Krishnamurti
La transformation radicale

Maintenant, est-il possible d’observer notre conscience, non à deux niveaux disjoints, mais totalement ? Est-ce que je peux observer ma conscience, non pas comme l’inconscient et le conscient, mais comme une totale unité, indivise, une chose qui est intrinsèquement complète ? Est-il possible d’observer ainsi ? Ce n’est possible que lorsque je comprends très clairement que cette division est artificielle — peut-être est-elle commode et peut-être permet-elle d’expliquer certaines activités névrotiques — mais, en réalité, elle est totalement créée par l’homme, par la pensée.

Sixième Conférence Public de Krishnamurti à Saanen (Jeudi 20 Juillet 1978), traduite par René Fouéré dans un style respectant l’oralité. Fouéré effectuait la traduction des enregistrements sur place et les lisait au public francophone le lendemain. Le titre est de 3Millénaire.

De quoi devrions-nous parler ? Si je puis me le permettre, j’aimerais étudier la question de savoir ce que signifie — pas seulement les mots ou les idées — le fait qu’un être humain, tel que nous, devrait amener en lui-même un changement très profond. Qu’est-ce que cela signifie ? Nous allons nous servir du mot « changement », non pour indiquer une modification de détail, faisant passer de ceci à cela, mais une transformation ou une mutation affectant la structure même de notre conscience. Je voudrais parler de cela, si vous me le permettez.

Parce que les êtres humains que nous sommes semblent rester dans leur tradition, leur culture, leur structure économique et sociale et, psychologiquement, intérieurement, suivre un certain modèle pour le reste de leurs jours — que ce modèle soit sexuel, imaginaire, chimérique, mythologique ou qu’il soit celui d’une vie mondaine très réaliste.

Cela semble être le modèle de notre existence.

Nous pouvons être très mondains — et, par ce terme « mondain », je veux dire très superficiel, vivant seulement au niveau des sens, avec de l’argent, une position, en liberté (une liberté occasionnelle), avec du laisser-aller, etc., vivant superficiellement et acceptant ce qu’est la société, ce qu’est la structure économique.

Mais il y a ceux qui veulent une révolution sanglante selon une certaine idéologie, un retournement physique de toute la voiture de pommes ! Vous savez ce que j’entends par voiture de pommes ? Il ne s’agit pas des pommes réelles, mais de l’idée des pommes.

Ils ont essayé toute espèce de révolution physique, économique. Et, apparemment, cela n’a pas amené de changement dans l’homme : contraindre l’environnement, imposer certaines lois économiques, les imposer ! Selon des croyances et des idéologies totalitaires, etc., etc. Ils ont essayé toutes les formes, tous les moyens, toutes les structures, économiques, sociales, culturelles, pour amener chez l’homme un changement fondamental.

Les religions aussi ont essayé cela. D’accord ? Elles disent : « Oubliez-vous vous-même, abandonnez-vous au Christ », ou à cette personne ou à cette autre. Ou : « Remettez-vous entre les mains de quelque gourou » — ce qui est très pratique pour le gourou. Etc. Et, apparemment, d’après tout ce que l’on observe — et cette observation n’est pas occasionnelle ni faite conformément au désir de l’observateur — et, si l’on observe de très près, très profondément, l’homme n’a pas fondamentalement changé millénaire après millénaire.

Maintenant, nous demandons : est-il possible d’amener une révolution psychologique fondamentale ? Non pas simplement un émondage de l’arbre, çà et là, mais, un changement, une transformation, profonde, permanente, durable, irrévocable.

Parce que nous ne sommes pas heureux tels que nous sommes. Je ne sais pas pourquoi nous vivons de cette manière. Nous sommes généralement misérables, dans le conflit, jaloux, anxieux — nous sommes passés par tout cela. Nous acceptons tout cela. Nous sommes conditionnés en fonction de cela. Si vous vivez dans un État totalitaire, après un certain temps, vous vous y accoutumez. Vous acceptez toutes les restrictions, les contraintes, la terreur, et tout le reste.

Donc, un être humain peut-il amener une transformation durable ? C’est ce dont nous allons parler, si vous le permettez.

On devrait, de soi-même, se poser cette question : pourquoi nous, êtres humains, vivons-nous de la manière dont nous vivons ? Et, pouvons-nous vivre en ce monde en y amenant la révolution ou transformation psychologique fondamentale, et continuer d’y vivre sainement, rationnellement, en exerçant une profession, et tout ce qui s’ensuit ? Pouvons-nous étudier cela ? Si vous êtes intéressés à cela, et j’espère que vous l’êtes.

