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La pensée est fasciste

Question : Lorsque vous dites « je », quel concept avez-vous de vous-même ? À quoi ce « je » fait-il référence ? U. G. Krishnamurti : Pour moi, le « je » est un pronom personnel à la première personne Je l’ai découvert quand j’étais très jeune. À part cela, je ne pense pas qu’il existe une chose telle que le « je », ou le […]

Question : Lorsque vous dites « je », quel concept avez-vous de vous-même ? À quoi ce « je » fait-il référence ?

U. G. Krishnamurti : Pour moi, le « je » est un pronom personnel à la première personne Je l’ai découvert quand j’étais très jeune. À part cela, je ne pense pas qu’il existe une chose telle que le « je », ou le soi, ou tous les mots que nous utilisons pour cela.

Il n’y a aucun moyen de vous séparer de cet organisme vivant, si ce n’est par le biais des concepts ou des idées qui vous ont été inculquées. La seule façon de vous séparer de ce que vous appelez vous-même, le « je », le Soi ou l’Atman, est d’utiliser le savoir. Sinon, vous n’avez aucun moyen de vous séparer de ce que vous appelez « vous », « je ». J’utilise parfois « je », j’utilise parfois « mon » ; « ma » fille quand je la présente, ou « ma » sœur. Ma femme est morte depuis 35 ans, il n’est donc pas nécessaire que je dise que c’est « ma » femme. Mais en réalité, je n’ai aucune relation avec « ma » fille ou avec la personne que je présente comme « mon » ami. La seule façon dont je peux me séparer de moi-même et me regarder est d’utiliser la connaissance sur le Soi, le « Je », ou l’Atman ou peu importe. Ce savoir est introduit ici, dans l’ordinateur, dans la base de données ou la banque de mémoire par la culture ou la société. À part cela, je ne pense pas avoir la moindre idée de qui je suis, si je peux utiliser ce mot.

Il n’y a pas d’intérieur et d’extérieur. La seule façon dont je peux me séparer de vous, c’est par la connaissance que j’ai de vous. Je ne me dis jamais que vous portez un blue-jean. Je sais que c’est un blue-jean. Dès que je dis « c’est un blue-jean », la connaissance que j’ai du blue-jean n’est plus là. Je ne peux donc pas dire que je ne sais rien. Lorsque je dis « je sais que c’est bleu et que le ciel est lumineux », je me retrouve dans la même situation, à savoir que je ne sais pas vraiment ce que je regarde. Je ne me dis jamais « il fait clair dehors ». Jamais. Et si vous me posiez la question, je vous dirais : « il fait clair et ensoleillé et il fait très chaud ». Toute l’information qui est là, à l’intérieur, est mise en évidence par votre question. Je ne me dis jamais « il fait clair », ni « il fait sombre », mais je ne dis pas un seul instant « je ne sais pas ». Je sais.

Je ne peux donc pas me séparer de ce qui se passe à l’extérieur et de ce qui se passe à l’intérieur. S’il n’y a pas de séparation avec ce que vous regardez, vous ne pouvez pas vous dire ce qui se passe à l’extérieur ou à l’intérieur. Il n’y a pas d’intérieur et d’extérieur. L’œil physique ne voit pas cela comme « blanc » ni ne dit jamais « c’est sombre ». Les perceptions sensorielles ne traduisent rien de ce qui se passe à l’extérieur ou à l’intérieur de moi. Il n’y a donc aucun moyen de me séparer de ce que je regarde, à l’extérieur ou à l’intérieur de moi. Je peux dire que « ceci est moi », « ceci n’est pas moi », « je suis heureux », « je suis malheureux », « je suis gourmand », « je ne suis pas gourmand », « je suis jaloux », « je ne suis pas jaloux ». Cela n’a aucun sens pour moi.

Q : Donc, vous ne vous identifiez pas aux choses qui se passent dans votre vie quotidienne ?

