Cette idée de la fin de l’histoire semble à certains une « nouveauté ». Elle est, en fait, aussi vieille que l’humanité — aussi vieille, du moins, qu’une partie de l’humanité. La conjoncture peut la rendre plus ou moins palpitante, mais elle ne la crée pas. La science n’a rien à voir non plus à l’affaire. La question de la fin du monde, comme celle de ses origines, n’est malheureusement pas de celles que la science nous permet de résoudre. Les théories actuelles — le big bang et les autres — relèvent de la spéculation philosophique plus que d’une véritable théorie de la connaissance ; elles sont d’ailleurs discutées et démenties dès l’instant qu’elles sont émises. En fait, l’idée d’une fin de l’histoire, liée à celle d’un début du monde, est le fruit d’une mentalité particulière ; d’une mentalité qui a besoin, pour accepter le monde, de le doter d’une finalité et d’une nécessité interne à lui-même : il faut que le monde ait un début et une fin, faute de quoi — pensée « insupportable » — il n’aurait pas de sens.
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Jean Chevalier : Millénarisme, messianisme, eschatologie
C’est en ces périodes de tension, de frénésie et d’incertitude que resurgissent avec plus d’insistance l’inquiétude eschatologique, les mouvements messianiques, la terreur et l’espoir millénaristes. On n’a jamais tant parlé de créativité. Après avoir tout détruit, valeurs, structures, langages, on veut tout recommencer, de la base au sommet, à partir du néant. L’orgie des bouleversements prélude à l’exaltation créatrice des commencements absolus. La régénération passe par la mort. L’« extermination » à laquelle on assiste présente le double aspect d’un achèvement, auquel on est le plus sensible, et d’un renouvellement, dont on n’aperçoit que d’obscures figures.
Mircea Eliade : La nostalgie du paradis et la naissance de l’Amérique
Nous voyons ainsi comment le millénarisme des pionniers aboutit peu à peu à l’idée de progrès. La première étape consista à effectuer un rapprochement entre le paradis et les ressources terrestres du Nouveau Monde. A l’étape suivante, la tension eschatologique fut réduite par l’omission de la période de décadence et de misère qui était supposée précéder les « Derniers jours », et c’est ainsi qu’on en arriva finalement à l’idée d’une amélioration progressive et constante.
Michèle Reboul : La conception chrétienne du temps
La notion de la fin du monde a son origine dans la perspective eschatologique du christianisme, d’un temps qui a commencé avec le monde et finira avec lui, d’un temps lié au dessein de Dieu sur l’homme et, partant, d’une évolution créatrice de l’histoire. Le temps n’a de sens que dans la mesure où il s’abolit lui-même en permettant à l’œuvre de la création de s’accomplir, il est le signe et l’épreuve de la liberté. Par suite, des philosophes qui n’admettent ni la création, ni la liberté, ni la transcendance de Dieu sur l’homme sont amenés à nier le temps, à séparer le temps de l’éternité, comme l’imaginaire du réel, alors que l’eschatologie chrétienne est fondée sur l’union paradoxale du temps et de l’éternité.