Tout d’abord, l’Occident a divisé ainsi la conscience : l’inconscient et le conscient que ce dernier est profond ou superficiel. Et on peut temporairement amener un changement qui est une modification dans la conscience superficielle et évidente. Cette conscience superficielle peut s’adapter à n’importe quoi, à la terreur, aux guerres, à tout le labeur des êtres humains — superficiellement.

Mais, il y a l’inconscient, les couches profondes et cachées de l’esprit — l’esprit étant la conscience, — et, nous nous servons de ce mot « esprit », dont nous avons soigneusement expliqué, le sens, nous n’y reviendrons pas. L’inconscient profond, cette entité, fait partie de la race et renferme les exigences inconscientes profondes, les peurs et un sentiment de profond chagrin.

Je pense que c’est une grande erreur de diviser la conscience en ces deux départements : le conscient et l’inconscient. La conscience est totale.

Vous pouvez la diviser pour des raisons de commodité, d’exploration, d’enquêtes, mais aussi longtemps qu’on maintient cette conscience divisée en conscience profonde et en conscience plus élevée, il n’y a pas seulement conflit, mais encore, si l’on approfondit la chose, le sentiment d’un passé qui persiste et qui ne cesse de diriger, de façonner le présent.

Maintenant, je vous en prie, comme je l’ai dit, comme nous l’avons dit, il n’y a pas ici d’orateur. Vous vous posez ces questions vous-mêmes. Et nous nous servons de mots qui sont usuels. Et nous ne sommes pas entraînés par les mots.

Vous pouvez avoir lu certains ouvrages psychologiques, disposer de certains jargons, avoir certaines idées. Et ces idées, ces mots, vous entraînent, vous dirigent, influencent votre pensée, vous dictent vos réactions, etc. Si vous êtes dans ces dispositions, notre communication l’un avec l’autre devient extrêmement difficile. Tandis que, si nous nous servons du mot dépouillé de toutes les associations que notre éducation, nos lectures lui ont ajoutées, émotionnellement ou non, si nous pouvons nous en servir clairement, simplement, alors nous serons en communication l’un avec l’autre. D’accord ? Et j’espère que vous ferez ainsi pendant que nous parlerons ensemble.

Or, l’inconscient, le niveau le plus profond, peut-il être révélé ? Révélé totalement, complètement, exposé à la vive lumière de la perception ?

Ou doit-il être étudié au moyen des rêves, des pressentiments et des prémonitions occasionnels ou de quelque forme d’intuition ? Je n’aime personnellement pas ce mot « intuition », car vous pouvez avoir une intuition à propos de n’importe quoi, et ce peut être votre propre désir qui vous pousse à avoir certains sentiments à propos de quelque chose. Donc, nous ne nous servirons pas du tout de ce mot.

Donc, est-il possible de scruter sans analyse les couches les plus profondes de notre propre esprit ? Vous comprenez ma question ? Je vous en prie, suivez cela. C’est votre vie et non la mienne.

Puisque les psychologues ont introduit cette division, l’esprit conscient pense qu’il peut scruter l’inconscient. Il peut alors procéder à l’analyse de ses rêves, de ses activités superficielles, de ses réactions. C’est toujours à partir du superficiel, à partir du conscient que l’on fouille dans l’inconscient. D’accord ? Et, en cela, il y a beaucoup de danger, parce que l’esprit conscient est plein d’exigences sensorielles imaginaires, de croyances, etc. Avec tout cela, il essaie de se livrer à des recherches sur quelque chose qui est caché. Vous suivez cela ?

Et, il y a ces gens qui essaient d’étudier leurs réactions, leurs actions, etc., en groupe, se disant la chose l’un à l’autre, ce qui revient à se parler à soi-même. Vous suivez tout cela ?

Et cette division est toujours maintenue. En sorte qu’il y a toujours conflit entre l’extérieur et l’intérieur : l’extérieur étant le conscient, le superficiel ; et, l’inconscient, le plus profond. Je ne sais pas si vous n’avez pas remarqué tout cela. Vous n’avez pas besoin d’aller vers quelque psychologue, quelque philosophe, ou quelque spécialiste professionnel en matière de psychologie. Vous pouvez observer tout cela en vous-même, si vous savez comment lire en vous-même. Et la plupart d’entre nous n’en ont pas eu soit l’énergie, soit la curiosité. Ils n’ont pas ressenti cette exigence qui dit : « Je dois découvrir ».

