Conférence donnée à Notre-Dame de Paris le 6 novembre 1977.
Le christianisme orthodoxe a toujours pensé et professé que l’existence de Dieu est connaissable d’une manière certaine par l’intelligence humaine, à partir de la création, à partir du monde physique et de tout ce qu’il renferme, à partir de la nature. Autrement dit, la création, l’univers créé, sont manifestation de Dieu, sa première manifestation pour nous, et notre intelligence peut aller de cette manifestation à Celui qui se manifeste par elle, comme elle peut aller d’une cantate de Bach à son auteur. Une cantate de Bach prouve l’existence de son auteur, même si celui-ci n’est plus visible et elle permet, de plus, de connaître quelque chose de la nature de son auteur. Elle ne permet pas une connaissance exhaustive de son auteur, car Jean-Sébastien Bach peut composer d’autres cantates, et de fait il en a composé plusieurs, et dans d’autres compositions il a exprimé quelque chose de lui-même qu’il n’avait pas manifesté auparavant. De même la création de Dieu manifeste le Compositeur incréé, qui est l’auteur de cette composition qui est la création, mais la création n’épuise pas le Créateur et nous ne pouvons pas tout savoir du Créateur incréé à partir de la création, tout simplement parce que cette création, d’ailleurs inachevée, ne manifeste pas toutes les richesses ni toute la puissance du Créateur.
La connaissance de Dieu à partir de la création est donc une connaissance certaine, bien fondée, authentique, mais incomplète. C’est ce que les Pères veulent dire lorsqu’ils répètent que Dieu est incompréhensible. Cela ne signifie pas qu’il soit inconnaissable, bien au contraire, mais cela signifie que la connaissance que nous pouvons en prendre n’épuise pas l’infinie richesse du Créateur incréé.
C’est la doctrine constante de toute la tradition hébraïque biblique et aussi des livres en langue grecque du judaïsme hellénistique, tels que le livre de la Sagesse. C’est la doctrine du judaïsme orthodoxe conservée jusqu’aujourd’hui, comme vous pouvez vous en assurer en interrogeant un théologien juif compétent. C’est la doctrine qu’expose le rabbin Schaoul de Tarse, Paul de son surnom romain, dans la lettre qu’il écrivit autour des années 57 de notre ère, aux chrétiens de la communauté de Rome.
La colère de Dieu se manifeste du ciel sur toute impiété et injustice des hommes qui retiennent la vérité prisonnière dans l’injustice. Car ce qui est connaissable de Dieu est manifeste parmi eux. Car Dieu le leur a manifesté. Car ses propriétés invisibles (ou : ses caractères invisibles), à partir de la création du monde, sont aperçues, discernées par l’intelligence, par ses œuvres : à savoir son éternelle puissance et sa divinité, en sorte qu’ils sont inexcusables. Car ayant connu Dieu, ils ne l’ont pas glorifié comme Dieu, et ils ne lui ont pas rendu grâces, mais ils sont devenus stupides en leurs raisonnements et leur cœur sans intelligence s’est enténébré. Prétendant être intelligents, ils sont devenus idiots, et ils ont changé la gloire de Dieu invisible pour des représentations et des images d’homme corruptible, d’oiseaux, de quadrupèdes ou de serpents…
Ce texte a été cité des centaines et des centaines de fois par les Pères grecs et latins, par les plus grands docteurs du Moyen Âge, Albert le Grand, saint Bonaventure, saint Thomas d’Aquin, Jean Duns Scot. C’est la doctrine constante des Pères et des Docteurs chrétiens qui s’y exprime : l’existence de Dieu est connaissable pour l’intelligence humaine à partir de la création, à partir des œuvres de Dieu, à partir de ses poèmes, ta poiêmata, comme dit Paul.
La première fois, à ma connaissance du moins, que cette conviction unanime a été mise en doute ou en question, c’est au XIVe siècle, avec le théologien franciscain Guillaume d’Occam. Guillaume d’Occam, dans certains textes, semble dire que l’existence de Dieu est tenue seulement par la foi, mais n’est pas connaissable par la raison humaine. C’est la première fois, à ma connaissance — mais peut-être que des précurseurs de Guillaume d’Occam m’ont échappé — qu’un docteur chrétien catholique enseigne que la raison humaine n’est pas capable d’atteindre avec certitude à la connaissance de l’existence de Dieu, à partir du monde physique.
La doctrine de Guillaume d’Occam est passée chez Martin Luther par l’intermédiaire de son maître en philosophie, Gabriel Biel. Mais Martin Luther ajoutait à la théorie de la connaissance qu’il avait héritée de Guillaume d’Occam, une certaine théologie du péché originel, selon laquelle, par le péché originel, la nature humaine est intégralement corrompue. Il en résultait que, dans sa pensée, les puissances de l’âme, la raison et la liberté, sont aussi intégralement corrompues. La raison humaine est totalement impuissante à connaître le vrai, elle n’est plus, selon la forte expression de Martin Luther, que die Hure des Teuffels, c’est-à-dire la prostituée du Diable. Elle est, nous dit Luther dans d’innombrables textes, une abominable prostituée, il faut lui jeter des excréments à la face, et la foi ne peut subsister que si l’on détruit la raison humaine, car, dit encore Luther, le dogme est foncièrement absurde aux yeux de la raison.