U. G. : Non, je n’aime pas utiliser le mot identification. Je ne le traduis jamais dans le cadre des connaissances que j’ai. Le besoin n’apparaît que lorsqu’il y a une demande de l’extérieur. Il n’y a jamais d’initiative personnelle. C’est un automatisme. Pour une raison quelconque, l’espace entre la relation de cause à effet ne fonctionne pas tout le temps. Ainsi, lorsqu’il y a une demande, je peux dire que ceci est probablement la cause de cela et que ceci est le résultat de cette cause, mais en réalité il n’y a pas d’espace entre la cause et l’effet. Ainsi, l’instrument que nous utilisons, c’est-à-dire la pensée, ou même les pensées, naît de la relation de cause à effet et il est impossible de comprendre quoi que ce soit sans créer un espace entre la cause et l’effet.

Par exemple, la mort elle-même est un concept. Le corps ne sait pas qu’il est vivant en ce moment et vous n’êtes pas là pour présider à votre propre mort. Donc, à toutes fins pratiques, il n’y a aucun moyen de me dire que je vis, que je suis en vie. Si vous me posez la question : « Es-tu vivant ou es-tu mort ? », je répondrai certainement : « Je suis vivant ». Si je dis « je suis vivant », c’est en raison de ce que les physiologistes m’ont enseigné et de ce que les médecins nous ont dit. Je suis capable de parler et de réagir, ce qui leur permet de conclure que je suis un être vivant. C’est le savoir commun qui nous est transmis, mais il n’y a aucun moyen pour moi de faire l’expérience du fait que c’est un organisme vivant. C’est impossible. Ainsi, lorsque l’organisme est mort, toutes les connaissances que nous possédons doivent prendre fin.

Une seule chose nous intéresse : « Comment ? » Tout le monde pose la question « Comment ? » Le mot « Comment » devrait être éliminé de toutes les langues ! « Comment ? » signifie que vous voulez savoir. En sachant de plus en plus, vous maintenez la continuité de ce savoir. Vous ne voulez donc pas que cela prenne fin, voyez-vous. Nous savons beaucoup de choses, mais en même temps, nous posons sans cesse cette question : « Comment ? »

Q : Quand vous étiez jeune, saviez-vous ce que vous cherchiez ?

U. G. : Je cherchais en fait un homme comme moi, qui est ici maintenant. Si je dis « un homme comme moi », vous allez me demander : « Savez-vous ce que vous êtes ? » Quelque chose de vaguement semblable. J’ai donc dû rejeter tout le monde, voyez-vous. Non pas que je me sois dit que je cherchais un homme comme celui qui est assis ici, mais en fait, quand je me disais : « C’est celui que tu cherches », alors il disparaissait, complètement et totalement.

Un jour, je me suis dit : « Pourquoi diable ai-je gaspillé 49 ans de ma vie à vouloir être illuminée ? » Je me suis alors dit. « Maintenant, tu es un homme illuminé. Tu es dans le même état que tous ces maîtres spirituels : Bouddha, Jésus, tout le monde ». Cela m’a frappé de plein fouet. « Jusqu’à hier, tu te disais que tu voulais être un homme illuminé comme tous ces gens. Maintenant, tu te dis que tu es un homme illuminé, que tu es dans le même état que tous ces maîtres spirituels. » Cela m’a frappé de plein fouet. Je me suis dit : « Ce sont les maîtres qui disent que toi-même tu n’es pas illuminé à cause des connaissances qu’ils m’ont transmises sur le fonctionnement d’un homme illuminé. C’est donc ce même savoir qui me dit maintenant que je suis un homme éveillé. Il n’y a donc rien à cette expérience », me suis-je demandé, « Alors, comment diable sais-tu que tu es un homme éveillé ? » Et là, ça a commencé comme un tourbillon. Et c’est parti. « Comment sais-tu que tu es dans le même état que tous ces gens ? » Cela a duré quinze minutes, jusqu’à ce que cela s’arrête d’un coup, et ce qui m’est resté, c’est que je ne sais vraiment pas. Qu’est-ce qui me reste maintenant ? Ce n’est pas par modestie que je dis cela. Je ne peux pas me dire « qui es-tu ? Qu’est-ce que tu es ? Qu’est-ce qu’il y a ? »

Q : Pourriez-vous dire qu’il ne vous manquait plus rien, que vous n’aviez plus le sentiment de devoir trouver quelque chose ?