Mais, quand il y a une crise, alors nous allons vers quelque spécialiste, espérant qu’il résoudra nos problèmes. Donc, nous sommes toujours dépendants de quelqu’un. Et celui dont nous dépendons est pareillement conditionné. Peut-être plus enclin encore à diviser, un peu plus névrotique ; et il doit se faire analyser par un autre analyste, etc., et le jeu continue. C’est ce que nous faisons : dépendre de quelqu’un qui nous dise quoi faire, comment penser, comment sortir de nos propres problèmes, de nos propres crises de désespoir.

Maintenant, est-il possible d’observer notre conscience, non à deux niveaux disjoints, mais totalement ? Vous comprenez ma question ? Est-ce que je peux observer ma conscience, non pas comme l’inconscient et le conscient, mais comme une totale unité, indivise, une chose qui est intrinsèquement complète ? D’accord ? Est-il possible d’observer ainsi ? Vous comprenez ma question ? Ce n’est possible que lorsque je comprends très clairement que cette division est artificielle — peut-être est-elle commode et peut-être permet-elle d’expliquer certaines activités névrotiques — mais, en réalité, elle est totalement créée par l’homme, par la pensée. D’accord ? Est-ce que nous suivons l’un l’autre ? Vous posez ces questions vous-mêmes. Je ne vous demande pas de vous les poser.

Donc, nous demandons : est-il possible d’observer sans aucune direction de recherche, sans aucune distorsion, ce mouvement total de la conscience ? C’est possible quand vous n’avez pas de direction de recherche. Ce qui veut dire que du moment que vous avez un motif, vous donnez une direction à votre observation. D’accord ? Du moment que vous voulez tirer quelque chose de votre observation, elle devient déformée. Vous dites : « Eh bien ! Je dois aller au-delà de cette entité limitée ! » Le désir même d’aller au-delà de cette limite est né de son propre conditionnement. Par conséquent, c’est encore déformé. J’espère que vous suivez tout cela.

Donc, est-il possible d’observer sans direction de recherche, sans motif, sans espoir de récompense et sans crainte de punition — est-ce possible ? Ne dites pas, « oui » ou « non ». Nous devons découvrir cela par nous-mêmes. Pouvez-vous observer votre femme, votre fille, quoi que ce soit que vous observiez, sans un motif ? Sans une direction de recherche ? Sans désirer, retirer quelque chose de cela ? Ce qui signifie qu’alors toute votre attention est là. Il n’y a pas de déviation. Vous suivez cela ? Alors, vous êtes complètement alerte et conscient. Et, alors, seulement, il est possible d’observer ce phénomène total de la conscience en action.

Et pouvez-vous observer sans tout cela ? Nous disons : « Ce n’est pas possible instantanément » et nous nous entraînons et graduellement, jour après jour, nous cultivons l’attention. D’accord ? S’entraîner à acquérir une lucidité qui est l’essence de la sensibilité ! Être si terriblement sensible. Si vous n’êtes pas sensible, vous ne pouvez pas être attentif, donc, vous vous entraînez à la sensibilité, une sorte de… vous savez. Nous sommes ainsi. Nous sommes réellement des singes. Ce qui signifie que nous n’avons pas fondamentalement compris que, partout où il y a intention, désir, entraînement en vue de faire quelque chose, alors, cette sorte d’attitude mentale est entièrement vide de toute sensibilité, de toute attention.

J’espère que vous participez tous à cette recherche. La faites-vous pendant que nous parlons l’un à l’autre ? Et non pas demain ou un autre jour, mais maintenant, alors que vous êtes assis là, parlant ensemble, voulez-vous faire cela ? Le faites-vous ? Sans orientation, sans motif, sans désir d’une récompense pour faire quelque chose sous peine d’être punis. Êtes-vous totalement en dehors de tout cela ?

Alors, y a-t-il une observation de toute la nature, de la structure et du mouvement complexe de la conscience saisie dans sa totalité ? Alors, il est possible d’amener une transformation qui est fondamentale, profonde, réelle. Car il n’y a pas là d’action positive. Nous avons expliqué cela, ce que nous entendons par action positive. C’est-à-dire, essayer de faire quelque chose au sujet de votre conscience, essayer de la forcer, de la maîtriser, de l’élargir, de la réprimer. La conscience signifie tout son contenu, vos colères, vos désirs, vos exigences sexuelles, vos croyances, vos dogmes, votre appartenance à une certaine culture, tout cela fait partie de la conscience.

