’agissait pas simplement d’une possibilité théorique : il affirme que « la science prouve que Mary sait à l’avance ce que c’est que de voir rouge » [3].

La preuve qu’il cite est une étude menée par l’Université de Chicago, qui a examiné Kim, une femme dépourvue de somatosensation [somesthésie], et a constaté qu’elle était capable d’utiliser de manière cohérente des métaphores sur le sens qui lui manquait. Voici une citation de Peggy Mason, la neurobiologiste qui a dirigé l’étude :

Comme Kim ne peut pas percevoir de sensations tactiles, elle s’appuie sur d’autres sens pour percevoir le monde. Par exemple, pour déterminer la dureté d’un objet, elle écoute le son qu’il produit lorsqu’elle le frappe contre une surface [4].

Évidemment, ce n’est pas du tout la même chose que Kim apprenant à percevoir des sensations tactiles. Cela montre simplement qu’elle peut utiliser d’autres sens pour déduire ce que les personnes qui ont des sensations tactiles pourraient dire à propos d’un objet, comme utiliser certains sons pour déduire s’ils pouvaient dire « c’est dur » ou « c’est mou ». En ce qui concerne l’argument de la connaissance, cela ne prouve pas que Mary sait ce que c’est que de voir du rouge avant de l’avoir effectivement vu ; cela montre simplement qu’elle pourrait apprendre quels types de mots les gens pourraient utiliser en voyant du rouge. Comme Noam Chomsky l’a dit de Pat Churchland, qui partage une vision similaire [5], Mandik est tout simplement à côté de la plaque.

La seule façon d’y voir clair serait de comprendre que Mandik pense qu’il n’y a jamais d’expérience du rouge, mais seulement des arrangements de mots et de comportements dans des contextes particuliers. En dehors de ces simples mouvements, il n’y a pas d’expérience. Nous ne sommes que des zombies philosophiques, des automates sans esprit, sans chaleur, sans tristesse, sans douleur, sans peur, sans umami, sans joie. Lorsque je bouge ma main pour me gratter mon oreille, aucune démangeaison ne m’y pousse. Le mécanisme de mon corps fonctionne simplement de cette manière sans qu’une sensation préalable ne l’y oblige. Je me gratte sans démangeaison.

Des penseurs comme Daniel Dennett, les Churchlands, Frankish et Mandik ont fait toute leur carrière en passant à côté du sujet. Leurs édifices conceptuels reposent sur ce malentendu, et ils doivent donc veiller scrupuleusement à continuer à le faire. Mais aussi fructueuse que cette stratégie puisse être pour maintenir une carrière, elle ne semble pas avoir le même succès que l’appel à la pierre de Johnson. Pire encore, toute théorie qui implique que l’expérience n’existe pas (qu’elle l’admette ou non) est très inquiétante. Nous devons être honnêtes avec nous-mêmes et réfléchir à ce que cela signifie réellement.

Par exemple, cela signifie que les crimes du 20siècle n’ont en réalité créé aucune souffrance, puisque cela n’existe tout simplement pas. Il ne doit pas non plus y avoir d’amour, d’espoir, de joie ou de chagrin. Si l’on devait avancer un argument impliquant une telle chose, il faudrait être très sûr de sa véracité. Pourtant, non seulement un tel argument est profondément dégradant pour toute vie, mais il est également manifestement absurde. Encore une fois, on est loin du pragmatisme rassurant de Johnson frappant une pierre.

Le style de cet article est polémique, car je ne cherche pas à prouver analytiquement la fausseté du physicalisme (pour un livre qui fait exactement cela, je recommande Physicalism de Daniel Stoljar), mais à mettre en lumière son extraordinaire étrangeté. En tant que Weltanschauung métaphysique, il est tellement ancré dans notre culture qu’il est souvent présumé vrai par défaut. Pourtant, la plupart des gens n’ont pas conscience de l’étrangeté de ses implications. Daniel Dennett, peut-être le philosophe physicaliste le plus célèbre des cinquante dernières années, a contesté le fait que, si chaque personne en Chine utilisait des talkies-walkies pour simuler le comportement des neurones dans le cerveau, cet arrangement serait doté d’une conscience de la même manière que vous ou moi [6]. Je ne souhaite pas débattre de la véracité de cette affirmation, et il ne fait aucun doute que pour le fonctionnaliste, il est tout à fait logique que le « cerveau de la Chine » rêve. Mais on ne peut échapper à la bizarrerie d’une telle conclusion.

Les alternatives sont-elles moins contre-intuitives ? Il est certain que la croyance que le monde est constitué d’un jus mental ectoplasmique est bien plus absurde. Mais bien sûr, ce n’est pas ce que suggère l’idéalisme. Le problème que pose l’utilisation de termes tels que « substance mentale » est que, lorsque nous pensons à « substance », nous pensons naturellement à quelque chose de matériel, intuitivement « physique », comme la pierre de Johnson. Il est difficile de comprendre ce que quelqu’un peut vouloir dire par l’existence de blocs de pensées qui composent le monde. Mais quiconque pense encore à l’idéalisme de cette manière n’a pas réussi à faire le changement de perspective nécessaire. En fait, je pense que l’idéalisme même que Johnson voulait réfuter est très sobre.

