L’anthropologue Brian Ferguson explique que cette photo « a été prise au sommet d’un fort normand (Motte et Bailey) à l’endroit même où mes ancêtres ont été chassés de Tipperary par la faim en 1847. Un légendaire fort de fées. 18 mètres de boue, que j’ai escaladés à quatre pattes, et que j’ai redescendus en glissant sur mes fesses. Mais je l’ai fait ».
HOBOKEN, LE 1er MARS 2025. L’idée que la guerre est innée, qu’elle fait partie de la nature humaine, qu’elle est inscrite dans nos gènes, est profondément ancrée dans notre culture et a été défendue par des scientifiques comme Edward O. Wilson, Jared Diamond, Steven Pinker et Richard Wrangham. Pendant des décennies, l’anthropologue Brian Ferguson a méticuleusement démonté l’affirmation selon laquelle la guerre est innée, en montrant qu’elle repose sur des bases scientifiques peu solides. Dans son nouveau livre intitulé Chimpanzees, War, and History : Are Men Born to Kill, Ferguson démonte les liens évolutifs prétendus entre la violence des chimpanzés et celle des humains. Le neurobiologiste Robert Sapolsky déclare : « Dans ce livre superbe et important [Ferguson] démolit […] la prétendue inévitabilité de la protoguerre des chimpanzés et notre lien avec un prétendu passé semblable à celui des chimpanzés ». Ferguson a été une source cruciale pour mes propres écrits sur la guerre, y compris mon livre de 2012 The End of War (La fin de la guerre). Je lui pose quelques questions ci-dessous. — John Horgan
Horgan : Pourquoi êtes-vous devenu anthropologue ? Et pourquoi s’intéresser à la guerre ?
Ferguson : Au Columbia College, j’ai choisi l’anthropologie comme matière principale après avoir rejeté toutes les autres, même si je n’y connaissais pas grand-chose. Grâce à mes cours d’introduction avec Morton Fried, j’ai compris qu’il s’agissait d’un effort pour répondre aux plus grandes questions sur l’humanité. J’ai donc poursuivi mes études à la Columbia Graduate School. Lorsque j’ai appris qu’il n’était pas nécessaire de se concentrer sur une zone géographique, mais que l’on pouvait choisir un sujet, j’en ai choisi deux : la pauvreté et la guerre. J’ai travaillé sur la pauvreté et la classe sociale dans le cadre de mon travail de terrain à Porto Rico (2011a-dates renvoient aux publications disponibles sur rbrianferguson.com). Diplôme en poche, j’ai appris que personne ne voulait d’un cours ou d’un livre de ce type. Je m’étais déjà intéressé à la guerre, par le biais de mon activisme antiguerre, et mes camarades de classe avaient publié un volume collectif (1984a). La guerre était alors un tout petit domaine de l’anthropologie, j’ai donc pu lire presque tout, et j’ai pu suivre plus ou moins le rythme à mesure que l’intérêt se développait.
Horgan : Vous considérez-vous à la fois comme un activiste et comme un universitaire ?
Ferguson : J’avais 17 ans en 1968 et, après quelques années tumultueuses, je me suis engagé dans une voie plus stable. J’ai choisi de faire des recherches sur des sujets d’importance sociale, mais ensuite les preuves prennent le dessus. Je crois en la science et je pense que la vérité nous libérera. J’essaie de ne pas exprimer d’opinions politiques dans mes écrits et mes cours, mais j’espère que mes conclusions bouleversent certains fondements politiques répandus. Si quelqu’un veut en débattre, il doit se préparer avec une théorie solide et des preuves claires.
Horgan : Êtes-vous pacifiste ? Pourquoi ou pourquoi pas ?
Ferguson : Non, je n’y ai jamais réfléchi. Je pense que certaines choses doivent être défendues, à commencer par la résistance face à la conquête. Mais l’évaluation des justifications de la guerre devient très compliquée dans la pratique, et je me débats parfois avec des opinions contradictoires, sans que cela n’intéresse personne (heureusement). Pourtant, la guerre elle-même est l’ennemie de l’humanité. Les massacres et les destructions ne devraient jamais être relégués au second plan.
