Bert Olivier
La technologie plus une tyrannie c’est pire que la prison

Traduction libre 3/27/2023 Dans un remarquable ouvrage de théorie politique intitulé « The Threat of Big Other » (avec son jeu de mots sur le « Big Brother » de George Orwell), Shoshana Zuboff aborde succinctement les principales questions de son livre, The Age of Surveillance Capitalism — The Fight for a Human Future at the New Frontier of […]

Traduction libre

3/27/2023

Dans un remarquable ouvrage de théorie politique intitulé « The Threat of Big Other » (avec son jeu de mots sur le « Big Brother » de George Orwell), Shoshana Zuboff aborde succinctement les principales questions de son livre, The Age of Surveillance Capitalism — The Fight for a Human Future at the New Frontier of Power (New York: Public Affairs, Hachette, 2019. Tr fr L’âge du capitalisme de surveillance), en l’associant explicitement au 1984 d’Orwell.

Il est significatif qu’à l’époque, elle ait rappelé aux lecteurs que l’objectif d’Orwell avec 1984 était d’alerter les sociétés britannique et américaine sur le fait que la démocratie n’est pas à l’abri du totalitarisme et que « le totalitarisme, s’il n’est pas combattu, peut triompher n’importe où » (Orwell, cité par Zuboff, p. 16). En d’autres termes, les gens ont tout à fait tort de croire que le contrôle totalitaire de leurs actions par la surveillance de masse [tel qu’il est dépeint dans 1984, repris dans le slogan « Big Brother is watching you (Big Brother vous surveille) »] ne peut provenir que de l’État, et elle n’hésite pas à nommer la source de cette menace aujourd’hui (p. 16).

Depuis 19 ans, des entreprises privées pratiquant une logique économique sans précédent que j’appelle le capitalisme de surveillance ont détourné l’Internet et ses technologies numériques. Inventée chez Google en 2000, cette nouvelle économie revendique secrètement que l’expérience humaine privée sert comme matière première gratuite à traduire en données comportementales. Certaines données sont utilisées pour améliorer les services, mais le reste est transformé en produits informatiques qui prédisent votre comportement. Ces prédictions sont échangées sur un nouveau marché à terme, où les capitalistes de la surveillance vendent des certitudes à des entreprises déterminées à savoir ce que nous ferons ensuite.

Nous savons désormais que cette surveillance de masse n’a pas pour seul objectif — si tant est qu’elle l’ait jamais eu — de suivre et de prédire le comportement des consommateurs dans le but de maximiser les profits, loin delà. Les personnes qui préfèrent rester informées des développements mondiaux, et qui ne comptent pas uniquement sur les médias traditionnels pour cela, savent généralement qu’en Chine, cette surveillance de masse a atteint un point tel que les citoyens sont suivis par une myriade de caméras dans les lieux publics, ainsi que par les smartphones, au point que leur comportement est pratiquement entièrement surveillé et contrôlé.

Il n’est donc pas étonnant que Klaus Schwab, du Forum économique mondial (WEF), ne laisse passer aucune occasion pour faire l’éloge de la Chine en tant que modèle à imiter par les autres pays dans ce domaine. Il n’est donc pas surprenant que la journaliste d’investigation Whitney Webb, faisant également allusion à la prescience d’Orwell, attire l’attention sur les similitudes frappantes entre la surveillance de masse mise en place aux États-Unis en 2020 et la société dystopique dépeinte par Orwell dans 1984, publié pour la première fois en 1949.

Dans un article intitulé « Technotyrannie : comment l’État de sécurité nationale des États-Unis utilise le coronavirus pour réaliser une vision orwellienne », elle écrit :

L’année dernière, une commission gouvernementale a appelé les États-Unis à adopter un système de surveillance de masse basé sur l’IA, bien au-delà de ce qui est utilisé dans tout autre pays, afin d’assurer l’hégémonie américaine dans le domaine de l’intelligence artificielle. Aujourd’hui, un grand nombre des « obstacles » qu’elle avait cités et qui empêchent sa mise en œuvre sont rapidement levés sous prétexte de lutter contre la crise du coronavirus.

Webb évoque ensuite un organisme gouvernemental américain qui s’est concentré sur la recherche de moyens permettant à l’intelligence artificielle (IA) de répondre aux besoins en matière de sécurité et de défense nationales, et qui a fourni des détails concernant les « changements structurels » que la société et l’économie américaines devraient entreprendre pour pouvoir conserver un avantage technologique par rapport à la Chine. Selon Webb, l’organisme gouvernemental compétent a recommandé aux États-Unis de suivre l’exemple de la Chine afin de la surpasser, en particulier en ce qui concerne certains aspects de la technologie basée sur l’IA en rapport avec la surveillance de masse.