Telle est la doctrine qui va passer chez un philosophe allemand luthérien, Emmanuel Kant. C’est la dissociation complète entre la foi et la raison, entre la foi et l’intelligence, la foi et la connaissance. C’est cette dissociation que l’on a appelée le fidéisme, doctrine selon laquelle la foi n’est pas un acte de l’intelligence.
Au XIXe siècle, des courants, des mouvements fidéistes se sont manifestés chez des penseurs catholiques. Ils ont suscité dès 1840 des réactions de la part des évêques de France qui ont demandé à Louis Bautain, par exemple, le 8 septembre 1840, de bien vouloir signer les propositions suivantes que les évêques de France estimaient inhérentes à l’orthodoxie :
1. Le raisonnement peut prouver avec certitude l’existence de Dieu et l’infinité de ses perfections. La foi, don du ciel, suppose la révélation ; elle ne peut donc pas convenablement être alléguée vis-à-vis d’un athée en preuve de l’existence de Dieu.
-
On n’a pas le droit d’attendre d’un incrédule qu’il admette la résurrection de notre divin Sauveur, avant de lui en avoir administré des preuves certaines…
-
Sur ces questions, la raison précède la foi et doit nous y conduire…
Le 26 avril 1844, les évêques de France exigeaient de nouveau de Louis Bautain qu’il signe les engagements suivants :
Nous promettons pour aujourd’hui et pour l’avenir :
-
de ne jamais enseigner que, avec les seules lumières de la droite raison, abstraction faite de la révélation divine, on ne puisse donner une véritable démonstration de l’existence de Dieu ;
-
qu’avec la raison seule on ne puisse démontrer la spiritualité et l’immortalité de l’âme, ou toute autre vérité purement naturelle, rationnelle ou morale ;
3. qu’avec la raison seule on ne puisse avoir la science des principes ou de la métaphysique, ainsi que des vérités qui en dépendent, comme science tout à fait distincte de la théologie surnaturelle qui se fonde sur la révélation divine ;
4. que la raison ne puisse acquérir une vraie et pleine certitude des motifs de crédibilité, c’est-à-dire de ces motifs qui rendent la révélation divine évidemment croyable…
En 1870, le saint concile œcuménique du Vatican, réuni dans le Saint-Esprit, in Spiritu Sancto, comme tous les conciles œcuméniques, dans sa Constitution dogmatique « Dei fîlius », de fide catholica, déclare :
La même sainte mère l’Église tient et enseigne que Dieu, qui est le principe et la fin de tous les êtres, peut être connu d’une manière certaine, certo cognosci posse, par la lumière naturelle de la raison humaine, naturali humanae rationis lumine, à partir des réalités créées, e rébus creatis.
Le Concile cite ensuite le texte de la lettre de Paul aux Romains que je vous ai relu. Le même saint concile du Vatican, dans ses Canons, particulièrement solennels, s’exprime comme suit :
Si quelqu’un disait que Dieu unique et véritable, le Créateur et notre Seigneur, ne peut pas être connu d’une manière certaine, certo cognosci non posse, par l’intermédiaire des réalités créées, per ea, quae facta sunt, à la lumière naturelle de la raison humaine, naturali rationis humanae lumine,
– si quelqu’un disait cela, alors qu’il soit anathème, anathema sit, — (c’est-à-dire qu’il est hors du Corps de la Pensée de l’Église universelle).
D’ailleurs, l’année d’avant, dès 1869, le cardinal Deschamps, archevêque de Malines, l’un des rédacteurs de la Constitution dogmatique De Fide au premier concile du Vatican, écrivait déjà, à propos de la raison humaine et des menaces qui pesaient déjà sur elle au XIXe siècle :
L’infaillibilité de l’Église enseignante, dans la conservation du dépôt de la foi, n’est pas la seule qui soit méconnue de nos jours, et dont le concile devra prendre la défense. L’infaillibilité surnaturelle qui garde fidèlement au monde, selon les promesses de Jésus-Christ, la vérité divinement révélée présuppose l’infaillibilité naturelle ou l’autorité certaine de la raison dans les choses de sa compétence.
Ainsi donc l’Église catholique estime et proclame que l’existence de Dieu peut être connue d’une manière certaine par la raison humaine qui réfléchit sur l’œuvre de la création. Si l’Église catholique a attendu la fin du XIXe siècle pour définir cette conviction qui est la sienne et qui a toujours été la sienne, depuis le commencement de son existence (voir la lettre de Paul aux Romains), c’est tout simplement parce qu’au XIXe siècle cette conviction avait été mise en question ou en doute, sous l’influence de la philosophie d’Emmanuel Kant et d’Auguste Comte, et de divers courants dits fidéistes et traditionalistes, qui avaient renoncé à cet exercice de la raison en matière de métaphysique, et qui s’en remettaient à la foi telle qu’ils l’entendaient ou à la tradition, pour ce qui concerne les fondements du monothéisme chrétien.
