Joan Tollifson
L’écoute ouverte, au-delà de la certitude et de la haine

Traduction libre 19 Mars 2023 Récemment, j’ai eu une discussion animée avec un ami au cours d’un dîner dans la maison de retraite où nous vivons tous les deux. La discussion portait sur des questions politiques, qui semblent toujours être des sujets brûlants pour moi, faisant rapidement naître des sentiments d’incompréhension, de folie, de ne pas […]

Traduction libre

19 Mars 2023

Récemment, j’ai eu une discussion animée avec un ami au cours d’un dîner dans la maison de retraite où nous vivons tous les deux. La discussion portait sur des questions politiques, qui semblent toujours être des sujets brûlants pour moi, faisant rapidement naître des sentiments d’incompréhension, de folie, de ne pas être écoutée, de frustration face à mon incapacité à faire comprendre à quelqu’un d’autre ce que je pense être vrai et d’une importance vitale, puis de colère bouillonnante. Soudain, je n’ai pas pu supporter cela une seconde de plus. J’ai dit « merde », en jetant ma serviette, j’ai quitté la table et je suis sorti de la salle à manger à grandes enjambées.

Mon amie m’a appelée une heure plus tard pour me dire qu’elle m’aimait et qu’elle appréciait beaucoup notre amitié, et j’ai senti mon cœur s’ouvrir et les larmes remplacer la colère. J’ai été frappée par le nombre de fois où cela s’est produit dans ma vie — désaccord sur la politique, sentiment de rage et de séparation, différente et isolée, suffisante et certaine quant à mes opinions, frustrée de voir que les autres ne peuvent pas voir « la vérité ». Combien de fois ai-je ressenti le resserrement intérieur, la dureté et la douleur de ce sentiment. Dans les jours qui ont suivi, j’ai senti mon cœur s’ouvrir puis se refermer, encore et encore. J’ai fait le travail de Byron Katie, je me suis assise en silence et, par hasard, j’ai regardé un film qui m’a profondément touchée. Le film s’intitulait Women Talking.

Pour ceux qui ne l’ont pas encore vu, il s’agit de femmes d’une communauté mennonite isolée où certains des hommes ont drogué et violé les femmes et les filles, puis les ont convaincues qu’il s’agissait soit de leur imagination, soit de l’œuvre de démons. Les violeurs ont été démasqués et emmenés en prison, tandis que les hommes restants vont en ville pour payer leur caution, les femmes se réunissent dans la grange pour décider de ce qu’il faut faire ; car les hommes reviendront bientôt. Les femmes doivent-elles leur pardonner, comme elles sont censées le faire, rester et se battre pour une meilleure communauté, ou partir ? Tout le film se résume à ce groupe de femmes dans la grange qui discutent et écoutent. Il y a des personnalités différentes, des points de vue divergents sur ce qu’il faut faire et des sentiments forts. Toutes ces femmes ont survécu à des traumatismes. Les émotions sont parfois à fleur de peau. Mais elles parlent et elles écoutent. Elles ont des idées, elles changent et s’ouvrent, et peu à peu, elles parviennent à un consensus. C’est un film magnifique et plein d’espoir que je recommande vivement. Il parle d’amour, de foi (dans le meilleur sens du terme) et d’écoute. Et il ne s’agit pas seulement d’un groupe religieux étrange, bien sûr, mais de nous tous.

Je suis alors tombée sur « The Witch Trials of J.K. Rowling », une série de podcasts en cours que je recommande vivement, créée et animée par Megan Phelps-Roper sur The Free Press, et j’ai commencé à l’écouter. Bien que le podcast soit centré sur Rowling, il traite plus profondément de questions plus larges de croyance et de certitude, de l’impact des médias sociaux, de l’effondrement du discours civil, de l’annulation et de la diabolisation des personnes, de la polarisation extrême, de brûler des livres, des menaces de mort, des manifestations violentes, du doxxing (révélation d’information), etc. Rowling est l’exemple parfait d’une personne à qui tout cela est arrivé. Elle a d’abord été attaquée par l’extrême droite et les chrétiens fondamentalistes à propos de Harry Potter, et elle est maintenant attaquée par de nombreux activistes transgenres et une grande partie de la gauche pour son point de vue sur la question transgenre. Que l’on soit d’accord ou non avec ses opinions, les réactions extrêmes et haineuses à ses préoccupations concernant les femmes et les enfants sont certainement troublantes.

