Vimala Thakar
La danse de l’énergie

Troisième entretien donné à Hoev en, Hollande le 10-08-1987. Le titre est de 3e Millénaire. L’univers dans lequel nous vivons est l’un des innombrables univers qui se partagent la majestueuse vacuité de l’espace. Dans l’univers où nous vivons, il y a une planète appelée « terre », habitée par une variété d’espèces, parmi lesquelles l’espèce humaine semble être […]

Troisième entretien donné à Hoev en, Hollande le 10-08-1987. Le titre est de 3Millénaire.

L’univers dans lequel nous vivons est l’un des innombrables univers qui se partagent la majestueuse vacuité de l’espace. Dans l’univers où nous vivons, il y a une planète appelée « terre », habitée par une variété d’espèces, parmi lesquelles l’espèce humaine semble être la plus éloquente et la plus dominante pour le moment.

Ce que nous appelons la terre ou la planète semble être un être chargé d’énergies infinies. Le corps humain, tout comme la terre ou l’univers, est un champ chargé d’innombrables énergies. Dans le processus de découverte de soi, qui constitue le contenu de la civilisation et de la culture, l’humanité semble avoir fait connaissance avec quelques-unes des énergies qui opèrent dans le corps. Tout comme la terre fait partie de l’univers, le corps humain fait partie de la planète.

De même chaque cellule du corps humain, ayant son propre être indépendant, capable d’engendrer une autre cellule comme elle, fait partie du corps, et que des millions et des millions de cellules constituent ce que nous appelons « le corps humain », les cellules elles-mêmes sont des champs chargés d’énergies. Il me semble que ce que nous appelons « la vie » est une magnifique danse d’énergies, leur interaction, leur partage de la vie, leur coopération ; une danse d’harmonie, en quelque sorte.

Or, au cours de milliers d’années, nous avons peut-être fait connaissance avec l’énergie des impulsions contenues dans les cellules du corps. Nous avons dû remarquer les impulsions électriques qui opèrent dans notre corps, les sensations qui génèrent les pulsations. Ce n’est pas le thème de la matinée.

En plus de l’énergie des impulsions, qui se déplacent dans la structure biologique, nous avons fait connaissance avec l’énergie des instincts, qui sont une sorte de perception, et nous, la race humaine, avons trouvé un moyen de manipuler le son et de générer des mots, c’est-à-dire d’organiser l’énergie sonore, de générer des mots et de les utiliser.

Alors que nous avons créé tant de gadgets électroniques à l’aide de la matière, les Anciens étaient peut-être occupés à jouer avec les énergies de la lumière et du son, en eux et autour d’eux. C’est ainsi que les mots ont été créés et qu’ils ont été utilisés pour nommer les objets. Le fait de nommer les objets a pu servir à les identifier, et cette identification a peut-être donné un sentiment de connaissance, de familiarité, d’amitié et peut-être aussi de sécurité.

Le processus de nommer, de mémoriser les noms à des fins d’identification et le processus d’identification à des fins d’échange et de partage de la vie commune font partie de notre vie sociale. Le mot, qui contient l’énergie sonore, conditionne le système neurologique et chimique du corps. Ainsi, pendant des millions et des millions d’années, ce que vous appelez le corps humain : le système musculaire, glandulaire, chimique, neurologique, tous les systèmes réunis dans le corps, ont été fortement conditionnés par les mots qui ont été assemblés sous forme d’idées, de pensées, d’idéologies, avec l’aide de la sémantique, de la grammaire, et ainsi de suite.

Le corps humain est aujourd’hui un champ où s’opèrent des conditionnements vieux de millions d’années. Le moindre contact avec un objet à l’extérieur de la peau stimule une sensation, génère une impulsion et l’interprétation de l’impulsion se fait automatiquement, mécaniquement, comme vous avez pu observer le processus dans les machines électroniques, les plus sensibles. On y touche à peine, et elles fonctionnent, elles opèrent magnifiquement, avec précision et exactitude.

Ainsi, le processus de perception d’objets extérieurs à la peau, la sensation générée par la perception, le contact avec l’objet par l’intermédiaire des sens et le processus de nommer, d’évaluer, de juger, de comparer se poursuit, il a son propre élan, un élan de millions d’années derrière d’histoire.

