U. G.
Le corps fait partie du décor

Les cinq sens changèrent en cinq jours, et le sixième jour j’étais étendu sur un sofa – Valentine était dans la cuisine – et soudain mon corps disparut. Il n’y avait pas de corps là. Je regardai mes mains. (Cette histoire est folle – vous m’auriez sûrement enfermé dans un asile d’aliénés.) Je les regardais. -« Est-ce que ceci est ma main? » En fait, il n’y avait pas de questionnement ici, mais toute la situation était surprenante – je tente de la décrire. Puis, je touchai ce corps – rien – je n’ai pas senti qu’il y avait quoi que ce soit, sauf le toucher, vous voyez, le point de contact. Alors j’ai appelé Valentine: « Vois-tu mon corps sur ce sofa? Rien en moi ne me dit que ceci est mon corps. » – Elle le toucha. – « C’est ton corps ». Et pourtant cette affirmation ne m’apporta ni satisfaction ni réconfort. – « Quelle est cette bizarrerie? Mon corps est absent. » Mon corps avait disparu, et il n’est plus jamais revenu. En fait de corps, il n’y avait que les points de contact – pour moi il n’y a là rien d’autre – d’autant plus qu’ici la vue est indépendante du toucher. Ainsi, il ne m’est même pas possible de créer une image complète de mon corps, parce que là où le toucher n’intervient pas, des éléments font défaut ici dans ma conscience.

(Revue Voir.  No 9. Printemps 83)

Tiré de « The Mystique of Enlightenment. The unrational ideas of a man called U.G. ». Edition Rodney Arms, I982. (Traduction des extraits: J.Couvrin)

Le nom de famille de U.G. est Uppaluri. Il est bon de noter que Uppaluri Gopala Krishnamurti, né en 19I8, n’est pas apparenté à Jiddu Krishnamurti.

Dans son recueil de conversations, U.G. soutient que ce que la plupart des gourous appellent l’illumination est un phénomène purement biologique qui se produit lorsque nous sommes complètement libérés de l’emprise de la culture, du conditionnement, de la pensée religieuse et de l’intellect. Le titre de cet article est choisi par nous.

Les cinq sens changèrent en cinq jours, et le sixième jour j’étais étendu sur un sofa – Valentine était dans la cuisine – et soudain mon corps disparut. Il n’y avait pas de corps là. Je regardai mes mains. (Cette histoire est folle – vous m’auriez sûrement enfermé dans un asile d’aliénés.) Je les regardais. -« Est-ce que ceci est ma main? » En fait, il n’y avait pas de questionnement ici, mais toute la situation était surprenante – je tente de la décrire. Puis, je touchai ce corps – rien – je n’ai pas senti qu’il y avait quoi que ce soit, sauf le toucher, vous voyez, le point de contact. Alors j’ai appelé Valentine: « Vois-tu mon corps sur ce sofa? Rien en moi ne me dit que ceci est mon corps. » – Elle le toucha. – « C’est ton corps ». Et pourtant cette affirmation ne m’apporta ni satisfaction ni réconfort. – « Quelle est cette bizarrerie? Mon corps est absent. » Mon corps avait disparu, et il n’est plus jamais revenu. En fait de corps, il n’y avait que les points de contact – pour moi il n’y a là rien d’autre – d’autant plus qu’ici la vue est indépendante du toucher. Ainsi, il ne m’est même pas possible de créer une image complète de mon corps, parce que là où le toucher n’intervient pas, des éléments font défaut ici dans ma conscience.

Y a-t-il en vous une entité que vous appelez « je » ou l »‘esprit » ou le « moi »? Y a-t-il Un coordinateur, combinant ce que vous regardez avec ce que vous entendez, ce que vous sentez avec ce que vous goûtez, et ainsi de suite? Ou encore existe-t-il quoi que ce soit pour agencer les sensations variées provenant de l’un de vos sens – le flux des impulsions visuelles, par exemple? En réalité, il y a toujours une brèche entre deux sensations. Le coordinateur fait la soudure: il établit lui-même une illusion de continuité.

