Carlo Suarès : La fin du grand mythe V

Les thèmes mythiques que nous décrivons, chacun peut les transposer à son usage. La seule et unique dualité fondamentale qui constitue l’homme mythique assume tous les aspects possibles, et est la base de tous les problèmes possibles. Il appartient à chacun de ramener sa propre difficulté intérieure à la difficulté originelle. Tant qu’il n’aura pas rencontré celle-ci dans sa nudité, tant qu’il ne l’aura pas définitivement abandonnée derrière lui, il appartiendra à l’Univers du Mythe, à l’Univers des sous-hommes.

Archaka : La fin du péché originel

Règne après règne, la Terre a ausculté le lieu de son être. Et peu à peu, comme une fleur s’ouvre jus­qu’en son cœur, la conscience s’est déclose et, d’étape en étape, a recréé le monde. Du néant de l’incons­cience initiale, la conscience a lentement émergé, s’exprimant à travers d’impuissants et sublimes ins­truments, cherchant de plus en plus par leur chenal à capter la vérité du monde. Et le fruit de ses couches a été la cendre et les roches aveugles, a été l’herbe et la forêt aux harpes végétales, a été la larve et l’insecte, le fauve et la bête innocente, mi­racles myriadaires. Mais aucune de ces formes n’a pu nommer le monde, ni encore moins en deviner l’au-delà. Perdue en un songe insondable, l’âme de la Terre a sans relâche aspiré à la consciente étreinte du ciel, à l’union avec le Soleil dont elle vient et dont ses flancs conservent la mémoire comme en un sanctuaire interdit : en son tréfonds, parmi le feu des magmas sans fin renouvelés, se forment imprévisiblement le visage et le corps des nouvelles créations, des cristaux arachnéens, des fleurs enchantées, des animaux magiques, mais dont la beauté est frappée de cécité ou de stupeur — et pendant des milliards d’années, la Terre a prié et enfanté, sans que lui naquit celui qui saurait voir.