Comme elle le souligne également, cette position sur le développement souhaité de la technologie de surveillance est en contradiction avec les déclarations publiques (incongrues) d’éminents responsables politiques et gouvernementaux américains, selon lesquelles les systèmes chinois de surveillance technologique par l’IA représentent une menace importante pour le mode de vie des Américains, ce qui n’a toutefois pas empêché la mise en œuvre de plusieurs étapes d’une telle opération de surveillance aux États-Unis en 2020. Comme on le sait rétrospectivement, cette mise en œuvre a été entreprise et justifiée dans le cadre de la réponse américaine au Covid-19.

Rien de tout cela n’est nouveau, bien sûr — il est désormais bien connu que le Covid a servi de prétexte pour établir et mettre en œuvre des mesures de contrôle draconiennes, et que l’IA en a fait partie intégrante. Ce que je veux dire, cependant, c’est qu’il ne faut pas croire que les stratégies de contrôle s’arrêteront là ni que les pseudovaccins Covid étaient les derniers, ou les pires, des moyens que les futurs dirigeants du monde peuvent nous infliger pour exercer le contrôle total qu’ils souhaitent atteindre — un niveau de contrôle qui ferait l’envie de la société fictive de Big Brother dans le roman 1984 d’Orwell.

Par exemple, plusieurs personnes dotées d’un esprit critique nous ont alertés sur le fait alarmant que les monnaies numériques des banques centrales (CBDC), largement vantées, sont des chevaux de Troie avec lesquels les néo-fascistes à l’origine de la tentative actuelle de « grande réinitialisation » de la société et de l’économie mondiale visent à prendre le contrôle total de la vie des gens.

À première vue, le passage proposé d’un système monétaire à réserves fractionnaires à un système de monnaie numérique peut sembler raisonnable, en particulier dans la mesure où il promet la « commodité » (déshumanisante) d’une société sans argent liquide. Cependant, comme l’a souligné Naomi Wolf, l’enjeu va bien au-delà. Au cours d’une discussion sur la menace que représentent les « passeports vaccinaux » pour la démocratie, elle écrit (The Bodies of Others, All Seasons Press, 2022, p. 194) :

On assiste actuellement à une poussée mondiale en faveur des monnaies numériques gérées par les gouvernements. Avec une monnaie numérique, si vous n’êtes pas un « bon citoyen », si vous payez pour voir un film que vous ne devriez pas voir, si vous allez voir une pièce de théâtre à laquelle vous ne devriez pas assister, ce que le passeport vaccinal saura parce que vous devez le scanner partout où vous allez, alors votre source de revenus peut être coupée ou vos impôts peuvent être augmentés ou votre compte bancaire ne fonctionnera pas. Il n’y a pas de retour possible.

Un journaliste m’a demandé : « Et si les Américains ne l’adoptaient pas ?

Et j’ai dit : « Vous parlez déjà d’un monde qui n’existera plus si cela réussit à être mis en place ». Car si nous ne rejetons pas les passeports vaccinaux, nous n’aurons plus le choix. Il n’y aura pas de refus d’adoption. Il n’y aura pas de capitalisme. Il n’y aura pas de liberté de réunion. Il n’y aura pas de vie privée. Il n’y aura pas de choix dans tout ce que vous voulez faire dans votre vie.

Et il n’y aura pas d’échappatoire.

En bref, il s’agissait d’un événement sans retour. S’il existe une « colline sur laquelle mourir », c’est bien celle-là.

Ce type de monnaie numérique est déjà utilisé en Chine et se développe rapidement dans des pays comme la Grande-Bretagne et l’Australie, pour n’en citer que quelques-uns.

Wolf n’est pas la seule à mettre en garde contre les implications décisives que l’acceptation des monnaies numériques aurait pour la démocratie.

Des gourous de la finance comme Catherine Austin Fitts et Melissa Cuimmei ont toutes deux signalé qu’il était impératif de ne pas céder aux mensonges, aux exhortations, aux menaces et à toutes les autres stratégies rhétoriques que les néo-fascistes pourraient employer pour nous forcer à entrer dans cette prison financière numérique. Dans une interview où elle résume habilement la situation actuelle de « guerre » avec les mondialistes, Cuimmei a averti que la volonté d’obtenir des passeports numériques explique la tentative de faire « vacciner » en masse les jeunes enfants : à moins de pouvoir le faire à grande échelle, ils ne pourraient pas attirer les enfants dans le système de contrôle numérique, et ce dernier ne fonctionnerait donc pas. Elle a également souligné que le refus d’obtempérer est le seul moyen d’empêcher cette prison numérique de devenir une réalité. Nous devons apprendre à dire « Non ! ».

