20 octobre 2024
Image de scientifiques et de médecins du procès de Nuremberg. Bettmann Archive/Getty Images. Voir cet article de 2023 sur CNN par Kirsi Goldynia : La leçon d’histoire sur la vie et la mort que les médecins n’apprennent pas.
Pendant les confinements, traiter les opposants de nazis est devenu un réflexe. Ce comportement n’était pas nouveau, bien sûr, mais il a atteint un nouveau degré d’urgence à cette époque, les partisans de l’un ou l’autre camp affirmant qu’ils étaient du bon côté de l’histoire, tandis que ceux qui n’étaient pas d’accord étaient du mauvais côté. L’analogie avec les nazis a permis de montrer clairement à quoi ressemblait le mauvais côté de l’histoire. C’est ainsi que le convoi de camionneurs a été considéré comme nazi pour les nazis provaccins, tandis que les anticonfinements et les opposants à la vaccination forcée et à la ségrégation utilisaient des croix gammées pour qualifier l’autoritarisme gouvernemental de nazi, et les médias ont utilisé ces symboles pour qualifier les utilisateurs de nazis. Certains portaient l’étoile jaune que les premiers nazis avaient forcé les Juifs à porter comme méthode de ségrégation pendant l’Holocauste pour protester contre les pratiques de ségrégation qui avaient cours pendant l’hystérie covidienne. Les dirigeants des organisations juives sont intervenus et ont dénoncé ce comportement comme étant essentiellement antisémite et une banalisation de l’Holocauste, qualifiant donc ceux qui portaient ce symbole de nazis.
Il m’est cependant apparu clairement que les vrais nazis étaient les ségrégationnistes et les autoritaires qui souhaitaient la mort de ceux qui refusaient de se plier aux diktats de l’État. Les ressemblances entre le début du nazisme en Allemagne et le covidisme militant à l’échelle mondiale étaient si frappantes que je m’étonne encore que quiconque ait pu manquer l’analogie. Ce qui m’a choqué, c’est que même en exposant point par point, ceux qui étaient des germanophobes convaincus et des adorateurs de la science toute-puissante ont ignoré les ressemblances en les qualifiant de coïncidences. Pour eux, les circonstances actuelles étaient différentes parce que nous avions LaScienceMD maintenant et que la science d’aujourd’hui est la seule et unique vérité. Faire remarquer que les nazis pensaient la même chose de leurs sciences tombait dans l’oreille d’un sourd.
Dans l’ensemble, ce sont les athées (mais pas exclusivement) qui ont pris le parti des autoritaires parce qu’ils croyaient en LaScienceMD. Pour eux, la science est infaillible. Aussi bizarrement anti-scientifique que soit cette position, c’était (et c’est toujours pour beaucoup) le point de vue de base. Le paradigme dominant est qu’à tout le moins, la position scientifique sur n’importe quel sujet est supérieure à toute autre. Toutefois, en raison de la réaction d’éminents scientifiques dans les domaines de la santé et de la médecine, une partie du problème a consisté à déterminer quelle science était la seule véritable vérité, et les croyants de la science se sont contentés des experts gouvernementaux et de la science sanctionnée par les institutions. En d’autres termes, les croyants rejettent la science en tant que mode de vie sceptique préoccupé par la remise en question et le débat. Pour eux, la connaissance scientifique est une chose qui, une fois possédée, est éternelle, et non un processus continu d’investigation et d’examen, de correction et de réponse à de nouvelles données, de nouvelles approches et de nouvelles perspectives. Pour ces personnes, la science est fondamentalement autoritaire parce qu’elle représente une révélation finale. Une conséquence directe de la croyance en la supériorité de la science sur toutes les autres perspectives, qu’elles soient religieuses ou humanistes, est qu’elle permet à la science de réorganiser la société en fonction de sa seule et unique Vérité. Tous ces siècles de progrès humanistes vers le développement d’une civilisation démocratique juste et humaine pourraient être relégués aux oubliettes. Qui a besoin de l’histoire, des droits de l’homme et de la philosophie éthique quand LaScienceMD peut créer un monde supérieur ?
