(Extrait de La Science de l’Âme, 2e édition. Dervy-Livres 1980)
L’observateur parfait devra garder les yeux ouverts, de façon à distinguer aussitôt tout fait qui, suivant les théories reçues, ne doit pas se produire ; car ce sont précisément ces faits qui mettent sur la voie de découvertes nouvelles.
Sir John HERSCHEL
(Discours sur la Philosophie Naturelle)
Fantômes posthumes : Télépathie retardée, clairvoyance ou survivance ?
Les apparitions au moment de la mort peuvent, suivant l’hypothèse la plus simple, être considérées d’une manière générale comme des phénomènes télépathiques. Cependant certaines d’entre elles présentent des particularités qui nous obligent à envisager la possibilité de manifestations posthumes. En voici un exemple relaté avec des témoignages détaillés par le docteur Collyer, frère de la victime, dans Phantasms of the living (65, p. 117).
Mme Anne Collyer vit son fils Joseph, debout près de la porte. « Il fixait sur moi, dit-elle, des regards très graves et très tristes ; sa tête était entourée de bandages ; il portait un bonnet de nuit sale et un vêtement blanc, pareil à un surplis également sale. Il était tout défiguré. »
Quelques jours plus tard, elle reçut la nouvelle de la mort de son fils, survenue le jour de l’apparition, à bord du vapeur dont il était le commandant. Dans une collision avec un autre vapeur, et par suite du choc, le mât de pavillon s’était abattu avec une grande violence en fendant le crâne de Joseph Collyer accouru sur le pont, en vêtement de nuit. La mort avait été instantanée ; la tête était presque fendue en deux par le coup, le visage était horriblement défiguré, et son vêtement de nuit était extrêmement sali. Or, ce ne fut que quelques heures après l’accident que sa tête fut entourée de bandages.
L’apparence sous laquelle la forme de son fils apparut à Mme Collyer ne pouvait pas être un symbole élaboré par le subconscient averti télépathiquement du décès, car les caractères vestimentaires de l’apparition (vêtement de nuit et bonnet de nuit salis) n’étaient pas quelconques, mais correspondaient exactement à la réalité. De plus, les bandages entourant la tête montrent que l’hypothèse d’une transmission télépathique retardée ne peut s’appliquer dans ce cas ; pour ne pas admettre une action télépathique provenant de la pensée survivante du décédé, il faudrait supposer (en admettant d’ailleurs que quelqu’un qui est tué sur le coup ait pourtant le temps de penser à qui que ce soit) que l’onde télépathique ait déclenché quelques heures plus tard une perception clairvoyante de la mère, perception qui lui aurait donné connaissance des détails qu’elle ignorait, en particulier celui du bandage autour de la tête et celui de la défiguration. Cependant il est à noter que Mme Collyer n’a pas vu le commandant étendu et sans vie, mais debout et la regardant gravement et tristement. Il faudrait donc admettre, outre l’action combinée de la télépathie et de la clairvoyance, que la subconscience de Mme Collyer a élaboré une représentation symbolique qui lui a fait apparaître son fils comme s’il était vivant.
On ne peut pas démontrer que cette dernière thèse soit fausse, mais on doit constater qu’il faut combiner ensemble trois hypothèses pour échapper à celle d’une action télépathique, émanant de l’âme du décédé lui-même, quelques heures après la mort.
Phénomènes physiques en rapport avec un décès
Les manifestations au moment de la mort et peu de temps après se présentent sous des formes multiples : rêves avertisseurs, apparitions, horloges s’arrêtant ou se remettant en marche sans cause normale, portraits se décrochant sans rupture de leur support, phénomènes auditifs, tels que coups frappés ou manifestations chorales et musicales — telles que celles qui ont mystérieusement accompagné l’agonie du poète Goethe, pendant les deux heures qui ont précédé son dernier soupir (97, pp. 280-281) — et autres phénomènes divers, subjectifs ou objectifs (161), souvent accompagnés d’intuitions et de pressentiments chez les proches du mourant ou du décédé ; par leurs modalités ils s’apparentent soit à la télépathie, soit à la télékinésie, soit encore, mais beaucoup plus rarement, aux matérialisations.
On connaît des cas d’horloges s’arrêtant ou se remettant spontanément en marche en rapport avec un événement de mort et Bozzano en a recueilli cinq exemples dans sa monographie Des Phénomènes de « télékinésie » en rapport avec des événements de mort (162, pp. 145-178). L’éminent investigateur italien a fait observer à ce propos que, malgré leur fréquence relative, l’étude des manifestations de cette catégorie a été généralement négligée, probablement parce qu’elles peuvent être trop aisément expliquées par l’hypothèse des « coïncidences fortuites » ; cependant, l’étude comparée de ces phénomènes permet de découvrir que leur réalisation est parfois accompagnée simultanément par des phénomènes télépathique, et cette simultanéité, en même temps qu’elle élimine une possible coïncidence fortuite, « implique que l’agent qui a provoqué l’hallucination télépathique a aussi été la cause ayant déterminé l’arrêt de la pendule ». De plus, si, en règle générale, les manifestations de cet ordre se réalisent dans la maison même du décès, de nombreuses exceptions montrent qu’elles peuvent se produire à de grandes distances, ce qui élimine « l’hypothèse d’une force physique se dégageant du mourant et se propageant au loin par des ondes concentriques, puisqu’elle devrait alors être soumise a la loi physique du carré inverse des distances et être pratiquement nulle au-delà d’une certaine limite ».
Flammarion, qui a consacré un ouvrage aux Caprices de la Foudre, et qui a recueilli des faits où la foudre a arrêté des pendules ou remis en marche des montres arrêtées, établit une analogie entre ces effets et les phénomènes physiques supranormaux où il pense « que l’électricité joue un rôle important ». Bozzano estime (162, p. 15 3) que cette analogie est tout à fait superficielle, et qu’une force électrique soumise a la loi du carré inverse des distances, s’affaiblirait rapidement avec la distance jusqu’à s’épuiser complètement, alors que les manifestations télékinésiques se réalisent à une distance quelconque sans aucune atténuation de la force agissante.
