R.P. Kaushik
Enquête sur le néant

Lorsque vous avez cessé de la décrire et de fuir par le plaisir, les rituels, les dogmes et les croyances, vous vous retrouvez face à ce néant. Regardons maintenant ce néant : voici ma solitude, voici mon néant. Je le vis totalement, complètement, parce que mon esprit a cessé de le décrire. Mon esprit reconnaît aussi la nécessité de l’affronter parce qu’il ne peut s’en échapper. Dès que mon esprit cesse de le nommer, de fuir, d’y penser, que se passe-t-il ? Qu’arrive-t-il à l’observateur ? Comprenez bien la nature de l’observateur. L’observateur est l’accumulation du savoir passé, des expériences, des émotions, des plaisirs et des rituels. Lorsque tous ces éléments disparaissent, où est l’observateur ?

Nous avons discuté de deux approches du problème humain. L’une était la voie de la foi et de la dévotion, essentiellement l’approche psychique ; l’autre était l’approche intellectuelle, la voie de la philosophie. Il existe également une troisième voie, qui est un mélange des deux, que l’on pourrait appeler l’approche psycho-intellectuelle. Prenons maintenant l’exemple de la foi. Lorsque vous lisez la Bible et que vous observez la vie et les enseignements de Jésus, vous constatez que, du point de vue des enseignements, il n’y avait rien de plus parfait. Le chemin de la foi que Jésus montra pouvait résoudre presque tous les problèmes de l’individu, qu’il s’agisse de nourrir les foules, de marcher sur l’eau, de guérir les malades ou de ressusciter les morts. Il n’y avait aucun problème humain qui ne puisse être résolu par cette approche, et il ne pouvait y avoir de plus grande expression d’amour que de mourir sur la croix en priant pour ses persécuteurs.

Mais moins de mille ans après Jésus, que s’est-il passé ? L’Église a acquis une telle autorité qu’elle a supprimé toute recherche du sens de la vérité en dehors des Écritures. Jésus n’avait donné aucun dogme ; le conflit entre Jésus et les rabbins de l’époque était que les rabbins s’en tenaient au dogme et que Jésus vivait dans la compréhension et la foi. C’est l’une des raisons pour lesquelles Jésus a été condamné par les autorités religieuses de l’époque. Les rabbins interdisaient tout travail le jour du sabbat. Savez-vous ce que Jésus disait ? « Le sabbat a été créé pour l’homme, l’homme n’a pas été créé pour le sabbat ». Le dogme a été créé pour l’homme, et non l’inverse. Ensuite, l’Église a interdit toute enquête dans les sciences physiques, parce que les découvertes scientifiques allaient à l’encontre du dogme et de l’autorité établie. Les gens n’ont pas seulement été excommuniés, certains ont même été brûlés sur le bûcher. Peut-on imaginer une plus grande ironie ? Jésus a vécu selon la vérité de la perception et s’opposait au dogme, et ses propres disciples imposèrent le dogme et tuèrent les personnes qui s’y opposaient.

Ce que les ennemis de Jésus lui ont fait, ses fidèles l’ont fait à d’autres. On pourrait dire que la valeur du sacrifice de Jésus sur la croix fut annulée. Je pense que le plus grand événement dans l’histoire de Jésus c’est cette mort sur la croix ; de nombreuses personnes ont été mises à mort auparavant, mais autant que je me souvienne, il n’y a pas eu un seul cas où l’homme crucifié est mort avec des prières pour ses assassins sur les lèvres. Alors que Jésus disait : « Ne haïssez pas vos ennemis, aimez-les », l’Église commença à détruire les personnes qui s’opposaient au dogme.