Il se trouve que je partage largement les préoccupations de Rowling à ce sujet et que je les trouve tout à fait raisonnables et certainement pas transphobes ou intolérantes. Je suis une personne agnostique, genderqueer, non-binaire, androgyne, principalement lesbienne, qui a sérieusement envisagé une transition de genre et qui se considère comme se situant quelque part sur le spectre transgenre. Comme Rowling, je ne suis nullement opposée aux personnes transgenres ou à transitionner, mais je suis très préoccupée par certaines des revendications du mouvement et par les conséquences potentiellement néfastes pour les femmes et les enfants. Peut-être ces inquiétudes se révéleront-elles erronées ou non pertinentes, mais à ce stade, elles méritent, à mon avis, d’être sérieusement prises en considération. Au lieu de cela, ceux qui soulèvent ces questions sont souvent diabolisés comme des bigots et parfois contraints de quitter leur emploi et soumis à des menaces de mort et à la diffusion d’informations (doxxing). Je trouve cela profondément troublant.

Megan Phelps-Roper, l’animatrice et créatrice de ce podcast, a grandi au sein de la tristement célèbre Église baptiste de Westboro, manifestant dès son plus jeune âge contre les homosexuels et les juifs, et célébrant plus tard les funérailles de militaires parce que, selon cette Église, l’Amérique était punie pour les maux de l’homosexualité, du divorce, de l’athéisme, etc. Megan a été endoctrinée dès sa naissance dans cette idéologie et a cru que tout cela était la volonté de Dieu. Mais finalement, en grande partie à la suite d’interactions sur Twitter avec des personnes qui l’ont interpellée de manière aimable, amicale et respectueuse, elle a commencé à remettre en question ses croyances et ses actions.

Enfin, dans la vingtaine, elle a quitté sa maison, sa famille et sa communauté — la seule vie qu’elle ait jamais connue — et s’est lancée dans un voyage de découverte, se débarrassant de ses anciennes croyances et se liant d’amitié avec les groupes qu’elle avait autrefois rejetés. Depuis, elle travaille avec des écoles sur des campagnes de lutte contre le harcèlement et avec des entreprises technologiques sur ce qu’elle décrit comme « l’intersection de la sécurité, de la liberté d’expression et de la valeur du dialogue au-delà des clivages idéologiques ». Elle a écrit des mémoires émouvants et a créé cet excellent podcast. Ses mémoires, Unfollow, sont un regard fascinant sur l’intérieur de la WBC et une exploration profonde de l’endoctrinement, de la certitude des croyances et du processus de libération et de remise en question. Je recommande vivement la série de podcasts en cours et le livre de Megan. Vous pouvez trouver le podcast et plus d’informations ici : https://www.thefp.com/witchtrials.

Nous avons probablement tous fait l’expérience de devoir quitter quelque chose qui a joué un rôle important dans notre vie, souvent quelque chose que nous aimions ou dont nous dépendions à bien des égards, ou quelque chose qui nous était au moins familier — notre famille d’origine, une relation, une organisation, un pays, un groupe spirituel ou politique, une carrière, une identité sexuelle, un système de croyances, quoi que ce soit — pour ensuite sauter dans un avenir inconnu, comme ont dû le faire J.K. Rowling, Megan Phelps-Roper et les femmes dans le film Women Talking. (Rowling était autrefois une mère célibataire bénéficiant de l’aide sociale et fuyant un mariage abusif). Nous avons probablement toutes dû supporter d’être mal vues par une personne ou un groupe, parfois de manière très mineure ou fugace, parfois de manière sévère et continue. Nous avons probablement tous fait l’expérience de diaboliser quelqu’un d’autre ou un groupe de personnes, ne serait-ce qu’en pensée. Nous avons probablement tous fait des choses que nous regrettons. Il s’agit là d’expériences humaines courantes. Nous voyons chacun un film unique de la vie éveillée, et personne d’autre n’est d’accord avec nous sur tout.