L’observer comme le font la plupart des gens — si tant est qu’ils l’observent : — essayer de faire quelque chose à son propos. C’est-à-dire : « Je dois être libre de l’Église ! », et, en se libérant d’un corps religieux particulier organisé, ils basculent dans un autre corps religieux et pensent qu’ils ont terriblement changé. C’est le même modèle répété encore et encore.

Donc, pouvez-vous observer tout ce mouvement ? Ou devez-vous prendre chaque réaction, fragment par fragment ? Vous comprenez ma question ? Je pense qu’elle est claire. Je la rends claire. Si je suis sensuel, je suis préoccupé au sujet du sexe. Si je suis tracassé au sujet de mes rapports avec ma femme, non seulement en ce qui concerne le sexe, mais à d’autres égards, je suis préoccupé de cela. Je suis préoccupé de ma santé. Nous mettons l’accent sur une chose et négligeons les autres. D’accord ? Nous devons avoir une parfaite santé et, par conséquent, vous devenez un végétarien, et Dieu sait quoi d’autre ! Et vous devenez névrotique à ce sujet. C’est ce que nous faisons tout le temps.

Vous allez en Inde pour découvrir Dieu, ou atteindre l’illumination.

Vous savez, il y a une jolie histoire indienne : un jeune homme quitte sa famille et va trouver des maîtres divers dans toute l’Inde et leur demande de lui enseigner la vérité. Il erre pendant environ trente, quarante, cinquante ans et ne trouve pas la vérité. Finalement, devenu un vieillard, il retourne à sa maison. Il frappe à la porte, la porte lui est ouverte par quelqu’un et juste alors, il voit la vérité ! Vous comprenez ? Elle est ici et non là-bas.

Nous parlions avant-hier de toute cette question de la nature de l’amour. Et, cette totalité de la conscience qui est faite des incidents, des accidents, du savoir, de l’entraînement, des croyances, etc., etc., cette conscience peut-elle vivre ou comprendre de qu’est l’amour ? Notre conscience, évidemment, est assemblée, construite par la pensée, et la pensée, si vous l’avez étudiée, est limitée et nous lie au temps.

Donc, cette conscience, qui est le résultat de siècles de réactions et de dangers variés, etc., etc., de peurs, etc., cette conscience peut-elle contenir cette chose que nous appelons l’amour ? Vous comprenez ma question ? Ou est-ce que l’amour se trouve au-delà de cette conscience ? Ce qui signifierait que la pensée n’aurait aucune espèce de relation avec l’amour. D’accord ?

Voyez-vous la vérité de cela, et non l’idée de cela ? Par conséquent cela devient extraordinairement important si vous désirez découvrir ce qu’est cette chose étonnante qu’on appelle l’amour.

Il doit y avoir une transformation dans votre conscience. Comment est-ce possible ? Sans effort, c’est-à-dire, sans motif, sans aucune tension, sans que la pensée s’exerce en aucune manière à aller au-delà d’elle-même. Est-ce possible ?

Vous savez, découvrir cela fait partie de la méditation.

En d’autres termes, est-ce que la pensée peut devenir complètement vide, excepté le domaine où le savoir est nécessaire. Comprenez-vous ? Nous rencontrons-nous les uns les autres, quelques-uns d’entre nous, tout au moins ?

C’est-à-dire, la pensée, avec toute son activité, peut-elle parvenir à un terme, excepté dans ce domaine limité ? C’est l’art de la perception. L’art de la perception, la vision, consiste à mettre chaque chose à sa place.