Pourtant, malgré toute cette répression, de nombreuses découvertes importantes en astronomie, en biologie, en chimie et en alchimie ont été faites par des hommes religieux. Copernic, qui découvrit que la terre tournait autour du soleil, était un moine ; Mendel, qui découvrit les lois de l’hérédité, était un moine. L’évolution de l’humanité aurait peut-être pu être accélérée si l’autorité de l’Église n’avait pas supprimé le savoir, les faits et la recherche. Les tendances progressistes établies par le Christ et ses enseignements sont devenues régressives en moins de mille ans après sa mort. Peut-on affirmer que la résurgence actuelle de la foi et des diverses croyances connaîtra un meilleur sort ? Y a-t-il une quelconque garantie ? Chaque fois que vous créez une autorité, qu’elle soit spirituelle, religieuse, politique ou intellectuelle, vous semez toujours les graines de la discorde et de la destruction. La première chose que fait l’autorité est de détruire l’intelligence. Si tous les membres d’un groupe social devenaient intelligents, personne n’accepterait une autorité. La nature et la structure même de l’autorité sont en conflit avec l’évolution humaine.

En ce qui concerne l’approche intellectuelle, ceux d’entre vous qui ont lu un peu Sartre et sa philosophie existentielle savent peut-être qu’il commence par constater la futilité ou l’absence de sens de la vie. À la racine de la vie humaine, il y a l’absence de sens, le néant. Mais vient ensuite le point le plus faible de la philosophie intellectuelle : le philosophe dit que, puisque la vie n’a pas de sens, nous devons lui en donner un. Qui sommes-nous pour lui donner un sens ? Quand je donne un sens à quelque chose sans le comprendre, ce sens vient toujours de mon conditionnement. Alors au lieu de dire que la vie est vide de sens, qu’il y a néant, et qu’il faut lui donner un sens, il serait plus simple de dire que vous acceptez votre conditionnement et que vous le vénérez. C’est la même chose.

Une fois que l’esprit conditionné donne un sens à ce néant, toute enquête s’arrête, toute recherche de nouvelles valeurs s’arrête. L’intellect ne voit pas sa propre contradiction, mais réintroduit son conditionnement par la porte de derrière. Il installe ce conditionnement comme le nouveau Dieu sur l’autel et l’adore. Pouvez-vous comprendre ce qui se passe lorsque vous commencez à adorer votre angoisse, votre douleur, votre néant, votre futilité ? Vous voyez, ce n’est pas très différent du christianisme, parce que les chrétiens, plus tard, au lieu de comprendre la souffrance, commencèrent à l’adorer.

Quelle est la différence entre un chrétien qui vénère la souffrance et un existentialiste qui fait de même ? La souffrance est une énergie formidable ; la passion naît de la souffrance. Si vous lisez la Bible, vous verrez à plusieurs reprises l’expression « la passion du Christ ». C’est donc de cette souffrance que naît une énergie immense, une énorme passion. Mais, dès que vous commencez à vénérer et à accepter la souffrance, vous devenez indifférent à la vie et vous perdez cette vitalité et cette passion nécessaires qui donnent un sens à votre existence.

De la même manière, le philosophe intellectuel essaie de donner un sens à ce néant sans voir que le sens ne peut être collectif, il est toujours individuel. Un homme donne un sens à ce néant et devient communiste, un autre devient fasciste, un troisième devient démocrate ou socialiste. Comprenez-vous que la confusion qui règne dans ce monde ne va pas diminuer ? Si vous voyez clairement ce chaos que nous avons créé en suivant la voie de la foi et la voie de l’intellect, à quoi cela vous mène-t-il ? Où vous situez-vous ? Si vous êtes un tant soit peu intelligent, parleriez-vous de faire renaître des anciennes croyances, méthodes, systèmes et rituels, qui ont tant de fois semé la confusion, le conflit et la souffrance dans l’histoire de l’humanité ? Il est évident qu’un esprit sérieux et intense n’y songerait même pas.

