Aimé Michel : Le crépuscule du matin

On souffre toujours, on meurt toujours seul. Tout se partage, sauf la douleur. L’être le plus tendre et le plus aimé ne peut, quand vous souffrez, que se pencher sur vous et se tordre les mains. Tout son amour ne vous soulage de rien. Et parce que c’est là un état de violence contraire à notre condition et la douleur un désordre, tout patient est à la fois un peu moins et un peu plus qu’un homme, un peu moins par la privation qu’il endure, un peu plus par tout ce qu’il découvre en lui-même d’inconnu en se débattant. L’homme bien portant est un prisonnier paresseux qui rêve sur sa paillasse, ignorant qu’il est en prison. Mais que la prison prenne feu et le paresseux va pour la première fois frapper de son front et palper de ses mains le mur enfin découvert, à la recherche d’une issue.

Aimé Michel : Les sectes : Les religions parallèles

Le « retournement » psychique du chien de Pavlov s’obtient par des moyens qui n’honorent guère la sensibilité de l’expérimentateur : jeûne, sévices divers, stimuli contradictoires et incompréhensibles affolant l’intelligence et l’instinct de l’animal. Ce sont des moyens à la mesure du chien. Les épreuves des soldats observés par Sargant étaient en partie à la mesure du chien qui est en l’homme, et en partie à la mesure de l’homme. Les « retournements » observés se situaient au niveau des épreuves endurées. Dans le cas d’épreuves uniquement physiques, le soldat subissait des névroses plus ou moins « animales ». Les épreuves morales entraînaient des désordres plus typiquement humains, plus profonds, ou, si l’on préfère, d’un niveau plus élevé. Ainsi il semble que la « conversion » se situe au niveau où on la provoque et où l’être qui la subit est capable de la vivre.

Aimé Michel : Raymond Ruyer: restons sceptiques!

Les antiparadoxes les plus féconds encadrent notre avenir d’espèces. Ils fondent la seule eschatologie possible, qui est scientifique, car Ruyer récuse toutes les ratiocinations idéologiques : il n’accepte que les vérités modestes et limitées de la science. Exemple d’antiparadoxe eschatologique : qui ne se reproduit pas disparaît de l’avenir. Evidemment ! Eh oui, évidemment, mais qu’en pensent les déviants de toutes sortes ? Les prédicants du célibat, du couple stérile ou homosexuel, de l’enfant unique, de la dissolution familiale ? Plus ils ont raison et plus ils seront prompts à disparaître puisqu’ils s’effacent eux-mêmes de ce monde avec un entrain fanatique

Aimé Michel : Je suis d'accord avec Pauwels sur l'essentiel, je m'explique sur le reste

Toute lueur nouvelle aveugle. Il faut, pour la faire voir, écrire clair, beaucoup réfléchir, prendre sur soi la peine que l’on veut épargner : « Je n’ai pas la plume facile. Cela me vient de l’adolescence, où j’ai sacralisé l’écriture. » L’adolescence : « J’écrivais la nuit, sur la table de la salle à manger, pendant que mon père cousait et que ma mère et ma femme dormaient… Je découvrais quelque chose d’essentiel : la litote, l’écriture dépouillée est toujours un degré au-dessous de l’émotion. »

Aimé Michel : Le volcan qui bouge

qu’est-ce que la raison ? Est-elle l’instrument intellectuel provisoire et limité du mammifère, provisoire et limité lui aussi, actuellement dominant sur la Terre ? Ou bien est-elle l’instrument intellectuel ultime, indépassable et suffisant, capable de s’identifier aux lois qui gouvernent les choses ?

Aimé Michel : La grande diaspora

Il y a une dizaine d’années, considérant que l’explosion démographique humaine était le premier phénomène vivant explosif ne comportant aucun frein et donc voué par sa nature même à la catastrophe, j’écrivais que « au moment où il créait l’homme, Dieu ne savait malheureusement pas encore que la Terre est ronde ». Il faut oser reconnaître ses torts : je présente donc mes excuses à Dieu pour cette remarque erronée ; il semble en effet que, au moment où il créait l’homme, Dieu savait bel et bien, non seulement que la Terre est ronde, mais encore que son domaine prédestiné n’est pas la surface limitée d’une sphère, mais bien l’espace infini dont le centre est partout et la surface nulle part.

Aimé Michel : La rose-croix et la naissance de l'esprit scientifique

Il s’est passé d’étranges choses au début du XVIIe siècle. Certaines sont connues, tellement connues que peut-être elles aveuglent le regard : Kepler découvre les lois du mouvement des planètes ; Galilée voit pour la première fois les satellites de Jupiter, les montagnes de la Lune, fonde la dynamique en mesurant la chute des corps ; Descartes, dans son « poêle », perçoit comme en une vision les principes de la méthode scientifique et de la physique théorique. Tant d’événements extraordinaires en si peu de temps ! Pour retrouver une telle explosion de prouesses intellectuelles, il faudrait remonter au temps de Thalès, à la naissance de la science grecque.

Aimé Michel : Les probabilités d'une vie universelle

Mais on peut parier à coup sûr que, comme les planètes exposées à l’ensemencement sont des milliards, la règle est qu’elles seront ensemencées. La règle, nous avertissent les grands nombres, c’est la totalité de l’ensemencement, et même de l’ensemencement immédiat et universel dès que les conditions propres à la vie apparaissent quelque part. Passer entre les gouttes, c’est le miracle arithmétique. Il peut se produire une fois, ce miracle, tant est immense l’univers, si même il n’est pas infini. Il est exclu que ce miracle soit la règle. Rien de plus certain que cela. Je l’entends littéralement : car nulle preuve n’est plus forte que celle des grands nombres.

Aimé Michel : Les « nouveaux » philosophes entre le goulag et la ciguë

Mais peut-être faudrait-il se demander ce que c’est qu’une idée ? Feynman, le physicien théoricien, affirme que c’est ce qu’il y a de moins cher, qu’on en fait en science une consommation énorme, qu’il faut en essayer mille pour en trouver une qui serve, et encore, pour un temps. Bien entendu, on jette au rebut les 999 autres, qui sont souvent très belles, très compliquées, et sur lesquelles un homme et généralement plusieurs ont médité des années durant. On se rappelle aussi Lorenz disant qu’en se levant chaque matin il commence, comme d’autres font leur gymnastique, par défenestrer ses deux ou trois dernières idées favorites…

Aimé Michel : Le mot de Cambronne ou deux mythes de la liberté

On pourrait appeler « maladie de l’Occident » cette folie de vouloir faire un homme qui existe déjà. Non qu’elle frappe l’Occident entier, qui au contraire n’a jamais cessé de rejeter — au prix de millions de morts — les projets qu’on voulait lui passer aux naseaux pour le dompter. Ce n’est pas une maladie où tombe l’Occident lui-même. C’est celle de certains hommes que, je ne sais pourquoi l’Occident ne cesse de produire de siècle en siècle, dont il souffre, et dont même il s’est mis à infester le reste du monde. Si vous voulez entendre la maladie de l’Occident rêver tout haut à perdre haleine, écoutez, sur les ondes courtes, les radios des pays d’Afrique et d’Asie politisés, politisés par nous. C’est toutes les nuits un cauchemar de mots s’efforçant de créer une réalité de théâtre et qui fait frémir quand on connaît la vraie condition des peuples censés s’y exprimer.