De cela surgit une autre considération : la conscience contient la douleur de l’humanité. En d’autres termes, en tant qu’êtres humains, vous faites partie du monde. Vous êtes le monde. Ce n’est pas une idée, quelque chose qui aurait été fabriqué intellectuellement par la raison, et vous ferait dire : « Oui, c’est tout à fait juste ». Mais, c’est la réalité. La vérité est que vous représentez, en tant qu’être humain, le reste de l’humanité. Vous souffrez, vous êtes anxieux, incertain, vous êtes dans la confusion, misérable, apeuré, froissé, blessé, et chaque être humain connaît tout cela. Donc, votre conscience est la conscience de l’humanité. Si c’est la vérité pour vous, pas une idée, alors, que se passe-t-il ? Vous comprenez ma question ? On a vécu comme un individu, on a combattu, on a lutté pour s’exprimer, on a exigé — vous suivez ? —, comme un individu, limité, enfermé, étroit. Et il est très, très difficile de voir la vérité de ce fait que vous êtes le reste de l’humanité, qu’il y a en vous la totalité de l’homme, et, par conséquent, ses peurs, ses anxiétés, sa méchanceté, ses arrogances, son orgueil, sa violence, tout cela, et sa douleur. D’accord ? Et l’humanité a vécu avec cette douleur. D’accord ? Elle a vécu avec cette douleur, elle a accepté la douleur comme faisant partie de sa vie. Et si elle ne l’accepte pas, elle s’en évade au moyen de toutes les formes d’amusement, de distraction, religieuses et autres. Ou elle personnifie cette souffrance sous la forme d’une image, ce que les chrétiens ont fait, et ils pensent avoir résolu ce problème.

Maintenant, notre question est celle-ci : est-ce que cette douleur, non seulement votre petite douleur particulière, mais la douleur de l’humanité, peut prendre fin ? Vous comprenez ?

Quelle prodigieuse perception c’est, si vous pouvez voir cela : que votre souffrance n’est pas vôtre, qu’elle est celle de tous les hommes, de l’humanité ! Alors, vous ne criez pas. Vous ne versez pas de larmes sur vos petites blessures, sur vos petits échecs, sur vos petites anxiétés, etc. Mais, quand vous vous rendez compte que vous êtes le représentant de toute l’humanité, cela crée un extraordinaire sentiment de vitalité, d’énergie.

C’est seulement quand vous pensez à vous-même, à votre douleur, que cette vaste énergie se trouve confinée dans un étroit petit canal, et elle devient plutôt sale.

Maintenant, est-il possible que la douleur prenne fin ? Si elle prend fin chez un être humain — je vous en prie, suivez-moi pendant un moment, suivez-moi un peu — si la douleur prend fin chez un être humain, qui est le représentant de toute l’humanité, cette fin de la douleur affecte toute la conscience humaine. Vous comprenez ? Staline a affecté toute la conscience de l’homme. Non ? De même Hitler, et tout le reste de ces notoriétés mondiales ou nationales. Par le prêtre, l’idée de Jésus-Christ a affecté l’humanité. D’accord ?

Vous accepterez cela plus aisément.

Donc, quand la douleur prend fin de manière fondamentale chez un être humain — qui est le représentant de toute l’humanité —, cela exerce une action sur l’humanité entière. Je me demande si je me fais bien comprendre ? Avez-vous compris quelque chose, Messieurs ? Non pas ce que je dis ! Voyez-vous la vérité de cela, que c’est un fait.

En d’autres termes, la plupart d’entre nous ont quelque espèce de douleur, soit que nous sommes en mauvaise santé ou que nos enfants ne sont pas ce qu’ils devraient être, etc., ou que nous ne puissions jamais atteindre l’autre côté du fleuve, ou que nous ne pourrons jamais être aussi intelligent que quelqu’un d’autre, ou bien il y a l’amour de quelqu’un qui meurt, la souffrance de milliers de gens qui ont été tués au cours des guerres. Maintenant que peut faire un être humain, vous, que peut-il faire ou ne pas faire pour mettre un terme à cela ?

Prenez un incident quotidien, ordinaire, concernant la mort. Quelqu’un, que vous dites aimer, meurt ; de vieillesse, de maladie, d’accident, etc. Il meurt. Et vous l’avez perdu, lui ou elle, et vous versez des larmes de solitude, vous versez les larmes que vous fait répandre cette perte soudaine, cette perte irrévocable ; rien ne peut le ramener ou la ramener. Vous êtes complètement abandonné, soudainement isolé, parce que vous étiez si attaché, vous vous étiez donné si complètement à cette personne et, quand elle meurt, vous découvrez combien vous êtes vide. Vos larmes sont des larmes d’apitoiement sur vous-même, des larmes sur la perte de quelqu’un, des larmes de solitude. D’accord ?

Nous appelons cela la douleur. Et cette douleur peut-elle prendre fin ? Cela ne signifie pas que vous êtes dur, indifférent, que vous devenez complètement isolé de toute chose et, par conséquent, assuré de votre protection.

Est-il possible de mettre un terme à la douleur ? Non pas la douleur liée à la perte de quelqu’un, mais la douleur dans tout le sens de ce mot, dans sa profondeur, dans son énormité, avec tout son poids.

