Michael Asher
Le non-dualisme dans la Grèce antique ? Dionysos comme vie consciente infinie et éternelle

2024-07-21 Une brève introduction Michael Asher, FRSL, est un écrivain, historien, enseignant et explorateur anglais. Il est l’auteur de vingt-trois ouvrages publiés, couvrant les domaines du voyage, de l’histoire, de la biographie et de la fiction. Lauréat de plusieurs prix décernés par des sociétés savantes, il est titulaire d’un BA (Hons) en anglais de l’université […]

2024-07-21

Une brève introduction

Michael Asher, FRSL, est un écrivain, historien, enseignant et explorateur anglais. Il est l’auteur de vingt-trois ouvrages publiés, couvrant les domaines du voyage, de l’histoire, de la biographie et de la fiction. Lauréat de plusieurs prix décernés par des sociétés savantes, il est titulaire d’un BA (Hons) en anglais de l’université de Leeds et a été élu membre de la Royal Society of Literature.

La figure mythologique de Dionysos, dans la Grèce antique, pourrait-elle représenter le fondement non-duel de la réalité, au lieu du dieu du chaos décrit par Nietzsche ? En grec ancien, deux mots désignent la vie : bios et zoe. Alors que bios (comme dans biologie) signifie la vie finie ou individuelle, zoe (comme dans zoologie) signifie la vie elle-même. Bios s’applique à la vie d’un être individuel, tandis que zoe est infini et éternel — en d’autres termes, le primitif ontologique. Si, comme l’affirme Michael Asher, Dionysos représente zoe — la vie consciente en tant que réalité qui sous-tend toute la nature — alors l’apparition de l’idéalisme non duel en Occident remonte aux origines mêmes de la civilisation occidentale.

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Dans le chef-d’œuvre gothique postmoderne de Dona Tartt, The Secret History (1992 ; tr fr Le Maître des illusions), Richard Papen, un jeune Californien issu d’un milieu modeste, rejoint un groupe d’étudiants de premier cycle en lettres classiques dans une prestigieuse université du Vermont. Richard découvre plus tard que des membres du groupe, menés par l’intellectuel redoutable Henry, ont réussi à invoquer le dieu grec Dionysos et, dans une course bacchanale frénétique à travers les champs avoisinants, ont assassiné un fermier local. Bunny, un membre du groupe exclu du rituel, découvre la vérité et fait chanter les autres. Attiré par Henry, Richard devient complice du meurtre de Bunny, que le groupe pousse du haut d’une falaise. Aucun des étudiants n’est accusé des meurtres, mais Henry se tire plus tard une balle dans la tête, après avoir tué la seule femme du groupe, Camilla.

Pour de nombreux lecteurs, Le Maître des illusions est peut-être leur première introduction à Dionysos, la mystérieuse divinité olympienne qui semble prendre de plus en plus d’importance à notre époque. Tartt, une étudiante en lettres classiques, aurait basé son roman sur la pièce d’Euripide Les Bacchantes, jouée pour la première fois à Athènes vers 406 avant J.-C., le seul drame de la Grèce antique dont Dionysos est le personnage principal. Le thème de Le Maître des illusions, cependant, la tension entre le contrôle et le chaos, vient de l’étude par Tartt de l’ouvrage de Friedrich Nietzsche de 1872, La naissance de la tragédie, dans lequel Nietzsche propose une contradiction entre les influences apolliniennes et dionysiennes, c’est-à-dire entre le contrôle et le chaos respectivement. Bien que certains érudits helléniques aient d’emblée rejeté la thèse de Nietzsche, celle-ci a dominé l’esprit du XXe siècle, au point que les guerres les plus terribles de l’histoire ont souvent été qualifiées de dionysiaques.

C’est ce concept nietzschéen de Dionysos — incarnation du chaos naissant tapi sous le vernis de la civilisation, attendant d’exploser, et explosant parfois — que Tartt a repris dans Le Maître des illusions. Son thème est en fait une approbation du mythe fondateur de la société industrielle : la vision de la civilisation comme un vaillant défenseur retenant la bête sauvage tapie dans chaque être humain, qui, si elle n’est pas détournée, peut éclater et détruire la société elle-même. Comme le dit l’un des personnages de Tartt, « ces forces puissantes et archaïques vont s’amasser et grandir jusqu’à se libérer… souvent assez brutales pour anéantir complètement la volonté » [1].