J’espère, mes amis, que chacun d’entre nous a remarqué que le corps possède une intelligence organique et qu’il fonctionne par lui-même. Pouvons-nous dire que nous créons le sommeil ? Le sommeil en tant qu’énergie, une énergie mystérieuse, n’est pas créé par l’homme. Il nous rend visite et opère en nous et à travers nous, en accord avec les cycles de la nature. Créons-nous l’appétit ? L’appétit semble être le résultat d’une transmutation qui a lieu dans le corps. Nous pouvons prendre un repas et introduire la nourriture dans le corps, mais c’est alors l’intelligence organique, contenue dans chaque goutte de sang et chaque cellule du corps, qui prend le relais et la transmutation chimique s’opère.

Nous ne créons ni le sommeil, ni l’appétit, ni la soif, ni la pulsion sexuelle. Ce sont toutes des énergies sacrées, opérant dans l’univers, qui se manifestent aussi dans les corps humains. Ce n’est donc pas le moi ou le je qui crée l’appétit, ni l’acteur derrière le sommeil ou de la digestion. Je me demande si vous avez déjà observé ce mystère de la vie, qui opère en nous et à travers nous dans notre vie quotidienne, une merveilleuse danse d’énergies, qui fonctionnent en nous et à travers nous.

Si le processus de nommer n’avait pas été étendu au monde psychologique, l’idée d’un ego statique, du moi, du je, n’aurait peut-être jamais vu le jour. Le processus de nommer et d’identifier est nécessaire au niveau physique, l’évaluation est nécessaire, mais il semble que la race humaine ait étendu ce processus aux relations psychologiques. Nous avons pensé que, puisque le corps humain a une existence, une forme, une continuité de naissance, de croissance, de déclin et de mort, il doit y avoir à l’intérieur du corps une entité intérieure, appelé l’ego, le moi, le penseur, le connaisseur, l’acteur. Ainsi, lorsque les noms étaient attribués aux corps, on a imaginé que le nom appartenait à une entité intérieure, le moi.

Examinons très attentivement, étape par étape, comment le connaisseur, le penseur et l’acteur ont été créés par la race humaine. S’il ne s’agit que d’une manipulation pour partager la vie en société et utiliser les mots « je » et « tu » comme « symboles » pour distinguer les corps, cela ne fera pas de grand tort. Mais nous imaginons très probablement qu’il existe une entité intérieure, le moi, qui doit être préservée, comme le corps doit l’être.

Ainsi, pour préserver le corps, vous le nourrissez, vous l’habillez, vous l’abritez, et, de même, il faut nourrir l’entité intérieure, le soi, le moi. Nourrissez-le de bonnes pensées et il deviendra bon. Nourrissez le corps avec de la bonne nourriture et il deviendra sain, alors nourrissez l’entité intérieure, le soi-disant moi, l’ego, avec de « bonnes pensées » et de « nobles pensées », et il deviendra bon. Et apprenez à l’être intérieur à se préserver avec un mécanisme de défense, à cultiver des mécanismes de protection. Apprenez à l’entité intérieure à devenir forte et à cultiver une personnalité.

Ainsi cette entité imaginaire intérieure a été gardée en sécurité dans l’enceinte des théologies, des philosophies, des psychologies et des mécanismes de défense. On lui a même appris à identifier les choses comme bonnes et mauvaises, le bien et le mal, le péché et la vertu. On lui a appris à comparer et à évaluer les êtres humains, tout comme on compare et évalue les biens matériels : « Ceci est une bonne voiture, et celle-là ne l’est pas ». Mes amis, j’essaie de partager avec vous ce matin l’erreur fondamentale ou était-ce une nécessité, d’étendre le processus de nommer et d’identifier au monde psychologique, et de postuler une entité.

Les religions ont postulé un dieu et les psychologues ont postulé un ego. Ainsi, la tendance individualiste a été légitimée et l’égocentrisme a été glorifié au nom d’incitations économiques, d’idéologies politiques et de supériorités culturelles. Voyez-vous tout le jeu que nous avons joué avec nous-mêmes ? Je ne veux en aucun cas parler des mots et des langues dans un sens péjoratif. C’est la capacité de convertir les sons en mots qui nous a donné la musique, la littérature et la poésie.