C’est possible seulement lorsque vous, en tant qu’être humain, observez cette douleur, sans faire aucune action, sans rien faire à son sujet, en vous bornant à être entièrement avec elle. Vous comprenez ? Votre femme ou votre amie vous a abandonné. Vous êtes jaloux, en colère, méchant, haineux — et vous vous rendez compte de cela, si vous êtes si peu que ce soit intelligent, conscient. Alors vous dites « Je dois sortir de cela ! ».

Mais, rester avec cela, c’est tout autre chose ! Rester totalement, sans aucun mouvement, avec votre jalousie, avec votre colère, avec votre haine — vous comprenez ? — complètement avec cela ! Ne pas vous identifier avec cela, parce que vous êtes cela, mais rester avec cela sans aucun mouvement. Je me demande si vous saisissez quelque chose.

Alors, vous verrez que survient une extraordinaire transformation. La transformation qui survient lorsque la douleur prend fin est passion. Non pas la convoitise, sexuelle ou autre. La passion est quelque chose d’entièrement différent. Si vous n’avez pas de passion, vous n’existez pas !

Donc, vous découvrirez, si vous restez réellement sans fuir cette chose qui est appelée douleur, qu’un mouvement totalement différent prend place. Et ce mouvement est cette extraordinaire passion qui n’a pas de terme. D’accord ? Et cette passion est compassion. Le mot « compassion » signifie passion pour toutes choses, pour les oiseaux, les arbres, les êtres humains, le roc, l’animal égaré. Mais, quand il y a compassion pour une personne, elle est sans limite, parce que, de par sa nature même, elle inclut toutes choses. D’accord ? Ne vous endormez pas, je vous en prie. Ou ne vous évadez pas dans quelque espèce d’idée imaginaire, mystique, romanesque ! La compassion n’est pas romanesque. Elle n’est pas intellectuelle. Elle n’est pas sentimentale.

À partir de cela, nous devrions discuter du facteur commun à toute l’humanité, qui touche tout être humain, qu’il soit jeune ou vieux, et qui est la fin de la vie, ce qu’on a appelé la mort. D’accord ? Nous devrions approfondir cela. C’est une question très complexe. Comme tous les autres problèmes humains, il est très complexe. Et chaque être humain en ce monde, homme ou femme, a cherché à y trouver une issue, a cherché, il ou elle, à s’immortaliser au moyen de quelque action, de quelque livre, de quelque manière de vivre. Ainsi, cette idée de la fin de la vie est devenue une terreur, quelque chose que l’homme doit éviter à tout prix, retarder aussi longtemps que possible. Et il y a eu mille explications de la mort, rationnelles, irrationnelles, basées sur la croyance, les conclusions et l’espoir. Parce que l’homme ne veut pas mourir, parce qu’il dit : « J’ai amassé tant d’expérience. J’ai cultivé si soigneusement ma maison et mon jardin, intérieurement et extérieurement. J’ai accumulé tant de savoir. J’ai vécu si clairement ! Et pourquoi devrais-je — moi qui ai tant amassé — mettre un terme à tout cela ? Pourquoi ? Et, si c’est tout, je peux aussi bien me borner à vivre très superficiellement, à m’amuser, à faire ce que je désire et à appeler toute cette affaire une vie bien agréable ».

Vous comprenez, les deux extrêmes ? Celui qui ne se fait pas de souci, qui a eu beaucoup d’expériences de toute espèce, sensuelles et autres, et qui dit à la fin : « Très bien ! Poussière pour poussière ! ». L’autre dit : « Pourquoi devrais-je mourir ? » — vous suivez tout cela ? — « J’ai aimé, j’ai connu la beauté. J’ai nagé contre le courant. Je n’ai suivi personne. Et j’ai essayé de vivre comme un être humain authentique ». — Et, malheureusement, la plupart d’entre nous ne sont pas authentiques.

Donc, nous devons découvrir par nous-mêmes ce que cela signifie de finir, pas cette fin qui est la mort — c’est une des choses — ; mais, ce que cela signifie de finir ?