Aussi choquant que cela puisse être pour ceux qui croient en la science, cette position était typique des nazis et n’était pas une simple coïncidence, mais un élément central du comportement destructeur et immoral du régime. La plupart des gens savent que la suprématie de la race blanche est l’une des principales caractéristiques du nazisme, mais trop nombreux sont ceux qui ignorent que le racisme était soutenu par la science. Pire encore, l’extermination des races inférieures, des handicapés, des homosexuels et des malades mentaux était objectivement éthique selon les normes scientifiques, dans lesquelles, idéalement, aucune valeur humaine sentimentale et aucune émotion ne viennent obscurcir le jugement. Dans Eichmann à Jérusalem de Hannah Arendt, nous apprenons que les médecins du Troisième Reich « pensaient, à tort, que leur attitude “objective et scientifique” était bien plus avancée que les opinions des gens ordinaires ».
Je ne saurais trop insister combien cet orgueil est délirant et extrêmement dangereux. Il ne fait aucun doute que ce narcissisme permanent de la communauté médicale a tout à voir avec l’idée (continuellement inculquée aux médecins et au grand public) qu’ils sont « les meilleurs et les plus brillants » — une notion si éloignée de la réalité qu’elle en devient délirante. Mais délirante ne rend pas compte de l’élément le plus important, à savoir le caractère socialement destructeur de l’élévation d’une profession à un tel niveau. N’oublions pas que les médecins et les conseils médicaux ont promu l’idée de la ségrégation des « non vaccinés », et que beaucoup sont allés jusqu’à introduire des politiques refusant les greffes d’organes à ces spécimens impurs et inférieurs de l’humanité. Certains lecteurs se souviendront peut-être, dans un précédent essai, où certains médecins refusaient de soigner les personnes non vaccinées et les condamnaient à mort. Il va sans dire qu’un tel comportement a une forte connotation nazie.
Cette culture de la suprématie scientifique n’est pas propre au nazisme ; l’analogie s’applique à tout régime autoritaire qui tire sa légitimité d’une source séculière. Les anciennes formes d’autorité telles que la divination et la religion étant mises de côté, la science devient un moyen de justification politique. Une fois qu’une vision du monde prend cette place sacerdotale dans une société, elle marque le déclin d’une civilisation. La divination, la religion et la science ont débuté comme des guides novateurs et révolutionnaires pour lire le grand livre des phénomènes naturels. Mais inévitablement, elles sont toutes devenues des outils politiques guidant la politique et l’action des gouvernements. Le processus historique aboutit à ce que ces paradigmes soient perçus comme corrompus, incohérents et inconsistants, donnant lieu à des luttes permanentes avec de nouveaux paradigmes qui se disputent la suprématie.
Comme le savent les lecteurs réguliers, j’aime ramener les choses à l’univers intérieur, car la racine du problème réside dans le cœur de l’homme. Un individu peut avoir un impact immense s’il choisit simplement d’être droit et de faire preuve d’intégrité. En effet, si nous étions suffisamment nombreux à nous comporter de la sorte, notre société serait saine. Comme tous les philosophes politiques l’ont observé, sans citoyens vertueux, les démocraties tombent aux mains des dictateurs, car il faut bien que quelqu’un vienne remettre les pendules à l’heure.
Je crois qu’une grande partie de ce qui se passe a à voir avec la narration, et j’ai abordé ces questions dans des articles précédents, démontrant comment la science raconte des histoires sur elle-même, et comment, en fait, elle invente des mythes sur sa propre suprématie. J’ai examiné des récits mensongers concernant toutes sortes de scientifiques, de Galilée à Pasteur en passant par Darwin, Einstein et Feynman. J’ai également examiné les faux récits sur le progrès scientifique et la méthode scientifique.
