Mattias Desmet
L’âme du monde en retrait

6 juillet 2024 Je traversais un aéroport en Lituanie à la mi-avril et je faisais la queue dans un bar à café. Lorsque la file d’attente devant moi s’est enfin terminée et que j’ai atteint la caisse, j’ai regardé dans les yeux d’une jeune femme, âgée d’environ 17 ans, je pense. Ces yeux me fixaient, attendant immobile […]

6 juillet 2024

Je traversais un aéroport en Lituanie à la mi-avril et je faisais la queue dans un bar à café. Lorsque la file d’attente devant moi s’est enfin terminée et que j’ai atteint la caisse, j’ai regardé dans les yeux d’une jeune femme, âgée d’environ 17 ans, je pense. Ces yeux me fixaient, attendant immobile ma commande.

J’ai hésité un instant, puis j’ai brisé la surface impénétrable de ces yeux avec mes mots. « Un chai latte, s’il vous plaît, de préférence avec du lait d’avoine et de la cannelle, si vous en avez ». Elle a tapé sur le clavier de son ordinateur, les doigts tendus, puis a relevé la tête et rencontré à nouveau mon regard pendant quelques instants. Comme je n’avais plus rien à dire, elle a tapé plusieurs fois sur son clavier, ni vite ni lentement, et m’a tendu le reçu de caisse. « Puis-je payer en liquide ? » « Non ». Elle a fait glisser vers moi un petit terminal de paiement — j’ai scanné et entré mon code. « Merci ». Et elle a dirigé ses yeux immobiles comme les lentilles d’une caméra de surveillance vers la personne suivante dans la file d’attente.

À la table où j’attendais que les chiffres en néon rouge sur le panneau au-dessus du comptoir annoncent que mon chai latte était prêt, je suis tombé dans la contemplation. Cette jeune femme, elle n’était ni polie ni impolie, elle ne cherchait ni à se faire remarquer ni à se cacher, elle n’était ni grossière, ni aimable, ni rapide, ni lente. Mais qu’était-elle ? Neutre peut-être ? Technique et sèche ? Elle bougeait et agissait comme une machine ; son âme s’était retirée dans les profondeurs insondables de ses cellules. Désanimée ! — c’était le mot qui cherchait à naître dans mes pensées.

Et ce mot a fait surgir du brouillard de ma mémoire toute une série de figures qui m’avaient toutes fait la même impression ces derniers temps : des êtres collés à l’écran de leur smartphone dans les trams et les trains, des gens qui ne répondent à mon salut spontané dans la rue que par un regard vide, des êtres pour qui la plaisanterie et le sérieux sont trop lourds, des êtres qui n’offrent de base ni à la colère ni à l’amour.

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L’âme se retire du monde. Et ce phénomène est lié à notre vision rationaliste du monde. Au cours des derniers siècles, nous en sommes venus à considérer les humains comme des « organismes » sans âme, et ils se comportent de plus en plus comme tels. « L’univers est une machine — un ensemble de particules élémentaires qui suivent les lois de la mécanique sans aucune place pour la contestation ou la frivolité. Et les humains sont de petites machines prises dans la grande machine. Ils n’ont ni âme ni esprit ; leur conscience est un sous-produit insignifiant des processus bioélectriques dans leur cerveau. »

Yuval Noah Harari est peut-être le prophète littéraire le plus connu de la vision mécaniste de l’humanité aujourd’hui. Dans son mégabestseller Homo Deus, il pousse cette pensée jusqu’à ses conséquences extrêmes. Les humains sont des robots ; chaque comportement physique et mental est le résultat de processus mécaniques ; ils n’ont pas de libre arbitre, ne font pas de choix et, par conséquent, ne peuvent assumer aucune responsabilité :