Mais nous nous intéressons ici à la nature de la pensée et à son mécanisme. La pensée n’est rien d’autre qu’une énergie conditionnée et le mouvement de cette énergie conditionnée se poursuit dans le corps humain, dans le système chimique et le système neurologique. Lorsqu’un mot, un son, un geste, un objet, une situation, un défi bouleverse le système chimique, on parle d’émotion, de sentiment. Et lorsqu’il crée une tension dans les nerfs, on parle de pensée, d’idée, de concept. L’énergie est la même, qu’il s’agisse d’une pensée, d’une émotion ou d’un sentiment.

Ainsi, comme les impulsions ont été conditionnées, entraînées, régulées, contrôlées, etc., cette énergie de la pensée a été contrôlée. Elle opère en nous. Et nous devons nous demander s’il est nécessaire d’associer un penseur à ce processus de pensée, au mouvement de l’énergie conditionnée.

Vous pouvez avoir besoin d’un conducteur pour conduire une voiture, vous n’avez pas besoin d’un penseur pour faire fonctionner le processus de la pensée, il a son propre élan, tout comme la structure biologique, le corps, a son propre élan pour vivre pendant 40, 60, 80, 90 ans et ensuite dégénérer et se mélanger dans ce que l’on appelle le décès ou la mort. Ainsi, le mouvement de la pensée n’a peut-être pas besoin d’un penseur, d’un conducteur, d’un chauffeur pour le conduire. Il peut s’agir d’un mouvement autonome.

Parmi les questions qui sont restées sans réponse, j’ai constaté qu’un certain nombre d’entre elles demandaient : « Qu’entendez-vous par le penseur et l’acteur ? » C’est donc pour répondre à ces questions, et non pour vous imposer mon discours, que j’ai souhaité ce matin partager avec vous ma vision de ce phénomène dans son ensemble.

Il peut y avoir un mouvement de colère, mais pas une personne qui se met en colère, un mouvement d’ambition comme conditionnement de la société industrialisée, et pas une personne qui est ambitieuse. Nous avons pris sur nous, sans le savoir, le fardeau de nous sentir responsables de la préservation et de la continuité de l’ego, nous portons sur nos épaules la responsabilité de maintenir le mouvement de la pensée, pour ainsi dire. Ce mouvement continuera, même malgré nous, mais nous avons imposé un ego, le moi, le je, à ce formidable mouvement qui se poursuit de lui-même.

Ainsi, nous n’existons donc pas en dehors du mouvement de la pensée, en tant que penseurs, nous n’existons pas en dehors de ce réservoir de connaissances, en tant que connaisseurs. Le vous ne possède pas le savoir, comme vous possédez de l’argent ou des biens.

Naturellement, on ne s’attend pas à ce que les auditeurs acceptent tout cela, on ne fait que partager, communiquer, afin de stimuler une recherche et une observation personnelle de ces faits dans votre vie quotidienne. Ce n’est pas l’écoute des mots qui aide à vivre, c’est la rencontre personnelle avec les faits, à travers l’observation.

Je me permets maintenant de soumettre que l’énergie de la pensée n’est pas l’autorité suprême ni la dernière. C’est une des énergies, comme l’énergie de l’impulsion ou de l’instinct. Elle a été très utile, mais le pèlerinage de l’humani ne peut être arrêté par le petit mouvement mesquin de la pensée. Il ne peut être bloqué par la connaissance, l’expérience, les philosophies, les théologies, etc. Bien qu’ils paraissent très vastes et précieux, ils ne constituent qu’un champ limité.

La pensée est limitée par sa nature même, car elle naît du processus de nommer, de mémoriser, d’identifier, de comparer, d’évaluer, qui a sa pertinence et son utilité dans la vie, mais ne peut être assimilée à la totalité de la vie.