La fin de mon anxiété. Et non pas ce qui arrive après que j’y ai mis un terme — nous le découvrirons. Mettre un terme à mon désir, à ma nostalgie, à mes frustrations, mettre un terme à mes blessures d’amour-propre, mettre un terme au désir de m’accomplir. Y mettre un terme. D’accord ? Comprenez-vous ? Le fait de mettre un terme à quelque chose, psychologiquement et même physiologiquement. Le fait de mettre un terme à votre attachement à un autre, de mettre un terme à votre croyance, au fait d’appartenir à une institution quelconque, mettre un terme à cela. Qu’arrive-t-il ? Vous suivez ce que je dis ? Si nous comprenons une chose, alors nous pouvons passer à la cessation de ce que nous appelons la vie, et qui est la mort.

La fin de l’attachement. Parce que la plupart d’entre nous sont attachés à quelque chose ou à quelque autre chose. À nos corps, à nos allures, à notre mari, à notre fille, à notre croyance, à notre Dieu — à une chose ou à une autre. Attachement ! Maintenant, pouvez-vous mettre un terme à l’attachement, et non pas dire : « J’obtiendrai quelque chose de cette libération » ? Simplement, rompre ! Chirurgicalement, rationnellement, en voyant toutes les causes de l’attachement, ce qu’il implique — c’est ce que nous avons étudié, je ne vais pas approfondir cela —, et y mettre fin complètement. N’avez-vous jamais fait rien de semblable, mettre fin à quelque chose complètement ? Particulièrement à l’attachement. Faites-le maintenant, pendant que nous parlons. Devenez conscient de votre attachement, mettez-y un terme ! Et voyez, observez. Alors, que se passe-t-il ? Vous ne pouvez pas observer très clairement si vous ne mettez pas un terme à quelque chose. Qu’arrive-t-il ? D’accord ?

Supposons, par exemple, que vous êtes attaché à la nicotine, que vous fumez — je prends cet exemple très ordinaire et plutôt stupide. Qu’arrive-t-il, si, sans avoir peur de la chose, vous y mettez un terme parce qu’elle est irrationnelle : pourquoi gaspiller de l’argent, etc. Si vous y mettez un terme parce qu’elle affecte votre cœur, vos poumons, alors, vous n’y mettez pas vraiment un terme, vous y mettez un terme par peur. Mais, étant conscient de tous les résultats du fait de fumer, de la cause, etc., vous dites : « Je laisse tomber cela complètement ! » — aujourd’hui, maintenant. Alors, qu’est-ce qui s’est passé ?

N’y a-t-il pas eu seulement la libération du fait de fumer, mais est-ce qu’il n’y a pas eu là un nouveau sentiment de liberté, un commencement nouveau ? Vous suivez cela ?

Si vous mettez un terme à votre attachement pour votre pays — vous savez à votre attachement à un meuble, si vous y mettez un terme complètement, alors, il y a un commencement nouveau, n’est-ce pas ? Non ? Il n’y a pas de commencement nouveau si vous faites la chose par peur, si vous la faites à la suite d’une analyse minutieuse, rationnelle. Mais si vous voyez toute la nature de l’attachement, tout ce qu’il implique et que vous y mettiez un terme complètement, alors, vous verrez qu’il y a un commencement totalement nouveau, parce que vous mettez un terme au passé et quand vous mettez un terme au passé, il n’y a pas seulement une nouvelle observation, mais un sens d’extraordinaire liberté et un mouvement qui n’est pas né du passé. Je me demande si vous saisissez tout cela ? Faites la chose et vous découvrirez par vous-même.

Et la mort : nous allons mourir un jour ou l’autre. C’est ainsi, vous savez ! Si chacun de nous vivait pour toujours et toujours, amen ! Pensez à ce que la Terre serait ! Remplie de gens effroyablement vieux, décrépits — vous suivez ? (Rires) Donc, je me demande, et vous vous demandez : pourquoi ne devrais-je pas mourir ? — il ne s’agit pas de se suicider, c’est trop stupide. Pourquoi ne devrais-je pas mourir ? Qu’y a-t-il de mauvais au sujet de la mort ? Pourquoi y a-t-il cette peur colossale à son propos ? Je sais très bien ce que cela signifie de cesser de fumer. D’accord ? J’ai choisi cet exemple bête. Je sais, je suis conscient — non que je sois conscient — il y a une prise de conscience de la cessation de l’attachement à un gourou, à des idées, à un modèle, cessation ! Que se passe-t-il quand je mets un terme à quelque chose ? Il y a en cela un si grand sentiment de liberté et de beauté ! Donc pourquoi ne devrais-je pas… pourquoi n’y aurait-il pas un terme ? Un terme à quoi ? Vous comprenez ma question ? Je sais que je peux cesser de fumer, mettre un terme à un attachement, mais ce terme à l’existence, qui est la mort, quel est-il ? Vous suivez cela ? Tout cela vous intéresse-t-il ? Bien !