Horgan : Pourquoi la recherche sur les racines de la guerre est-elle importante ?
Ferguson : L’est-elle ? Je l’espère. La plupart de mes travaux ne portent pas sur les origines de la guerre, mais sur les spécificités complexes de Pourquoi la guerre ? En général et en particulier, de manière holistique (en tenant compte de tout ce qui est impliqué) et interculturelle (applicable partout) (2023 ; 2008a ; 1999). Mais les liens socioculturels importants qui expliquent la guerre sont peu entendus face à toutes les théories innéistes [1] qui circulent.
Vous avez sans doute entendu dire que « la guerre, c’est la nature humaine ». Et c’est vrai, en ce sens que les gens peuvent faire la guerre et la font souvent. Mais sommes-nous « naturellement » portés vers elle, la préférons-nous à d’autres voies ? Cette tendance innée explique-t-elle pourquoi la guerre est si fréquente ? Non. Mais comment dégonfler cette notion nébuleuse ? Comment montrer qu’elle est fausse d’un point de vue scientifique ?
Au fil des décennies, ma stratégie a consisté à évaluer minutieusement les trois piliers de soutien, qui sont régulièrement cités comme fournissant la preuve que la guerre est innée chez l’homme, par le biais de notre lutte darwinienne pour la survie.
L’un des piliers est la guerre prétendument incessante observée parmi les peuples tribaux. Selon la perspective néo-darwinienne, ces guerres ne portent pas sur les ressources, les objets de valeur ou le pouvoir, mais sont l’expression d’une lutte pour le succès reproductif et les gènes. Les Yanomami en sont l’exemple type. Mais si l’on examine en détail le contexte de tous les combats, toutes les revendications en matière de reproduction s’évaporent. Il apparaît que leurs combats répondent à des développements matériels historiques associés au contact avec l’Occident (2015). Cette perspective fonctionne dans toutes les situations coloniales. (1992b)
Projeter la perspective innéiste sur nos ancêtres se traduit par l’affirmation selon laquelle les archives archéologiques font état de meurtres en groupe. Il y a 20 ans, des chercheurs et des experts ont affirmé que plus de 15 % de nos ancêtres collectifs étaient morts de manière violente (2013e). Il s’agit là d’une affirmation essentielle : elle sert de preuve que la nature humaine parvient à ses fins, mais aussi, et c’est essentiel, l’identification de la guerre comme mécanisme de sélection évolutive pour d’autres traits de genre. Pour vérifier cela, j’ai passé au peigne fin les premiers documents archéologiques mondiaux, montrant que la violence collective était plutôt tardive, augmentant généralement après des conditions préalables de densité, de sédentarité, de hiérarchie, de complexité, de commerce d’élite et, plus tard, d’ingérence des États extérieurs (2018 ; 2013d). Ce n’est pas notre condition naturelle (bien que dans certains endroits, elle ait commencé avant l’agriculture ou les États).
Horgan : Pourquoi avez-vous écrit Chimpanzees, War, and History (Chimpanzés, guerre et histoire) ?
Ferguson : Le troisième pilier de nos tendances meurtrières repose sur les études des chimpanzés. (La psychologie évolutionniste constituait autrefois un quatrième pilier, mais elle semble s’effacer d’elle-même. 2012a).
Depuis les années 1980, il est admis en primatologie que les chimpanzés mâles adultes recherchent les occasions de tuer les mâles des autres groupes, théoriquement leurs concurrents reproductifs. Cette tendance comportementale guerrière est censée éclairer la guerre humaine en suggérant un héritage évolutif commun. Chimpanzees, War, and History examine tous les cas de violence mortelle rapportés, montrant que les meurtres entre groupes sont rares par rapport aux années d’observation, et que les meurtres séquentiels de type guerrier n’ont eu lieu que deux fois sur près de 500 ans d’observations sur le terrain. Les attaques mortelles sont presque autant dirigées contre des alliés reproducteurs potentiels que contre des adversaires théoriques. Plutôt qu’une tendance évolutive, une approche historique et contextuelle démontre que la violence intense répond à des formes spécifiques de perturbation humaine, notamment le ravitaillement, la perte d’habitat, les maladies humaines et les meurtres délibérés, les effondrements de population, la libération des prisonniers, les expériences de diffusion sonore et le changement climatique. La guerre n’est pas non plus inscrite dans les gènes des chimpanzés.