Si vous êtes arrivé jusqu’ici, vous êtes confronté à l’immense question de la souffrance. Derrière cette souffrance se cache le néant total de la vie. Vous n’avez pas besoin d’un prophète ni d’un philosophe pour vous dire que vous souffrez d’envie et de solitude. Cette solitude, ce néant, cette frustration est l’élément de base de votre vie. Chaque fois que vous fuyez ce néant, par des rituels, des dogmes, des croyances ou des concepts intellectuels, vous vivez nécessairement dans la peur. À moins d’avoir l’intensité nécessaire pour affronter votre solitude et comprendre votre néant, la douleur et la souffrance ne peuvent pas cesser.

Comment faire face à cette solitude, comment la comprendre ? La première chose est d’arrêter de réagir à la solitude.

Cessez de la décrire intellectuellement. Lorsque vous avez cessé de la décrire et de fuir par le plaisir, les rituels, les dogmes et les croyances, vous vous retrouvez face à ce néant. Regardons maintenant ce néant : voici ma solitude, voici mon néant. Je le vis totalement, complètement, parce que mon esprit a cessé de le décrire. Mon esprit reconnaît aussi la nécessité de l’affronter parce qu’il ne peut s’en échapper. Dès que mon esprit cesse de le nommer, de fuir, d’y penser, que se passe-t-il ? Qu’arrive-t-il à l’observateur ? Comprenez bien la nature de l’observateur. L’observateur est l’accumulation du savoir passé, des expériences, des émotions, des plaisirs et des rituels. Lorsque tous ces éléments disparaissent, où est l’observateur ? L’observateur n’est donc rien d’autre que du conditionnement passé. Lorsque cet observateur disparaît, qu’advient-il de l’observé ? Qu’advient-il du néant ? Voyez ce qui se passe lorsque l’esprit devient totalement silencieux. Lorsqu’il cesse de verbaliser, d’y penser, de fuir, que devient ce néant ?

Je crois que, si vous suivez un livre, un gourou, une autorité dans la vie, vous conditionnerez vos expériences en fonction de cette autorité et n’entrerez jamais en contact direct avec ce néant. Je vois donc que, lorsque l’esprit devient totalement silencieux, il est dépouillé de ses conditionnements ; le néant n’existe pas. Je fais une nouvelle découverte : mon plaisir est mon néant, mon souvenir de ce plaisir et de cette douleur est mon néant. Mon conditionnement est le néant ; lorsqu’il n’y a pas de conditionnement, le néant n’existe pas. Voyez-vous que votre solitude est une question de conditionnement ? Lorsque ce conditionnement disparaît, il n’y a plus de solitude ; il y a une psyché collective, il y a une totalité. Mais nous avons tellement peur de laisser tomber ce moi, sachant très bien que ce moi est ma souffrance, ce moi est ma solitude et ma frustration. Lorsqu’il n’y a plus de moi, il n’y a plus de frustration, plus de souffrance.

Dans l’un de nos précédents entretiens, nous avons parlé de Copernic, qui découvrit que ce n’était pas le soleil qui tournait autour de la terre, mais l’inverse. Ce fut la première fois que l’homme fut amené à voir l’illusion de son observation personnelle. Il passa du monde subjectif au monde objectif. La découverte de Copernic ne fut pas appréciée par le monde. Qu’est-ce que cela changeait pour l’Église et la société que la terre tourne autour du soleil et non l’inverse ? Qu’est-ce que cela changeait pour les gens ? Pourquoi y eut-il tant d’opposition à ce simple fait objectif ? La dernière fois, j’ai dit que l’homme était passé d’un monde d’expériences sensorielles intérieures à un monde extérieur intellectuel, mais ce n’est pas cela qui effrayait les gens — l’intellect se développait de toute façon.