Donc, je me demande ce qu’est la vie. Vous comprenez ? Vous suivez ? Je ne me demande pas ce qu’est la fin de la vie, mais ce qu’est la vie. C’est bizarre que vous deviez tous écouter cet homme ! N’est-ce pas ?

Donc, nous demandons : qu’est-ce que la vie ? Peut-il avoir un terme à cette chose qu’on appelle la vie ? D’accord ? Dès lors, je demande qu’est-ce que la vie ? La vie, quotidienne, monotone, routinière, avec tous ses problèmes. C’est ma vie — votre vie. Pas la mienne, pardon ! C’est votre vie, non pas que je sois séparé de vous, mais je ne veux pas aborder cette question.

Quelle est cette fin de la vie ? La fin de quoi ? La fin de mon attachement à un mari, à une femme, à une fille, à un garçon, la fin du savoir, de l’expérience, la fin de toutes les sensations, la fin du sexe. D’accord ? La fin de cette constante bataille avec soi-même et avec les autres. D’accord ? Cette chose, c’est ce que nous appelions la vie. D’accord ? Ce n’est pas mon idée, c’est ce que vous faites.

Maintenant, peut-il y avoir un terme à tout cela ? Un terme à votre souffrance, un terme à votre ambition, à votre orgueil, votre vanité, votre arrogance, votre violence. Pouvez-vous mettre un terme à tout cela ? Naturellement, vous le pouvez. Comme vous avez cessé de fumer, comme vous avez mis un terme à votre attachement à cela, vous pouvez mettre un terme à votre ambition, à votre vanité, à vos blessures d’amour-propre, à vos… — vous savez, tout le reste — nous n’avons pas à entrer dans le détail.

Vous pouvez y mettre fin. D’accord ? Si vous y avez mis fin réellement, et non pas théoriquement, dans la vie quotidienne, alors qu’est-ce que la mort ?

La mort est alors la fin de la sensation, celle des cellules cérébrales. Vous comprenez ? La fin de cela, comme celle d’une feuille en automne. Cette feuille en automne a une belle couleur, elle est pleine de couleur?; il y a, dans cette feuille, l’univers entier, non pas théoriquement, mais réellement. Donc, si vous mettez un terme à la manière dont vous vivez — D’accord ? — alors, il y a un commencement tout à fait différent. Non pas que je commence de façon totalement différente. Car, lorsque vous avez rompu avec l’attachement de façon totale, il n’y a pas eu de « je » qui commençait, il y avait un état de liberté totale à l’égard d’une chose particulière, et, dans cette liberté, il y avait un grand sentiment de délivrance, un commencement totalement neuf, sans les ancres de l’attachement.

Donc, pouvez-vous mettre un terme à ce que vous appelez la vie ? Les tracas, les problèmes. Mettre un terme aux problèmes, ne jamais les transporter avec vous pendant une seule minute, car, si vous avez un problème et que vous le transportiez avec vous encore et encore, jour après jour, pendant toute une année, cela détériore votre cerveau.

Ainsi, nous disons : si vous mettez un terme à la manière dont vous vivez, il y a un commencement nouveau, sans le « moi ». Et alors, la mort n’a pas de sens. Alors, vous ne demandez pas : « Qu’est-ce qu’il arrivera après ma vie ? » D’accord ? Parce que vous avez mis un terme à la chose que vous appelez votre vie, qui est moi, avec tous mes problèmes, mes anxiétés, mes tracas, mes problèmes ! Vous suivez ? Voulez-vous faire cela ? Ou dites-vous : « C’est une merveilleuse idée », et poursuivez votre vie quotidienne, monotone, inutile ? Quand vous comprenez la pleine signification de la mort, et le terme qu’elle représente, le temps comme tel est parvenu à une fin. À moins que vous ne fassiez cela, je ne fais que me parler à moi-même. Il y a le temps dans le sens du non-mouvement de la pensée.

Et toute cette enquête est réellement une profonde méditation — non le fait de s’asseoir les jambes croisées et de faire toutes sortes de choses stupides.

Parce qu’alors, dans la cessation totale, la création prend place. Alors, il y a réellement un sentiment extraordinaire de passion et d’énergie immenses. Ce qui n’est pas une récompense.