Au XVIIIe siècle, Homo sapiens était une mystérieuse boîte noire, dont les rouages internes demeuraient insaisissables. Dès lors, quand les savants demandaient pourquoi un homme en arrivait à sortir un couteau pour en poignarder un autre à mort, une réponse acceptable consistait à dire : « Parce qu’il a choisi de le faire. Il a usé de son libre arbitre pour choisir le meurtre. Il est donc pleinement responsable de son crime. » Au cours du siècle dernier, les chercheurs ont ouvert la boîte noire de Sapiens : ils ont découvert qu’il n’y avait en lui ni âme, ni libre arbitre, ni « soi » ; uniquement des gènes, des hormones et des neurones obéissant aux mêmes lois physiques et chimiques qui gouvernent le reste de la réalité. Aujourd’hui, quand des chercheurs demandent pourquoi un homme a sorti un couteau et poignardé quelqu’un, répondre « parce qu’il l’a choisi » laisse sur sa faim. Les généticiens et les spécialistes du cerveau offrent une réponse bien plus détaillée : « Il l’a fait en raison de tels ou tels processus biochimiques du cerveau, lesquels reflètent à leur tour des pressions évolutionnistes anciennes, couplées à des mutations aléatoires. » (Homo Deus, pp. 328-329).

Dans le cadre de la pensée mécaniste, il n’est pas considéré comme une mauvaise chose de voir l’univers comme une machine. La grande machine qu’est l’univers peut être entièrement comprise, prédite et manipulée rationnellement (voir, par exemple, Laplace). Les humains peuvent prendre le contrôle de leur propre vie grâce à la raison. Ils imprimeront des aliments en laboratoire et laisseront le fardeau de la grossesse aux utérus artificiels ; ils iront sur Mars et contrôleront l’ensoleillement et la pluie. Et ils peuvent se perfectionner, en éliminant définitivement les défauts et les insuffisances de la condition humaine.

Le moment où les humains se perfectionneront, est imminent — Harari sent ce moment approcher :

Les expériences accomplies sur Homo sapiens indiquent que, comme les rats, les hommes sont manipulables et qu’il est possible de créer ou d’anéantir des sentiments complexes comme l’amour, la colère, la peur et la dépression en stimulant les points adéquats dans le cerveau humain. L’armée américaine a dernièrement lancé des expériences en implantant des puces électroniques dans le cerveau d’êtres humains, espérant utiliser cette méthode pour traiter des soldats souffrant de syndrome de stress post-traumatique. À l’hôpital Hadassah de Jérusalem, les médecins ont été les pionniers d’un nouveau traitement pour les patients souffrant de dépression aiguë. Ils implantent des électrodes dans le cerveau du patient et les rattachent à un minuscule ordinateur placé dans sa poitrine. Obéissant à un ordre de l’ordinateur, les électrodes transmettent de faibles courants électriques qui paralysent la zone du cerveau responsable de la dépression. Le traitement ne réussit pas toujours, mais, dans certains cas, les patients ont rapporté que l’impression de vide et de noirceur qui les tourmentait depuis toujours disparaissait comme par enchantement. (Homo Deus, p.334).

Si nous comprenons suffisamment bien la machine humaine, l’ingénieur-médecin sera capable d’éliminer tout dysfonctionnement — c’est en gros le message du transhumanisme. La maladie et la souffrance appartiendront au passé. Et finalement, même la mort cédera à la lumière de la Raison. Yuval Noah Harari le dit sans équivoque :

« En réalité, cependant, les hommes ne meurent pas parce qu’un personnage en manteau noir leur tapote l’épaule, que Dieu l’a décrété, ou que la mortalité est une partie essentielle d’un plus grand dessein cosmique. Les humains meurent toujours des suites d’un pépin technique ». (Harari, Homo Deus, p.25). « Et tout problème technique a une solution technique. Nul n’est besoin d’attendre le Second Avènement pour triompher de la mort ». (Harari, Homo Deus, p.26). Les ambitions du rationalisme atteignent des sommets, jusqu’au ciel. Le rationaliste a déclaré que le trône de Dieu était vide, puis il s’y est assis lui-même. Lorsque la compréhension rationnelle de l’univers-machine et de l’homme-machine est suffisamment avancée, les humains peuvent se rendre surhumains — les humains peuvent devenir Dieu. « Au XXIe siècle, l’humanité se fixera comme troisième grand projet d’acquérir des pouvoirs divins de création et de destruction, et de hisser Homo sapiens au rang d’Homo deus. » (Harari, p.53).