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Les phénomènes consistant en portraits qui se décrochent sans rupture de leur support, au moment de la mort, ou peu après, de la personne portraiturée, sont du même ordre que les précédents ; par leur caractère même, ils ne sont pas susceptibles d’être interprétés comme des coïncidences, puisque ce n’est pas n’importe quel portrait qui tombe, mais précisément celui de la personne décédée au moment même ou à un moment très proche. De plus, ce caractère électif d’un phénomène matériel montre qu’il ne s’agit pas de l’action d’une force rayonnant autour du mourant, qui, dans ce cas, devrait agir sur n’importe quel objet environnant, mais d’une force dirigée par une intention, subordonnée a une intelligence, ce qui confirme encore le fait que, dans ces cas assez nombreux la chute du portrait n’est pas provoquée par celle du clou ou du piton ou par la rupture de la cordelette ou de la chaîne. Ces phénomènes se présentent donc avec toutes les apparences d’une action volontaire s’exerçant sur la matière.
Dans le chapitre consacré aux phénomènes télépathiques, j’ai exposé une partie du cas de la mère de l’officier Antonico Costa qui, rappelant dans une conversation quelques circonstances de l’enfance de celui-ci, commit un lapsus — impliquant probablement une perception subconsciente du décès de son fils — et dit : « Quand Antonico est mort » au lieu de « Quand Antonico est né ». Elle était très fâcheusement impressionnée par cet incident, dans lequel elle voyait un sinistre présage — avec raison, puisqu’une dépêche reçue peu après lui annonçait la mort de son fils — et les personnes présentes s’efforçaient de la convaincre qu’il était futile et sans signification, lorsqu’un bruit retentit dans la chambre à côté, où l’on trouva le portrait d’Antonico, tombé sur le sol : le cordon qui le soutenait était en parfait état et les deux solides clous auxquels il était suspendu n’avaient pas bougé.
Bozzano (162, p. 177) a développé l’argument selon lequel les manifestations télékinésiques se réalisant au moment de la mort ou peu après, ou au moment où le souvenir d’un défunt est évoqué, impliquent la présence spirituelle sur place, du défunt lui-même, et que, celles-ci étant souvent accompagnées de phénomènes à forme télépathique, leur identité d’origine serait démontrée, en même temps que l’origine spirite de nombre d’épisodes considérés jusqu’ici comme étant de nature télépathique. Ce serait le cas pour l’incident du lapsus linguae de la mère d’Antonico Costa, qui fut suivi par la chute du portrait de l’officier.
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Des manifestations télékinésiques de ce genre ne se réalisent pas seulement au moment même de la mort, mais quelquefois se renouvellent et prennent le caractère de phénomènes de hantise. Le professeur Alexander a signalé (Light, 1898, p. 443) les incidents qui ont suivi la mort, survenue le 9 mai 1887, vers midi, à Sao-Paulo, du docteur Albert Brandâo. Le lendemain soir, vers 9 h. 30, chez son gendre, le romancier Goethe Netto, qui connaissait déjà le décès, tomba un grand et lourd portrait du défunt. Vers 11 heures un autre tableau tomba dans le salon, en entraînant un autre dans sa chute et brisant quelques bibelots placés sur une console ; le cordon auquel était pendu le tableau était intact et le clou qui le soutenait était à sa place. D’autres manifestations de différente nature se produisaient dans la maison.
Le docteur Brandâo était mort en des conditions économiques fort difficiles et avait manifesté vivement le désir que son gendre accueillît deux filles encore à marier qui lui restaient. Les phénomènes cessèrent aussitôt que M. Netto se fut décidé à exaucer le désir du défunt en accueillant chez lui les deux jeunes filles.
Certaines hantises présentent ce même caractère de cesser lorsque les vœux de défunts sont exaucés. Bozzano estime que cette circonstance signifie que les manifestations étaient en rapport avec le défunt même, impliquant sa présence spirituelle et étaient causées par le fait qu’on se refusait à satisfaire ses désirs, autrement dit, que le but de ces manifestations était d’impressionner les percipients et les amener à exaucer ses voeux.
La théorie métapsychanalytique du docteur Thomas Bret
Cette interprétation, logique, de Bozzano suppose que l’on reconnaît fondée l’hypothèse de la Survivance spirituelle et la possibilité de manifestations volontaires après la mort. Toutefois, le souci de l’objectivité m’oblige à exposer une autre thèse, logique aussi mais entièrement différente quant à son point de départ et à ses conclusions : c’est celle du docteur Thomas Bret qui, comme sa théorie de l’auto-persécution dans certaines hantises, se rattache à la psychanalyse ou plutôt à la métapsychanalyse. Voici en quoi elle consiste : on sait que certaines tendances, idées ou images refoulées dans le subconscient (voir chapitre I, la personnalité subconsciente) peuvent provoquer des rêves, des hallucinations, des phobies, des troubles du comportement, etc. ; si ces réactions subconscientes peuvent se combiner avec l’extériorisation de la « force psychique » c’est-à-dire de l’énergie produisant les phénomènes de télékinésie et d’ectoplasmie, leurs effets ne sont plus alors seulement subjectifs, intérieurs au sujet mais objectifs, extérieurs à lui et se traduisent sous des formes diverses qui selon la thèse du docteur Bret, sont des projections dynamique ou idéoplastiques des idées, images ou sentiments refoulés qui se sont transformés en un « monoidéisme métapsychique ».
Le docteur Thomas Bret, à l’appui de sa thèse, cite le cas, publié par le docteur Dariex (A.S.P., 1902, p. 321) d’une jeune femme, qui, alors qu’elle se sentait parfaitement heureuse en regardant un paysage au clair de lune deux ou trois jours après le décès de son frère, vit trois jours de suite, à la même heure et au même endroit, apparaître celui-ci, passant hâtivement sur la route devant la propriété familiale et disparaître derrière le mur de clôture ; elle ne le reconnut pas, bien qu’il fût vêtu du costume dont elle-même et sa mère l’avaient revêtu dans le cercueil : elle avait pris cet homme de haute taille pour un passant revenant d’une soirée, et ce n’est que la troisième fois qu’ayant eu la curiosité de regarder où se dirigeait ce monsieur vêtu d’une redingote et coiffé d’un chapeau de soie, elle constata que la route aussi bien que les terrains plats et sans arbres qui la bordaient, étaient absolument déserts à perte de vue ; prise alors d’épouvante, elle parla de ce qu’elle avait vu à sa mère qui reconnut immédiatement son fils d’après la description du costume et la haute taille du passant. Le lendemain et les soirs suivants à la même heure et au même endroit, les deux femmes, anxieuses, attendirent en vain que se reproduisît l’apparition. Le docteur Dariex a fait observer qu’il est remarquable qu’elles ne virent point la silhouette du défunt, puisque leur imagination était frappée, qu’elles se trouvaient dans les conditions les meilleures pour s’autosuggestionner et éprouver une hallucination. Mais le docteur Bret pense que la manifestation devait logiquement et forcément cesser à partir du moment où l’image du défunt resta constamment présente dans la conscience de la sœur, si elle était produite par la projection matérialisée de l’image du défunt, extériorisée par protestation subconsciente contre le refoulement égoïste des regrets d’une perte si récente (146, pp. 34-40).