Comme vous le voyez par ces textes, l’Église catholique défend et protège la valeur, la dignité et la puissance de la raison humaine contre ceux qui la déprécient ou l’exténuent. L’Église défend et protège une réalité naturelle, le pouvoir de l’homme d’accéder à la connaissance du vrai, de ce qui existe, par son intelligence.
Ce n’est pas la première fois, ni la dernière, que l’Église défend et protège des réalités naturelles qui résultent de l’œuvre de la création.
Église catholique a donc une certaine idée, une certaine théorie de la raison humaine, au moins implicite, puisqu’elle professe que l’existence de Dieu est connaissable d’une manière certaine par la raison humaine, à partir de la création. C’est donc que la raison humaine est puissante pour faire de la métaphysique, pour traiter et résoudre sans trembler, sans hésiter, un problème métaphysique de haute portée : le problème de l’existence de Dieu.
Je ne vous entraînerai pas dans l’analyse du problème de la philosophie chrétienne, qui a été débattu autour des années 1930 par des philosophes comme Émile Bréhier, Léon Brunschvicg, Etienne Gilson, Jacques Maritain, Maurice Blondel, Edith Stein et bien d’autres. Mais vous remarquez au moins, sur le point précis que nous venons de rencontrer, que la théologie catholique n’est pas compatible avec n’importe quelle théorie de la raison, avec n’importe quelle théorie de la connaissance. Par exemple, la théologie catholique n’est pas compatible avec la doctrine kantienne de la raison, ni avec la théorie kantienne de la connaissance, puisque Kant, pour sa part, estime que la raison humaine ne peut pas accéder à la connaissance certaine de l’existence de Dieu, à partir de l’expérience, tandis que la théologie catholique, définie par l’Église, au premier concile du Vatican, estime que la raison humaine le peut. On ne peut donc pas, simultanément, être catholique et kantien, de même qu’on ne peut pas être catholique et adepte du positivisme d’Auguste Comte ni du néo-positivisme qui nie toute métaphysique.
On peut, bien entendu, le déplorer, s’en affliger ou, au contraire, s’en réjouir, mais le fait est là : l’Église catholique, la théologie catholique la plus traditionnelle et la plus constante solennellement définie dans un concile œcuménique, implique une certaine doctrine de la raison, une certaine théorie de la connaissance, et, selon cette doctrine de la raison et cette théorie de la connaissance, la raison humaine est capable de faire de la métaphysique d’une manière légitime et de répondre par l’analyse aux questions qu’elle se pose. La métaphysique peut être une connaissance certaine, c’est-à-dire une science. C’était la doctrine des grands docteurs du Moyen Âge, aussi bien du dominicain Thomas d’Aquin que du franciscain Jean Duns Scot. C’est la doctrine de l’Église universelle. L’intelligence humaine est faite pour connaître la vérité et elle est capable d’atteindre à cette fin qui est l’objet de son désir naturel congénital.
En d’autres termes, l’Église catholique, la théologie catholique la plus classique, professent un rationalisme intégral, en ce sens précis qu’elles pensent que la raison humaine est capable d’aller jusqu’au bout de son désir le plus profond, de son désir naturel de connaître le vrai, à savoir ce qui existe, et de répondre aux questions métaphysiques qu’elle se pose.
Non seulement l’Église catholique professe, à cet égard et en ce sens, un rationalisme intégral, mais elle est pratiquement seule au monde à professer un tel optimisme en ce qui concerne la valeur, la puissance et les capacités de la raison humaine, car c’est pratiquement au sein de l’Église catholique que se trouvent les derniers et les seuls métaphysiciens qui pensent que la métaphysique est une science authentique. L’Église catholique a donc pratiquement le monopole du rationalisme intégral. Ailleurs, on trouve bien des rationalistes, des ligues ou des unions rationalistes, mais lorsqu’on regarde les choses de près on constate que ces rationalistes-là ne se fient pas à la raison lorsqu’elle aborde les problèmes métaphysiques, mais au contraire désespèrent de la raison dès lors qu’elle tente de répondre aux problèmes ultimes qu’elle se pose. C’est donc que leur rationalisme est un rationalisme tronqué, infirme, insuffisamment ou mal développé.
D’ailleurs, l’Église s’était déjà prononcée au XVIe siècle, au concile de Trente, à l’encontre de la doctrine luthérienne du péché originel. Elle avait condamné la doctrine luthérienne selon laquelle le péché originel a radicalement corrompu la nature humaine, en sorte que les puissances naturelles de l’homme, en particulier la raison et la liberté humaines, ne seraient plus bonnes à rien. Les définitions du premier concile du Vatican, en 1870, contre Kant et le kantisme, viennent donc compléter les définitions du concile de Trente contre Martin Luther.