L’Homo Deus se profile à l’horizon, l’homme qui, en fusionnant avec la technologie, peut devenir Dieu. Les yeux, les oreilles et les nez artificiels fourniront à l’homme des informations beaucoup plus précises et étendues que celles obtenues par les sens naturels. Ils seront capables de sentir comme un chien, d’avoir littéralement des yeux à l’arrière de la tête et d’entendre ce qui se dit à des kilomètres de distance.

Et ne croyez pas que cette idéologie transhumaniste se limite au domaine des fantasmes et des grands projets idéologiques des écrivains et des philosophes. Au cours des soixante-dix dernières années, les gouvernements ont élaboré des projets concrets pour réaliser cette idéologie. Des projets comme Neuralink d’Elon Musk aux programmes « Neurowarfare » de la DARPA, ils tentent fébrilement de réaliser le grand rêve transhumaniste.

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Le rationalisme promet d’amener l’humanité au paradis, mais jusqu’à présent, il n’y est pas parvenu. L’air du 21siècle est constamment saturé d’un sentiment de crise. La guerre contre le terrorisme, la crise bancaire, la crise climatique, la crise MeToo, la crise du coronavirus, la crise ukrainienne — l’écho retentissant d’une crise résonne encore lorsque l’éclair de la crise suivante frappe à nouveau la structure fragile de la société.

D’une certaine manière, les grandes crises sociales du 21siècle reflètent toutes un problème dans les relations dans lesquelles les humains sont pris : elles proviennent toutes de relations problématiques et défaillantes entre les humains et les institutions (crise bancaire), entre les humains et leurs semblables (guerre contre le terrorisme), entre les hommes et les femmes (crise MeToo), entre les humains et la nature (crise climatique).

Dans un premier temps, le rationalisme lui-même tente d’apporter une solution aux problèmes qu’il engendre. La solution proposée aux problèmes d’identité sexuelle est un ajustement mécanico-chirurgical du corps ; la solution à la menace terroriste est l’État de surveillance ; la solution à l’impact nuisible de l’homme sur la nature est la numérisation des « villes de cinq minutes » où les humains vivent dans de petites unités d’habitation et ne s’éloignent jamais de plus de quelques kilomètres de leur domicile, des voitures électriques hypertechnologiques que l’État peut démarrer et arrêter à volonté, une forêt d’éoliennes, et des plaines de panneaux solaires. Et si cela ne marche pas — tout le monde sait d’ailleurs que cela ne marchera pas —, nous passerons à l’explosion de bombes au nitrate dans l’atmosphère et à l’installation de miroirs manipulables entre la Terre et le Soleil.

Plus la vision rationaliste échoue, plus elle revendique désespérément la vérité. À chaque nouvelle crise, les représentants du récit dominant — les grands médias, les gouvernements nationaux, les institutions mondiales — réagissent en renforçant la censure. Des armées de vérificateurs de faits et de « premiers intervenants numériques » parcourent l’internet à la recherche de toute voix discordante ; les algorithmes ralentissent la diffusion de toute voix dissidente sur les réseaux sociaux ; des millions de messages, même émanant de personnes qui ont récemment acquis une renommée mondiale en remportant des prix scientifiques prestigieux, sont retirés de l’internet.

Ces « ambassadeurs de la vérité » restent remarquablement impassibles lorsqu’il s’avère plus tard que l’histoire qu’ils défendaient sans esprit critique était fausse. La crise du coronavirus l’a abondamment démontré. Presque tous les éléments du récit dominant se sont révélés faux : le virus a été créé en laboratoire au lieu d’être issu d’une zoonose ; la mortalité du virus était au moins dix fois inférieure à ce qui avait été annoncé ; le vaccin n’a pas empêché la propagation du virus et a eu beaucoup plus d’effets secondaires que ce qui avait été suggéré, et ainsi de suite.