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En appliquant cette interprétation aux manifestations qui suivirent la mort du docteur Albert Brandâo et qui s’arrêtèrent lorsque son gendre se décida à accueillir, selon le vœu du défunt, les filles de celui-ci, on devrait considérer que c’est le sentiment refoulé du devoir familial qui est à leur origine, au moyen d’une extériorisation dynamique dirigée par le subconscient du gendre.
A mon sens, les deux thèses sont soutenables ; certes, en considérant isolément, un cas particulier, celle du docteur Thomas Bret a évidemment pour elle l’avantage incontestable, du point de vue scientifique, de ne faire appel qu’aux possibilités de l’être vivant. Mais si d’autres faits échappent à cette interprétation et obligent à considérer comme fondée l’hypothèse spirite, il deviendra alors légitime de l’appliquer aussi au cas du docteur Brandâo. Mais on devra reconnaître en tout cas, que la théorie métapsychanalytique du docteur Bret rend mieux compte que celle d’une intervention posthume consciente des cas semblables à celui du frère en habit de soirée passant sans faire attention à sa sœur, trois soirs de suite devant les yeux de celle-ci.
La promesse de Benjamin Sirchia
Le docteur Vincenzo Caltagirone, de Palerme, avait un ami Benjamin Sirchia, incroyant dans le sens le plus étendu du mot, auquel il eut l’occasion, en mai 1910, de parler de phénomènes supranormaux et des différentes interprétations qui en sont données ; sur un ton de plaisanterie, ils convinrent mutuellement que le premier qui mourrait tenterait de casser quelque chose dans la suspension de la salle à manger.
Sur ce, les deux amis se séparèrent. Sirchia devait partir un jour prochain pour s’établir pendant quelque temps à Licata, dans la province de Girgenti. Depuis ce jour, le docteur Caltagirone n’eut plus aucune nouvelle de lui, ni directement ni indirectement.
En décembre 1910, le 1er ou le 2, vers six heures du soir, le docteur Caltagirone était assis à table avec sa sœur, lorsque leur attention fut attirée par plusieurs petits coups frappés tantôt sur la cloche de la lampe centrale suspendue au plafond de la salle à manger, tantôt sur le petit chapeau mobile de porcelaine situé au-dessus du tube de cristal. Au commencement, ils attribuèrent ces coups à l’effet de la chaleur ; mais les coups avaient un timbre spécial ressemblant plutôt à ceux d’une baguette de métal dont on aurait frappé un objet de porcelaine suspendu. Pendant quatre ou cinq soirs consécutifs, le phénomène se répéta suscitant toujours la curiosité du docteur Caltagirone et de sa sœur. Le dernier soir, ils avaient éteint la lumière du centre où se situait le phénomène, et pour la remplacer avaient allumé un autre bras du gaz, fixé latéralement à la grosse lampe ; mais les coups continuèrent à résonner à l’endroit primitif et avec la même intensité ; un coup plus fort fit casser en deux le petit chapeau mobile, qui resta attaché entier à l’agrafe du contrepoids métallique.
Le lendemain, à huit heures du matin, le docteur Caltagirone se trouvait dans son cabinet, sa sœur était au balcon, la domestique était sortie, lorsqu’un grand bruit retentit dans la salle à manger, comme si un violent coup de bâton avait été donné sur la table. Ils coururent tous deux en même temps pour voir ce qui était arrivé : sur la table, ils trouvèrent, « comme posée par une main humaine », une moitié du chapeau du gaz, tandis que l’autre moitié était restée suspendue à sa place. Le coup violent entendu était en disproportion avec l’événement. Mais celui-ci n’était pas un fait banal : en effet, le demi-chapeau détaché était déposé au-dessous de la lampe, en ligne verticale, c’est-à-dire à une place où il n’aurait pu tomber naturellement, par la pesanteur, sans rencontrer et briser le tube et le manchon de l’appareil, alors qu’ils étaient intacts. Ou bien il aurait dû rebondir et tomber, et même hors de la table, en un endroit distant du centre de la table et non verticalement dans l’axe de la suspension.
Le docteur Caltagirone n’avait pas pensé un seul instant pendant les jours où se produisirent ces faits étranges, à son ami Benjamin Sirchia ni à sa promesse, ni à l’accord conclu en plaisantant au mois de mai précédent. C’est deux jours après le premier phénomène que, rencontrant le docteur Rusci, il apprit la mort de Benjamin Sirchia, survenue entre le 27 et le 28 novembre, c’est-à-dire quelques jours avant le début des manifestations.
Il semblait résulter de tout cela que le bruit violent avait été un avertissement pour annoncer le phénomène accompli ; le placement du morceau de chapeau dans un endroit où ne pouvait tomber par hasard sans violer les lois de la chute des corps ou celles de la balistique, semblait être voulu, pour exclure toute possibilité naturelle de l’événement.
Le docteur Caltagirone a publié ce cas dans la revue Filosofia della Scienza (mai 1911) dirigée par le docteur Innocenzo Calderone et Bozzano l’a reproduit intégralement (152, pp. 137-141). Il semble mettre en évidence une intention, celle de produire précisément le phénomène promis de son vivant par le défunt pour démontrer sa survivance éventuelle, et peut être revendiqué par l’hypothèse spirite comme impliquant « l’intervention directe et la présence réelle de l’entité communicante ».
Est-ce à dire qu’aucune autre théorie que celle de la Survivance ne puisse prétendre à l’interpréter ? Selon une hypothèse certes moins claire et moins simple que celle d’une intervention posthume, on pourrait admettre comme Sudre (74, p. 356) que le docteur Caltagirone avait perçu télépathiquement et subconsciemment la mort de son ami, et en lui attribuant, arbitrairement d’ailleurs, des facultés télékinésiques, imaginer que son subconscient a dirigé celles-ci de manière à réaliser, on ne voit pas bien pourquoi, le phénomène promis par le défunt. Mais plus complexes seront les manifestations dont nous aborderons l’étude, plus nous serons obligés — malgré un esprit critique élaguant impitoyablement les faits pouvant être interprétés d’une autre manière — de reconnaître que la thèse de la survivance s’appuie sur de fortes présomptions, et que les théories qu’on doit lui opposer sont obligées de présenter une complexité de plus en plus grande pour pouvoir rendre compte des faits.
