Pour la conscience qui, affranchie du mode temporel, découvre cet absolu de l’Être, le principe de causalité s’annule de soi-même. Il ne peut être question de se plier encore au sens du Bien et du Mal. Tout est d’avance et à jamais accompli. Intérieurement, l’architecture édifiée par les millénaires s’est lézardée et, à la longue, s’écroule et disparaît. L’innocence est reconquise — ou plutôt l’état sans péché, qui se conquiert en échappant à l’emprise du Temps, est révélé. Il n’est pas retour en arrière, à un Éden préhistorique, à une idiotie pré-humaine, mais découverte, par-delà toute morale, tout dogme, toute confession, d’une inévitable transcendance de l’humanité.
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Archaka : La naissance de la Mort
Il y a soixante mille ans, un phénomène s’est donc produit dans la conscience terrestre : le brusque arrêt du souffle dans une poitrine étrangère, l’ataraxie intérieure qu’en dépit de la raideur navrée des membres le visage détendu traduisait, le silence irrémédiable de celui qui, un instant avant, criait ou riait, tout cela s’est mué en ce qui nous prosterne et à quoi nous n’avons pas encore trouvé de réponse. Toutes nos cultures découlent de cette découverte d’une Amérique que nous appelons la Mort. Toutes nos philosophies, toutes nos religions sans aucune exception sont issues de cette brusque ouverture sur notre anéantissement…
Archaka : Avant le Déluge
Si élevées qu’elles puissent être, les paroles qui nous sont adressées ne sont que des conceptions qui, d’une voix à l’autre, semblent parfois se contredire. La réincarnation, absente du christianisme depuis le Ve siècle, est essentielle à la pensée bouddhique qui nie pourtant la réalité de l’individu, laquelle est fondamentale pour les chrétiens. D’une religion à l’autre, d’une philosophie à l’autre, les explications diffèrent et peuvent même diverger, comme elles le font d’une politique à l’autre. Toutes sont néanmoins justifiables. Toutes saisissent un reflet ou un écho de ce qui nous hante et qui, peut-être, est à jamais incompréhensible.
Archaka : Du crime au sacrifice
Le péché originel ne précipite donc pas l’humanité sur les chemins du Mal, mais lui ouvre au contraire les voies du Bien. Ou du moins, si le Mal est désormais le compagnon de l’homme, le Bien est tout autant à ses côtés pour le soutenir. Tout ce que l’animal a de monstrueux sans le savoir, l’homme l’a consciemment ; tout ce que l’animal possède de noble, cela aussi l’homme en est présent conscient en lui-même. Capable de tuer, de ruser, d’usurper comme l’animal, il est également, comme l’animal, capable d’aimer, de nourrir, de protéger, mais consciemment, volontairement et, pour cela même, davantage. Entre l’animal et l’homme, la différence ne réside pas dans l’acte ; elle n’est que dans la perception de soi au moment où l’acte s’accomplit. Et cela, c’est la révolution que, sous les dehors d’une fable ésotérique, Moïse décrit dans la Genèse.
Archaka : Les temps pré-éternels
Enfermée en elle-même, repliée sur ses secrets, ainsi était la Terre à son début. Verrouillée sur un rêve sans images, asphyxiée par l’inconscience, noyée dans les eaux bitumeuses de la Nuit cosmique, ainsi était-elle et ainsi serait-elle demeurée si une Force ne l’avait fracturée, si la Vie n’avait plongé en elle son glaive ardent et n’avait, pendant d’innombrables millions d’années, labouré ses flancs moroses pour y susciter les toutes premières formes de conscience, des algues, des bactéries ayant assez de sensibilité pour se mouvoir et subsister. De quelles affres la Terre endormie a-t-elle payé sa remontée hors de l’abîme du sommeil et de l’amnésie ? De l’insondable obscurité, sa voix somnambule s’est fait entendre, s’élevant et retombant, puis s’élevant de nouveau et se déployant de plus en plus et répandant ses harmonies à travers le système solaire ainsi qu’un cantique de gratitude saluant la Lumière créatrice.
