Jacques de La Rocheterie et l’apport de Jung à la psychologie

Pour Freud, la prise de conscience se fait par le processus de cause à effet: «Je suis comme cela parce que»… C’est pourquoi les freudiens ne peuvent plus prendre de patients au-dessus de quarante ans. Les souvenirs sont trop lointains et le conditionnement de la partie de l’existence déjà vécue bien installée de manière rigide. Pour Adler, le travail analytique est principalement finaliste mais cette finalité ne dépasse par l’insertion dans la vie sociale et la diminution des complexes d’infériorité ou de puissance troublant l’individu. Quant à Jung, il tient compte, bien entendu du passé de l’Analysant par l’anamnèse et les rêves de l’Inconscient personnel. Il tient donc compte du processus de cause à effet mais il est également finaliste du fait des rêves de l’Inconscient qui guident le rêveur tout au long de son Evolution.

(Revue L’autre Monde No 112, 2e trimestre 1987)

Anne de Lauberie: Monsieur de La Rocheterie, vous venez de publier, chez Imago, votre deuxième livre intitulé: «La Symbologie des Rêves». Le premier volume concernait «Le corps humain», le second concerne « La nature », c’est-à-dire « Les quatre éléments » et « Les trois règnes » (animaux, végétaux, minéraux).

Dans chaque livre, il est inclus un court exposé sur l’enseignement jungien et son application pratique. Vos sources viennent de l’œuvre de Jung, bien entendu, et de trente années de compilations et de notes prises et classées, au cours de votre pratique quotidienne avec vos patients.

Jacques de La Rocheterie: Mon intention, dans ces livres, est de montrer comment s’élabore une image symbolique onirique en utilisant ce que Jung a appelé « l’amplification », aussi bien que les étymologies, les proverbes, les sentences et les expressions populaires propres à chaque symbole.

Je rappelle que « l’amplification » est un terme spécifiquement jungien et qui consiste à étendre et à approfondir l’image d’un rêve au moyen de thèmes parallèles tirés des sciences humaines et de l’histoire des symboles, c’est-à-dire de la mythologie, des religions, du folklore, de l’art, de la psychologie des primitifs etc… Si, par exemple, dans un songe, le rêveur s’efforce de délivrer une jeune fille réfugiée dans une grotte mais ne peut y parvenir parce qu’un chien féroce en garde l’entrée, on mettra cette image en parallèle avec le chien monstrueux Cerbère interdisant à Orphée de délivrer Eurydice. On en donnera alors la signification symbolique, en élargissant ainsi un champ de conscience suffoquant dans ses étroites limites, et en le réinsérant dans la grande aventure humaine dont la destinée est inscrite dans l’Inconscient Collectif.

ADL : Vous êtes psychanalyste et membre de la « Société internationale de Psychologie Analytique ». Quelle formation cela nécessite-t-il?

JDR : Je dois d’abord préciser un point. Je ne suis pas « Psychanalyste » mais psychothérapeute en « Psychologie Analytique ».

En effet, lorsque Jung s’est séparé de Freud – et Freud le considérait comme son meilleur disciple -, celui-ci en fut très affecté et interdit à Jung d’employer le mot « Psychanalyse », terme qu’il réservait au freudisme.

Alors Jung, qui a introduit la notion de « complexe » en psychologie, a commencé par appeler sa théorie « la Psychologie Complexe » puis, pour des raisons que j’ignore: la « Psychologie Analytique ». Je suis, en effet membre de « la Société française de Psychologie analytique », ce qui implique automatiquement un rattachement à la « Société internationale ».

La formation donnant droit au titre est si dure que nous ne sommes que 38 membres « actifs » et 55 membres « associés ». Cette formation s’étale sur environ 10 ans et la Société n’admet pas de membres « actifs » avant que ceux-ci n’aient atteint l’âge de 35 ans.

Elle exige au départ, si ma mémoire est bonne, soit un doctorat en médecine soit un diplôme de psychopathologie, 300 séances d’analyse sur soi-même, deux ans de « didactique », deux ans de « contrôle », des cours à l’Institut Jung de Paris et la présentation d’une thèse.

ADL : N’est-ce pas vraiment très long?