Être spirituel, c’est être conscient de la totalité tout en s’occupant du particulier. C’est la sensibilité de la conscience qui change radicalement la qualité de votre relation avec le particulier. La totalité n’est pas une abstraction ; si vous tournez le dos aux particularités, vous ne trouverez jamais la totalité. En dehors des parties, le tout n’existe pas, le tout ou la totalité est l’interrelation entre les parties. La divinité mystérieuse, la divinité sacrée est l’interrelation, autogénérée, autoentretenue, de toutes ces énergies, opérant dans l’univers dans lequel nous vivons, et peut-être, dans une infinité d’autres univers, partageant le vide de l’espace avec notre univers.

Vous pouvez demander à n’importe quel physicien quel est son dernier mot sur la nature de la réalité. Il vous répondra peut-être que l’univers est né du vide. Ils vous diront qu’avant l’émergence des univers, il n’y avait rien d’autre qu’un vide comprimé et que lorsqu’il a commencé à s’étendre, dans l’acte d’expansion, les univers ont émané. Ils parlent de faits, tout comme nous parlons de faits, et je pense que la perception de la vérité par une personne religieuse et la perception de la vérité par un vrai scientifique, un scientifique naturel, qui s’occupe de physique, de biologie ou d’autres sciences, convergent sur un point, à savoir qu’il n’y a rien de tel que de la matière, mais seulement une danse d’énergies.

Nous avons affaire à des énergies, et nous devons découvrir si l’énergie de la pensée par laquelle nous avons fonctionné est la seule énergie et la seule source authentique de contact avec la réalité, ou s’il existe autre chose au-delà de cela.

Chacun d’entre nous a dû aller se promener dans des forêts verdoyantes. Non pas pour échapper au stress et à la tension de la vie, mais pour le plaisir de se promener, pour cultiver l’amitié avec la terre, le ciel, les arbres et les oiseaux. Si et quand une personne se promène dans les bois ou au bord de la mer dans une intimité avec la grandeur et la profondeur des océans, que se passe-t-il ? S’il ne s’agit pas d’une fuite, s’il ne s’agit pas d’une distraction, d’un désordre, mais si vous êtes vraiment là, le mouvement de la pensée ne s’interrompt-il pas instantanément ? Il n’est pas nécessaire de l’arrêter, mais le contact intime, le toucher, la présence qu’ont les bois, les océans, les rivières et les montagnes — la pensée s’arrête, n’est-ce pas ? Et une tendre sensibilité s’active dans votre corps.

Si vous rencontrez un enfant de six mois ou d’un an, que vous le regardez dans les yeux et que vous voyez le bonheur de son sourire, que vous arrive-t-il ? Le processus de pensée ne s’interrompt-il pas immédiatement ? Vous ne regardez pas l’enfant avec tous ces sentiments de « mon » enfant, etc., vous savez ; mais comme un être humain, le rebondissement de l’innocence dans tous les membres. Alors, une tendresse surgit dans le cœur et vous l’appelez « amour », un amour sans motif, sans échange, sans rien attendre en retour. L’enfant jouit de votre amour et vous jouissez de l’innocence sacrée qui se manifeste à travers l’enfant, n’est-ce pas ?

Cela n’indique-t-il pas, mes amis, qu’au-delà de l’énergie de la pensée, il existe d’autres énergies en nous ? La sensibilité qui surgit ou la douleur et l’agonie, lorsque vous êtes confrontés à la mort soudaine d’une personne aimée. Le mouvement de la pensée s’arrête immédiatement et il y a une profondeur de souffrance, de douleur et d’agonie, que l’on pourrait simplement appeler « chagrin », un chagrin partagé par toute l’humanité, qui est la croix que la race humaine doit porter, la séparation définitive des êtres avec lesquels vous avez vécu, avec lesquels vous avez partagé les peines et les joies de la vie. Séparation irréversible, et le mouvement de la pensée s’arrête, s’immobilise.

Et si le chagrin n’est pas lié à l’ego et ne crée pas un nœud de souffrance personnelle, ce chagrin génère aussi une énergie. L’énergie de la joie, de la sensibilité, de la tendresse, de l’amour et du chagrin, ce sont toutes des énergies non rationnelles, non cérébrales, non sensuelles, n’est-ce pas ? Vous n’avez pas besoin de gourou, de maître ou d’enseignant pour vous les conférer. Ces énergies transpsychologiques semblent faire partie de notre vie. Bien qu’elles nous rendent visite et traversent momentanément notre conscience, elles ne n’ont pas encore pris une dimension dans notre vie, comme l’énergie consciente de soi qu’est la pensée, avec laquelle nous vivons et à partir de laquelle nous nous entrons en relation.