Au début de ce siècle, il y a eu dans l’Église, à travers toute l’Europe, mais principalement en France, une grande crise doctrinale que les historiens ont appelée la crise moderniste. Savez-vous ce que les théologiens catholiques reprochaient principalement aux philosophes éminents que furent Henri Bergson, Maurice Blondel, le père Lucien Laberthonnière, Édouard Le Roy et d’autres encore ? C’était de ne pas être suffisamment rationalistes, de ne pas avoir une théorie de la connaissance, une doctrine de la raison assez forte, suffisamment puissante, pour pouvoir supporter et sauvegarder l’enseignement solennel de l’Église, défini au premier concile du Vatican : la raison humaine est capable, par ses forces naturelles et indépendamment de la révélation, d’accéder à la connaissance certaine de l’existence de Dieu.
Église catholique, la théologie catholique la plus classique et la plus constante, ne veulent pas que l’ordre surnaturel, l’ordre de la grâce, l’ordre de la révélation, soit fondé sur un ordre naturel exténué, affaibli, dévalorisé, et encore moins au dépens de l’ordre naturel. Elles défendent, elles veulent préserver et sauver l’ordre naturel qui est celui de la création, afin de le conduire à sa fin ultime qui est surnaturelle ; mais l’ordre surnaturel, l’ordre de la grâce, n’abolit pas l’ordre naturel, ne le détruit pas, au contraire, il l’achève, le réalise, le conduit à son terme ultime et à sa perfection.
Ainsi pour la théorie de la raison humaine. L’Église veut et elle tient à ce que l’ordre intellectuel et rationnel conserve sa consistance propre, son autonomie. Elle ne veut pas qu’on tente d’établir l’ordre surnaturel sur des soubassements friables, sans consistance, sans solidité. Elle ne veut pas qu’on affaiblisse l’ordre naturel, l’ordre de la création, pour introduire l’ordre surnaturel de la grâce. Elle affirme depuis le début, contre toutes les gnoses, contre le manichéisme, contre l’hérésie cathare, puis à l’encontre de la doctrine luthérienne du péché originel, l’excellence de la création physique dans laquelle nous sommes de fait et l’excellence de la nature humaine » qui sort des mains du Créateur. Comme le dit Thomas d’Aquin, par le péché, rien n’est ajouté à la nature humaine, et rien n’est ôté à la nature humaine (Sum. Theol. I, q. 98, a.2). Sur ce point, l’Encyclique Pascendi du 8 septembre 1907, signée par le pape Pie X, s’étend longuement. L’erreur fondamentale qu’elle discerne sous la crise qui a secoué la chrétienté au début de ce siècle, c’est une erreur qui porte sur la théorie de la connaissance, c’est une démission en ce qui concerne la puissance et la valeur de la raison humaine, c’est la théorie kantienne de la connaissance et de la raison, c’est l’irrationalisme, que l’encyclique appelle l’agnosticisme : la raison humaine serait incapable par ses propres forces d’atteindre au vrai, à la connaissance métaphysique.
Si la raison humaine ne peut pas, par ses propres forces, être métaphysicienne, elle ne peut pas non plus, illuminée par l’Esprit-Saint et fondée sur la Révélation, être théologienne. Aussi bien, les grands docteurs des siècles passés, Grégoire de Nazianze, Augustin d’Hippone, Thomas d’Aquin, Jean Duns Scot, Jean Damascène en Orient, et, avant lui, Maxime le Confesseur, tous ceux qui ont fait la théologie chrétienne, ont été d’éminents métaphysiciens. Il existe, en effet, une ontologie du Verbe incarné, que les plus grands docteurs chrétiens se sont efforcés de dégager, et la théologie trinitaire qui va de Grégoire de Nazianze à saint Augustin, et d’Augustin à Thomas d’Aquin et à Jean Duns Scot, est éminemment métaphysique.
Inversement, ceux qui, aujourd’hui, déprécient la métaphysique et la condamnent, sont-ils aussi ceux qui méprisent la théologie qui fut la science des saints et qui tentent de l’éliminer. Que resterait-il du christianisme sans la théologie, c’est-à-dire sans la pensée ? Cette bouillie pour les chats, cette pâtée inconsistante, informe, qu’on nous déverse aujourd’hui de toutes parts et qui soulève le cœur. Savez-vous quel est le serment qu’à partir du 1er septembre 1910 l’Église de Rome demandait à tous ses jeunes prêtres de prononcer ?
Moi, un tel, je tiens fermement et je reçois toutes les vérités qui ont été définies, affirmées et déclarées par le magistère, qui ne comporte pas d’erreur, de l’Église, et en particulier ces points de doctrine qui s’opposent directement aux erreurs de ce temps : Premièrement, je professe que Dieu, qui est le principe et la fin de tous les êtres, peut être connu d’une manière certaine, et par conséquent aussi être démontré, demonstrari posse, à la lumière naturelle de la raison, par l’intermédiaire des réalités créées (citation de Rm 1, 20), c’est-à-dire par les œuvres visibles de la création, de même que la cause peut être connue par ses effets…
Voilà donc un premier point d’acquis. Selon la pensée « de l’Église universelle, selon le christianisme orthodoxe, selon la révélation hébraïque et l’enseignement du Nouveau Testament, selon la doctrine des Pères et des grands Docteurs du Moyen Âge, l’existence de Dieu n’est pas une question de « foi » au sens contemporain du mot « foi », elle n’est pas une question de croyance, elle relève de la connaissance et de la connaissance par l’intelligence.