Au cours d’une discussion plus tôt ce soir, il a été suggéré que, pour la première fois, les êtres humains, qui pensaient que leur terre était le centre de l’univers, découvrirent qu’elle n’était qu’un petit fragment du système solaire et que, dans l’univers, elle n’avait que très peu d’importance ; elle était presque réduite à une particule de poussière. Si la planète Terre sur laquelle je marche et vis est réduite non seulement à un petit fragment, mais aussi à un grain de poussière dans l’univers, quelle est ma propre importance ? Ce fut un grand choc pour la grandeur du petit moi. Ce moi est très malin ; il a quitté la terre et s’est attaché au télescope, à son savoir, à sa technologie et à sa science. Mais la poursuite de cette technologie et de cette science n’a résolu aucun problème ; elle n’a fait que développer un peu plus le psychisme humain. La partie émotionnelle ou sentimentale était déjà assez bien développée, mais la partie intellectuelle était en sommeil. Ces découvertes scientifiques et le transfert du Moi vers ces nouveaux savoirs et technologies ont entraîné le développement de l’intellect.

Nous nous trouvons aujourd’hui à un stade de notre évolution où l’être humain a complètement évolué sur le plan biologique. La première étape de son évolution fut l’évolution matérielle ou géologique. La deuxième étape fut l’évolution biologique. Lorsque la première molécule de protéine fut synthétisée et que la vie apparut sur cette planète, elle commença à se développer en organismes de plus en plus complexes ; aujourd’hui, en 1975, nous avons un être humain complètement développé physiquement et intellectuellement. Mais avec tout ce développement, il n’est pas devenu un être heureux.

Le problème du Je est encore très présent. Même avec des méthodes et des systèmes pour équilibrer sa vie intérieure et extérieure, l’homme n’a pas encore exploré tout son potentiel. Ce n’est qu’en affrontant la question de sa solitude que l’être humain a désormais la possibilité de franchir l’étape suivante de son évolution, à savoir le stade spirituel. L’humanité doit franchir cette nouvelle étape ou périr. La nature a toujours utilisé différentes formes de vie pour faire avancer certaines tendances de l’évolution. Lorsque des formes particulières sont devenues obsolètes et ne pouvaient plus porter la pression évolutive, ces organismes disparaissaient de la scène planétaire. Les êtres humains, sous leur forme actuelle, sont devenus obsolètes et nous devons, maintenant, examiner, aujourd’hui, ce soir, comment découvrir une nouvelle voie.

Cette nouvelle voie ne peut passer que par l’observation de la totalité du connu. Il n’est plus question de fuir le monde psychique vers le monde intellectuel ni de se réfugier dans l’atmosphère fraîche du monde psychique quand le monde intellectuel devient trop brûlant et insupportable. Les êtres humains jouent ce jeu trop longtemps qu’il ne sert plus à rien. Il faut regarder la totalité de son monde psychique, la totalité de son monde intellectuel, la totalité des mondes subjectif et objectif. Vous verrez alors que, derrière tous ces mondes se trouve le néant. S’il vous plaît, n’inventez pas une nouvelle philosophie ou une nouvelle idéologie. L’esprit humain préfère inventer une philosophie plutôt que de se regarder en face, car se regarder en face, c’est provoquer la dissolution du moi.

Vous savez, l’observation pure et simple, sans choix, sans désir de changer ce qui est observé, agit comme de l’antimatière et détruit toute particule de matière avec laquelle elle entre en contact. Si vous êtes simplement conscient de votre néant, qui est l’ensemble de votre conditionnement matériel, l’interaction entre votre conscience et votre néant provoque une explosion. L’antimatière détruit la matière. Lorsque tout cet univers matériel s’est effondré, c’est alors et alors seulement que vous découvrez la dimension de l’esprit, cette énergie intense, cette passion intense qui n’est plus individuelle. Vous comprenez votre évolution spirituelle. Le petit moi, le petit Je, est anéanti et il y a alors une évolution dans la psyché collective. Vous pourrez comprendre cela si vous observez votre méditation lors de la séance du matin. Sans mantra, système ou technique, sans rituel, symbole ou image, le simple fait de regarder ce qui est, vous permet de dépasser l’esclavage du moi limité. Chaque jour, vous faites l’expérience de cette explosion dans la Conscience Suprême, où l’énergie est sans division, où il y a une énergie sans vous et sans moi.