Il y a encore une autre facette qui mérite d’être examinée, à savoir l’avenir de science-fiction que de nombreux scientifiques envisagent et qu’ils entretiennent souvent de manière inconsciente. En d’autres termes, la suprématie scientifique a un aspect prophétique qui promet un avenir de maîtrise scientifique des pouvoirs de l’univers. Il s’agit d’une sorte de vision de super héros de bande dessinée qui révèle le fonctionnement de psychés non développées et d’imaginations enfantines qui n’ont jamais mûri — un état résultant de la négligence. Puisque la science ne s’intéresse pas à ces aspects du développement humain, il est logique que ceux qui s’imprègnent de la science à l’exclusion d’autres paradigmes ne parviennent pas à devenir compétents dans ces autres domaines.
Pour donner un exemple de ce genre de trouble psychologique, je vais citer un passage de la philosophe des sciences Mary Midgley (1919-2018). Ce passage est tiré de Evolution as a Religion (1985) :
L’éminent physicien J.D. Bernal l’a formulé d’une manière qui n’est pas sans rappeler celle de Day dans une remarquable utopie marxiste publiée en 1929. Soulignant que les choses pourraient devenir un peu monotones et peu stimulantes à l’avenir, lorsque l’État aura dépéri après le triomphe du prolétariat, Bernal a prédit que seuls les esprits les plus faibles se contenteraient de ce paradis paisible. Ainsi, « l’aristocratie de l’intelligence scientifique » donnerait naissance à de nouveaux développements et créerait un monde de plus en plus dirigé par des experts scientifiques. Les institutions scientifiques deviendraient progressivement le gouvernement et atteindraient ainsi « un nouveau stade dans la hiérarchie marxiste de domination ». Au final, les scientifiques « émergeraient comme une nouvelle espèce et laisseraient l’humanité derrière eux ».
Comme le souligne Midgley, ce type de fantasme suprématiste n’est pas l’apanage de Bernal ou de quelques illuminés du domaine. Ce genre d’autoglorification apparaît souvent dans les introductions et les conclusions des livres de vulgarisation scientifique, incitant les lecteurs crédules et profanes à penser qu’ils participent à des superpouvoirs cosmiques simplement en lisant et en croyant aux points de vue défendus par ces textes.
Ce que je veux dire, c’est que ces récits détournent l’esprit de personnes qui ne savent même pas qu’elles ont une vie intérieure — ou du moins pas une vie intérieure d’une certaine importance. Au lieu d’avoir des esprits et des cœurs consciemment remplis de récits historiques, bibliques et littéraires, des esprits qui savent ce que sont les récits, à quoi ils ressemblent et comment ils fonctionnent… ils ont un sens à peine conscient d’un monde de bandes dessinées Marvel dans lequel un avatar de la science transforme la société en un paradis sans souffrance parce qu’il est dépourvu de cœur. Tout individu mature trouve ces fantaisies à la fois risibles et tragiques, car un tel état d’esprit ne peut que conduire qu’à plus de souffrance et d’autodestruction. Malheureusement, je ne vois aucun moyen d’atteindre les suprémacistes scientistes. Pourtant, il semble primordial de trouver un moyen de les atteindre, car leur point de vue est au cœur de la décadence politique que nous connaissons. Nous avons besoin d’un mouvement comme celui qui s’est développé à la fin du XIXe siècle promouvant l’éveil psychologique et l’épanouissement d’une vie intérieure saine.
La poésie d’Asa Boxer a été récompensée par plusieurs prix et figure dans diverses anthologies à travers le monde. Il a publié The Mechanical Bird (Signal, 2007), Skullduggery (Signal, 2011), Friar Biard’s Primer to the New World (Frog Hollow Press, 2013), Etymologies (Anstruther Press, 2016), Field Notes from the Undead (Interludes Press, 2018) et The Narrow Cabinet : A Zombie Chronicle (Guernica, 2022). Boxer est également le fondateur et le rédacteur en chef du magazine analogy.
Texte original : https://analogymagazine.substack.com/p/science-nazis-and-scientistic-supremacy