Arrêtons-nous un instant sur ce point.
Faire porter la foi sur l’existence de Dieu, c’est une apposition totalement absurde et inconsistante. Vous pouvez vous fier à l’un de vos amis, ou vous défier de lui ; vous pouvez avoir foi en sa parole ou non, mais ce qui est sûr et certain, c’est que, pour vous fier en l’un de vos amis ou vous défier de lui, il vous faut d’abord savoir avec certitude qu’il existe. L’existence de votre ami, en qui vous vous fiez, ne saurait être une question de foi. La connaissance de l’existence doit nécessairement précéder la foi ou la défiance, la confiance ou le doute. Il en va de même pour Dieu. Lisez ou relisez les nombreux textes de la Bible hébraïque, que les chrétiens appellent l’Ancien Testament, où il est question de la foi ou de son contraire, vous verrez que jamais la foi, dans la Bible, ne porte sur l’existence même de Dieu. Lorsque par exemple Dieu reproche à Moïse, ou lorsque tel psaume reproche aux Hébreux de ne pas avoir eu foi en Dieu et en sa parole, il ne s’agit pas de l’existence de Dieu, ce n’est pas l’existence de Dieu qui est en question, l’existence de Dieu est présupposée connue, par la création précisément et par ses œuvres historiques dans l’histoire du peuple hébreu. C’est par là que Dieu est connu : par ses œuvres qui le manifestent. La foi ne porte pas sur l’existence de Dieu, mais sur la vérité de la parole de Dieu.
Je prends un exemple très simple pour vous indiquer sur quel registre se situe la signification des termes qui désignent la « foi » dans la Bible hébraïque et dans le Nouveau Testament grec.
Supposons que vous vouliez apprendre à nager à un enfant de 7 ou 8 ans. Vous lui expliquez d’abord ce que c’est que l’eau, ce que c’est que la densité de l’eau. Vous lui donnez une brève explication du principe d’Archimède. Et vous lui dites que, compte tenu de la densité de son corps et de la densité de l’eau, il lui suffit de se coucher sur l’eau comme sur son lit, bien détendu, et, bien allongé, il nagera. En réalité il ne peut pas descendre au fond de l’eau ; il est extrêmement difficile de descendre au fond de l’eau, il faut, pour y parvenir, déployer des efforts considérables et l’eau de mer, finalement, vous fait resurgir et rejaillir à la surface.
L’enfant peut vous croire ou ne pas vous croire ; il peut croire ce que vous lui avez dit, ou non. Il peut se fier en vous, en votre parole ou non. S’il vous croit, s’il s’en remet à vous, alors il s’étendra doucement sur l’eau, bien détendu, et il constatera, par expérience, qu’il repose en effet sur l’eau comme sur son lit. Il vérifiera par expérience la vérité de ce que vous lui avez dit. S’il ne vous croit pas, s’il doute de vous et de ce que vous lui avez expliqué, il va s’agiter, se contracter, boire de l’eau, pleurer et crier. L’expérience sera manquée. Mais qu’il vous croie ou qu’il ne vous croie pas, en tout cas sa foi ou sa méfiance ne portera pas sur votre existence. Elle portera sur ce que vous avez dit, sur la vérité de ce que vous lui avez dit.
Eh bien, c’est sur ce registre-là que se situent les termes — qui désignent la foi dans la Bible hébraïque et dans le Nouveau Testament grec. Cela est si vrai que la racine hébraïque aman qui signifie : être fort, être solide, être certain, être stable, a donné émounah, que le Nouveau Testament grec a traduit par pistis, et que nous traduisons par foi ou par fidélité, selon les cas — et aussi émet qui signifie la vérité.
Pistis alètheias comme dit Paul lorsqu’il veut traduire complètement et correctement en grec le terme hébreu émounah : la foi dans la vérité, l’assentiment de l’intelligence à la vérité reconnue.
La maladie de la pensée chrétienne, dans les temps modernes, depuis Descartes au moins, mais de plus en plus, c’est d’avoir dissocié ce que le concept hébreu de « foi » associe intimement : la foi et la vérité, tout simplement parce qu’on a rompu l’unité de l’acte de foi qui est un acte de l’intelligence, un assentiment de l’intelligence. On a conservé l’idée qu’il s’agit d’une conviction, d’un assentiment, mais on a oublié qu’il s’agit d’un assentiment de l’intelligence à la vérité elle-même reconnue. On obtient ainsi un concept de foi qui est décomposé, corrompu.