Cela peut sembler très effrayant pour l’esprit conditionné. Il existe une croyance très forte, en particulier dans l’esprit occidental, selon laquelle vous ne pouvez pas fonctionner sans votre ego. Il est important de comprendre que, si vous essayez de fonctionner uniquement avec votre ego, vous vivrez toujours dans la souffrance. Vous vous enfoncez alors dans la douleur et la frustration. Pour moi, fonctionner efficacement signifie vivre avec passion et intensité. Lorsqu’il n’y a pas de passion, il n’y a pas d’intensité dans la vie, nous sommes des êtres mécaniques, morts. Vous devez comprendre que ce je, ce moi, cet ego n’est pas nécessaire au fonctionnement de l’être humain. Sur le plan matériel, vous avez besoin de nourriture et d’argent, mais au-delà de cette sécurité physique, vous n’avez besoin de rien d’autre. Il est également important de comprendre que votre sécurité physique est assurée lorsque vous vivez en dehors de votre moi. Lorsque vous vivez avec votre moi, le moi de l’autre est toujours en conflit et en relation violente avec vous. Le moi de l’un est toujours prêt à détruire le moi de l’autre ; le moi du mari est prêt à détruire le moi de la femme ; le moi des parents est prêt à détruire le moi des enfants. Tant que ce moi est là, même la sécurité physique devient impossible.

S : J’entrevois la possibilité qu’à partir de ce vide ou de cette solitude, nous puissions inventer, grâce à notre foi, un état opposé de plénitude et de bonheur.

Dr : Comprenons la nature des opposés. Les opposés sont-ils différents ou sont-ils essentiellement les mêmes ? Pensez-vous que la chaleur est différente du froid ? Au niveau physique, à un certain point, la chaleur devient le froid et le froid devient la chaleur. Chaleur et froid ne sont pas deux entités indépendantes, mais une variation relative de la température. De même, la douleur est aussi un degré de pression ; à un certain point, la pression devient agréable. Vous enlacez votre bien-aimée, et c’est si merveilleux ; mais si vous êtes très fort et que vous appuyez un peu trop fort, vous risquez de lui fracturer les côtes. Sur le plan physique, chaleur et froid, douleur et plaisir sont liés, bien qu’il y ait une certaine division, dans la mesure où l’on peut démontrer la chaleur et le froid.

Mais examinons le plaisir et la douleur sur le plan psychologique : au moment où vous vous abandonnez au plaisir, êtes-vous sûr d’être libre ? Êtes-vous totalement libéré de la douleur et de la peur à tous les niveaux de votre conscience ? Vous avez une compagne très aimante, si belle et si gentille que vous n’avez jamais rencontré quelqu’un de semblable sur terre, et personne n’a jamais eu la chance d’avoir une telle compagne. N’avez-vous jamais peur de le ou la perdre par la mort ou l’abandon ? Vous pouvez oublier cette peur sous la pression du plaisir, mais au niveau inconscient, cette peur est toujours là. Alors, quand on invente un opposé, il est facile de dire que le néant est le nirvana, que le néant est tout, que le néant est Dieu, mais on n’a pas compris le néant, on lui a juste donné un nom plus acceptable, et on a cessé de le regarder.

Il y a une histoire bouddhiste que je peux raconter : Un jour, Bouddha était assis avec son très proche disciple Ananda. Bouddha donna une fleur à Ananda et lui demanda : « Sais-tu ce que c’est ? » Ananda répondit : « C’est une fleur ». Bouddha a dit : « Déchirez les pétales. Il arracha les pétales et Bouddha a dit : « Arrache-les complètement ». Quand la fleur fut complètement démembrée, Bouddha demanda : « Qu’y a-t-il dans la fleur ? Qu’y a-t-il à l’intérieur ? » Ananda répondit : « Il n’y a rien à l’intérieur ». Bouddha dit : « Ananda, ce néant est tout ; c’est de ce néant que tout est venu. La fleur est sortie de ce néant, l’univers entier est sorti de ce néant ».