U. G. : Rien du tout, voyez-vous.

Q : Donc, c’était complet ?

U. G. : C’était terminé. Et puis la chose la plus étrange depuis ce moment-là, c’était que les sens prenaient le relais. C’est alors que j’ai découvert le véritable mode de fonctionnement des sens. Il n’y avait pas de transmetteur qui disait « c’est un soleil brillant » ou « c’est sombre » ou « c’est dur, c’est mou ». Je regardais la vache dans le champ et j’ai demandé à Valentine, qui était assise à côté de moi sur le banc : « Qu’est-ce que c’est ? » Elle m’a répondu : « Une vache ». Au bout de cinq minutes, comme un enfant, je lui ai demandé : « Qu’est-ce que c’est, Valentine ? » Elle était dégoûtée. « Combien de fois vais-je devoir te dire que c’est une vache ? Tu ne le sais pas ? » Vous voyez, au début, ça m’intriguait. Je ne savais même pas ce que c’était. Aujourd’hui, je suis dans la même situation et je ne sais jamais ce que je regarde. Si vous me posez la question : « Qu’est-ce que c’est ? », je dirai : « C’est une vache ».

Q : Mais lorsque les pensées venaient dans votre esprit, est-ce que tout…

U. G. : La différence, c’est que je ne peux pas tracer une ligne et me dire à moi-même et aux autres que c’était la façon dont je fonctionnais avant et que c’est la façon dont je fonctionne maintenant. Il n’y a aucun moyen de tracer une ligne. J’utilise toujours cette comparaison grossière : après le lavage, avant le lavage. Il n’y a aucun moyen de savoir comment je fonctionnais. Mais au fond, je vous dis qu’il n’y a aucun changement en moi, si ce n’est la demande, voyez-vous, que je voulais être quelque chose de différent de ce que je pensais être. C’est la seule chose qui manque. Une autre chose est qu’il n’y a aucun moyen de créer en moi une image de ce à quoi vous ressemblez. Si je me tourne vers le mur, en m’éloignant de vous, cette caméra (en pointant ses yeux) est focalisée sur ce mur et il n’y a aucun moyen de créer une image de ce à quoi vous ressemblez. Aucun moyen. Et si je me tourne à nouveau de ce côté et que je vous regarde, je n’ai pas besoin de traduire et de me dire que « c’est vous, et que vous portez un blue-jean ». Je ne me dis jamais tout cela parce que je n’en ai pas besoin maintenant.

Il n’y a donc aucun moyen de créer une image. Bien que je connaisse Paul depuis trente ans, je ne me souviens pas à quoi il ressemble, mais lorsqu’il est devant moi, l’ordinateur lance l’image et le reconnaît, mais il ne se dit jamais que c’est Paul. Ce n’est pas parce que je ne sais pas. La banque de données, la banque de mémoire n’est en aucune façon influencée par le traducteur ou par celui qui apporte la connaissance à savoir. En ce sens, je ne peux en aucun cas créer une image de quoi que ce soit, de ce à quoi cela ressemble. C’est impossible pour moi.