Des témoignages…
De nombreux faits ont été recueillis par les chercheurs contemporains, qui sont venus confirmer ce que nous avaient appris les enquêtes de la S.P.R. et de Camille Flammarion. Dans son livre pourquoi je crois à l’Immortalité personnelle, Oliver Lodge a résumé le cas du « Testament de James L. Chaffin » dans lequel une vision en rêve a fait découvrir un deuxième testament du décédé, ce qui a donné lieu, devant un tribunal, à l’annulation du premier et à l’authentification du second. Andrew Mackensie, de la S.P.R. a réuni de nombreux cas qui posent sérieusement le problème de la Survivance, dans son recueil Peut-on expliquer l’inexplicable ? (165), ainsi que G.N.M. Tyrrell dans Au-delà du conscient (167), Martin Ebon (Dialogues avec les morts ? 166) et Louisa E. Rhine (Les Voies Secrètes de l’Esprit). Il est impossible de tout citer, et force est de se limiter à quelques cas caractéristiques.
De grands musiciens se manifestent…
La médiumnité de Rosemary Brown est caractérisée par d’étonnantes productions musicales.
Lorsqu’elle était fillette, dès l’âge de 7 ans, ses facultés se manifestaient dans la vie courante, et le supranormal lui apparaissait comme une chose toute simple et familière, au point qu’elle voyait des « morts » avec moins d’émotion qu’elle n’en éprouvait devant les vivants.
Par la suite, une certaine direction spirituelle se manifesta dans sa vie, la guidant à travers des périodes d’existence très difficile.
C’est après la mort de son mari que, sous la direction médiumnique de Franz Liszt, en 1964, elle commença à recevoir des mélodies par audition. Cette médiumnité musicale se développa si bien que des concerts furent organisés, au cours desquels elle interpréta de nombreux morceaux, comportant plusieurs instruments, qui lui avaient été dictés par les Invisibles et qui, au dire des spécialistes, correspondaient parfaitement au style original de chacun des auteurs : Liszt, Beethoven, Schubert, Chopin, Brahms, Grieg et Schumann.
L’examen des manuscrits a permis d’établir que l’écriture et la manière dont les notes étaient écrites variaient selon les morceaux dictés par les différents compositeurs. Ainsi, l’écriture de la musique émanant de l’« entité Chopin » était exactement conforme à l’écriture employée par le grand compositeur, et les indications et instructions pour l’exécution des morceaux étaient du même style (168).
On sait que les productions des peintres-médiums consistent le plus souvent en compositions symboliques et surréalistes qui, si étranges et intéressantes qu’elles soient [1], ne constituent pas, en faveur de la Survivance, l’argument irrésistible que nous apporteraient des compositions médiumniques dans le style et la manière de Rubens, Watteau ou Delacroix.
C’est pourquoi la production musicale médiumnique de Rosemary Brown, consistant en compositions originales portant la marque incontestable des plus grands maîtres de la musique classique, revêt un très grand intérêt pour notre investigation. La firme Philips a lancé en 1970 le disque no 6500 093 (30 cm), comportant des compositions, d’origine médiumnique, des sept illustres musiciens précités.
Lorsque Philips décida de procéder au premier enregistrement, il fut demandé à Rosemary Brown de se soumettre à une série de tests, sous la direction du professeur docteur W.H.C. Tenhaeff à l’Institut de Parapsychologie de l’Université d’Utrecht.
Après de longues séances d’examen, l’éminent parapsychologue hollandais parvint « à la conclusion que l’hypothèse de cryptomnésie, c’est-à-dire de plagiat inconscient, n’explique pas de façon convaincante l’origine de ces compositions, qui dépassent maintenant le chiffre de quatre cents ».
Le professeur Tenhaeff ne rejette pas en principe l’hypothèse de la survivance, mais estime que le cas de Rosemary Brown appartient à « ceux qui demeureront longtemps dans l’incertitude quant à savoir si l’hypothèse spirituelle leur est applicable ».
Continuons donc notre investigation.
L’Anniversaire fleuri de Simone Saint-Clair
Simone Saint-Clair, écrivain bien connu, résistante et déportée pendant l’occupation allemande, dont l’ouvrage Ravensbrück, l’Enfer des Femmes, a été couronné par l’Académie Française, et qui est membre du Comité Directeur de l’Institut Métapsychique International, a relaté dans son beau livre Le Flambeau Ardent (169) un cas personnel remarquable qui, comme le précédent, implique une intention , un plan d’actions convergentes et la mise en œuvre d’instruments humains différents pour sa réalisation.
Simone Saint-Clair a perdu ses deux fils au cours de la deuxième guerre mondiale. En 1943, Alain, son fils cadet, poursuivi par la Gestapo, s’évada de France pour rejoindre l’armée d’Afrique. Le 25 février, en son nom et en celui de Claude, son aîné, absent de Paris à ce moment, Alain avait offert à sa mère, pour son anniversaire, une magnifique gerbe de fleurs. Et c’était la dernière fois.
Depuis, cette mère éprouvée avait demandé que sa fête, date liée à des souvenirs à la fois doux et cruels, ne lui fût plus souhaitée que par son mari, et son désir fut toujours respecté…
Toujours, jusqu’au 25 février 1950. La veille, passant devant la pièce qui est restée « la chambre d’Alain », Simone Saint-Clair entendit deux voix, l’une claire, l’autre grave, résonnant en même temps à ses oreilles, la voix d’Alain et celle de Claude, prononçant joyeusement : « Notre petite Nounette aura de jolies fleurs demain pour son anniversaire !»
Elle crut devenir folle, sur le moment, mais se décida à aller dans son bureau pour y continuer un travail en cours.
* *
Le lendemain, vers 9 h., on sonna à sa porte : une jeune journaliste de ses amies, avec qui elle avait rendez-vous lui apportait à cette occasion un beau bouquet d’anémones, alors qu’elle ne l’avait jamais fait auparavant : « C’est vrai, mais ce matin, je ne sais pas pourquoi, il a fallu que je t’apporte ces fleurs.
Une heure après, une femme inconnue, à l’accent étranger, se présentait avec une grosse gerbe de tulipes mauves : « Vos amis de Suisse m’ont priée de vous offrir ce bouquet de leur part, pour votre anniversaire… »
La surprise s’accrut encore lorsqu’une femme de ménage, récemment engagée, lui remit un superbe bouquet d’œillets et de mimosas « avec ses meilleurs souhaits ».