Je suis une progressiste de gauche de longue date, mais ces dernières années, je me sens de plus en plus sans domicile fixe sur le plan politique. Il y a des choses à gauche, comme le traitement réservé à Rowling, qui me dérangent profondément. Et l’extrême droite me dérange encore plus. Les grands médias, tant libéraux que conservateurs, semblent mentir et déformer systématiquement. La censure, l’annulation et l’intolérance à l’égard des personnes ayant des opinions divergentes sont malheureusement devenues la norme culturelle et institutionnelle, et je ne suis pas à l’abri de faire de même. Avoir des points de vue différents de ceux que j’aime sur des questions qui me semblent importantes peut être très douloureux, mais cette douleur peut être intéressante à explorer. Mon amie et enseignante Toni Packer posait toujours ce genre de questions et nous encourageait à les poser.

Qu’est-ce qui sous-tend ce besoin que les gens soient d’accord avec moi, qu’ils voient quelque chose comme moi ? Est-il possible de faire l’expérience de l’incompréhension sans que cela ne déclenche de la souffrance ? Qu’est-ce qui génère la souffrance ? Comment puis-je m’identifier à mes opinions au point d’avoir parfois l’impression que ma vie même est menacée par quelqu’un qui n’est pas d’accord avec moi ? Qu’est-ce qui sous-tend l’intense colère, la frustration et la dépression qui peuvent survenir ? Qu’est-ce qui me pousse à aborder un sujet dans une conversation dont je sais qu’il provoquera une dispute ? Le sentiment d’être isolée, différente, incomprise et seule m’apporte-t-il quelque chose ? Est-il possible de remettre en question la certitude que j’ai de mes opinions ? Est-il possible de pardonner au monde (et aux autres) d’être imparfaits ? Est-il possible de me pardonner à moi-même ? Est-ce que je prends le monde, ainsi que moi-même, parfois trop au sérieux, en perdant mon sens de l’humour, en voulant tout contrôler et tout réparer ? Qu’est-ce qui transforme la douleur en souffrance ? Combien de fois, sur les médias sociaux ou au cours d’une discussion, suis-je tombée dans une version ou une autre du discours haineux diabolisant que je sais, au fond de moi, être malin et inutile ? Si j’avais rencontré Megan sur Twitter il y a plusieurs dizaines d’années, l’aurais-je interpellée avec gentillesse ou aurais-je répondu à la haine par la haine ?

Et au-delà de tout cela, à quel(s) système(s) de croyances ou mode(s) de vie suis-je encore accrochée, ou est-ce que je me sens piégée, que je veux quitter, et qu’est-ce qui me retient ? À ce sujet, j’ai écrit en décembre dernier sur Facebook un billet intitulé « Solstice Musings » (21 décembre 2022). Ce fut l’un de mes posts les plus populaires. Il a jailli de moi à la vitesse de l’éclair, et je l’ai immédiatement publié sans aucune retouche. C’était un texte brut et non censuré, qui dégageait une énergie et une vérité. Si vous voulez le lire, c’est le premier article de cette page du blog de mon site web : https://www.joantollifson.com/writing18Z17.html.