L’idéalisme est un courant diversifié, et même lorsque les points de vue sont similaires, il peut y avoir différentes façons de les articuler. Mais en tant qu’idéaliste moi-même, je dirais que l’apparence de la pierre, la douleur dans l’orteil de Johnson, le son de sa chaussure éraflant sa surface rugueuse, sont tous simplement ce qu’ils semblent être ; ils ne sont pas vraiment quelque chose d’autre, comme des formes mathématico-nomiques ou des éléments minuscules. L’odeur de la terre sous la pierre est simplement l’odeur, tout comme le chagrin de la veuve est simplement le chagrin. Et ces expériences, telles qu’elles sont, sont fondamentales. Il est absurde de se demander ce qu’elles sont « réellement », de se demander à quoi elles sont réductibles, car elles constituent le fondement. Il ne s’agit pas de suggérer qu’elles existent toutes dans « mon esprit » ; Berkeley, en fait, n’aurait sans doute pas nié que l’apparence d’une pierre a une source indépendante de l’expérience particulière qu’il en a :

Quel que soit le pouvoir que je puisse avoir sur mes propres pensées, je trouve que les idées perçues par les sens n’ont pas la même dépendance à l’égard de ma volonté. Lorsqu’en plein jour j’ouvre les yeux, il n’est pas en mon pouvoir de choisir si je verrai ou non, ou de déterminer quels objets particuliers se présenteront à ma vue ; il en est de même pour l’ouïe et les autres sens : les idées qui s’y impriment ne sont pas des créatures de ma volonté. Il y a donc une autre volonté ou un autre esprit qui les produit. [7]

Que vous soyez ou non favorable à l’idéalisme, il me semble que, alors que le physicalisme transforme la pierre en quelque chose d’abstrait et d’intangible, l’idéalisme préserve l’apparence de sa solidité. Si nous observons la pierre d’une manière particulière, nous rencontrerons sa structure moléculaire. Mais cette rencontre n’est pas plus fondamentale que la rencontre tactile de Johnson. Il s’agit plutôt d’apparences différentes au sein de l’expérience, et c’est cette dernière qui est fondamentale. Je laisserai le mot de la fin à René Guénon :

La « matière » des physiciens ne peut être en tout cas qu’une materia secunda, puisqu’ils la supposent douée de certaines propriétés, sur lesquelles ils ne s’accordent d’ailleurs pas entièrement, de sorte qu’il n’y a pas en elle que potentialité et « indistinction » ; du reste, comme leurs conceptions ne se rapportent qu’au seul monde sensible et ne vont pas au-delà, ils n’auraient que faire de la considération de la materia prima. Cependant, par une étrange confusion, ils parlent à chaque instant de « matière inerte », sans s’apercevoir que, si elle était vraiment inerte, elle serait dénuée de toute propriété et ne se manifesterait en aucune façon, si bien qu’elle ne serait absolument rien de ce que leurs sens peuvent percevoir, tandis qu’au contraire ils déclarent « matière » tout ce qui tombe sous leurs sens ; en réalité, l’inertie ne peut convenir qu’à la seule materia prima, parce qu’elle est synonyme de passivité ou de potentialité pure. Parler de « propriétés de la matière » et affirmer en même temps que « la matière est inerte », c’est là une insoluble contradiction ; et, curieuse ironie des choses, le « scientisme » moderne, qui a la prétention d’éliminer tout « mystère », ne fait pourtant appel, dans ses vaines tentatives d’explication, qu’à ce qu’il y a de plus « mystérieux » au sens vulgaire de ce mot, c’est-à-dire de plus obscur et de moins intelligible ! [8]

Texte original : https://www.essentiafoundation.org/deconstructing-the-intuitions-underlying-physicalism-and-illusionism/reading/

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1 Boswell, J. (1791). The life of Samuel Johnson, LL.D. (p. 333). London: Henry Baldwin.

2 Frankish, K. (2024, September 11). Mindchat [Video]. YouTube. Retrieved from https://www.youtube.com/watch?v=NBUCYGAYY70.

3 Mandik, P. [@petemandik]. (2023, Avril 18). Science proves that Mary knows what’s seeing red is like in advance (La science prouve que Mary sait à l’avance ce que c’est que de voir rouge) [Tweet]. Twitter. Retrieved from https://twitter.com/petemandik/status/1648378352586178581.

4 Neuroscience News (2023, Avril 17). Somatosensation: Neuroscience advances understanding. Retrieved from https://neurosciencenews.com/somatosensation-neuroscience-23030/.

5 Chomsky, N. (2011, April 2). Noam Chomsky and Pat Churchland on mysteries and problems in science (Sur les mystères et les problèmes de la science) [Video]. YouTube: https://www.youtube.com/watch?v=QSQwBEL4mfQ.

6 Dennett, D. C. (1991). Consciousness explained (pp. 431–455). Boston: Back Bay Books. (Tr fr La Conscience expliquée)

7 Berkeley, G. (1710). A treatise concerning the principles of human knowledge (Part 1, Section 29). Dublin : Aaron Rhames.

8 Guénon, R. (2001). Le règne de la quantité et les signes des temps (1945).