D’habitude, son mari, à cette date, lui offrait des fleurs, mais celles qu’il apporta ce jour-là, à midi, étaient particulièrement belles : une grosse azalée et des violettes.
* *
S’étant absentée l’après-midi, elle retrouva la table de son bureau couverte de fleurs : une azalée rouge, offerte par son frère (qui ne lui avait jamais offert de fleurs spécialement pour cette date), une gerbe d’œillets envoyée par une autre personne qui ne s’était jamais souciée jusqu’à présent de son anniversaire, et un ravissant bouquet de violettes de Parme, venant d’une ancienne secrétaire de son mari qui, elle ne sait pourquoi, s’était souvenu que le 25 février…
C’est à ce moment seulement que Simone Saint-Clair eut soudain conscience de ce qui venait de se passer et dont elle était témoin : la réalisation de l’annonce de la veille : « Notre petite Nounette aura de jolies fleurs demain pour son anniversaire !»
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Ceux qui, par principe, classent volontiers les faits de ce genre dans le chapitre des coïncidences, pourront ajouter celui-ci à leur collection. Toutefois, qu’ils méditent encore cette autre « coïncidence » : en relisant, au cours de l’année 1952, des notes anciennes, Simone Saint-Clair y a retrouvé la trace d’un message qui lui fut donné par un médium, le 23 juin 1949, à Londres, en ces termes : « On me présente des fleurs à votre intention. A… et C… me parlent du mois de février. Ils insistent, vous prient de bien retenir que le mois de février prochain vous apportera « quelque chose » qui, pour vous, sera du bonheur, chassera les ténèbres de votre horizon, et vous éclairera. »
Cette prophétie, qui avait été complètement oubliée par Simone Saint-Clair, témoigne du plan d’action qui s’élaborait déjà à huit mois auparavant dans le monde invisible, en vue de suggérer aux vivants, à leur insu et dans un but précis d’inhabituelles initiatives. [2]
Les manifestations de Jean Quélavoine
Toute unes série de manifestations supranormales se sont déroulées pendant les mois qui ont suivi le décès soudain, en septembre 1935, pendant les vacances à La Bourboule, d’un enfant de douze ans, beau et intelligent, doué des plus admirables qualités intellectuelles, physiques et morales ; Jean était fils de membres de l’Enseignement primaire, M. Achille Quélavoine, directeur d’école à Versailles, et Mme Yvonne Quélavoine, institutrice dans la même école, tous deux retraités [3] aujourd’hui. Militants syndicalistes et pacifistes, c’étaient des matérialistes convaincus, d’esprit qui trouvaient dans leur profond amour de l’humanité les mobiles de l’activité infatigable et du dévouement dont était tissée leur vie exemplaire, tant comme éducateurs que comme citoyens du monde. Je les connais personnellement, depuis que les phénomènes étranges, dont leur habitation fut le théâtre, m’ont mis en contact avec eux. C’est à leur courage et à leur culte de la vérité que je dois de pouvoir citer ici leur nom, autrement que sous la forme d’initiales qui, par suite de la crainte du « qu’en dira-t-on ? », sont encore la règle générale dans les attestations relatives aux phénomènes de cet ordre.
Bientôt après ce décès, s’accumulèrent autour d’eux nombre de faits inattendus et inexplicables ; doutant de leur sens, analysant froidement toutes choses, raisonnant et cherchant des explications, la conviction grandit peu à peu en eux que ces faits qui se multipliaient, impliquaient une présence autour d’eux, insistante, ingénieuse, apportant sans cesse des preuves nouvelles de son activité.
Voici quelques-uns de ces faits, qui ont été notés dans un cahier et dont la plupart se sont déroulés à Versailles, dans l’appartement familial, situé au-dessus des classes de l’école, où seuls habitaient les Quélavoine, sans concierge et sans colocataires.
Un après-midi de l’hiver 1935-1936, à 4 heures, Mme Quélavoine, la classe terminée, remontait chez elle. Dans le vestibule de l’appartement, en passant près du porte-manteau, elle toucha, en une caresse maternelle, le pardessus de Jean resté pendu là, depuis… Un sanglot dans la voix, elle dit : « Jean, mon petit Jean, où es-tu ? »
Elle perçut alors un bruit assez violent, plus loin, et pensa qu’un accident venait d’arriver dans la classe des garçons, mitoyenne de l’appartement. Elle avança rapidement pour traverser la salle à manger et… devant elle, l’une des tulipes de l’appareil d’éclairage fixé au-dessus de la table, décrivit une parabole, alla se poser sur le plancher, à deux mètres de là, juste au pied du grand fauteuil sur lequel un agrandissement photographique de l’enfant avait été posé, car il aimait beaucoup lire sur ce siège.
M. Quélavoine, étant arrivé à son tour ramassa la tulipe de verre et constata que l’encaustique du parquet gardait les traces du contour de la tulipe, comme si elle avait été déposée brûlante. Il fit alors plusieurs essais qui le convainquirent qu’en obéissant à la loi de la pesanteur, la tulipe aurait dû tomber verticalement, et non suivant la courbe constatée par Mme Quélavoine et attestée par l’empreinte de la tulipe sur le plancher.
Quand il voulut remettre la tulipe en place, il constata avec stupéfaction que les trois vis qui la maintenaient étaient restées bloquées. Pour replacer la tulipe, il dut dévisser chacune des trois vis.
Comment peut-on expliquer, autrement que par une activité intentionnelle, la position de ces trois vis après la course de la tulipe ; la parabole décrite par celle-ci, contraire — comme le trajet parcouru par le morceau détaché de la suspension du docteur Caltagirone après la mort de Benjamin Sirchia, — à toute loi physique : et le fait que la tulipe a été se poser au pied du fauteuil, devant l’agrandissement photographique de l’enfant ?
La trace du contour de la tulipe, marquée dans l’encaustique du plancher, comme si elle avait été déposée brûlante permet un rapprochement instructif avec certaines modalités des phénomènes de hantises : dans les cas de jets de pierres, on a constaté assez souvent, en les ramassant immédiatement après leur chute, qu’elles étaient brûlantes ; cette concordance nous indique que malgré le caractère apparemment fantastique de tous ces phénomènes, ils n’en obéissent pas moins à certaines lois, et que la chaleur développée dans l’objet mouvant, pierre ou tulipe d’éclairage, témoigne des transformations internes d’énergie qui ont accompagné la réalisation des phénomènes.