JDR : C’est très bien ainsi. Ce n’est pas la faute de Jung si l’homme est un être si
compliqué!

La psychothérapie n’est pas réglementée en France, alors qu’elle l’est dans beaucoup d’états en Amérique.

On voit souvent des personnes disant faire de la « psychothérapie jungienne » alors qu’elles n’ont aucune formation sérieuse. C’est non seulement malhonnête mais dangereux dans les cas où le Moi est fragile.

« La Psychothérapie ne s’apprend pas dans les livres », dit Jung. Ceci s’applique particulièrement à l’interprétation des symboles oniriques, qui est extrêmement difficile et regorgeant de pièges.

ADL : Est-ce que l’intuition joue?

JDR : Oui, bien sûr. Mais malheureusement, nous sommes encore élevés, à l’heure actuelle, a contrario. Lorsqu’en réponse à une question, le petit intuitif a tout de suite trouvé la réponse, on lui reproche d’avoir « deviné » au lieu de « raisonner ». Alors, peu à peu, il n’ose plus se fier à son intuition.

Quand j’ai commencé à pratiquer l’Analyse, je me méfiais beaucoup de mon intuition, me disant: « tu ne peux pas dire cela, puisque tu ne peux pas l’étayer sur un raisonnement! » Mais j’ai vite compris que c’était, la plupart du temps, mon intuition qui avait raison.

ADL : Depuis quand pratiquez-vous la psychothérapie de Jung?

JDR : Depuis trente cinq ans. Avant, j’avais fait cinq années de Psychanalyste freudienne qui m’avaient complètement déboussolé par son matérialisme impénitent. Mais j’ai un grand respect pour son œuvre. C’est lui qui a ouvert toutes les portes après la stupide époque dite « victorienne ».

ADL : Pouvez-vous nous parler de votre premier livre: « Le Corps humain » dans la symbolique onirique?

JDR : Le premier tome de « La Symbologie des rêves » concerne, en effet, le corps humain.

Prenons, par exemple, l’oreille qui constitue un symbole très important et que l’on trouve fréquemment dans les rêves. Le Christ parle de ceux qui ont « des oreilles mais n’entendent pas »; le Bouddha est, la plupart du temps représenté avec des grandes oreilles; la légende vient que les oreilles de Lao-Tseu mesurent sept pouces; Mélampe, médecin et magicien de la mythologie grecque, eut pendant son sommeil les oreilles si bien nettoyées par un couple de serpents qu’à son réveil, il comprenait le langage des oiseaux et des vers des bois; ou encore, dans la Bible, il est dit que « c’est par des songes, par des visions nocturnes, quand une torpeur s’abat sur les humains, et qu’ils sont endormis sur leur couche que Dieu parle à l’oreille de l’homme » (Job XXXIII -14-) etc… L’oreille de « l’entendement » perçait la dimension intérieure par une sorte d’intuition mystique directe qui inclut aussi bien la compréhension intellectuelle que le vécu affectif émotionnel.

« L’entendement » est donc la perception totale de l’âme qui permet au Moi d’élargir le champ de conscience jusqu’à tendre vers le Divin. D’où l’expression: « Ecouter la voix de la Sagesse ».

ADL : Et votre second volume?

JDR : Il vient de paraître et concerne la Nature, c’est-à-dire les Quatre Eléments et les Trois Règnes.

C’est le livre le plus difficile à rédiger et il a nécessité un énorme travail. Beaucoup de symboles du corps sont presque évidents tandis que les significations des composantes et la Nature sont bien plus subtiles.

Par exemple, si St Jean (III-8) dit: « Le vent souffle où il veut, tu entends sa voix, mais tu ne sais pas d’où il vient et où il va ; ainsi en est-il de quiconque est né de l’Esprit. Il est le souffle invisible plus fort que l’homme, cela signifie que l’Esprit ne veut pas se laisser enfermer dans une quelconque théologie, issue de l’intellect borné à lui-même. Ce qui fait dire à Jung: « Dieu est le vent. Il est le souffle invisible plus fort que l’homme ». Aussi est-ce par un « coup de vent » que se prépare la descente des lampes de feu sur les Apôtres à la Pentecôte.