La spiritualité est la transcendance de cette énergie de pensée enfermée en elle-même, vers le vide de ces énergies inconnues. Vous pouvez écrire des hymnes sur l’amour, mais savons-nous ce qu’est l’amour ? L’amour peut-il jamais être connu par l’intellect, par le mouvement cérébral, les mots peuvent-ils jamais définir ou décrire ce qu’est l’amour ? Toutes les langues du monde peuvent-elles expliquer ce qu’est le silence ? C’est quelque chose à ressentir.

Outre la structure biologique, les pulsions, les instincts qu’elle contient, et la structure psychologique, qui a été créée et nourrie par la race humaine sur le plan conceptuel et idéologique, il semble exister un champ d’énergie, non touché par la pensée, non mutilé et non corrompu par la connaissance, non identifié par nos philosophies et nos théologies. Existe-t-il quelque chose comme l’amour hindou et l’amour chrétien, la paix catholique et la paix communiste, la paix américaine et la paix nicaraguayenne ? Il semble y avoir une dimension transpsychologique et des énergies transpsychologiques, que nous avons peut-être ignorées. Nous avons été occupés par l’éclat du monde dit matériel, nous avons été occupés par le romantisme du plaisir que nous procurent les pensées et les émotions. Ainsi, nous ne nous sommes peut-être jamais préoccupés de nous-mêmes, même lorsque ces énergies d’amour et de tristesse, d’intelligence et de compassion nous ont rendu visite momentanément. Nous les avons considérées comme nos expériences personnelles.

Elles ne font pas partie de l’héritage humain et ne sont pas non plus des créations de la pensée humaine. Ainsi, au lieu de les considérer comme des expériences personnelles, si nous commençons à nous interroger sur la nature de cette énergie, à la ressentir, à découvrir ce que le mouvement de l’amour nous fait, ce que le mouvement de la perception de la vérité nous fait, si la compréhension de la vérité aboutit également à une transmutation — tout cela doit être découvert par nous-mêmes. Une enquête religieuse est l’exploration du domaine transpsychologique, c’est une exploration des énergies existantes et pourtant non conditionnées par la culture et la civilisation humaines.

Si nous sommes ensemble depuis 40 ou 45 minutes, nous avons peut-être remarqué qu’il n’y a rien, ni être ni chose comme un ego individuel, un soi ou un moi. La pensée est une énergie conditionnée, très utile, qu’il faudra utiliser même après avoir compris ses limites. Mais elle n’est pas la totalité de la vie, elle ne peut être assimilée à la totalité. Et pour que les autres énergies inconnues, non conditionnées, soient activées, la fin du mouvement de la pensée semble être une condition préalable.

Parfois, lorsque vous écoutez de la musique ou que vous êtes confronté à la beauté dans les galeries d’art ou à la beauté des traits humains, à la beauté de la nature, il y a parfois un arrêt momentané du mouvement de la pensée. Nous ne parlons pas de cette discontinuité momentanée, nous nous demandons si le mouvement de la pensée peut complètement cesser, de sorte que le mouvement d’autres énergies, comme la sensibilité et l’intelligence deviennent une dimension de notre vie.

Parmi les questions qui ont été remises, plusieurs portaient sur les relations. « Lorsque je dis la vérité, les gens autour de moi se fâchent », disait une des questions. « Comment vivre en harmonie avec les gens qui ne s’intéressent pas à la religion ou à la spiritualité et qui ont des approches différentes ? »

Pourquoi n’auraient-ils pas des approches différentes, pourquoi s’intéresseraient-ils à ce que nous appelons « religion ou spiritualité » ? Et qu’importe si d’autres se fâchent parce que vous osez dire la vérité ?

Nous en venons donc à la question des relations. Nous avons abordé en détail la question du penseur et de l’acteur et de ce qui est au-delà d’eux. Nous disons que la vie est relation et que vivre, c’est être en relation avec les autres. Vivre, c’est être en relation et la vie est un mouvement de relations, c’est ce dont nous avons parlé ces deux derniers jours.