Cette vision est, bien sûr, une reprise de la déclaration de Thomas Hobbes dans Léviathan (1651) selon laquelle la vie dans un état de nature est une guerre de tous contre tous — solitaire, pauvre, méchante, brutale et courte — une condition de chaos qui ne peut être évitée, commodément pour les autorités, que par la soumission à une puissance souveraine. Aujourd’hui encore, c’est la vision de la réalité qu’ont la plupart des gens, même si, avec le chaos croissant dans le monde face à des structures de contrôle de plus en plus strictes, elle commence à paraître anémique. En ce qui concerne le roman de Tartt en particulier, comme Maria Grip l’a astucieusement souligné,

Il n’est peut-être pas aussi simple de dire que Le Maître des illusions oppose le contrôle au chaos. Je dirais plutôt que c’est l’idée de contrôle qui, en fin de compte, est à l’origine du chaos. De ce point de vue, le chaos naît des différents aspects du contrôle plutôt que de fonctionner comme une antithèse de celui-ci [2].

En d’autres termes, bien que l’intention de Tartt ait pu être d’exprimer l’opposition nietzschéenne entre le contrôle apollinien et le chaos dionysien, ce qui est en fait démontré ici, bien que par inadvertance, c’est le fait que le chaos est le produit de la soif de contrôle apollinienne.

L’intérêt pour le dionysiaque a proliféré ces derniers temps, avec des centaines de nouveaux livres, articles et travaux académiques sur le sujet. Edith Hall a souligné qu’il y a eu plus de mises en scène de tragédies grecques — y compris de Bacchantes — au cours des dernières décennies qu’à n’importe quelle autre période depuis l’époque classique. « Traduites, adaptées, mises en scène, chantées, dansées parodiées, filmées, jouées », écrit-elle, elles « se sont révélées magnétiques pour les écrivains et les metteurs en scène qui cherchaient de nouvelles façons de poser des questions à la société contemporaine » [3]. Le Dionysos présenté dans ces études et ces spectacles n’est cependant pas le dieu fou et destructeur de Tartt et de Nietzsche. C’est le Dionysos que les anciens Grecs appelaient, parmi de nombreux autres noms, l’Indivisé : la non-mort, le non-duel, la force de la vie.

L’érudit Carl Kerenyi, qui a collaboré avec Jung sur sa théorie des archétypes, a peut-être été le premier moderne à redécouvrir la pleine nature de Dionysos. Kerenyi tenait à faire la distinction entre les mythes grecs authentiques et la façon dont ces mythes avaient été détournés pour créer des mythes modernes, notamment par des écrivains comme Nietzsche [4]. En 1931, lors d’une visite aux ruines du théâtre grec antique de Cumes, dans le sud de l’Italie, presque soixante ans après La naissance de la tragédie, Kerenyi a eu une épiphanie. Il avait déjà admis que Dionysos représentait le vin, l’extase, l’animalité et le théâtre, mais il était également conscient qu’il y avait plus de représentations de ce dieu dans les mythes, les images et les expressions rituelles que dans n’importe quelle autre divinité du panthéon grec. Cela suggérait une importance centrale dépassant les limites de ses rôles apparents.

En examinant les pierres de l’ancien théâtre — comment elles avaient été fissurées et envahies par des racines d’arbres enchevêtrées, et entourées de buissons et de vignes —, Kerenyi eut soudain le sentiment que Dionysos était toujours présent. Ces vignes et ces buissons étaient par essence les mêmes que ceux qui avaient existé ici dans les temps anciens, et cette essence, sentait-il, était Dionysos. Ou plutôt, Dionysos était la force vitale immanente et transcendante dont les arbres, les vignes et tout le reste — y compris les animaux et les humains — étaient des manifestations. Cela expliquait, selon lui, le rôle crucial de Dionysos dans la culture grecque antique : le dieu, concluait-il, n’était rien de moins que l’image archétypale de zoe, la vie indestructible.

Dans son livre Dionysos : Archetypal Image of Indestructible Life, publié des années plus tard, Kerenyi souligne que, bien qu’en latin il n’y ait qu’un seul mot pour désigner la vie — vita — en grec ancien il y en a deux : bios et zoe. Alors que bios (comme dans biologie) signifie la vie finie ou individuelle, zoe (comme dans zoologie) signifie la vie infinie ou indestructible. Bios s’applique à la vie caractérisée d’un être individuel, qui peut être résumée dans une biographie, mais zoe, étant infini et éternel, ne peut être décrit ou résumé : elle est, en d’autres termes, le primitif ontologique. « Puisque la base de chaque individuation est représentée par zoe », a écrit Kristof Fenyesi, « le cœur de l’expérience concernant zoe ne peut pas englober l’expérience de l’évanescence ou de la cessation. La mort survient toujours au niveau du bios, de la vie individuelle, et non de zoe, qui sert de base à tous les bios individuels ». La mort (thanatos) est, dans un sens spirituel, l’opposé de zoe, de sorte que zoe peut être qualifié de non-mort. C’est pourquoi, comme le dit Fenyesi, « la notion d’âme, c’est-à-dire de psyché, n’est pas associée à bios, mais à zoe » [5]. Pour reprendre une analogie familière du non-dualisme, zoe est l’océan et bios les vagues. Les vagues sont des modes transitoires de l’océan, qui se distinguent de lui, mais ne sont pas séparées. Thanatos est une transformation qui se produit lorsque la vague se dissout et se fond à nouveau dans l’océan, dont elle n’a jamais été séparée au départ.