Car il ne faut pas oublier que le symbole se fait par analogie. Autre exemple, la mer est le plus grand symbole de l’inconscient collectif car elle paraît insondable et illimitée et que, lorsqu’il se déchaîne à la Pointe du Raz ou sur la côte des Basques, l’homme se sent réduit à son insignifiance.

On pourrait multiplier les exemples.

ADL : Préparez-vous un troisième volume?

JDR : Oui, qui concernera «La Société et la Vie quotidienne». Par exemple, tout véhicule est l’expression symbolique de l’Evolution en marche ou, encore, la cuisine, dans l’inconscient est «vécue» comme étant le fief de la mère – « l’Alma Mater» – et, en conséquence, chargée de tout un symbolisme affectif concernant la Mère personnelle.

ADL : En écrivant ces livres sur « La Symbologie des rêve s», quelle est votre motivation profonde?

JDR : Je vous le dis franchement, je veux faire connaître l’inestimable apport de Jung à l’humanité car j’estime que cet apport est comparable à celui apporté par le Christ, lorsqu’on décote le sens des principales paraboles de son enseignement.

Tout montre que nous sommes sur terre pour évoluer et il semble bien qu’à l’époque du Christ, l’humanité méditerranéenne était à ce point cruelle qu’elle n’aurait pas compris Son message d’amour.

On crucifiait, on faisait dévorer des hommes par des fauves, les guerres étaient prétexte à tuer des innocents, violer, et même crever les yeux des populations conquises.

Aussi, le Christ « parlait-il pour ceux qui avaient des oreilles pour entendre » mais demandait-il de ne pas « donner ses perles aux pourceaux ».

Cependant, il ne donnait pas le moyen d’évoluer alors que Jung le donne par le truchement des rêves qui sont délégués par le «Soi» considéré par Jung comme «Imago Dei» en nous, exactement comme St Luc indique que «le Royaume de Dieu est au dedans de nous ». La grande difficulté demeure l’interprétation des rêves car il n’y a pas de «Dictionnaire des Symboles» et, de même qu’il n’y a pas deux arbres pareils dans le monde, Jung considère que chaque être humain est dissemblable et unique (même chez des jumeaux). L’interprétation des rêves consiste donc :

a)    à demander les «associations d’idées» du rêveur sur chaque image du rêve,

b)   à exposer, s’il y a lieu, les amplifications que le rêve reproduit,

c)    à s’assurer que le rêve est compensateur ou non,

d)   à proposer les différentes interprétations que le rêve pouvait exprimer, car les symboles sont extrêmement polyvalents,

e)    à chercher la signification, l’interprétation, qui fait vibrer une corde émotionnelle du rêveur.

L’interprétation des rêves permet l’intégration des contenus de soi-même jusqu’’ici enfouis dans l’inconscient. Car la simple prise de conscience de ses problèmes psychiques est totalement insuffisante pour les résoudre.

Par exemple, supposons le cas d’une femme frigide; elle le sait mais cela ne suffit pas à la rendre normale. Il est nécessaire que son inconscient lui en révèle les causes par les rêves si elle veut redevenir ce pour quoi Dieu l’a faite.

ADL : Le rêve est donc d’une importance capitale pour le processus d’Evolution?

JDR : Bien entendu. Pourquoi sommes-nous sur cette planète pour évoluer? Personne ne peut répondre. D’où venons-nous ? Où allons-nous? Mystère! Mais tout montre que nous sommes sur cette terre pour évoluer vers « l’amour inconditionné », c’est-à-dire vers un amour se situant au-delà de celui ne satisfaisant que notre seul Ego.

Un point délicat est que chaque cas étant «unique et nouveau» comme nous l’avons dit, l’Evolution fait ressortir l’importance de la composante irrationnelle de l’ensemble psychique.

Une vie peut se passer très bien jusqu’à un certain moment, puis brusquement se présente une dépression. De même, le temps de croissance est absolument imprévisible; ou, encore, on peut avoir plusieurs rêves par nuit et, tout d’un coup, passer par une période au cours de laquelle aucun rêve ne se présente etc…

Il convient toujours, dit Jung, de «laisser les choses» (non sur le plan de la vie matérielle, bien entendu, mais sur le plan de la vie psychique et spirituelle).