Vous pouvez voir à quel point il est facile d’adorer le néant et de le rendre acceptable. Les gens ont adoré des dieux et des déesses de leur cru ; ils ont adoré l’intellect. Vous pouvez également adorer le néant avec une foi totale, mais, avant de pouvoir le faire, vous devrez vous hypnotiser très profondément. Il vous faudra également prier sans cesse le Dieu tout-puissant, s’il existe, pour que la vie ne vous apporte pas une expérience susceptible de briser votre état d’auto-hypnose. Vous pouvez donc vénérer le néant, mais vous devrez vivre une vie très cloîtrée, coupée de la réalité ou de la totalité. Mais si vous avez traversé ce néant et que vous avez vu la transformation, la transcendance du néant par la simple observation, si vous avez fait l’expérience ou si vous faites actuellement l’expérience de l’énorme quantité de passion qui découle de cette observation, vous n’avez pas besoin de foi. Vous n’avez pas besoin de construire la foi, elle est là. Vous ne pouvez pas la nier. C’est la seule véritable foi avec laquelle l’humanité peut survivre aujourd’hui.

S : Ma question était plutôt liée à ceci : tout le travail, l’évolution ou la transformation spirituelle que les gens ont accompli dans le passé ont toujours été placés sous la bannière d’une religion ou d’une foi collective — il y avait toujours une autorité. Pourtant, les êtres humains doivent s’exprimer ensemble et collaborer pour construire cette nouvelle société. Quelle sera la forme fondamentale de ce nouveau travail collectif, de ce nouveau partage, de cette nouvelle foi, sans foi limitée et sans autorité ?

Dr : Lorsque cette exploration ou évolution s’est faite sous différentes bannières religieuses, cette évolution n’a touché qu’un fragment, jamais la totalité de la psyché humaine. Si vous vouliez approcher la réalité ou votre bonheur, vous deviez être initié à la voie bouddhiste, à la voie hindoue ou à la voie catholique. Vous devriez accepter tous leurs croyances, dogmes, rituels, dieux, déesses, etc. Chaque fois que vous abordez votre évolution en tant qu’individu, en tant qu’hindou, catholique ou bouddhiste, en tant qu’homme oriental ou occidental, vous n’affectez peut-être qu’une centième partie de la psyché humaine. Explorez donc cette réalité en tant qu’être humain, pas en tant qu’individu, pas même en tant que croyant ou non-croyant. Car cela ne fait pas la moindre différence que vous croyiez en Dieu ou non, que vous soyez matérialiste ou idéaliste. Dès que vous commencez à regarder votre conditionnement, et que vous le regardez complètement et totalement, votre conditionnement explose, et il n’y a plus qu’une seule réalité. Mais lorsque vous abordez votre évolution par le biais du conditionnement, vous ne faites qu’entrer dans un cercle vicieux qui engendre de plus en plus de conditionnement et aucune liberté.

La nouvelle forme d’exploration commence fondamentalement avec l’individu, mais, lorsque certains individus s’intéressent à cette même exploration de soi et qu’ils ont cette intensité et cette passion de l’enquête sur soi, ils se rassemblent. L’endroit où se déroulera cette exploration n’aura alors plus d’importance. Mais vous devrez faire très attention à ne pas vous échapper dans différents groupes et camps par amusement, ou par agitation intérieure.