Si, loin d’être un symbole du chaos, Dionysos était en fait, comme l’a dit James Hillman, l’âme de la nature [6], comment Nietzsche a-t-il pu se tromper ? Et si Dona Tartt a réellement basé son Dionysos dans Le Maître des illusions sur les Bacchantes, quelle interprétation de cette pièce a donné l’impression que Dionysos était une entité tout à fait différente ? « Le dépassement de la conception nietzschéenne de Dionysos […] est désormais un fait », écrit Darisusz Karlowicz en 2021, trois décennies après Le Maître des illusions. « L’image d’un dieu du mythe… fou et barbare… est remplacée par l’image (beaucoup plus proche de la réalité historique)… d’un dieu dont l’action peut consolider l’ordre et donner la paix » [7].

Dans les Bacchantes, Dionysos apparaît à Thèbes, déguisé en mortel, accompagné d’une bande de femmes, les Bacchantes. Son but est d’affronter le roi Penthée, qui a refusé de reconnaître sa divinité. Dionysos a déjà rendu les femmes de Thèbes — y compris la mère de Penthée, Agave — frénétiques, les poussant à abandonner leurs tâches domestiques et à s’enfuir dans les montagnes pour le célébrer en chantant et en dansant, devenant ainsi des ménades, ou femmes sauvages. Penthée fait jeter Dionysos en prison, mais le dieu s’échappe sans difficulté, provoquant l’effondrement de la maison royale. Dionysos incite alors Penthée à aller espionner les ménades dans les montagnes, déguisé en femme. Observant les femmes sauvages depuis un arbre, le roi est mis en pièces, sa mère Agave, qui ne le sait pas, étant sa principale assaillante. Agave ramène les restes du corps de Penthée, croyant qu’il s’agit de celui d’un lion, et est dévastée lorsqu’elle réalise qu’il s’agit de son fils.

De nombreux chercheurs modernes considèrent la pièce comme moralement ambiguë et son thème comme une contradiction non résolue. Ce qui les préoccupe le plus, c’est le degré de violence et de cruauté dont Dionysos semble faire preuve. Donald Mastronarde a parlé d’un dilemme tragique : « Il faut à la fois reconnaître la divinité de Dionysos », a-t-il écrit, « et reconnaître le potentiel de violence cruelle et d’excès amoraux du dieu » [8]. La vision apollinienne du dionysiaque est la perspective de la civilisation industrielle, dans laquelle le matérialisme — le récit de l’hémisphère gauche ou de l’ego — est dominant, avec son caractère individualiste et littéraliste. Dans cette perspective, le roi — Penthée — est un héros qui défend le statu quo — la polis — contre un culte religieux étranger, dont l’acceptation est susceptible de conduire à l’effondrement de toutes les frontières, selon la conception matérialiste du chaos. Comme l’a souligné Richard Seaford, il n’y a pas de véritable dilemme. « Si vous rejetez ou essayez de supprimer Dionysos, il risque de vous détruire cruellement », écrit-il, « et vous devez donc le reconnaître. Ce n’est un dilemme que si le fait de le reconnaître entraîne de mauvaises conséquences, ce qui n’est pas le cas » [9].