* *
Une personne amie, peintre amateur, avait donné à Mme Quélavoine pour le mettre près du portrait de l’enfant, un tableau représentant des fleurs ; les parents se mirent à l’accrocher au mur. A ce moment, des coups sonores et répétés semblent provenir de la cloison ; les parents s’interrogent du regard : oui, ils ont très bien entendu. Les coups redoublent. Machinalement, ils retirent le tableau : silence ; ils replacent le tableau : les coups recommencent. L’expérience fut répétée, plusieurs fois, à de longs intervalles, avec les mêmes résultats. Et la maman se souvint que Jean n’aimait pas les fleurs de Mme X…, il disait : « Elles n’ont pas d’âme. »
Alors, définitivement, le tableau fut décroché : un dernier coup retentit, un seul, mais sonore, gai peut-être, comme si Jean manifestait sa satisfaction d’avoir été compris.
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Ces phénomènes ne constituent que des « échantillons » des manifestations très nombreuses et très variées qui se déroulèrent dans le cadre du logis familial, avec les seuls parents de Jean pour témoins et dont, sauf pour les toutes je premières, je fus tenu régulièrement au courant.
D’autres phénomènes ont eu lieu dans la maison de la grand-mère maternelle de Jean, au Chesnay, près de Versailles, les autres membres de la famille étant présents. En voici quelques-uns : Celui-ci a été constaté au cours d’un repas de famille ; près de la grand-mère se trouvent les parents de Jean, la tante, l’oncle et deux jeunes cousines. Soudain, M. Quélavoine et son beau-frère voient la maman de Jean se tourner, en même temps que sa sœur et sa mère et l’une des fillettes, d’un même geste, regarder vers une même direction, en prêtant l’oreille…
« Qu’y a-t-il ? Qu’avez-vous ? » interrogent les deux hommes. Et toutes, de répondre émues : « J’ai entendu les mots : je suis là. »
Phénomène, subjectif, comme semble l’indiquer le fait que perçu seul l’élément féminin a perçu le phénomène ? En tous cas, quatre personnes ont perçu les mêmes paroles en même temps.
Peut-on abandonner ce dernier fait à l’hypothèse de l’hallucination collective ? Il est plus facile de parler des hallucinations collectives que de les constater et lorsqu’il s’en produit réellement c’est dans des conditions déterminées, tension d’esprit mystique, attente anxieuse, qui n’étaient pas du tout réalisées au cours de ce repas familial et qui ne l’étaient pas davantage lors du phénomène, objectif, matériel celui-là, qui fut constaté, un autre jour dans cette même salle, par tous les membres de la famille : à l’une des parois est accrochée une petite horloge dite « Cou-Cou » avec laquelle Jean, autrefois, avait souvent joué et qui, depuis, est arrêtée et reste silencieuse. Autour de la table la conversation familiale est générale. Brusquement, les convives entendent un déclic. Personne n’a touché à l’appareil, dont chacun est d’ailleurs éloigné, mais les poids de l’horloge, immobiles depuis des mois, bougent : l’un remonte, l’autre descend. Là encore on constate la parenté de cet épisode avec certains phénomènes de télékinésie au moment de la mort.
Voici un autre fait qui s’est déroulé en une autre réunion familiale, dans le même lieu, devant les mêmes personnes que précédemment, sauf l’oncle de Jean qui avait dû partir alors que les autres convives n’avaient pas encore achevé le repas. On en était au dessert ; des cerises étaient sur la table, dans un compotier bas. Plusieurs personnes étaient servies, mais la maman de Jean qui, depuis le décès de celui-ci, vivait d’une vie ralentie, plus que sobrement, n’a pas voulu de cerises.
Soudain, la petite cousine Madeleine, placée près de son oncle, le père de Jean, lui dit : « Regarde. » Dans le compotier, parmi la poignée de fruits qui restaient, une cerise, lentement, régulièrement, remuait ; la queue bougeait très nettement, se levait, s’abaissait, se relevait, dirigée vers Mme Quélavoine. Dix fois, le mouvement se produisit, lentement, sans à-coup, sans secousse. La grand-mère murmura inconsciemment à sa fille : « Prends donc, c’est Jean qui veut que tu manges. »
On examina le compotier et les fruits, et on ne trouva rien qui puisse être la cause accidentelle de ce déplacement de la cerise. Plus tard, quelqu’un remarqua : la cerise s’est dressée dix fois, et dix, c’est le rang alphabétique de J : « Jean ».
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Enfin voici un fait complexe, particulièrement intéressant d’une part, parce qu’il comporte une manifestation d’ordre physique avec un sens intelligent qui s’est réalisée en l’absence de Mme Quélavoine et, d’autre part, parce qu’elle fit suite à une conversation énoncée en un autre lieu, et que l’ensemble constitue une sorte de « correspondance croisée » dont la signification est la même que celle des faits classés sous cette dénomination : l’activité d’une intelligence selon une même idée directrice, en des lieux éloignés, par des moyens divers (mentaux et physiques), par des intermédiaires humains différents, toutes circonstances tendant à démontrer l’autonomie de la personnalité communicante.
Chez la grand-mère, l’aînée des cousines travaillait à son bureau, seule dans la pièce et dans l’appartement. Attentive, elle faisait un devoir de mathématiques. Tout à coup, un grand bruit provenant de la pièce voisine troubla le silence de la maison. Jeannine songea que l’étagère de livres avait dû tomber. Pourtant, l’étagère était en place ; mais à terre, près du piano, le livre de chants est tombé, et il est ouvert à la page précise du dernier chant jadis étudié par Jean.
Or deux jours auparavant, dans une petite réunion expérimentale tenue à Paris, chez moi, avec M. et Mme Quélavoine et mes parents, ma mère, Mme Claire Dumas, douée de quelque médiumnité avait reçu l’impression que Mme Quélavoine devrait chanter et lui avait dit : « Chantez-vous ? » Ce à quoi elle avait répondu : « Oui, autrefois, je chantais beaucoup avec mon petit Jean, mais maintenant, je n’en ai plus ni le goût ni le cœur. »
Le lendemain de cette conversation, Mme Quélavoine, chez elle, à Versailles, avait pris un crayon, attendant, elle qui n’a jamais ni su ni aimé dessiner, de produire par « écriture automatique » un de ces bizarres « dessins médiumniques » de style oriental aux formes végétales et aux volutes harmonieuses dans lesquelles s’insèrent des visages humains, ou bien un de ces messages signés Jean d’une forme superbe et d’une philosophie profonde, d’inspiration hindoue, développant des conceptions vedantiques, dont elle n’avait jusqu’ici aucune idée.