Pourquoi une prison numérique est bien plus efficace que la société dystopique d’Océanie d’Orwell ? L’extrait du livre de Wolf, ci-dessus, indique déjà que les « monnaies » numériques qui apparaîtraient sur votre compte de la Banque centrale mondiale ne seraient pas de l’argent, que vous pourriez dépenser comme bon vous semble ; en fait, l’argent aurait le statut de bons programmables qui dicteraient ce que vous pouvez et ne pouvez pas faire avec.

Ils constituent une prison pire que la dette, aussi paralysante, soit-elle ; si vous ne jouez pas le jeu de les dépenser pour ce qui est autorisé, vous pourriez littéralement être contraint de vivre sans nourriture ni abri, c’est-à-dire finalement de mourir. Simultanément, les passeports numériques dont ces monnaies feraient partie représentent un système de surveillance qui enregistrerait tout ce que vous faites et où vous alliez. Cela signifie qu’un système de crédit social du type de celui qui fonctionne en Chine et qui a été exploré dans la série télévisée dystopique Black Mirror y serait intégré, et qui pourrait vous faire gagner ou perdre.

Dans son rapport The Solari Report, Austin Fitts explique ce que l’on peut faire pour « arrêter les CBDC », notamment en utilisant autant que possible l’argent liquide, en limitant sa dépendance à l’égard des transactions numériques au profit des transactions analogiques et en faisant appel à de bonnes banques locales plutôt qu’aux mastodontes bancaires, ce qui permet de décentraliser le pouvoir financier, ce qui sera davantage renforcé par le soutien aux petites entreprises locales plutôt qu’aux grandes sociétés.

Il ne faut cependant pas s’imaginer que cela sera facile. Comme l’histoire nous l’a appris, lorsque des pouvoirs dictatoriaux tentent de prendre le pouvoir sur la vie des gens, la résistance de ces derniers se heurte généralement à la force ou à des moyens de neutraliser la résistance.

Comme le rapporte Lena Petrova, la démonstration en a été faite récemment au Nigeria, qui a été l’un des premiers pays au monde (l’Ukraine en étant un autre) à introduire les CBDC, et où la réaction de la population a d’abord été très tiède, la plupart des gens préférant utiliser de l’argent liquide (en partie parce que beaucoup n’ont pas les moyens de s’acheter des téléphones intelligents).

Pour ne pas être en reste, le gouvernement nigérian a eu recours à des manigances douteuses, comme imprimer moins de monnaie et demander aux gens de remettre leurs « anciens » billets de banque pour des « nouveaux », qui ne se sont pas matérialisés. Résultat ? Les gens meurent de faim parce qu’ils manquent d’argent pour acheter de la nourriture, et ils n’ont pas, ou ne veulent pas, de CBDC, en partie parce qu’ils n’ont pas de téléphones intelligents et en partie parce qu’ils sont réfractaires à ces monnaies numériques.

Il est difficile de dire si les doutes des Nigérians au sujet des CBDC sont dus au fait qu’ils sont conscients qu’une fois adopté, le passeport numérique dont ces monnaies feront partie permettra au gouvernement d’exercer une surveillance et un contrôle complets sur la population. L’avenir nous dira si les Nigérians accepteront ce cauchemar orwellien sans broncher.

Ce qui m’amène au point philosophique important qui sous-tend tout argument visant à résister à la volonté d’instaurer un pouvoir dictatorial par le biais de la surveillance de masse. Comme toute personne éclairée devrait le savoir, il existe différents types de pouvoir. L’un de ces types de pouvoir est résumé dans la célèbre devise des Lumières d’Emmanuel Kant, formulée dans son célèbre essai du XVIIIe siècle intitulé « Qu’est-ce que les Lumières ? » La devise se lit comme suit : « Sapere aude ! », ce qui signifie « Aie le courage de penser par toi-même » ou « Ose penser ! ».

On peut dire que cette devise correspond à ce que font les contributeurs aux activités de l’Institut Brownstone. L’accent mis sur l’engagement intellectuel et critique est donc indispensable. Mais est-ce suffisant ? Je dirais que, si la théorie de l’acte de langage a démontré avec précision — en soulignant l’aspect pragmatique du langage — que parler (et on pourrait ajouter écrire), c’est déjà « faire quelque chose », il y a un autre sens au mot « faire ».