Seaford a expliqué que les Bacchantes est mieux comprise dans le contexte de son époque : l’Athènes du quatrième siècle avant Jésus-Christ. C’était une période précaire pour l’État athénien, profondément impliqué dans la guerre avec Sparte, qui allait finalement conduire à sa chute. Dans ce milieu, Dionysos — le Dieu qui vient — apparaît comme une mise en garde contre l’hybris (l’orgueil démesuré), l’état d’exaltation de l’ego dont fait preuve Penthée le turannos (tyran), dont la famille a pris le contrôle par la force. Autocrate, violent, impie et dépourvu de tout contrôle de soi, Penthée propose de massacrer les ménades comme s’il s’agissait d’animaux sauvages, alors qu’elles représentent toute la population féminine adulte de la polis, y compris sa propre mère. En tentant d’exercer un contrôle absolu sur la communauté — en fait, sur la nature —, Penthée a lui-même créé le vide moral dans lequel son ennemi juré — Dionysos — ne peut que s’engouffrer. Pour le public athénien, Dionysos n’aurait pas été l’étranger qu’il apparaît aux yeux de Penthée, mais le maître des mystères d’Éleusis, le rite de passage secret et vivifiant au cœur de leur religion officielle. Cependant, Penthée ne voit en Dionysos qu’une menace pour son pouvoir personnel et rejette sa prétention à être reconnu comme divin. La violence et la cruauté apparente que subissent Penthée et sa famille à la suite de ce rejet sont symboliques, une représentation graphique de leur karma, l’agonie mentale qui résulte en fin de compte de la violation du sacré. Les épisodes violents « ne doivent pas être pris littéralement en eux-mêmes », a écrit James Hillman, « mais comme des histoires d’horreur dans le cadre du processus psychique tout entier » [10].

Encore une fois, si le Dionysos original du mythe grec — un être de lumière — n’est pas le dieu fantastique de Nietzsche et de son élève, Tartt, d’où vient leur idée du sombre dionysiaque ? Pour répondre à cette question, il faut d’abord se tourner vers le christianisme qui dès sa création en tant que religion officielle, a considéré le culte dionysiaque comme son principal rival. La nature messianique de Dionysos, telle qu’elle apparaît dans les Bacchantes, ainsi que de nombreux autres aspects du mythe de Dionysos, est si proche de l’histoire du Christ qu’ils suggèrent un syncrétisme. Le découpage chrétien a fini par réduire Dionysos au diable — avec ses cornes de bouc — et le dionysiaque au démoniaque. L’orgazein dionysien — la célébration sacrée de zoe par le chant et la danse — est devenu, dans le langage chrétien, l’orgie, une fête profane impliquant l’ivresse et la licence sexuelle. Ce trope — que James Hillman appelle le ménadisme noir — apparaît dans l’Europe médiévale tardive sous la forme du sabbat des sorcières : c’est précisément en ces termes que Penthée imagine le comportement des ménades dans les Bacchantes. Dans la pièce, cependant, rien n’indique que les femmes sauvages se contentent d’abandonner leurs tâches domestiques et de célébrer Dionysos par la musique et la danse. La frénésie charnelle invoquée par les personnages de Tartt dans Le Maître des illusions est plus proche du ménadisme noir que de sa contrepartie authentique, et son Dionysos est plus proche du diable chrétien.

Le deuxième aspect de l’histoire nietzschéenne de Dionysos en tant que Chaos est un cas d’erreur d’identité. « Les notions de Dionysos du XIXe siècle proviennent principalement d’érudits travaillant en… allemand », écrit Hillman, « Dionysos est confondu avec Wotan et la peur de Dionysos est confondue avec la crainte justifiée de cette ombre allemande primordiale, Wotan. La conscience dionysienne est déformée par la perspective wotanique » [11]. Constatant que Wotan représente les démons, les distractions païennes et la destruction de la culture, Hillman note également que Jung lui-même était conscient de la tendance à confondre Dionysos et Wotan. « Dans la biographie de Nietzsche », écrit Jung, « vous trouverez la preuve irréfutable que le dieu dont il parlait était en réalité Wotan, mais… il l’a appelé Dionysos » [12]. Ce n’est pas Dionysos, mais Wotan, le dieu-guerrier dominateur, agressif et tout à fait masculin, avec son aspect apollinien et exaltant pour l’ego — l’hybris — qui caractérise effectivement les grandes et terribles guerres et génocides du vingtième siècle.

Si Dionysos est apparu en personne dans la psyché athénienne — c’est-à-dire pour la première fois en tant que personnage principal dans un drame public — à une période aussi périlleuse de l’histoire athénienne, est-ce une coïncidence qu’il soit apparu à une époque parallèle de la nôtre ? Les historiens du théâtre, tels qu’Edith Hall, datent l’épiphanie de Dionysos à l’époque moderne à Dionysos im 69, une adaptation des Bacchantes mise en scène à New York en 1968, considérée comme la première représentation publique de la pièce d’Euripide en Amérique. Ironiquement, ou peut-être intentionnellement, c’est à ce même moment historique que le rival nietzschéen de Dionysos, Apollon, atteignait son apothéose moderne lors de l’alunissage d’Apollo 11 (juillet 1969) — pour certains, l’apogée de la civilisation industrielle, qui ne se reproduira jamais.