Dans cette attente donc, elle écrivit, étonnée, des lettres qu’elle ne comprit pas : « H.Y.S.L.O.P. ». Puis elle écrivit encore sans comprendre davantage : « Hyslop, Hyslop… preuve. »
Le jour suivant, elle alla au Chesnay chez la grand-mère où elle apprit l’incident du livre de chant ; ce n’est que plusieurs jours après que les Quélavoine, venant à Paris, nous mirent au courant, mes parents et moi, de cette manifestation et nous signalèrent l’étrange suite de lettres qu’ils ne pouvaient interpréter : Hyslop. Je leur expliquai alors que James Hyslop était un professeur américain, libre-penseur convaincu et investigateur très sceptique dans le domaine des « recherches psychiques » qui expérimenta avec le célèbre médium Mme Piper et, par elle, obtint de son père des preuves d’identité » consistant entre autres, en allusions à de menus faits l’ordre familial, ignorés du consultant lui-même, mais dont il put vérifier l’exactitude, et que ces preuves d’identité finirent par gagner Hyslop à la thèse de la Survivance (V. chapitre XIII) et qu’il avait obtenu aussi des « communications croisées ».
Ainsi, à Paris : conversation sur le chant et Jean ; deux jours après, au Chesnay : déplacement spontané du livre de chant et ouverture de celui-ci à une page caractéristique, celle du dernier chant étudié jadis par jean ; ce n’était pas une chute accidentelle, une coïncidence fortuite, car le phénomène a été annoncé par un bruit violent qui a fait croire à Jeannine à la chute de toute l’étagère de livres ; la veille de cette manifestation à Versailles : commentaire anticipé du phénomène : « Hyslop, preuve ».
N’y a-t-il pas là, en effet, une manifestation qui aurait retenu l’attention du professeur James Hyslop ? Et n’est-ce pas la force probative des faits qu’ils ont observés qui ont obligé les matérialistes Quélavoine, comme le libre-penseur Hyslop, à prendre en considération l’idée de la Survivance Spirituelle, ceux-là sur la base des manifestations spontanées de leur fils, celui-ci sur celle des communications médiumniques de son père.
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Je dois ajouter que l’exposé de toutes les manifestations supranormales semblant émaner de Jean Quélavoine pourrait constituer à lui seul tout un ouvrage. De 1936 à 1938, dans des cercles expérimentaux que ma mère et moi dirigions, il n’était pas rare que, en l’absence des Quélavoine, quelque sensitif clairvoyant — ignorant complètement l’existence de Jean et de ses parents — nous fit une description précise de l’enfant ou nous transmit une allusion à un fait ignoré de nous.
Dans leur ensemble, cette extraordinaire succession de faits spontanés semble impliquer l’activité d’une personnalité spirituelle autonome, utilisant tous les moyens possibles pour multiplier les démonstrations de sa survivance et les preuves de son identité, depuis l’épisode de la tulipe d’éclairage jusqu’à celui du livre de chant.
Les visions des mourants
Parmi les faits spontanés tendant à démontrer une survivance posthume, il faut citer les apparitions des défunts au lit des mourants.
Un examen superficiel des visions des mourants les fait généralement considérer toutes comme des hallucinations accompagnant le délire. Mais en serrant de plus près cette question, on s’aperçoit que ces visions présentent souvent des caractères qui leur confèrent une grande signification. De plus, certaines de ces apparitions, qui ne sont pas toujours subjectives, ont été perçues en même temps par 1’agonisant et par d’autres personnes. Le caractère objectif de certaines permet de les rapprocher des phénomènes de matérialisations (voir chapitre XIV) et de supposer que c’est avec l’énergie empruntée au mourant — servant de médium — qu’elles peuvent devenir visibles.
D’après Sudre (74), les apparitions de défunts au lit de mort sont, comme les fantômes de vivants, des projections téléplastiques, des créations matérialisées de la pensée : « Si l’on voit des fantômes au chevet d’un mourant, écrit-il, c’est ce dernier qui les a vraisemblablement créés. Il a objectivé les images des êtres chers, de ceux que de fortes traditions morales et religieuses lui ont représentés pendant sa vie comme habitant un pays qu’il va habiter à son tour. Même si ses facultés conscientes sont abolies, son subconscient peut avoir une activité considérable. »
Or, les visions des mourants sont loin d’être toujours conformes aux traditions dans lesquelles ils ont vécu. Ainsi par exemple, Mme Léna Botrel, l’épouse du célèbre auteur de La Paimpolaise, Théodore Botrel, décédée le 11 juillet 1916 à Pont-Aven, en Bretagne, et qui était profondément catholique, disait avec ravissement pendant son agonie qu’elle apercevait un ange auprès d’elle, mais elle s’étonnait qu’il n’eut pas d’ailes ; puis, avant d’exhaler son dernier soupir, elle s’écria joyeusement : « Maman, Maman ! » (162, p. 25).
S’il s’était agi d’une hallucination, matérialisée ou non, il est évident que la mourante aurait vu un ange avec des ailes, conformément aux idées traditionnelles reçues.
Bozzano a cité aussi d’une manière détaillée le cas de la fillette du Révérend David Anderson Dryden, missionnaire de l’Eglise Méthodiste. La petite Daisy décéda à 10 ans. Pendant son agonie, alors que sa sœur chantait une hymne dans laquelle il était question d’anges ailés, elle s’exclama « Oh ! Loulou, n’est-ce pas étrange, nous avons toujours pensé que les anges avaient des ailes ; mais c’est une erreur, ils n’en ont pas du tout. » Loulou remarqua qu’il fallait bien qu’ils en aient pour voler dans les cieux. Daisy répliqua : « Ils ne volent pas, ils se transportent, quand je songe à Allie (son petit frère décédé sept mois auparavant), il le sent et il est là aussitôt » (162, pp. 35-42).
Là encore, il y a contradiction entre la tradition reçue et les réflexions de cette fillette de 10 ans qui s’expliqueraient selon la thèse de Sudre, si la petite Daisy avait été élevée, non selon les dogmes de l’Eglise Méthodiste, mais selon les doctrines spirites ou occultistes.
Enfin, il faut noter cette circonstance théoriquement très importante que, si Bozzano a pu réunir quarante-cinq cas documentés d’apparitions de défunts au chevet des moribonds, on ne connaît par contre pas un seul exemple d’apparition de vivants au lit de mort, ce qui devrait immanquablement et fréquemment se produire, si la thèse hallucinatoire et idéoplastique pouvait s’appliquer à ces phénomènes et s’ils étaient dus au vif désir, conscient ou subconscient, de l’agonisant, de revoir telle ou telle personne aimée ; en effet, ce désir et son « objectivation » concerneraient souvent, dans cette hypothèse, une personne vivante éloignée ne pouvant assister aux derniers instants du mourant.