Il s’agit de la signification d’agir dans le sens que l’on rencontre dans la théorie du discours — qui démontre l’imbrication de la parole (ou de l’écriture) et de l’action par le biais de l’imbrication de la langue avec les relations de pouvoir. Cela implique que l’utilisation de la langue est entrelacée avec des actions qui trouvent leur(s) corrélat(s) dans la parole et l’écriture. Cela est compatible avec la conviction d’Hannah Arendt, selon laquelle, parmi le travail, l’œuvre et l’action (les composantes de la vita activa), l’action — l’engagement verbal avec les autres, généralement à des fins politiques, est l’incarnation la plus élevée de l’activité humaine.

Les philosophes Michael Hardt et Antonio Negri ont apporté un éclairage important sur la question du lien entre le « Sapere aude ! » de Kant et l’action. Dans le troisième volume de leur trilogie magistrale, Commonwealth (Cambridge, Mass, Harvard University Press, 2009 ; les deux autres volumes étant Empire et Multitude), ils soutiennent que, bien que la « voix majeure » de Kant montre qu’il était effectivement un philosophe des Lumières de la méthode transcendantale, qui a découvert les conditions de possibilité d’une connaissance certaine du monde phénoménal régi par la loi, mais aussi, par implication, d’une vie pratique de responsabilité sociale et politique, il existe également une « voix secondaire » rarement remarquée dans l’œuvre de Kant.

Cela indique, selon eux, une alternative au complexe de pouvoir moderne que la « voix majeure » de Kant affirme, et que l’on retrouve précisément dans sa devise, formulée dans le court essai sur les Lumières mentionné ci-dessus. Ils affirment en outre que le penseur allemand a développé sa devise de manière ambiguë — d’une part, « Oser penser » ne remet pas en cause son encouragement à ce que les citoyens s’acquittent docilement de leurs diverses tâches et paient leurs impôts au souverain. Il va sans dire qu’une telle approche revient à renforcer le statu quo social et politique. Mais d’un autre côté, ils soutiennent que Kant lui-même crée l’ouverture pour lire cette exhortation des Lumières (p. 17) :

[…] à contre-courant : « oser savoir » signifie en fait en même temps « savoir oser ». Cette simple inversion indique l’audace et le courage nécessaires, ainsi que les risques encourus, pour penser, parler et agir de manière autonome. C’est le Kant mineur, le Kant audacieux, téméraire, souvent caché, souterrain, enfoui dans ses textes, mais qui, de temps en temps, éclate avec une puissance féroce, volcanique, dérangeante. Ici, la raison n’est plus le fondement du devoir qui soutient l’autorité sociale établie, mais une force désobéissante, rebelle, qui brise la fixité du présent et découvre le nouveau. Pourquoi, après tout, oserions-nous penser et parler par nous-mêmes si ces capacités doivent être immédiatement réduites au silence par une muselière d’obéissance ?

On ne peut pas critiquer Hardt et Negri sur ce point ; remarquez, ci-dessus, qu’ils incluent l’« action » parmi les choses pour lesquelles il faut avoir le courage d’« oser ». Comme je l’ai déjà souligné dans une discussion sur la théorie critique et leur interprétation de Kant sur la question de l’action, vers la fin de son essai, Kant découvre les implications radicales de son argument : si le dirigeant ne se soumet pas aux mêmes règles rationnelles qui régissent les actions des citoyens, ces derniers ne sont plus obligés d’obéir à un tel monarque.

En d’autres termes, la rébellion est justifiée lorsque les autorités elles-mêmes n’agissent pas de manière raisonnable (ce qui inclut les principes de la rationalité éthique), mais, par voie de conséquence, de manière injustifiée, voire agressive, à l’égard des citoyens.

Il y a une leçon à en tirer en ce qui concerne la nécessité inéluctable d’agir lorsque l’argumentation rationnelle avec des oppresseurs potentiels ne mène nulle part. C’est particulièrement le cas lorsqu’il devient évident que ces oppresseurs ne sont pas du tout intéressés par un échange raisonnable d’idées, mais qu’ils recourent sommairement à l’incarnation déraisonnable actuelle de la rationalité technique, à savoir la surveillance de masse contrôlée par l’IA, dans le but d’asservir des populations entières.

Cette action peut prendre la forme d’un refus des « vaccinations » et d’un rejet des CBDC, mais il devient de plus en plus évident qu’il faudra combiner la pensée critique et l’action face aux stratégies impitoyables d’asservissement de la part des mondialistes sans scrupules.

Bert Olivier travaille au département de philosophie de l’université de l’État libre. Il mène des recherches sur la psychanalyse, le poststructuralisme, la philosophie écologique et la philosophie de la technologie, la littérature, le cinéma, l’architecture et l’esthétique. Son projet actuel est « Comprendre le sujet en relation avec l’hégémonie du néolibéralisme ».

Texte original : brownstone.org/articles/technology-tyranny-worse-than-prison/