La réaction de la population lorsque les mensonges sont révélés est particulièrement étonnante. Hannah Arendt l’a exprimé ainsi : « Les leaders de masse totalitaires fondèrent leur propagande sur le principe psychologiquement exact que, dans de telles conditions, on pouvait faire croire aux gens les déclarations les plus fantastiques un jour, et être sûr que, si le lendemain on leur donnait la preuve irréfutable de leur fausseté, ils se réfugieraient dans le cynisme ; au lieu d’abandonner les chefs qui leur avaient menti, ils protesteraient qu’ils avaient toujours su que la déclaration était mensongère, et admireraient les chefs pour leur intelligence tactique supérieure ». (Les origines du totalitarisme, p. 382).

C’est quelque chose de remarquable : La poursuite zélée d’une « information correcte » et d’une « politique fondée sur la science » mène à l’opposé : une société qui tombe dans des absurdités croissantes. Au sein du groupe qui suit le récit dominant, les gens commencent à croire que la Terre bascule parce que nous pompons trop d’eau et qu’il n’y a pas aucune différence biologique (et psychologique) entre un homme et une femme.

À l’autre extrémité du spectre sociopsychologique, dans le groupe de personnes qui résistent au discours dominant, de plus en plus de gens croient que la Terre est plate et qu’un torse reptilien se cache sous les chemises blanches de l’élite. Le problème mondial est de plus en plus considéré de manière unilatérale et simpliste comme le problème d’une élite malveillante et satanique.

Aux deux extrêmes polaires, les mêmes processus psychologiques sont finalement à l’œuvre : une personne fatiguée et solitaire, dont la vie semble de plus en plus vide et dépourvue de sens, tente de contrôler ses sentiments et ses affects en attribuant la cause de toutes les peurs et de tous les problèmes à un seul petit point. Le camp « mainstream » projette tout le mal sur les anti-vaxxers et les théoriciens du complot ; le « contre-mouvement » localise tout le mal dans « l’élite malveillante ».

Une constante des deux côtés est que le mal est d’abord projeté à l’extérieur de soi. Et dans cette mesure, on ne peut que tomber dans l’agressivité et l’impuissance. Le moyen de sortir de cette impuissance n’est pas d’atténuer la lumière du soleil à l’aide de miroirs contrôlables technologiquement dans l’espace ou de faire exploser des bombes au nitrate dans la stratosphère ; notre peur des attaques terroristes ne disparaîtra pas en introduisant un État de surveillance, la haine raciale ne disparaîtra pas en réécrivant les livres d’histoire, la pulsion sexuelle ne deviendra pas moins problématique grâce à l’idéologie woke, et les maladies ne seront pas prévenues par des vaccins à ARNm et des nanotechnologies dans le sang.

Et le moyen de sortir de l’impuissance n’est pas non plus un soulèvement violent contre l’élite. L’élite est le reflet de la population. Elles font partie du même organisme global. Tant que la vision de l’humanité et du monde ne changera pas, la population créera toujours la même élite. La principale conclusion est la suivante : la vision rationaliste du monde a fait son temps.

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Il y a quelques siècles, les gens ont commencé à croire que la pensée rationnelle conduirait à la Vérité. Mais sur ce chemin, c’est la tromperie qui a le plus souvent prévalu. D’une certaine manière, c’est simplement une conséquence de notre vision rationaliste et mécaniste de l’homme et du monde. « L’homme est une machine prise dans la grande machine de l’univers ; son but suprême est de s’imposer dans la lutte pour la survie. Pourquoi une telle machine de survie essaierait-elle de dire la vérité ? Les anciens Grecs le savaient déjà : dire la vérité est toujours risqué. Cela réduit vos chances de succès dans le jeu de la survie. Pour une personne rationaliste, la conclusion est vite tirée : Seuls les idiots disent la vérité ».

Ainsi, la croyance fanatique en la « rationalité » a étranglé la Vérité. Dans la population. Et dans l’élite. Toute cette quête de rationalité a conduit à ce que j’appelle « le voile de l’apparence » qui est devenu de plus en plus épais et impénétrable dans notre société. Le voile de l’apparence a toujours existé, mais il s’est excessivement développé au cours des derniers siècles. Il devient plus épais que jamais. Nous vivons à l’ère de la propagande et de la manipulation à grande échelle. Les moteurs de recherche comme Google ont d’abord été financés par l’État américain. Et cela pouvait coûter des sommes énormes. Pourquoi un moteur de recherche est-il si intéressant pour l’État ? Parce qu’il est extrêmement utile en tant qu’instrument de propagande.