C’est autour du concept de foi et dans ses rapports avec l’intelligence, que se situe le foyer infectieux qui est à l’origine de la maladie infantile de la pensée chrétienne aujourd’hui, à savoir la dissociation entre foi et intelligence. Cette dissociation n’est pas biblique, elle n’est pas conforme à l’enseignement de la révélation, elle n’est pas orthodoxe. C’est une maladie mortelle pour l’intelligence chrétienne.
La situation actuelle, la problématique actuelle, le langage actuel des chrétiens en ce qui concerne la foi, sont complètement incohérents. D’abord parce qu’ils font porter la foi sur l’existence même de Dieu et qu’ils doivent donc réaliser ce tour de force de se fier à la parole d’un être à l’existence duquel ils doivent d’abord croire par un acte de foi, à la manière dont ils entendent la foi, c’est-à-dire un acte de foi aveugle, puisqu’ils sont convaincus, à cause de la pression de la philosophie moderne depuis Kant, que l’intelligence humaine ne peut pas connaître avec certitude l’existence de Dieu. Il faut donc empiler la foi en la parole de Dieu sur la foi en l’existence de Dieu, et ensuite empiler encore sur cet édifice branlant la foi aux dogmes, en Église, etc. Il n’est pas étonnant que le tout s’écroule… Ce n’est pas ainsi que les grands docteurs du passé avaient compris la théologie.
Du fidéisme, on passe normalement à l’athéisme, l’expérience de tous les jours le montre, en particulier chez les étudiants en philosophie avec lesquels j’ai quelques rapports, et l’expérience des trois siècles passés le démontre surabondamment.
Ils avaient pensé, les grands docteurs du passé, que la théologie est une science, et une science bien fondée, saine épistémologiquement. Bien entendu, bien évidemment, pour que la théologie soit une science bien fondée, il faut d’abord établir qu’elle a un objet. Et tous les grands docteurs du passé ont pensé que l’intelligence humaine peut et doit d’abord et avant tout établir avec certitude l’existence de Dieu créateur à partir de la création.
Le paradoxe est d’autant plus violent, et l’incohérence d’autant plus complète, que ces gens qui vont professant l’irrationalisme, l’impuissance de la raison humaine à connaître avec certitude l’existence de Dieu à partir de l’univers physique, ces gens proclament qu’ils s’en remettent exclusivement à la Révélation !
Or, c’est la révélation biblique précisément, aussi bien les livres hébreux de l’Ancienne Alliance que les livres grecs de la Nouvelle Alliance, et tout particulièrement le texte de Paul que je vous ai rappelé, c’est la révélation biblique elle-même qui enseigne constamment la possibilité pour l’intelligence humaine de connaître avec certitude l’existence de Dieu à partir de ses œuvres, à partir de la création, à partir de son œuvre historique qui est le peuple hébreu.
L’illustre théologien protestant Karl Barth, après avoir, dans sa grande Dogmatique, critiqué longuement la possibilité d’une connaissance philosophique de Dieu par la raison humaine, pose en principe que la théologie doit dériver de la seule Parole de Dieu.
Mais, là encore, réfléchissons. L’humanité est de plus en plus formée, et c’est excellent, par les sciences expérimentales. Grâce à la pratique des sciences expérimentales, l’humanité apprend à penser correctement. La méthode normale de la pensée, c’est la méthode expérimentale. Que voulez-vous que pense un savant, habitué à la pratique des sciences expérimentales, en présence d’un théologien qui lui dit qu’il faut partir de la Parole de Dieu, mais qui a pris bien soin de préciser auparavant qu’il est impossible d’établir l’existence de Dieu par l’analyse rationnelle et qu’il est impossible aussi d’établir que Dieu a parlé ? Le tout est remis à la « foi », comprise par la force des choses comme un assentiment aveugle.
Il est, en fait, impossible de partir de la Parole de Dieu pour fonder une théologie si l’on n’a pas établi :
-
Qu’il existe un être absolu, transcendant, créateur du ciel et de la terre, que l’on peut appeler Dieu ;
-
Et que cet être a parlé, c’est-à-dire qu’il s’est manifesté dans l’histoire humaine, qu’il a enseigné des hommes chargés à leur tour de communiquer cet enseignement.
Si l’on n’établit pas d’une manière solide l’existence de Dieu et le fait de la révélation, tout le système, c’est-à-dire toute la théologie repose sur une vaste pétition de principe, ou plutôt sur deux pétitions de principe :
-
que Dieu existe,
-
qu’il a parlé ou qu’il s’est révélé.
Comment voulez-vous que des gens qui ont appris à raisonner correctement en pratiquant les sciences expérimentales, consentent à entrer dans un système de pensée qui requiert, d’entrée de jeu, d’admettre de tels présupposés, de telles pétitions de principe, surtout si on leur répète, ce qui est le cas aujourd’hui, jusqu’à leur en rebattre les oreilles, que la raison humaine ne peut pas se prononcer en ce domaine, qu’elle est impuissante et qu’il faut s’en remettre à une « foi », entendue comme on l’entend aujourd’hui, c’est-à-dire une conviction qui n’a pas de fondement, qui n’a pas d’assises et dont l’intelligence humaine ne peut pas rendre compte ?