L’impact humain n’explique pas tout. Le sexe, le statut et le pouvoir jouent également un rôle important. Je propose une catégorie de « meurtres de démonstration » par les mâles adultes — souvent des nourrissons au sein du même groupe, contredisant ainsi les intérêts reproductifs. Cela se produit dans le cadre d’une combinaison d’une hiérarchie de statut perturbée — parfois, mais pas nécessairement liée à une perturbation humaine — et d’individus particulièrement belliqueux. De manière plus générale, le sexe, le statut et le pouvoir sont des dimensions fondamentales du contraste comportemental bien connu entre les chimpanzés (les « Martiens ») et les bonobos (les « Vénusiens »). Les chimpanzés tuent leurs congénères, les bonobos ne le font pas.
Chimpanzees, War, and History (CWH) consacre trois chapitres aux bonobos, synthétisant toutes les observations pertinentes dans la nature et en captivité, démontrant les différences de comportement, les similitudes, les chevauchements et les variations au sein des espèces et entre elles, ainsi que les théories existantes à ce sujet. Conformément à certaines théories actuelles, je modélise leurs organisations sociales comparatives et évoluées. Des organisations sociales différentes favorisent ou limitent les liens et la violence entre les mâles et entre les sexes. CWH va plus loin, en combinant cette perspective avec les nouvelles connaissances de la théorie de l’évolution biologique, qui laissent derrière elles les approches des années 1970 fondées sur les gènes égoïstes.
La sélection basée sur la plasticité, la biologie évolutive du développement, l’épigénétique, la sélection de niches et l’héritage social sont réunis dans la Théorie de l’Évolution Élargie. Chacun de ces concepts est décrit, puis appliqué spécifiquement aux chimpanzés et aux bonobos. Il en ressort qu’aucune différence évoluée dans les prédispositions à la violence n’est nécessaire pour expliquer les différences comportementales ou neurobiologiques observées entre les bonobos et les chimpanzés.
Enfin, j’ai écrit CWH pour présenter dans son intégralité ma propre théorie anthropologique de la guerre, depuis la raison d’être de la guerre jusqu’aux guerres spécifiques — partout, à toutes les époques — en passant par la structuration culturelle de la pratique de la guerre. Mais cette fois-ci, la présentation théorique est éclairée par le contraste avec les chimpanzés et les bonobos, montrant que ce qu’ils font — sans les dimensions complètes de la culture humaine — ne peut être qualifié de « guerre ».
Horgan : D’après les enquêtes que je mène depuis des décennies, la plupart des gens pensent que la guerre ne finira jamais, qu’elle fait partie intégrante de la condition humaine. Ce pessimisme est-il justifié ? Verrons-nous un jour un monde sans guerre, ou même sans menace de guerre entre les nations ?
Ferguson : Pour ce qui est de prédire l’avenir de la guerre et de la paix, j’ai essayé de le faire pendant la guerre froide (1988b ; 1989d) avec des résultats mitigés. Mais je suis aujourd’hui convaincu que nous ne sommes pas condamnés à la guerre en raison de notre nature, et que nous pouvons lutter contre cette illusion trompeuse. Les êtres humains construisent leurs mondes et peuvent les construire différemment. Aujourd’hui, qui pourrait faire une prédiction sur la guerre dans dix ans, et encore moins dans cent ou mille ans ? Une paix générale est possible, un jour ou l’autre.
Horgan : Quelles sont les principales causes de la guerre ?