Dans l’état naturel, il n’y a pas d’entité qui coordonne les messages des différents sens. Chaque sens fonctionne indépendamment, à sa propre manière. Lorsqu’une sollicitation vient de l’extérieur qui rend nécessaire de coordonner un, deux ou tous les sens, et de fournir une réponse, il n’y a toujours pas de coordinateur, mais un état temporaire de coordination.
Il n’y a pas de continuité; une fois qu’il a été répondu à la demande, les sens fonctionnent de nouveau de façon non coordonnée, déconnectée et autonome. Cela se passe toujours comme cela. Une fois que la continuité a volé en éclats – j’entends la continuité illusoire, car il n’y en a jamais eu d’autre – c’en est fini une fois pour toutes.

Pouvez-vous comprendre cela? Vous ne le pouvez pas. Tout ce que vous connaissez s’inscrit dans le cadre restreint de votre champ d’expérience, lequel n’est que pensée. Cet état n’est pas une expérience. J’essaie seulement de vous en donner un « avant-goût » qui est, malheureusement, trompeur.

En l’absence de coordinateur, les sensations ne sont pas reliées entre elles et elles ne sont pas traduites; elles restent des sensations pures et simples. Je peux vous regarder pendant que vous parlez. Les yeux se focaliseront sur votre bouche parce que, c’est ce qui bouge, et les oreilles recevront les vibrations sonores. Intérieurement, rien ne relie les deux et rien ne me dit que c’est vous qui parlez. Je peux observer une source jaillissant du sol et entendre le bruit de l’eau, mais rien ne me dit que le bruit entendu est celui de l’eau, et que ce bruit est à mettre en relation avec ce que je vois. Je peux regarder mon pied, mais rien ne dit que ceci est mon pied. Lorsque je marche, je peux voir mes pieds en mouvement – quel phénomène étrange: « Quelles sont ces choses en mouvement? »

C’est la conscience primordiale qui fonctionne, non contaminée par la pensée.

Le mouvement de votre pensée interfère avec le processus du toucher, ainsi qu’il le fait pour les autres sens. Tout ce que vous touchez est toujours traduit comme « dur », « doux », « chaud », « froid », « humide », « sec » et ainsi de suite.

Vous ne vous en rendez pas compte, mais c’est l’activité de votre pensée qui crée votre corps. Sans ce processus mental, il n’y a pas de conscience du corps – ce qui revient à dire qu’il n’y a pas de corps du tout. Mon corps existe pour les autres gens, il n’existe pas pour moi; il n’y a que des points de contact isolés, des sensations de toucher qui ne sont pas reliées entre elles par la pensée. Alors le corps n’est pas différent des objets qui l’entourent; il constitue une série de sensations parmi d’autres. Votre corps ne vous appartient pas.

Puis-je vous en donner un « pressentiment »? Je dors quatre heures par nuit, quelle que soit l’heure à laquelle je me mets au lit. Puis je reste couché jusqu’au matin, parfaitement éveillé. Je ne sais pas ce qui est étendu là dans le lit; je ne sais pas si je suis couché sur mon côté droit ou gauche – pendant des heures et des heures je suis étendu comme cela. S’il y a un bruit au-dehors – un oiseau ou autre chose – je n’en connais que l’écho en moi. J’écoute les « doum-doum-doum » de mon cœur et j’ignore ce que c’est. Il n’y a pas de corps entre les deux draps – la forme du corps n’y est pas. Vous me demandez ce qu’il y a? Seulement la conscience des points de contact, là où le corps est en contact avec le lit et les draps, et là où il est en contact avec lui-même, lorsque les jambes se croisent, par exemple. Seules existent les sensations du toucher aux points de contact, et le reste du corps n’y est pas. Il y a une sorte de pesanteur, la force gravitationnelle probablement, une sensation fort vague.

A l’intérieur, il n’y a rien qui relie ces choses entre elles. Même quand les yeux sont ouverts et voient le corps, il n’y a toujours que les points de contact, et ils ne se rapportent pas à ce que je regarde. Si je m’efforçais de réunir ces points de contact sous la forme de mon propre corps, j’y arriverais vraisemblablement. Mais à peine l’aurais-je fait que mon corps reviendrait à la même situation et se réduirait aux points de contacts. Le chaînon mental ne persiste pas. Il en va de même lorsque je suis assis ou debout.

Il n’y a pas de corps.