L’attention totale n’existe pas du tout. C’est tout simplement impossible. Par exemple, si vous regardez ce rideau qui bouge avec le vent. C’est la seule chose qui demande votre attention. Je ne me dis jamais ce que les yeux regardent et il est impossible de me séparer de ce qui est là. Je ne peux pas me séparer de ce que les yeux regardent, à moins que cela ne soit nécessaire. Et ce besoin n’apparaît que lorsque quelqu’un d’autre me demande quelque chose. Vous comprenez ? Mes actions ne sont donc jamais initiées par moi-même. Jamais. Donc, au moment où la pensée naît, l’action est terminée. La séparation ne se produit que lorsque la connaissance entre en jeu et me dit que « c’est un rideau blanc ». Vous voyez, sinon, où est la nécessité pour moi de me dire cela ? La raison pour laquelle nous agissons ainsi est très simple. C’est parce que nous devons maintenir la continuité du savoir. C’est la seule raison. Par exemple, vous dites « ceci est blanc et cela est bleu, vous êtes ceci et cela » et vous continuez encore et encore. Ce besoin est la seule chose qui existe ; ce n’est pas le « je », ni le soi, ni l’atman. Il n’y a rien d’autre que le besoin de maintenir la continuité de la connaissance que vous avez sur les choses de l’extérieur et des choses d’ici (se désignant lui-même).

La seule chose que je fais aujourd’hui est donc de parler du fonctionnement de ces sens. Ce corps est né avec une intelligence extraordinaire, une intelligence sans égale. Et il n’y a aucun moyen de l’égaler avec n’importe quelle quantité de connaissances que vous possédez. C’est impossible. Donc, tout ce que vous pensez être bon pour ce corps, toutes les idées que vous lui imposez, il les rejette. C’est pourquoi il n’a pas besoin de savoir quoi que ce soit, il n’a pas besoin de rien avoir de plus. Cela s’applique à tous les domaines de notre existence. C’est pourquoi je rejette toute la technologie médicale. Je n’ai jamais consulté de médecin, je ne mange rien de ce que l’on me recommande et je dis catégoriquement que les médecins d’aujourd’hui sont les sorciers d’aujourd’hui, et que la technologie médicale moderne est la sorcellerie d’aujourd’hui, en ce qui me concerne. Je ne mange pas ce qu’ils pensent être bon pour le corps. Je mange ces flocons d’avoine (en montrant la table). C’est le dernier que j’ai trouvé, il s’appelle « Super Fast ». On ne le trouve qu’à Londres. J’ai un bol, un petit bol et je verse de la double crème, de la triple crème, de la quadruple crème et j’ajoute un tout petit peu de jus d’ananas congelé, que je ne trouve nulle part ailleurs qu’en Chine. C’est pour cela que je vais en Chine. Il y a des supermarchés internationaux. Sinon, je ne prends pas de jus de fruits, je ne mange pas de légumes. Rien. Vous voyez, ce corps a besoin d’énergie, d’unités thermiques de base. Vous voyez, c’est comme ça que je dirais (rires). Et ce bol de porridge aux flocons d’avoine avec beaucoup de crème fournit l’énergie dont le corps a besoin. Je ne me promène pas et je n’ai pas besoin de faire de l’exercice. J’ai survécu quatre-vingts ans. Rien de ce que nous considérons comme bon pour le corps ne l’est en réalité.

J’insiste donc constamment sur la façon dont le corps, libéré de l’emprise étranglée de la culture, fonctionne. C’est tout ce que je décris. Et il n’y a aucun moyen de contrôler le fonctionnement de ce corps. Vous ne pouvez rien faire, voyez-vous. Le corps n’a pas besoin de tout ce que nous lui donnons à manger. C’est un mouvement de plaisir. Nous mangeons pour notre plaisir. C’est un fait.

Q : La réalité existe-t-elle ?

U. G. : Non. Même si les scientifiques essaient d’affirmer qu’ils connaissent mieux la réalité que tous les maîtres spirituels et les métaphysiciens réunis. Il n’y a aucun moyen de faire l’expérience de la Réalité de quoi que ce soit. Et je maintiens et affirme avec toute l’insistance dont je dispose que ce que vous ne connaissez pas, vous ne pouvez pas en faire l’expérience. Ce que vous ne connaissez pas est un concept, voyez-vous.

Q : Certains utilisent le terme de « pure subjectivité » pour décrire la Réalité.