Par contre, on a recueilli un certain nombre de cas (162, pp. 42-52) où le mourant a déclaré voir auprès de lui, parmi les parents et amis décédés rassemblés pour le recevoir, quelqu’un dont on lui avait caché la mort récente, ou même dont tous les assistants eux-mêmes ignoraient la mort.
Ces modalités des visions des mourants permettent de les rapprocher des cas déjà étudiés (voir chapitre VI) ou l’approche de la mort semble avoir provoqué une émergence des facultés supranormales, et les faits ne nous interdisent pas de penser que le mourant décrivant à son chevet un ami décédé — même si les assistants ne constatent rien eux-mêmes — peut avoir une vision aussi réelle que celui qui, comme Lord Hampden, entre cieux périodes de coma, annonçait que son fils venait d’avoir un grave accident.
Le témoignage d’un évêque épiscopalien
L’évêque épiscopalien de San Francisco, James A. Pike, est mort tragiquement en septembre 1969, dans le désert de Judée, ou il recherchait des traces historiques du Christ. Juriste réputé et théologien d’une haute autorité morale, il jouissait d’une grande notoriété aux Etats-Unis et dans le monde entier.
Cependant, son indépendance d’esprit et sa largeur de vues dans le domaine théologique lui avait attiré des accusations d’hérésie qui n’ont fait que rebondir lorsqu’il déclara dans une interview télévisée sa croyance dans la réalité des communications médiumniques semblant provenir de son fils Jim, suicidé en 1966.
En 1968, un an avant sa mort, James A. Pike a publié, sous le titre The Other Side (L’autre côté), un ouvrage qui constitue un témoignage d’une valeur exceptionnelle pour le problème de la Survivance. Il a été traduit en français sous le titre Dialogue avec l’Au-delà (170). L’auteur y décrit les phénomènes physiques qui ont suivi la mort de son fils. Ils avaient toujours un sens symbolique. Puis il obtint, par divers médiums s’ignorant entre eux, des communications de son fils qui ont la valeur probatoire des « correspondances croisées ».
Les phénomènes physiques, de caractère symbolique, qui se sont déroulés alors que l’évêque Pike préparait sa défense avant de comparaître devant le comité des évêques, et les conseils tactiques, qui lui furent prodigués médiumniquement pendant cette période, donnent à l’hypothèse d’une assistance spirituelle un très haut degré de probabilité. En voici un exemple, exposé par l’auteur : « Je réfléchissais à mon propre cas et à ce que je pourrais répondre. Je décidai de jeter un coup d’œil sur un nouveau livre sur la liberté théologique écrit par un théologien catholique, le père Hans Kung, pour y chercher des arguments dont je puisse user si jamais j’étais autorisé à défendre ma cause le lendemain devant le comité des évêques.
Un peu après 11 heures, je fermai le livre, me glissai hors de ma place et je quittai la réunion pour aller aux lavabos. Avant de quitter le lavabo des hommes, je vis, en me regardant dans la glace, que sur le côté gauche de mes cheveux, il y avait une longue mèche rebelle d’un centimètre de long et de deux centimètres de large. N’ayant pas de peigne, je me contentai de la couper d’un centimètre avec des ciseaux de poche, puis je regagnai la salle des séances.
Lorsque j’atteignis mon siège, je vis que le sujet en discussion ne me concernait pas. Aussi, me replongeai-je dans le père Hans Kung. Le livre s’ouvrit tout seul aux pages 90-91. Il y avait quelque chose entre les feuillets, sur la marge extérieure. Je m’aperçus que c’était ma propre mèche de cheveux que je venais de couper. D’abord, je fus incrédule. Quittant à nouveau ma place, je retournai rapidement aux toilettes, je regardai dans la cuvette du lavabo où les cheveux que j’avais coupés avaient dû tomber : il n’y avait rien. Je revins pensivement à ma place dans la salle et je racontai à mon voisin, l’évêque Corrigan, ami de vieille date, ce qui m’arrivait.
— Thrix, me chuchota-t-il.
— Et alors ? (je savais que Thrix est un mot grec qui signifie « cheveu », mais je ne comprenais pas).
— Rappelez-vous, reprit-il en souriant, que thrix veut aussi dire « présage ».
— Merci beaucoup, dis-je, et mes pensées se reportèrent sur Jim et ses promesses d’assistance. Je me sentis soudain plus calme et plus courageux.
Alors mes yeux tombèrent sur le passage que les cheveux pointaient sur la page du livre ouvert devant moi : l’auteur y prenait parti pour la liberté de la théologie, qu’il considérait comme essentielle à la richesse et à la liberté de la religion. Un Dieu, une foi, un baptême (saint Paul), mais différentes théologies , ajoutait le père Kung. Cette citation arrivait à point. C’était exactement ce que je cherchais. »
Ce remarquable incident supranormal eut pour conséquence de faire triompher le point de vue libéral.
L’évêque Pike avait étudie tous les travaux internationaux, russes, anglais, suisses et américains sur la perception extrasensorielle, et toutes les théories lui essaient d’interpréter les phénomènes « psi » ; il savait à quoi s’en tenir sur les possibilités du subconscient, mais ne se laissait pas éblouir par des explications purement verbales. Il admettait l’existence d’un subconscient collectif dans lequel un médium peut théoriquement puiser ses informations, mais Pike se rendait compte qu’il faudrait aussi que ce médium puisse « sélectionner telle ou telle information se rapportant au défunt évoqué, parmi les milliards de données que doit contenir l’inconscient collectif de l’humanité, et cela en quelques fractions de seconde ». Et il en arrivait à conclure qu’il fallait autant de foi pour croire cela que pour admettre la survivance, laquelle finalement « rend mieux compte de certains faits que n’importe quelle hypothèse ».
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1 Un des cas les plus caractéristiques et les plus connus est celui de l’ex-mineur Augustin Lesage (1876-1954). Cf. : docteur E. Osty : Aux confins de la psychologie classique et de la psychologie métapsychique : A. Lesage (Revue Métapsychique, 1926, no 1) ; Marie-Christine Victor : Augustin Lesage, peintre-médium, Paris, 1970.
2 Voir aussi : Martin Ebon — Dialogues avec les morts — 22 – Fleurs célestes (Simone Saint-Clair) — Editions Fayard, 1971.
3 Et décédés depuis.