Mais que se passe-t-il en fait en moi lorsque je suis en relation avec les autres ? Tout d’abord, il y a des besoins physiques, et en entrant en relation, en coopérant, en partageant avec les autres, les besoins physiques peuvent être satisfaits. L’homme est un animal social et n’aime pas beaucoup l’isolement. Sur le plan physique, il y a des besoins et vous entrez en relation avec les gens. On ne peut pas cultiver la nourriture, tisser des vêtements, construire des maisons, tout par soi-même. Les exigences et les besoins physiques obligent les animaux humains à se rassembler, à s’entraider. Les relations ont donc cet aspect physique, matériel.

La tragédie de la vie humaine est que, même à la fin du 20siècle, après avoir habité cette merveilleuse planète appelée « Terre », nous n’avons pas appris à satisfaire nos besoins fondamentaux sans nous exploiter les uns les autres, sans nous dominer les uns les autres. Nous avons encore l’esprit tribal et nous nous divisons en petites ou grandes nations, en nationalités ou en blocs de puissance et de superpuissance, en tiers monde ou quatrième monde.

Pourtant, il est possible, avec les ressources disponibles sur la planète, de vivre ensemble, et de satisfaire décemment les besoins physiques qui sont limités. Le corps n’a besoin que d’une quantité limitée de nourriture et d’un nombre limité de vêtements. Les besoins physiques ne sont jamais illimités, ce sont les désirs, créés par l’esprit, qui sont illimités. Nous devons distinguer les besoins physiques des désirs psychologiques, qui sont créés au nom de la culture et de la civilisation.

Ainsi, les relations sur le plan physique et matériel peuvent être harmonieuses, si nous sommes prêts à abandonner les anciennes superstitions sur les divisions entre les êtres humains, les supériorités et les hiérarchies et toutes ces absurdités. Les problèmes commencent au niveau psychologique. Je crée un désir, un réseau de désirs autour de moi, et je sens que je dois posséder et contrôler des êtres humains, comme je possède une maison ou des biens matériels. L’autre personne doit être à mes ordres. C’est vraiment le contenu de nos relations, que l’on se marie et que l’on vive comme mari et femme, ou que l’on vive sans se marier comme amis. Cet instinct de propriété et de possession est un instinct non inscrit, mais profondément ancré en nous.

Deuxièmement, je pense qu’il doit y avoir un accord entre les personnes qui vivent ensemble ; un accord de tempérament, un accord intellectuel. Mais les êtres humains ne sont jamais des copies conformes les uns des autres, ils sont uniques, ils ont leur propre tempérament, leurs propres idiosyncrasies, leurs différentes approches. Ainsi, pour vivre ensemble, ou pour avoir des relations les uns avec les autres, il faut comprendre que nous ne sommes pas des copies conformes et que nous ne pouvons pas en créer.

Nos enfants aussi sont des personnalités indépendantes, ils ne peuvent pas être manœuvrés, manipulés, modelés dans ce que nous avons été ou dans ce que nous voulons qu’ils soient. Si nous voyons que tous les êtres humains ont leurs propres idiosyncrasies et qu’ils peuvent avoir des approches différentes, alors il n’y aura pas cette impatience en nous, dans notre vie quotidienne, d’obtenir un accord ou une acceptation de l’autre, de ce que nous faisons et disons. Nous partageons, nous communiquons, nous racontons, nous décrivons, nous persuadons, mais nous laissons ensuite l’autre à sa liberté sacrée de décider ce qu’il ressent à propos de notre communication ou de notre dialogue. Le respect de la vie semble être le fondement d’une relation authentique. Si la relation est basée sur un désir psychologique de propriété et de possession, de domination ou de dépendance, il est certain qu’il y aura de la misère et de la souffrance.

Lorsque je communique avec les autres et je partage la vérité que je comprends, est-il nécessaire que cette communication devienne assertive ? Si j’affirme et dis : « C’est la vérité que je vois et c’est la seule vérité, la vérité absolue, et donc vous devez la suivre. Vous n’êtes pas capables de voir la vérité, seuls moi et quelques privilégiés y avons accès, alors vous devez vous conformer, me suivre ». Les gourous et les enseignants religieux ne sont pas les seuls à le faire ; nous le faisons dans nos familles, les uns avec les autres, de manière très subtile.