J’ai vu de nombreuses personnes qui passaient un mois à rendre visite à un gourou en Inde, le mois suivant à un autre gourou, et le troisième mois à assister à des conférences en Europe. Ils passent d’un gourou à l’autre sans s’interroger sur eux-mêmes ; ils se préoccupent uniquement de ce que les autres ont à dire. Si vous êtes très clair sur ce point, si vous n’utilisez pas vos visites dans ces différents camps comme un moyen d’évasion, alors peu importe où vous menez cette enquête sur soi. Pour assurer la continuité, pour maintenir l’intensité, un certain sens de l’engagement envers un groupe pourrait être nécessaire dans la forme, mais pas dans le fond. Où que vous soyez, vous devrez vivre dans des maisons différentes, vous devrez peut-être vivre dans des villes différentes, vos conditions de vie pourraient être différentes. Mais si vous réalisez que, dans ce contexte, vous êtes fondamentalement un être humain et qu’il s’agit d’un problème humain, alors il n’y aura pas de conflit entre les différents groupes. Il est également important de comprendre qu’il faut s’engager non pas pour le groupe, mais plutôt pour le travail. On peut faire partie d’un groupe sans s’identifier à lui. Il faut beaucoup de discipline pour être ensemble sans identification. Vous devrez être comme une famille, avec un père, une mère, une fille et un fils, mais sans identification. C’est alors, et alors seulement que vous découvrirez l’essence de l’évolution humaine.

P : Y a-t-il une sorte de destin pour chaque homme — le destin d’une personne est de se réaliser, tandis qu’un autre prend du retard parce qu’il est inattentif ? L’évolution est-elle alors une question individuelle ou une question collective ?

Dr : Si vous ne mettez pas le doigt sur l’individu, vous n’atteindrez jamais le collectif. Découvrez où vous en êtes, ce que vous faites, et une fois que vous aurez commencé à voir en vous-même, vous comprendrez aussi l’évolution du monde. Mais sans résoudre ou comprendre le problème de votre propre souffrance, il n’y a aucune compréhension de l’évolution. L’évolution n’est alors que celle de Darwin, de Lamarck, de Vries ou d’un autre philosophe. Elle n’a de sens que lorsque je vois cette évolution en moi. Je peux alors dire que l’évolution est ceci, parce que je l’ai vue, ce n’est plus un concept. Ce que je dis n’est pas une théorie ou une philosophie. Je parle de quelque chose qui m’arrive, que je vis ou que je vois comme une possibilité. Par conséquent, ne vous demandez pas s’il y a une évolution ou non, si elle est intentionnelle ou non. Commencez à la voir en vous-même. Vous pouvez comprendre n’importe quoi en vous observant. Le matin, lorsque je pose des questions aux gens sur leurs expériences de méditation, je peux sentir ce qu’ils ressentent avant même de leur poser la question. Lorsque je parle le soir, j’expérimente ce que tout le monde expérimente, sinon cette discussion n’aurait aucun sens. Mais comment cela se produit-il ? Cela ne peut se faire qu’en observant. Le seul moyen est de commencer par soi-même. Commencez à voir en vous-même et vous irez de plus en plus loin et vous comprendrez. Lorsque quelque chose me perturbe et qu’il n’y a pas de cause immédiate en moi, alors la perturbation vient de l’extérieur.

P : Dans la méditation d’hier matin, vous avez dit que vous vouliez nous montrer l’origine de l’énergie, mais nous étions trop lourds, nous avons été bloqués et vous avez commencé à tousser. Si nous ne sommes pas tout à fait clairs, nous sommes vraiment responsables de vous, de votre toux.

Dr : Non, non, vous ne me tuez pas — je comprends mes limites et je m’arrête, et ma toux s’arrête aussi. De cette façon, le monde entier peut vouloir me tuer, mais c’est à moi de survivre.

P : Comment pouvez-vous savoir avec certitude s’il s’agit des blocages du monde ou de vos propres limites ?

Dr : Vous voyez, à ce moment-là, il n’y a pas de division entre ma toux et votre blocage, votre douleur et ma gorge. C’est un seul et même mouvement, il n’y a pas de division. Je ne blâme personne, je me blâme moi-même, je blâme mon inattention, pas vous. Cela devient très mystérieux, voyez-vous, ce n’est pas si facile à expliquer. Nous ne sommes pas seulement responsables de notre propre environnement ; il y a une responsabilité totale pour l’ensemble de la psyché. Chacun est responsable et, pourtant, celui qui voit le plus est le plus responsable. Les personnes inattentives n’ont aucune responsabilité. La responsabilité n’incombe qu’à celui qui voit.