U. G. : Les philosophes ont parlé de « pure perception ». Il ne peut y avoir de perception, et encore moins de perception pure, sans celui qui perçoit. Ce sont tous les jeux que nous jouons avec nous-mêmes et avec les autres. Il ne peut y avoir de perception sans celui qui perçoit. Et pourquoi parler de perception pure, je ne comprends pas ? C’est ainsi que les Indiens ont abordé ce problème. Un disciple dit aux autres que « mon gourou est dans l’état de Turiya, l’état le plus élevé ». Et selon moi, l’état Turiya est la maladie d’Alzheimer. Vous voyez, ils n’ont pas de problèmes, ils ne reconnaissent rien, ils ne vivent rien. Valentine avait cela, elle touchait tout pour établir une relation avec les choses qui l’entouraient. Le toucher est l’activité sensorielle la plus importante. Les enfants commencent par cela, puis les quatre autres sens suivent.

C’est pourquoi les personnes qui pensent tout le temps sont pratiquement aveugles, en ce sens qu’elles n’ont jamais rien regardé de leur vie. Par exemple, ce type ne l’a jamais regardée, ou elle ne l’a jamais regardé (désignant un couple dans la pièce), parce que la seule façon dont il la regarde, ou dont elle le regarde, c’est grâce à la connaissance qu’elle a de lui, et vous projetez cette connaissance sur cette personne, mais en réalité, l’œil physique ne peut pas regarder quoi que ce soit. Il faut avoir des connaissances à ce sujet. Nous projetons ces connaissances sur ce que nous regardons. De la même manière, la réalité dont ils parlent est quelque chose dont on ne peut faire l’expérience ou que l’on ne peut connaître que si l’on utilise la connaissance que l’on a de la réalité des choses, qu’il s’agisse d’un scientifique ou d’un religieux qui parle de la réalité, ou d’une pure perception. Il ne peut y avoir de perception avant tout, et encore moins de perception pure. Il ne s’agit donc que de théories, voyez-vous.

Il y a des gens qui parlent de Dieu. Toutes les théologies dont nous sommes accablés : les preuves ontologiques, téléologiques et cosmologiques de l’existence de Dieu. Oh, mon Dieu, pourquoi nous cassons-nous la tête avec toutes ces connaissances ? Parce que j’ai plus de connaissances que vous et que je me sens donc supérieur. J’ai une supériorité verbale. Shakespeare n’avait que quatre mille mots en mémoire (rire). Et maintenant, combien de millions avons-nous ?

Q : Qu’est-ce que l’éveil exactement ?

U. G. : Il n’y a pas de chose telle que l’éveil, car je ne peux jamais me dire « je suis éveillé ».

Q : Alors, que vous est-il arrivé à l’âge de 49 ans ?

U. G. : Il n’y a pas de différence entre les états de veille, de rêve et de sommeil. Il n’y a pas de différence. Je ne me dis à aucun moment que je suis éveillé, parce que je ne me dis pas qu’il fait jour ou qu’il fait nuit dehors. Si vous me demandez : « Êtes-vous éveillé ? », j’utilise alors la connaissance qui m’est donnée du fonctionnement d’un homme éveillé. Et je ne rêve pas du tout. Je n’ai pas besoin de rêver. Je ne dors pas non plus pendant huit heures. Je suis comme un chat, je fais des siestes. Je m’endors à dix heures et je me réveille dix minutes plus tard. Je me réveille dix minutes plus tard, puis je me recouche probablement à onze heures. Je ne peux donc pas dire « je dors, je suis éveillé ou je rêve ». Il n’y a pas de rêves. Si vous ne pouvez pas créer d’image lorsque vous êtes réveillé, il est impossible que vous puissiez créer des images lorsque vous dormez. Il n’y a donc aucun moyen. Quelqu’un d’autre peut dire que je dors ou même que je ronfle, mais je ne peux pas le dire de moi-même.