La propagande tente d’orienter les processus mentaux. Elle veille à ce que l’attention se porte sur une chose et non sur une autre. C’est ce que fait Google. Chaque fois que vous cherchez dans votre vie mentale et que vous soumettez une requête à Google, le moteur de recherche vous oriente dans une direction selon un algorithme établi par l’État et vous éloigne d’une autre direction. De nombreuses applications bien connues sur l’internet sont des instruments de propagande camouflés.

Et cela ne s’arrête pas là. Un exemple : en 2020, les Nations unies ont recruté pas moins de 110 000 « premiers intervenants numériques ». Ces personnes ont une mission : discréditer toute personne qui serait accusée de diffuser de « fausses informations ». Et ces fake news sont définies comme « tout ce qui va à l’encontre de l’idéologie de l’ONU ». L’ONU n’est pas la seule à recruter de tels collaborateurs. Presque toutes les grandes institutions mondiales le font. Chaque jour, des centaines de milliers de personnes s’activent sur Internet pour tenter d’influencer votre opinion en présentant artificiellement certaines opinions comme populaires et « justes » et d’autres comme répréhensibles et erronées.

Les techniques de propagande du 21siècle sont d’une ampleur tout à fait étonnante. Elles vont du recrutement artificiel d’une foule virtuelle ou réelle (« location de foule [rent a crowd] », une forme de « faux militantisme [astroturfing] ») pour donner aux opinions préférées une aura de popularité attrayante, et à l’inverse, ralentir les « likes » sur les médias sociaux (« shadowbanning ») pour rendre les opinions indésirables comme impopulaires et donc inintéressantes.

La question de savoir ce qui est réel et ce qui est apparence devient encore plus floue avec l’essor spectaculaire de l’intelligence artificielle. Des faux profils sur internet, des chatbots à peine discernables des personnes réelles lors des conversations, des photos artificielles et des vidéos profondément truquées (deepfake) — le monde de l’apparence devient de plus en plus difficile à distinguer du monde réel. Ainsi, l’homme du XXIe siècle disparaît dans un hall de miroirs numérique où l’image réelle et l’image virtuelle se distinguent à peine l’une de l’autre. Et il s’y déplace comme une marionnette sur les fils algorithmiques de maîtres dont il ne voit jamais. C’est la grande question de l’avenir proche : qui est le maître dans ce hall ? Et comment en sortir ? Cette question se résume à ceci : Qu’est-ce que la vérité ?

Où se trouve le point faible dans l’armure du moloch qui tient la condition humaine sous son emprise ? Pour sortir de la captivité des apparences, il faut, en toute logique et dans une certaine perspective, revaloriser un acte que l’homme pouvait accomplir autour des feux de camp de la préhistoire : l’acte de dire la vérité. Cet acte est à la fois la solution à la crise individuelle et à la crise collective dans laquelle se trouve la société.

Nous devons concentrer notre attention sur ceci : L’art de bien parler constitue le remède logique d’une société malade de ce nouveau type de mensonge que nous appelons propagande. Nous vivons une révolution métaphysique, comparable à celle qui a conduit au siècle des Lumières. Cette révolution se résume essentiellement à ceci : une société dirigée par une masse sous propagande est remplacée par une société dirigée par un groupe de personnes reliées entre elles par un discours sincère.

En un sens, cette révolution transforme également les déséquilibres créés par le rationalisme ; elle les transforme à nouveau en relations. Le parler sincère est un parler en résonance — il relie l’âme de l’homme au monde extérieur ; il rétablit le lien avec ses semblables, son propre corps, ses propres pulsions, la société et la nature. C’est une question importante à notre époque : quelle est la psychologie de l’acte de bien parler ? Quelles sont les différentes façons d’utiliser les mots, et quelle forme d’expression peut percer le voile de l’apparence et inspirer les gens à une époque où ils étouffent sous la manipulation et l’apparence ? Comment maîtriser l’art du bon discours ?

Texte original : https://words.mattiasdesmet.org/p/the-de-souling-of-the-world-the-veil