Eh bien sachez que ceux qui ont construit la théologie chrétienne catholique, les maîtres qui ont construit la théologie au temps où l’on construisait aussi la cathédrale Notre-Dame de Paris, n’ont pas commis des paralogismes aussi grossiers, car s’ils avaient construit la théologie de cette manière, il y a longtemps qu’elle se serait effondrée. Ils ont fort bien compris qu’avant toute chose, il faut établir par les voies de l’analyse rationnelle l’existence de Dieu, indépendamment de la révélation, bien évidemment, puisqu’on ne peut pas présupposer ce qui est justement en question. Et ils l’ont fait. Et ne dites pas que Kant a critiqué les voies par lesquelles ils ont conduit l’intelligence humaine à reconnaître l’existence de Celui qui seul peut dire de lui-même : mon nom propre c’est JE SUIS. Car Emmanuel Kant n’a jamais lu une page ni de saint Albert le Grand, ni de saint Thomas d’Aquin, ni de saint Bonaventure, ni de Jean Duns Scot, et la critique qu’il fait des preuves de l’existence de Dieu n’effleure même pas les analyses des maîtres du XIIIe siècle, tout simplement parce que Kant s’imaginait que la métaphysique doit être une pure déduction à priori par concepts, à la manière de l’illustre Wolff, tandis que les maîtres que j’ai nommés savaient que l’analyse métaphysique est une analyse inductive, fondée dans la réalité objective et expérimentale.
En second lieu la théologie catholique la plus classique sait fort bien qu’avant de partir de la parole de Dieu ou de la révélation pour commencer à faire de la théologie, qui est l’explicitation de la parole de Dieu et de la révélation, il faut d’abord avoir établi le fait que Dieu a parlé, le fait que Dieu s’est révélé, c’est-à-dire le fait de la révélation.
C’est l’évidence même, aux yeux de la plus élémentaire logique, et un enfant de 8 ans comprendrait cela que nos modernes irrationalistes semblent avoir oublié. Ce n’est pas moi qui le dis, je ne me permettrais pas d’innover en ce domaine. C’est le pape Pie IX qui, dans son Encyclique Qui pluribus du 9 novembre 1846, s’exprime en ces termes :
La raison humaine, afin que dans une affaire d’une si grande importance, elle ne soit pas déçue, et afin qu’elle ne se trompe pas, — il faut qu’elle fasse une enquête finquirat d’une manière diligente, afin d’établir le fait de la révélation divine, divinae revelationis factum, afin qu’il soit établi d’une manière certaine pour elle, la raison humaine, ut certo sibi constet, que Dieu a parlé, Deum esse locutum, et pour qu’elle, — toujours la raison humaine — puisse rendre à Dieu, comme l’enseigne très sagement l’apôtre Paul, un culte rationnel, un culte logique, logiken latreian (Rm 12,1).
Le cardinal Deschamps, que nous avons déjà cité à propos de la valeur de la raison humaine à défendre contre ses détracteurs, écrivait en 1869 :
C’est la raison (…) qui appelle la révélation, et c’est à la raison que la révélation s’adresse. C’est à la raison que Dieu parle, c’est à la raison qu’il demande la foi (au sens où l’entend la théologie catholique, c’est-à-dire l’assentiment de l’intelligence), et il ne la lui demande qu’après lui avoir fait voir que c’est bien lui qui parle. La raison qui demande le témoignage de Dieu sur les réalités de la vie future n’adhère donc à ce témoignage avec la certitude surnaturelle de la foi qu’après avoir vu de ses propres yeux, c’est-à-dire vérifié par sa propre lumière et avec la certitude naturelle qui lui est propre, le fait divin de la révélation.
Je vous disais tout à l’heure que, heureusement, l’humanité est de plus en plus et sera de plus en plus formée par les sciences expérimentales et ainsi elle apprend à raisonner, à penser d’une manière de plus en plus correcte. Elle apprend que la rationalité ne se détermine pas à priori, comme le pensait Kant, mais a posteriori, à partir de l’expérience que Kant aimait si peu. L’humanité aujourd’hui et demain va devenir de plus en plus exigeante en ce qui concerne la vérité, les critères de la vérité. Elle devient et deviendra — c’est très heureux — de plus en plus critique. Il faut donc que le christianisme se présente de plus en plus comme une doctrine vérifiable pour toute intelligence loyale, une doctrine qui a un fondement et un fondement expérimental.
Mais alors, me direz-vous, vous voulez éliminer tout mystère ? Que deviennent le mystère et la foi dans tout cela ?
D’abord, le mot mystère, dans le Nouveau Testament, ne signifiait pas ce qu’il signifie aujourd’hui. Le mot mystère aujourd’hui signifie communément quelque chose d’incompréhensible et de totalement fermé à l’intelligence humaine. C’est tout juste le contraire dans la langue du Nouveau Testament. Le mot mystèrion que nous avons traduit par mystère (ce qui n’était pas très fatigant) est la traduction d’un mot araméen, raza, qui signifie le secret.