Vous ne pouvez pas vous raconter quand vous dormez. Ce n’est qu’au réveil que vous faites le lien entre l’état dit de veille et l’état qui existait avant, lorsque vous avez dormi, et que vous dites que vous vous sentez bien, c’est parce que vous avez bien dormi. Vous attribuez cela au fait d’avoir bien dormi. Vous n’avez pas bien dormi, vous avez eu une nuit agitée, comme vous me l’avez raconté la nuit dernière. Vous n’avez pas bien dormi. Par rapport à l’état dans lequel vous pensez être au moment présent, sinon vous ne pouvez rien vous dire sur votre sommeil, si vous étiez endormi, ou dans un sommeil profond, ou dans un sommeil agité, ou si vous rêviez. Pour moi, ce problème ne se pose donc pas, car je ne sais pas si je suis éveillé. Immédiatement, les sens fonctionnent à leur capacité maximale en permanence, et ils ralentissent, très lentement, parce qu’ils doivent se renouveler en permanence. Ainsi, vos yeux peuvent être ouverts, mais vous ne voyez rien pendant une fraction de seconde. Vous ne voyez rien, vous n’entendez rien. Il doit donc ralentir, et une fois qu’il s’arrête (il claque des doigts), si vous regardez les choses, il vous est impossible de les voir parce que vous ne regardez rien. Si vous dites « c’est lumineux », vous ne le regardez pas. Vous projetez la connaissance que vous avez et vous me dites « c’est lumineux et ensoleillé ». Sinon, l’œil physique ne traduit jamais cela par « soleil brillant » ou « sombre ». Si vous me le demandez, je dirai « ça l’est ». S’il fait trop clair, vous pouvez fermer les yeux et vous tourner vers un autre côté. Vous n’êtes pas cela. Automatiquement, il a une énorme intelligence pour se protéger. Il sait comment se protéger et comment survivre. Vous n’avez donc aucun rôle à jouer dans le fonctionnement de ce corps. Et puis, vous voyez, l’intelligence qui est là prend le relais et s’occupe d’elle-même.

Vous savez, il y a quelque chose de très étrange à ce sujet. La seule chose qui s’est produite, si je peux dire que cela s’est produit (je ne sais même pas si quelque chose s’est produit), c’est que vous ne traduisez rien du tout, jamais. Le traducteur est absent, totalement absent. Et avec le traducteur, la sélectivité a également disparu. Et vous ne divisez plus les choses : le bien et le mal, le bon et le mauvais. Ce n’est pas que je sois au-dessus ou au-dessous. Vous n’êtes plus préoccupés par le bien et le mal, le bon et le mauvais. Par exemple, si pour une raison quelconque vous estimez que mon action est antisociale, quelle que soit la punition que vous me donnez, je l’accepte, sans poser la moindre question. Je n’ai aucun droit. Comme je n’ai pas de droits, je n’ai pas non plus de devoirs. La censure n’existe donc pas non plus.

Une chose que je dois vous dire, c’est que vous ne serez jamais libre de votre conditionnement. Jamais. Peu importe ce qu’on dit, l’esprit non conditionné n’existe pas. Il n’y a pas de chose telle que l’expérience d’un esprit non conditionné. Pourquoi en parlent-ils ? Voyez-vous, quand je vais au supermarché, la chose que je préfère, c’est le « yaourt à la crème de café ». Je ne le trouve qu’en Suisse. Et une fois que je commence à manger, il n’y a plus de contrôle. Valentine, par exemple, me cachait un kilo d’amandes, comme une enfant. J’ai commencé à en manger quand il y en avait deux kilos. Elle m’a dit : « Qu’est-ce qui se passe ? » « Il n’y a pas de contrôle ». (Rires) Je ne plaisante pas, je n’ai aucun contrôle. Je ne peux pas m’empêcher d’en manger, et une fois qu’elles sont retirées, je ne me souviens plus du goût des amandes. Il n’existe donc pas d’esprit inconditionné. L’esprit lui-même est conditionnement. Le mental lui-même est un reconditionneur et il se conditionne lui-même d’une manière différente pour survivre, vous voyez.