Nous pouvons retourner à l’origine de cette énergie, elle n’est pas bloquée pour toujours, elle n’est pas finie pour toujours. Si nous avons échoué une fois, cela ne signifie pas que nous avons échoué pour toujours. Nous sommes ici ensemble à cause d’une intensité de partage, appelez cela l’amour. L’amour n’a pas de loi. Il n’y a pas de mathématiques dans l’amour. Le fait que nous partagions et restions ensemble repose sur quelque chose qui est au-delà de toute loi. Cela dépasse la raison et la logique. Le défi doit être relevé à chaque fois selon ses propres termes, à sa manière.

B : Ce matin encore, lors de la méditation, tout le monde a décrit un sentiment d’unité, une dissolution des barrières, etc. Une ou deux fois, j’ai essayé d’enquêter sur l’origine de cette chose et au moment où j’ai fait cette tentative, l’ego est réapparu ; c’est moi qui ai fait cette tentative et cette unité a disparu.

Dr : Vous voyez, ici l’enquête doit se faire de manière non verbale ; l’enquête n’est pas de dire « Je veux connaître la réponse », mais « Qu’est-ce que c’est ? ». De plus, lorsque je dis « Qu’est-ce que c’est ? », je ne vais pas le vendre. Si je mène une enquête pour pouvoir en parler le soir, cela va se bloquer. Dans ce cas, vous n’enquêtez pas, vous préparez seulement un discours pour le soir. Il s’agit de le voir à ce moment-là ; vous ne pouvez pas l’exploiter ou penser : « Je n’ai pas le temps, je m’en occuperai demain ». Sans cette perception immédiate, vous ne pouvez pas relever ce défi, et pourtant, dès qu’il y a une enquête, il y a une réponse. Vous regardez et la réponse est là.

Si je vais vraiment de l’avant avec ma perception, alors tout ira bien. La réponse viendra très rapidement. Chaque fois qu’il y a un problème, il y a une réponse, qu’il s’agisse d’argent, de nourriture ou de quoi que ce soit d’autre.

B : Vous dites que s’il y a une question ou un problème, la réponse est là. Nous sommes souvent tellement perdus dans le monde intellectuel que nous ne savons même plus quel est le problème. Il n’y a que des problèmes intellectuels.

Dr : Ne pas connaître la question est donc le seul problème. Le problème n’est pas de trouver la bonne réponse, le problème est de formuler la bonne question. Vous ne connaissez pas la bonne question et donc vous souffrez, et donc vous obtenez la mauvaise réponse.

B : J’ai remarqué une formidable énergie lorsque je pose la bonne question et que j’obtiens la bonne réponse. Une fois, à Rome, votre réponse semblait être quelque chose que je savais, mais que je n’avais pas le courage de me dire — c’était ma propre voix qui me répondait.

Dr : Vous voyez, ces questions me sont posées et j’y réponds. Dans la discussion, il y a toujours une réponse à la question de quelqu’un. La question la plus importante qui se pose maintenant est la suivante : pouvez-vous vraiment voir quel est l’enjeu et quelle est la question ? Lorsque la question se pose : « Pourquoi ne pas avoir la foi, puisque la foi guérit et apporte l’argent », les gens oublient qu’il ne s’agit plus d’une question. La question est de savoir si l’humanité peut être sauvée de l’auto-extinction. Lorsqu’on oublie la vraie question, on commence à formuler des questions non pertinentes. Une question brûlante est là, mais on détourne le problème dans son ensemble. Pourquoi posons-nous ces mauvaises questions ? Si vous le savez, le problème devient très simple. Si un problème se présente à moi et que je le vois, je doute que ma réponse soit mauvaise. Voyez-vous, lorsque vous posez la question correctement, l’intelligence est déjà là. Cette question est en elle-même la réponse.

18 mai 1975