Le mystère, dans la langue du Nouveau Testament, n’est pas quelque chose de fermé à l’intelligence humaine. C’est, au contraire, un secret que Dieu communique, un dessein secret qu’il nous donne à connaître. Les mystères, dans la langue du Nouveau Testament, sont la nourriture même de l’intelligence. Le mot grec mustèrion qu’utilise le Nouveau Testament grec, a été traduit en latin par sacramentum. Les mystères du christianisme, ce sont les sacrements de l’intelligence chrétienne, sa nourriture propre, par laquelle elle vit et se développe.
Il ne saurait d’ailleurs y avoir entre le christianisme d’une part, les sciences de l’univers et de la nature d’autre part, aucun conflit, tout simplement parce que les sciences de l’univers et de la nature nous découvrent petit à petit ce qu’est l’univers, ce que sont les êtres qui le peuplent, tandis que le christianisme a pour but de nous enseigner l’origine radicale de l’univers et sa finalité ultime. Les sciences de l’univers et de la nature nous enseignent l’histoire de l’univers et de la nature, c’est-à-dire, en fait, l’histoire de la création. Le christianisme est la science de la finalité de la création.
Le christianisme est une théorie générale du Réel. C’est même la seule théorie générale et cohérente du Réel qui existe. Et c’est une théorie du Réel qui est bien fondée, dans la réalité objective, dans l’expérience.
Je sais fort bien que cette expression fera bondir tel ou tel chroniqueur qui s’en va répétant à longueur de colonnes que le christianisme n’a rien de théorique, que le christianisme n’a rien de spéculatif, qu’il n’est pas une métaphysique ni même une doctrine. Le christianisme des Apôtres, le christianisme de Paul et de l’auteur du quatrième Évangile, le christianisme des Pères et des grands Docteurs du Moyen Âge, des métaphysiciens chrétiens jusqu’à Maurice Blondel, Jacques Maritain et Etienne Gilson, le christianisme des grands docteurs mystiques, est éminemment et d’abord contemplation. Le christianisme ne se réduit pas à une pratique ni à une politique. La pratique résulte de la vie contemplative, elle en est une conséquence, une dérivation, une implication. Mais c’est la contemplation qui est première. Et la contemplation est l’acte de notre intelligence nourrie par les mystères chrétiens.
Le christianisme est une théorie générale du Réel. Il ne franchira, jeune et vigoureux comme aux premiers jours, le seuil du XXIe siècle, que s’il sait se présenter aux hommes de demain pour ce qu’il est : une doctrine intelligible, la nourriture même de l’intelligence humaine, la science de la création en train de s’effectuer, la science par laquelle est créée l’Humanité nouvelle avec sa coopération active et intelligente. Les hommes de demain comme ceux d’aujourd’hui ne recevront le christianisme que s’ils le comprennent, s’ils peuvent en assimiler le contenu, et s’ils reconnaissent qu’il est vérité.
L’irrationalisme chrétien contemporain est, au fond, parallèle à ces mouvements et courants gnostiques qui se sont développés pendant les premiers siècles de l’ère chrétienne, puis ont été repris et développés par le manichéisme et le néo-manichéisme médiéval. Ces gnostiques, ces manichéens et ces cathares enseignaient que la nature humaine est mauvaise, que le corps est mauvais, que la sexualité est mauvaise. L’Église des premiers siècles a, on peut le dire, passé son temps à affirmer contre ces sectes l’excellence de la nature humaine, l’excellence de l’ordre physique et biologique.
Les mouvements et courants irrationalistes contemporains sont tout près d’affirmer que la raison est mauvaise, que le rationalisme est mauvais, que la rationalité est mauvaise. En tous cas, ils affirment, depuis Luther, qu’à cause du péché originel la raison humaine est impuissante. Contre ce pessimisme, l’orthodoxie chrétienne enseigne l’excellence de la raison humaine, l’excellence de l’intelligence humaine, sa puissance et sa haute dignité.
La seule chose, en réalité, que nos frères athées et rationalistes, auprès de qui nous sommes déshonorés, pourraient reprocher à la théologie chrétienne catholique, serait d’être rationaliste à l’excès, d’être rationaliste d’une manière intempérante, puisque, comme nous l’avons vu, aux yeux de la théologie catholique, la métaphysique est une science de ce qui est, et à ses propres yeux, la théologie catholique est aussi une science.
Ce que l’athéisme moderne vomit dans le christianisme, ce qui fait vomir les meilleurs, les plus éminents parmi nos frères athées, et savants, ce sont nos hérésies, c’est la pathologie du christianisme, et si, pendant plusieurs siècles, la pathologie du christianisme ce fut l’hérésie manichéenne et cathare, aujourd’hui c’est certainement l’irrationalisme plus ou moins délirant qui tend à nous submerger.