Q : Vous dites que vous n’avez pas d’images dans votre esprit.

U. G. : Non.

Q : Maintenant, avez-vous des pensées ou des concepts ?

U. G. : Non.

Q : Autrement dit, pensez-vous à ce que vous allez faire le mois prochain : acheter un billet d’avion, obtenir un visa ?

U. G. : Seulement pour des raisons pratiques. Si je n’ai pas de place dans l’avion, je dois dire à quelqu’un que j’arriverai à une autre date, mais je ne suis jamais déçu.

Q. : Donc, quand vous n’avez pas ces projets en tête pour des raisons pratiques, vous n’avez rien dans la tête ?

U. G. : Non, rien. Ma façon de fonctionner est que je suis toujours occupé par ce qui se passe à ce moment-là et qu’il n’y a pas de place pour une quelconque préoccupation. Vous vous préoccupez de ce qui ne se passe pas. Vous voyez, cela semble être la seule différence, s’il y en a une. Les gens s’imaginent que je vis dans un vide où il ne se passe rien. Comment quelqu’un pourrait-il être dans cet état ? Mais c’est rempli par tout ce qui se passe en ce moment. Il est donc impossible d’y ajouter quoi que ce soit ou de s’en éloigner. Je suis donc totalement occupé par ce qui se passe et je peux m’asseoir devant l’hôtel, sortir et rester là pendant vingt-quatre heures à regarder comment les gens marchent. Vous serez surpris de constater qu’il n’y a pas deux personnes qui marchent exactement de la même manière. C’est quelque chose d’extraordinaire, tous marchent différemment. Il n’y a pas deux visages identiques. Lorsque j’étais étudiant en botanique, j’ai étudié les feuilles au microscope. Il n’y a pas deux feuilles identiques. Donc, si vous dites que même les jumeaux se ressemblent, leurs mouvements, la façon dont ils marchent, c’est quelque chose d’extraordinaire. Essayez la prochaine fois, vous verrez qu’il n’y a pas deux personnes dans la rue qui marchent exactement de la même manière. Les mouvements sont différents, tout est différent. C’est ce qui m’occupe, voyez-vous. Mon attention est totalement occupée, elle est tellement remplie par ce qui se passe. N’imaginez donc pas que cette personne vit dans un état sans pensée. Je connais beaucoup de gens qui viennent me dire : « J’ai fait cette expérience dans mon état sans pensée ». Comment diable savez-vous que vous êtes dans un état sans pensée ? La pensée était bien présente.

Q : Cela revient-il à dire que nous vivons en fonction de la connaissance que nous avons des choses ?

U. G. : Nous sommes la connaissance

Q : Mais vous ne vivez pas en fonction de la connaissance que vous avez des choses ?

U. G. : Non, il n’y a pas de continuité de la connaissance, parce qu’il n’y a pas besoin de continuité de la connaissance. C’est tout ce qu’il y a. C’est simple, c’est la conscience. Je deviens conscient du fait que vous êtes un homme, et non une femme, uniquement lorsque j’utilise la connaissance que j’ai, sinon qu’elle est la conscience dont ils parlent ? Rien. Aujourd’hui, même les scientifiques parlent de conscience. L’une des choses les plus indésirables qui se produisent dans le domaine de la science, c’est qu’ils sont arrivés au bout du rouleau. Ils doivent trouver les réponses à ces problèmes dans ce cadre-là. Ils ne peuvent pas se tourner vers le Vedanta ni vers la religion, sinon cela détruirait tout, complètement, voyez-vous. C’est pourquoi je dis que la pensée scientifique est une aberration au même titre que la pensée religieuse de l’homme. Et nous admirons la science pour ce qu’elle nous a apporté, la haute technologie, etc. La pensée est donc fasciste dans sa naissance, dans son contenu et dans son expression. Elle ne s’intéresse qu’à sa propre survie. C’est tout ce qu’il y a.