Sur le plan psychologique, nous devons donc nous en remettre au Royaume de Dieu qui agit au sein de nous-mêmes, le «Soi» de Jung.

ADL : Et les gens qui disent qu’ils ne rêvent pas?

JDR : C’est rare. Certaines personnes vous disent, au cours de la prise de contact préliminaire: «Mais moi, je ne rêve jamais ! »…

Mais l’analyse déclenche rapidement les rêves. Je n’ai eu que deux fois le cas de personnes qui n’avaient aucun rêve. Le travail se faisait alors verbalement mais on peut considérer qu’une telle Analyse est semi-ratée car, dans ce cas, on ne peut descendre au fond de soi-même et prendre contact avec son destin psychique.

Pour revenir au déroulement de l’Evolution, il faut désormais admettre qu’on ne peut réellement la comprendre, dans la diversité de ses cas, qu’en tenant compte des chaînes de réincarnations.

Des expériences américaines, norvégiennes, hollandaises etc… sont parvenues à démontrer l’existence de vies antérieures et à obtenir, sous hypnose, des guérisons spectaculaires en faisant revivre des traumatismes vécus au cours de ces vies antérieures. Le monde entier à toujours cru à l’existence de chaînes de réincarnations, aussi bien, par exemple, le Christ que les Pères de l’Eglise.

Tout montre que, dans une existence, nous ne faisons qu’un petit bout de chemin au rythme de croissance voulu par le destin, ce qui fait dire à la Sagesse chinoise : «Ton riz ne poussera pas plus vite si tu tires dessus!»…

En fait, il n’y a pas d’hérédité psychique. Sinon, on rencontrerait des lignées de Napoléons, de Mozarts, de Léonard de Vinci. Ce qui fait dire à Jung: «Notre Soi, notre Totalité psychique, en tant que quintessence de tout notre système vivant, non seulement renferme la sédimentation et la somme de toute vie vécue, mais il est aussi la matière et la semence, et la source, et l’humus créateur de toute vie future, dont la prescience enrichit le sentiment tout autant que la connaissance du passé historique. C’est de ces données psychologiques de base, de ces fondements, à la fois tournés vers le passé et vers l’avenir, que se dégage avec légitimité l’idée d’immortalité».

Et ce sont les rêves qui nous confirment constamment cette continuité dans l’Evolution et qui nous montrent où nous sommes sur la Voie du développement spirituel.

ADL : L’essentiel est donc, encore et toujours, de se connaître soi-même afin de savoir à quel niveau on en est en arrivant dans cette vie?

JDR : Oui et non. Il convient, en effet, de savoir où nous en sommes sur la route de notre Evolution mais aussi de poursuivre la Voie de notre destin en se basant, en majeure partie, sur nos rêves qui nous aident à «redresser» la situation, comme dit Jung, par leurs avertissements (compensateurs ou non).

Comme un disciple demandait au Maître hindou: «Mais, enfin, Maître, qu’est-ce que Dieu?» Celui-ci lui répondit: «Imbécile, tu veux connaître Dieu et tu ne te connais pas toi-même !»…

Quand on pénétrait dans le vestibule du Temple de Delphes, on pouvait y lire trois inscriptions qui résument la sagesse du monde:

1) La première était: «Connais-toi toi-même et tu connaîtras l’Univers et ses dieux», c’est-à-dire l’Inconscient Collectif de Jung et ses archétypes.

2) La deuxième était: «Rien de trop» car on veut toujours aller trop vite alors que Jung préconise avec raison qu’il faut (sur le plan psychique) «laisser faire les choses».

3) La troisième était: «Si tu t’engages, voilà le malheur», car tout ce qui demeure figé par des systèmes intellectuels paralyse l’Evolution qui ne se développe que dans la fantaisie la plus irrationnelle et la plus imprévisible qui soit.

D’où le fameux: «Je ne me crée pas, j’adviens à moi-même» de Jung, car le Moi ne peut se retenir de tout rationaliser par l’intellect et se complaire dans des formules.

C’est pourquoi je préfère le mot «Evolution» que le mot Analyse, me souvenant de cette dame qui, au téléphone, me demandait au bout de combien de temps elle aurait son analyse, confondant le travail de métamorphose évolutif avec une analyse pharmaceutique !…

ADL : Pouvez-vous nous donner quelques principes sur la matière dont vous procédez pour interpréter les rives?