Archaka : La naissance de Dieu
Nul témoin ne nous épie, nul tabellion n’enregistre nos fautes, nul juge ne s’apprête à nous condamner, nul bourreau à nous exécuter. Nous sommes seuls, c’est vrai, nous avons raison de le sentir, nous sommes seuls et comme abandonnés à nous-mêmes. Mais ce n’est pas parce que Dieu n’existe pas. Nous sommes seuls parce que nous sommes Dieu Lui-même et qu’il n’y a que Dieu. Et tout ce que nous faisons à l’aveuglette est croissance vers notre état originel et ultime. Rien ne nous attend que Dieu. Rien ne peut nous advenir que notre épanouissement et notre fusion en la Divinité. Notre sentiment de solitude et de séparation vient uniquement de cela : nous sommes le Dieu amnésique qui tire de Soi un à un les emblèmes de Sa mémoire et, sans y rien comprendre, les ajuste et y lit Son contraire. Et cependant, grandit en Lui — grandit en nous le double de soleil qui connaît et qui voit et, demain, dira tout.
Archaka : L'homme cosmique
Dieu n’a jamais été si proche de nous qu’en cette heure où nous, paraissons-nous être pour jamais détournés de Lui. À fouiller la Matière, nous l’illuminons de conscience. Et cette conscience en la Matière, c’est cela qui est Dieu, c’est cela qui imprègne de mystère ingénu et fatal le tissu même de l’univers et nous baigne à chaque instant d’une inexpugnable divinité. Peut-être ne sommes-nous pas encore assez athées pour que Dieu nous apparaisse. Peut-être avons-nous encore en nous trop de souvenirs tabous et d’empreintes sacrées qui nous rattachent à d’antiques religions auxquelles nous croyons pourtant ne plus appartenir. Mais lorsque tout cela sera effacé, lorsque la mémoire des rites et des croyances aura complètement disparu de nous, alors Dieu paraîtra.
Archaka : Je et Moi
Passent les jours et les semaines. Passent les mois et les années. Les siècles et les millénaires peuvent passer de même. Cela est en nous. Et cela est la vérité. Extérieurement, comme une pluie ruisselant sur nos traits, les brouillant, les effaçant, nous empêchant d’y voir clair, les événements peuvent se succéder. Nous pouvons être précipités dans le torrent des passions, emportés par le vent de l’Histoire, disparaître dans les déserts d’époques sans vie ou dans les abysses de temps muets où se préparent les ères nouvelles, nous pouvons être prisonniers de toute cette quasi invincible apparence, entichés de ce presque inexpugnable visage des choses, cela existe : envers et contre tout, il y a en nous cette fleur de feu que nous avons vue un jour et qui ne cesse de s’épanouir, cette flamme d’or qui ne cesse de grandir et se nourrit de notre obscurité même, de notre confusion, de notre ignorance et fait de notre forme l’athanor où la Nuit se dénude et se transmue en Jour et où, lentement, l’expérience du Temps se change en la légende de l’Éternité.
Archaka : Le geste innombrable de Dieu
Il nous faut comprendre également ceci : la pierre avait-elle le pouvoir de se changer en fleur, et le lézard en oiseau ? Le singe avait-il le pouvoir de se changer en homme ? Le pouvoir était en lui, sans doute. Mais était-il capable de le découvrir et de s’en servir ? Autre chose était là, qui voyait et savait. Autre chose, depuis toujours, préside à la manifestation du monde. Autre chose agit. Les formes ne sont que ses supports et ses instruments. Les formes ne choisissent pas de se modifier. C’est cette autre chose qui, sans fin, les sculpte et s’y traduit. Il ne dépend pas de ces formes qu’elles existent ou disparaissent ou soient transformées. Il ne dépend pas de nous que nous existions ou disparaissions ou soyons transformés. Que sommes-nous donc, alors ? Les jouets, les esclaves de la Divinité qui, à Sa guise, nous tire du néant et nous y replonge ? Ou bien les membres du corps infini, inconnaissable et resplendissant de cette Divinité ?
Archaka : L'Arbre de la Liberté
Quoi qu’il arrive, il n’y a éternellement qu’un événement, et c’est Dieu. Les mondes peuvent s’écrouler et renaître, les univers se succéder ou ne plus jamais exister, il n’y a que Dieu. Et dans cette incommensurable et myriadaire existence de l’Un qui s’aime à jamais en tout ce qu’Il est, du plus chétif atome au plus énorme amas galactique, l’amour est au centre de tout. L’amour est ce qui manifeste les mondes et ce en quoi ils se résorbent. Il est, pour l’âme du sage, l’immense et ineffable Lumière de la conscience suprême où rien n’a de nom ni de forme et qui se condense sous l’aspect d’univers — amour qui n’a d’autre objet que soi-même et dont toute la création n’est que l’expression charmeresse.