Après l’avoir écrit, je suis rapidement retombé dans certaines des choses que j’avais dit avoir perdues, et je me retrouve maintenant à remettre fréquemment en question ce que je fais, ce que j’écris ou ce que je dis, en me demandant : « Est-ce vraiment vrai ? Est-ce que j’en suis sûr ? Est-ce vraiment mon expérience ? Est-ce vraiment ce que je veux faire ? J’ai continué à voir à quel point l’esprit est inconstant et à quel point je ne peux pas vraiment savoir quelle sera ma prochaine action — je dois faire confiance à l’obscurité. Parfois, je me sens comme cette oie dans une bouteille dans le vieux koan zen, et parfois la bouteille disparaît en même temps que l’oie. Je me suis sentie très exubérante et libre lorsque j’ai écrit mon billet sur le solstice, comme si quelque chose d’oppressant avait disparu, ce qui était le cas à ce moment-là, mais ce n’était pas définitif, et le processus se poursuit. Peut-être s’agit-il d’une défaite qui dure toute la vie, je soupçonne que c’est peut-être le cas.

Dans l’Église baptiste de Westboro, le doute était un signe de faiblesse et l’influence de Satan. Après avoir quitté l’église, Megan Phelps-Roper s’est rendu compte qu’embrasser le doute était « le changement le plus fondamental » dans sa façon d’appréhender le monde. Elle écrit : « Le doute n’était rien d’autre que de l’humilité épistémologique : une conscience profonde et pratique qu’en dehors de notre sphère de connaissance, il existe des informations et des expériences qui pourraient montrer que notre position est erronée. Le doute nous amène à tenir une position forte de manière un peu plus lâche… La certitude est tout le contraire : elle entrave la recherche et le développement. Elle nous apprend à ignorer les preuves qui contredisent nos idées et nous encourage à défendre notre position à tout prix ».

Megan constate que « la racine de l’idéologie de Westboro — l’idée que nos croyances sont “la seule vraie voie” — n’est en aucun cas limitée aux membres de Westboro » et qu’en fait, cette façon de penser « est commune, répandue et exposée partout où les humains se rassemblent. Des cercles religieux aux cercles politiques ». Elle note que ce type de croyance « donne un sentiment réconfortant de certitude… un sentiment de stabilité ». Mais elle a vu de ses propres yeux le danger et le préjudice réel de la pensée en noir et blanc, de la croyance qui ne peut être remise en question et du « danger de se calcifier dans une position et d’être imperméable au changement ».

Ce livre et le parcours de Megan me parlent en ce moment, tout comme le podcast qu’elle fait avec J.K. Rowling, ainsi que le film Women Talking. Je vous les recommande tous vivement, parce qu’ils invitent tous à un éveil dont je pense que notre époque a désespérément besoin. Je sais que l’amour est une vérité plus profonde que la haine. Je sais au fond de moi qu’il est bien plus important d’écouter ouvertement que d’imposer son point de vue par la force. J’ai vu comment la souffrance commence avec le sentiment de séparation et la croyance que ce qui est ne devrait pas arriver.

J’aspire à contribuer à l’humilité épistémologique, au doute sain et à l’incertitude plutôt qu’aux croyances réconfortantes et aux fantasmes curatifs, et en même temps, j’aspire au genre de foi qui est comme marcher sur l’eau — le genre de foi que les femmes dans Women Talking démontrent à la fois dans leur conversation et dans leur décision extrêmement courageuse. (Et par foi, je n’entends pas croyance). J’aspire à continuer à remettre en question ma propre suffisance et mes fréquents échecs en matière de dialogue constructif, ouvert d’esprit et de cœur, tout en sachant que je ne répondrai pas à ces aspirations à de nombreuses reprises. Je sais aussi par expérience que nous ne savons jamais vraiment ce qui est le plus utile ou ce qui est vraiment insuffisant, et je sais que l’échec fait partie du terreau qui fait naître de nouvelles possibilités, comme l’ont montré ma dispute avec mon amie et les histoires partagées dans ce billet.

Merci à tous d’être là et d’écouter !