JDR : Sans appliquer aucune règle préconçue, je procède généralement de la manière suivante:

a)    avant tout, je demande les «associations d’idées» sur chaque image de son rêve,

b)   je fais ensuite l’Amplification et ce que signifie chaque image à travers les mythes, religions, contes folkloriques etc… et ce qu’elles pourraient évoquer en toute généralité.

C’est ce que j’essaye de faire dans mes livres, c’est-à-dire comment, par analogie, s’élabore le symbole,

c)    enfin, j’aide l’analysant à comprendre son rêve en raison de son vécu émotionnel. S’il le ressent «comme cela», c’est dire que ce sera «comme cela».

Mais il faut toujours tenir compte de la cyclothymie psychique. Ainsi, une femme sera un jour menacée, dans un rêve, par un homme qui veut l’égorger et, quelques semaines après, se trouvera, inondée de félicité, dans les bras d’un beau blond!…

Et puis, ne jamais oublier que, la plupart du temps, tout le rêve est le rêveur. Si par exemple, nous rêvons qu’un(e) camarade d’école que nous n’avons pas vu depuis 15 ans apparaît dans un rêve, il convient de se demander pourquoi (d’après l’individualité de cette personne) l’inconscient a précisément choisi cette image. Mais je reviens sur l’amplification : si nous constatons que nos problèmes se retrouvent dans les mythes, religions, contes folkloriques etc… nous voyons que notre souffrance est aussi la souffrance du monde et que nous rejoignons ainsi le grand courant de l’humanité toute entière. L’effet thérapeutique est certain car cela nous sort de notre isolement et de nous croire marqués par le sort et infériorisés par nos problèmes qui, à un certain niveau, sont les mêmes pour tous, qu’ils soient parentaux, sexuels, spirituels ou issus d’une violence constamment refoulée.

ADL : J’entends souvent dire par ses détracteurs que Jung était très puritain et que cela avait quelque peu barré son cheminement?

JDR : Absolument faux; et je vais vous lire un texte de Jung, qu’on ne trouve pas dans les livres et qui est rapporté dans les souvenirs de Madame P. qui a longtemps été en relation avec celui-ci :

-«Il faut être plein de précautions et très prudent.

Il y a peu de gens vraiment intéressants. On les dit «intéressants» car ils sont précieux sur un point.

C’est la folie de l’éducation qui met l’accent sur la valeur au lieu de le mettre sur l’humanité.

Résultat, on manque d’hommes.

On veut faire aboutir le talent : «Tu as une belle voix, deviens ténor». Ils ne s’efforcent alors de n’être que cela: c’est leur folie.

Moi, je me suis toujours efforcé d’être un homme.

Déjà, dans mes études, on s’étonnait lorsque je faisais une bonne thèse parce que j’aimais le sport et, qu’à l’occasion, je m’énerverais!»

J’ajouterais : Le corps ne peut se passer de l’Esprit, mais l’Esprit ne peut se passer du corps».

Non, Jung insistait constamment sur la nécessité de parvenir à «l’optimum vital» qui unit vie et esprit. C’est pourquoi il écrit: «Je ne crois qu’au Verbe incarné dans la chair et à la chair visitée par l’Esprit».

L’union des deux est réalisée par l’image du Centaure qui, en astrologie, a donné le Sagittaire.

Pour Freud, la religion était une maladie, une névrose (cf. «L’Avenir d’une illusion»).

En fait, il faut distinguer les religions confessionnelles du phénomène «religieux» en nous dont nous ne pouvons nous passer. En ceci, il est en accord avec l’adage chinois: «aime la religion, défie toi des religions!

Il faut comprendre le «religieux» au sens étymologique du terme, c’est-à-dire : «religare» et «relegere» «relier» et «assembler», de telle sorte que cessent en nous tous conflits, toutes oppositions, et que nous puissions ainsi nous aimer en Dieu suivant la parole du Christ: «Tu aimeras ton prochain comme toi-même ».

Mais ceci n’exclut nullement la puissance de l’instinct sexuel qu’on oppose souvent à la pratique des religions confessionnelles. Le tout est de mettre de l’ordre en nous (principalement par les rêves) afin de tendre vers une «totalité psychique» où cesse le désordre des oppositions.