L’approche autoritaire de la vie prive l’autre de sa liberté. Ainsi, mes amis, ce n’est peut-être pas la vérité qui dérange les autres, c’est peut-être la façon dont nous exprimons la vérité qui dérange les autres. La vérité possède son propre pouvoir pénétrant et elle est destinée à détruire l’illusion, tout comme la lumière dissipe les ténèbres.

C’est la qualité de la conscience derrière l’expression qui dérange l’autre. S’il y a un sentiment de supériorité, s’il y a une arrogance de l’intellect, si l’on adopte des airs condescendants, alors naturellement, que l’on dit la vérité ou que l’on dit quelque chose d’autre, cela ne manquera pas de déranger. Nous devons apprendre à communiquer de manière non assertive.

Et supposons que la vérité ait été transmise avec douceur, soin et grâce, et qu’elle bouleverse l’autre ? À votre place, je ne m’en inquiéterais pas. Mais je ne demanderais pas à la personne : « Pourquoi êtes-vous contrarié ? Vous ne devez pas être contrarié, vous ne devriez pas l’être », je ne commencerais pas à prêcher. Nous devons laisser à l’autre personne le temps de digérer la vérité, de la recevoir, de la laisser percoler dans les différentes couches de son être. Il faut donc laisser la vérité et la personne tranquilles.

En ce qui concerne l’aspect de l’harmonie : « Comment peut-il y avoir de l’harmonie ? » L’harmonie est-elle quelque chose que l’on peut manipuler mécaniquement ? Si l’on est obligé de vivre avec des gens qui ont des approches et des conditionnements différents, on prendrait soin de trier les éléments fondamentaux de sa vie. On ne ferait pas de compromis sur les fondamentaux, mais lorsqu’il s’agit de détails de la vie, on essaierait de s’adapter aux autres. S’adapter dans les détails et rester ferme comme un roc dans les principes fondamentaux.

L’harmonie est le parfum de votre attitude face à la vie. C’est le mouvement d’humilité en paroles et en actes qui génère le parfum de l’harmonie. Et si les autres sont agressifs ? S’il s’agit d’une relation d’intimité, on peut le signaler. On peut dire : « Mon ami, tu deviens agressif », et si l’autre crie et dit : « Je ne suis pas agressif », ou bien, quand les gens sont très en colère et qu’on le leur fait remarquer, ils crient encore plus fort et disent : « Je ne suis pas en colère, je n’ai jamais été en colère, qui a dit que j’étais en colère ? ». N’est-ce pas là le côté comique des relations humaines ? C’est ce que nous faisons, c’est ce que nous sommes. « Je ne me mets jamais en colère, je ne perds jamais mon calme, vous savez, je suis un chercheur religieux ». Donc, s’il y a une réceptivité, vous pouvez la souligner, mais s’il n’y a pas de réceptivité, vous ne coopérez pas avec l’agression. Vous dites : « Je ne peux pas me joindre à vous dans ce que vous dites, dans ce que vous faites ». Il faut beaucoup de subtilité lorsqu’on veut vivre la vérité que l’on comprend. La vérité doit être vécue de manière esthétique, mes amis, pas de manière grossière.

Si vous m’accordez encore quelques minutes, je voudrais aborder un autre aspect des questions qui m’ont été posées. La question portait sur la dépression occasionnelle. L’auteur de la question dit : « Parfois, on se sent en harmonie avec le monde entier et avec soi-même, et parfois on est déprimé. Que fait-on dans ce cas ? » Nous abordons ces questions, parce que nous avons abordé le thème de la « spiritualité dans la vie quotidienne », et elles ne peuvent donc pas être traitées comme des questions purement personnelles. Si un problème, un défi, est véritable, non emprunté à des livres et greffé sur nous à partir de la vie d’autres personnes, alors nous devons nous pencher sur la question.