Ferguson : En fonction de vos questions et de votre cadre de référence, la guerre a de nombreuses causes. Pour résumer une conclusion essentielle, mon travail met en évidence le rôle des dirigeants. La guerre, ou même la menace de guerre, renforce souvent le pouvoir d’un dirigeant fort. L’exagération des menaces extérieures accroît la solidarité interne et le pouvoir, bien que la création d’une menace interne fonctionne également (2003). Les intérêts politiques personnels des dirigeants ne sont jamais énoncés, mais sont évidents dans toutes les guerres actuelles. Mais lorsqu’on aborde les grandes questions du « pourquoi de la guerre », ces intérêts sont laissés de côté. Ce sont des causes fondamentales, apparentes même dans la guerre la plus « simple » (voir mon ouvrage Yanomami Warfare : A Political History).
Horgan : Comment pouvons-nous rendre le monde moins belliqueux ?
Ferguson : à long terme, en clarifiant les causes réelles de la guerre, en général et en particulier. En une phrase, la guerre résulte de la configuration sociale, culturelle et historique d’une société, sur laquelle jouent les dirigeants qui cherchent à tirer profit de la guerre. C’est là qu’il faut chercher, pas dans les gènes. Et comme le fait mon collègue Doug Fry, mettez en évidence le rôle prépondérant de la coopération dans notre héritage évolutif. Essayez de diffuser une vision alternative des possibilités les plus prometteuses, en réfutant l’idée que la guerre est inévitable.
Horgan : Trump a dit dans son discours de victoire : « Je vais arrêter les guerres. » Pourrait-il être un président antiguerre ?
Ferguson : Je me réjouis de son aversion pour la contre-insurrection mondiale qui a séduit certains prédécesseurs (2011e, 2013c), même si sa proposition de nettoyage ethnique à Gaza serait tout aussi interminable. Il est toujours plus facile d’entrer en guerre que de sortir. Conformément aux attentes de ma théorie, Trump cherchera des occasions de recourir à l’action militaire, de rallier sa base en faisant étalage de nos prouesses en matière de guerre. Les menaces extérieures servent de couverture pour accroître le pouvoir interne, réprimer les opposants et restreindre les médias ou l’éducation. Menacer d’utiliser des armes nucléaires tactiques pourrait en faire partie.
Mais il y a une possibilité qui est plus prometteuse. L’analyste en armement William Hartung souligne que lors d’une conférence de presse à Davos, « Trump a déclaré ce qui suit en réponse à une question sur les relations des États-Unis avec la Chine : “Des sommes énormes sont dépensées pour le nucléaire, et la capacité de destruction est quelque chose dont nous ne voulons même pas parler aujourd’hui, parce que vous ne voulez pas l’entendre”. Trump a ensuite ajouté : “Je veux voir si nous pouvons dénucléariser et je pense que c’est très possible”, suggérant qu’il y ait des pourparlers sur la question entre les États-Unis, la Russie et la Chine » (https://responsiblestatecraft.org/trump-nuclear/).
Bien sûr, il y a de nombreuses raisons de ne pas prendre cela au sérieux. Mais Trump est pragmatique. Il conservera les armes nucléaires tactiques, mais que lui apporte l’infrastructure mondiale de la guerre nucléaire stratégique ? Tous ces vecteurs, bases, laboratoires, personnel, coûts d’entretien développés depuis les années 1950 provenaient d’un système international très différent de celui d’aujourd’hui, et pourtant il semble aujourd’hui figé pour toujours. Trump pourrait peut-être sortir le monde de cette infrastructure énorme et pernicieuse. Qu’est-ce que cela lui coûterait ? Rien d’évident. Que pourrait-il espérer gagner ? Le prix Nobel de la paix.
Horgan : Quelle est votre utopie ?
Ferguson : Aucune idée, mais je déménagerais probablement.
Pour en savoir plus : Pour des liens vers les articles et les livres de Ferguson, voir son site web.
Texte original : https://johnhorgan.org/cross-check/anthropologist-demolishes-claim-that-war-is-in-our-genes
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1 L’innéisme est une doctrine philosophique selon laquelle certaines idées ou structures mentales sont innées, c’est-à-dire présentes dans l’esprit humain sans être le résultat d’un apprentissage