Cette «totalité psychique» a été appelée «le Soi» par Jung, dont il dit: «Le Soi est l’archétype de l’ordre».

Nous retrouvons cette même constatation chez les Hindous qui visent à atteindre le Nirvana, c’est-à-dire «Nir dvana» = «libéré des oppositions».

Harmoniser les oppositions qui nous déchirent est donc bien l’objectif suprême de toute Evolution.

La plupart du temps, l’homme choisit ce que Jung appelle «l’odieuse unilatéralité». C’est-à-dire, à la limite, être bassement matérialiste ou entrer au couvent.

En réalité, il faut passer entre Charybde et Scylla : autrement dit, être le Feu et l’Eau qui sont ennemis mortels, le Feu évaporant l’Eau et l’Eau éteignant le Feu.

ADL : Quelle est la pierre d’achoppement de l’Analyse?

JDR : Manifestement la pierre d’achoppement des analyses, c’est de «quitter sa parenté».

Bien entendu, il ne suffit pas, à 16 ans, de vivre dans un studio ou de partir pour Valparaiso; il faut sortir de «l’infantilisme psychique», cette fixation à la famille, que celle-ci soit positive ou négative, et par laquelle nous passons tous.

«Tu quitteras ta parenté» est la première parole de Dieu à Adam et Eve lorsque ceux-ci quittent le Paradis Terrestre. Elle est reprise 2 fois par le Christ et une fois par St Paul.

Dans la Baghavad Gîta, le dieu Krishna invite son disciple ARJUNA à tuer toute sa famille!

Mais, surtout, tous les grands dieux et Héros grecs, (ainsi que dans bien des contes folkloriques), sont «perdus dans la Nature». Même Moise. Ils sont alors nourris par des forces de la nature: la chèvre Amalthée, la louve de Romulus et Remus ou les 7 nains de Blanche Neige.

Ce qui signifie que, pour s’individuer au sens jungien du terme, nous devons «quitter notre parenté», que celle-ci soit bienfaisante ou malfaisante.

Quand on demandait à Freud: «Que faut-il faire pour que les enfants n’aient pas de problèmes avec leurs parents?» Il répondait» «De toute façon, il y a des problèmes avec les parents!» Sortir de «l’infantilisme psychique», c’est tendre vers «l’Individuation», ce qui donne un objectif à la vie, un but, beaucoup plus important que de devenir député ou archevêque !…

ADL : D’après Jung, il semble que cette démarche s’entreprend surtout à partir du milieu de la vie. N’est-ce pas en contradiction avec les autres «Grands» de la Psychanalyse?

JDR : Ce n’est pas tout à fait comme cela.

Pour Freud, la prise de conscience se fait par le processus de cause à effet: «Je suis comme cela parce que»…

C’est pourquoi les freudiens ne peuvent plus prendre de patients au-dessus de quarante ans. Les souvenirs sont trop lointains et le conditionnement de la partie de l’existence déjà vécue bien installée de manière rigide.

Pour Adler, le travail analytique est principalement finaliste mais cette finalité ne dépasse par l’insertion dans la vie sociale et la diminution des complexes d’infériorité ou de puissance troublant l’individu.

Quant à Jung, il tient compte, bien entendu du passé de l’Analysant par l’anamnèse et les rêves de l’Inconscient personnel. Il tient donc compte du processus de cause à effet mais il est également finaliste du fait des rêves de l’Inconscient qui guident le rêveur tout au long de son Evolution.

Et, comme l’Analyse jungienne ajoute la dimension spirituelle, on peut affirmer qu’elle donne tout son sens à l’existence.

Mais Jung a aussi observé qu’il y avait trois étapes dans cette existence:

a) le matin de la vie qui demande à être vécu dans toute sa plénitude. Les névroses en sont la peur de la vie.

b) Le midi de la vie peut être vécu comme «douloureux et amer».

c) L’après-midi de la vie dont les névroses viennent de la peur de la vieillesse et de la mort et, pour Jung, c’est principalement à cette époque qu’il nous est demandé de diriger notre attention vers le monde intérieur et d’élargir le champ de conscience afin de progresser sur le plan spirituel.