Lorsque vous utilisez le terme « dépression », il peut s’agir d’un état pathologique de dépression, c’est-à-dire que l’attitude négative s’est infiltrée dans tout le corps, dans tous les systèmes du corps. Ce n’est que lorsque l’attitude imprègne toutes les couches de votre être que l’état pathologique est créé. Mais si c’est du découragement, vous savez que la dépression est un état pathologique, mais le découragement peut être momentané. Quelque chose vous a blessé, quelque chose vous a désillusionné et il y a une poussée de découragement, tout à fait naturelle.

Lorsque l’on est envahi par l’humeur dépressive, il ne faut pas se précipiter pour prendre des médicaments afin de faire disparaître les symptômes. Je pense que c’est commencer par le mauvais bout. Il faut plutôt s’interroger : « Quelle est la cause de cette déprime ? Si je suis déçu, qu’est-ce que j’espérais ? Étais-je en droit de l’espérer ? Étais-je vraiment en droit d’attendre ce que j’attendais des autres ou de moi-même ? » On préfère trouver ce qui a causé la déception, plutôt que de traiter immédiatement la déception par une drogue, ou un médicament.

Vous savez, être religieux, c’est faire face à la douleur et au plaisir de la vie sans le moindre désir de fuir ou d’y échapper. Être religieux, c’est vivre pleinement, avec la totalité de son être, sans tourner le dos à ce que la vie nous apporte. L’affronter, le rencontrer, le résoudre, le combattre, s’y consacrer, car ce n’est que par l’acte de vivre que le mystère du sens de la vie peut être découvert. Ce ne sont pas les philosophies ou les théologies qui permettront de découvrir le mystère. C’est votre propre acte de vivre, aussi fragile et faible est-il, qui dévoile le mystère de la vie et de la mort.

Il faut donc essayer d’en trouver la cause et d’y faire face. Au lieu de s’agiter à cause du découragement, on s’assiérait tranquillement pendant un certain temps et on laisserait le nuage d’humeur s’évacuer du système ou être lavé du système. Vous savez, lorsque nous essayons de traiter les symptômes, nous compliquons le problème.

S’il s’agit d’une dépression pathologique, la personne aura besoin de l’aide d’amis qui connaissent des sciences comme la naturopathie, l’acupression, l’homéopathie, car la dépression pathologique indique un déséquilibre minéral dans le corps, et ce déséquilibre minéral doit être corrigé. Dès que le déséquilibre minéral est corrigé, la maladie disparaît.

Enfin, mes amis, il semble nécessaire de ne pas créer de problèmes à partir des faits. Ce travail de la vie quotidienne et de l’existence soulève de nouveaux défis, non seulement chaque jour, mais peut-être chaque heure. Alors nous regardons le défi, nous essayons de le comprendre, nous le relevons attentivement avec toute l’énergie dont nous disposons, et nous en subissons les conséquences, quelles qu’elles soient. Une enquête religieuse ne doit pas être menée uniquement sur le plan intellectuel, théorique, verbal, académique, mais aussi à travers le mouvement des relations. L’acte de vivre est l’acte d’enquête, c’est la sphère d’apprentissage. La vérité peut être découverte dans l’interaction réelle avec la nature, avec les gens. La vérité n’est pas une abstraction, c’est l’essence même de l’existence.

Mais je pense qu’il faut que je m’arrête. Je vous remercie de votre collaboration.

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MOMENTS RARES

Nos cœurs sont nos champs de bataille.
Où les guerres sont menées éternellement.
Où les désirs contradictoires aboient sans relâche.
Où des ambitions contradictoires dansent violemment.
Où la satisfaction de l’un frustre l’autre.
Où la victoire de l’un fait perdre l’autre.

Les moments précieux sont rares.
Lorsque nous vivons dans une grâce paisible.
Lorsqu’il n’y a aucune tension dans le cœur.
Lorsqu’il n’y a aucun conflit dans l’esprit.
Lorsque l’action respire une liberté sacrée.
Lorsque l’action est son propre accomplissement.

Ce sont les moments d’amour.
Dans lesquels il y a une union complète.
Dans lesquels l’action et l’acteur se fondent dans l’unité.
Dans lesquels l’amant et l’aimé transcendent la dualité.
Dans lesquels toutes les directions cessent d’exister.
Dans lesquels tous les buts cessent d’exister.