Si l’apogée d’une chose est le moment où son antithèse apparaît, il se peut que nous soyons au début d’une ère véritablement dionysiaque. S’appuyant sur les travaux de Kerenyi et d’autres, James Hillman a désigné Dionysos comme l’archétype d’un paradigme non dualiste rajeuni. La Weltanschauung (vision du monde) apollinienne, avec son démembrement de la totalité en objets séparés, sa mentalité guerrière, son culte du héros guerrier, sa misogynie et ses tentatives toujours plus drastiques de contrôler et d’exploiter la nature, a inévitablement conduit à la métacrise actuelle, c’est-à-dire au chaos mondial. « Ce que nous avons appelé conscience pendant toutes ces années », a écrit Hillman, « est en réalité le mode apollinien tel qu’il a été endurci par le héros en un ego fort et qui a prédéterminé le dionysiaque en termes de son propre parti pris » [13] — c’est-à-dire en tant que chaos.

Le Dionysos des Bacchantes ne vient pas pour rendre les gens fous — comme le voit Penthée — mais avec la révélation choquante que ceux qui rejettent la conscience dionysiaque non-dualiste sont plus fous que ceux qui l’acceptent. La frénésie des ménades, adeptes du dieu, n’est pas, comme le dit Tartt dans Le Maître des illusions, une folie meurtrière alimentée par les drogues et le sexe, mais l’extase de la libération de la folie d’une vie qui les a coupés de la nature, du divin et de leur propre esprit. « Les fidèles de… Dionysos cherchent à entrer en contact avec ces forces qui animent à la fois l’infrahumain et le suprahumain », écrit Alain Danielou dans son livre Gods of Love and Ecstasy (Shiva et Dionysos : La Religion de la Nature et de l’Éros, De la préhistoire à l’avenir), « et qui conduisent à refuser les politiques, les ambitions et les limites de la vie sociale ordinaire. Ce n’est pas seulement une reconnaissance de l’harmonie du monde, mais aussi une participation active à une expérience qui dépasse et bouleverse l’ordre de la vie matérielle » [14]. Le bouleversement de l’ordre de la vie matérielle, du point de vue apollinien, c’est le chaos. Du point de vue dionysiaque, en revanche, c’est l’éveil à zoe : à la connaissance qu’il existe en fait un ordre plus élevé et plus puissant que celui imposé par les tyrans.

Dionysos n’est pas un héros guerrier de type apollinien. Apparaissant même dans les Bacchantes comme un mâle efféminé, il est surtout un dieu des femmes. Bien que sa tâche principale soit de libérer le féminin, cela implique plus que l’émancipation du sexe féminin. Cela signifie la liberté pour ce que Hillman a appelé le féminin psychologique, y compris l’aspect féminin des hommes — l’anima — qui s’est trop longtemps recroquevillé sous l’ombre apollinienne. C’est certainement l’application des traits wotaniques-apolliniens d’agressivité et de soif de pouvoir — le masculin psychologique — qui a provoqué le chaos actuel. Susan Rowland, auteur de Remembering Dionysos, a suggéré que Dionysos pourrait être considéré comme une forme masculine de la Mère de la Terre. Bien que la déesse de la Terre soit considérée comme féminine en ce qu’elle est la mère de toutes choses, explique Susan Rowland, elle n’est en réalité pas divisée en deux catégories, mâle et femelle : elle est potentiellement les deux, mais effectivement aucun des deux. En tant que déesse, elle n’est pas la propriété exclusive des femmes : elle appartient à tous. De la même manière, Dionysos, bien que considéré comme masculin, contient une grande partie de la Terre-Mère dans son être, et possède une fluidité qui pourrait être interprétée comme combinant les deux genres [15]. C’est peut-être dans ce sens que les Grecs anciens considéraient Dionysos comme l’Indivisé — l’archétype du réseau de connexion, de zoe, à travers lequel la non-dualité essentielle de la conscience peut être exprimée [16].

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Texte original : https://www.essentiafoundation.org/non-dualism-in-ancient-greece-dionysus-as-infinite-eternal-conscious-life/reading/

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1 Tartt, Secret History, 40-41.

2 Grip, Control in Secret History, 2.

3 Hall, Dionysos since 69, p. 2

4 Fenyvesi, Biopolitics, p. 3.

5 Ibid.

6 Hillman, Myth of Analysis, p. 269.

7 Dorozewski & Karlowicz, Dionysos & Politics, p. 3.

8 Seaford, in Dorozewski & Karlowicz, Dionysos & Politics, p. 36.

9 Ibid.

10 Hillman, Myth, p. 278.

11 Ibid., p. 268.

12 Ibid., p. 267

13 Ibid., p. 290.

14 Danielou, Gods, p. 24.

16 Rowland, Remembering, p. 174.