ADL : Avez-vous pu observer le Type Psychologique jungien avec lequel vous obtenez les meilleurs résultats?

JDR : Oui. Il me semble que ce sont les patients du «Type Sensation» car ils ressentent la vie intérieure et la vie extérieure avec une intensité maxima.

Le «Type Intuition» peut survoler son Analyse quelque peu superficiellement.

Le «Type Pensée» risque de trop faire agir sa raison intellectuelle aux dépens du «vécu émotionnel».

Quant au «Type Sentiment», il arrive que ses émotions le débordent au point de ne vivre que sur des impressions.

Par exemple, Si vous demandez à un «Type Pensée» ses associations d’idées sur, par exemple, le métro, il répondra: «Le métro est un moyen de locomotion souterrain qui relie entre eux les différents quartiers d’une ville». Et on sera obliger de demander : «Oui, mais qu’est-ce que tout cela est pour vous? »

Si on pose la même question à un «Type Sentiment», il (et surtout «elle») répondra: «J’adore le métro, ou je déteste le métro!»… Et on devra dire: «D’accord, mais pourquoi ?» Etc,…

ADL : Que pensez-vous de la vulgarisation de l’interprétation des rêves à la radio, en cabinets spécialisés ou par correspondance etc…?

JDR : C’est une ineptie qui peut se révéler fort dangereuse.

Je l’ai fait à mes débuts de praticien – péché de jeunesse ! – et y ait vite renoncé. Pourquoi?

1)   On n’est pas sûr d’avoir les véritables associations d’idées des rêveurs, certaines pouvant être inavouables pour l’instant.

2)   Les rêves, comme la vie, sont terriblement cyclothymiques: comme nous l’avons dit.

3)   Jung a démontré que tout le rêve est le rêveur mais il faut parfois longuement discuter si telle ou telle image -un chien, ou une sœur, par exemple- est à prendre sur le plan objectif ou sur le plan subjectif.

4)   Jung à démontré que beaucoup de rêves avaient un effet compensateur ; un rêve d’homosexualité, par exemple, ne signifie nullement que le rêveur ait des tendances homosexuelles, ni des rêves de nudité que vous avez envie de vous promener en costume d’Eve place de la Concorde etc…

ADL : Est-ce que je vous étonne en vous disant que votre discours est très astrologique?

JDR : Absolument pas. N’oubliez pas que les Mages ont connu l’arrivée du Christ sur la terre par une étoile.

Je demande toujours à mes patients leur signe astrologique et leur ascendant.

De même que je fais faire une page d’écriture afin que la graphologie me révèle quel est leur Type Psychologique.

ADL : A votre connaissance, Jung a-t-il parlé de l’Astrologie dans ses travaux?

JDR : Bien sûr. En voici un texte très révélateur:

«Quand j’ai du mal à classer un patient, je l’envoie toujours se faire faire un horoscope. Cet horoscope correspond toujours à son caractère et je l’interprète psychologiquement.

La correspondance entre le monde et la psyché est si forte qu’il est même possible que les idées concernant le temps à trois dimensions soient de simples reflets de la structure mentale.

C’est ainsi que j’ai été capable de prédire la dernière guerre simplement d’après l’Analyse des rêves de mes patients, parce que Wotan y apparaissait toujours».

Jung disait que l’Inconscient connaissait longtemps à l’avance, certains évènements futurs. C’est vrai, mais parfois, on pense qu’un rêve est prémonitoire et il ne l’est pas du tout. Pour quoi tout ceci? Mystère.

En tout cas, on observe qu’il existe comme des sortes de vases communiquant entre des personnages très proches, tels que parents et enfants ou maris et femmes.

Ceci s’observe lorsqu’une de ces personnes, un enfant par exemple, rêve, d’un problème concernant un autre membre de sa famille. En somme, comme le dit Jung, on ignore les limites de la psyché et il avait coutume de dire qu’il n’avait fait qu’ouvrir quelques portes… songeant probablement que nous abordions l’ère du Verseau et ses bouleversements.

En tout cas l’apport de son enseignement est considérable, on peut lui faire confiance car depuis la trentaine d’années que j’ai recours à lui pour mes patients, je n’ai jamais pu le prendre en défaut !…