A.M.J. Claessen : Le soufisme et la réalité

Regardons le monde dans lequel nous vivons. Il n’y a aucun terrain où notre vie commune fonctionne convenablement. Qu’il s’agisse de religion, de science, d’éducation, de commerce, de l’argent, de l’industrie, de la santé, de la circulation ou des communications, du sport etc. etc. – l’homme a perdu la maîtrise. La politique, les impôts, l’aide sociale – tout est en proie au désordre, conséquence de cette perte de maîtrise. La nature est violée, l’environnement menacé. La seule chose qui échappe encore à notre connaissance est de savoir si nous n’avons pas atteint le point de non-retour.

Le dévoilement des sens supérieurs

L’essence du dévoilement se trouve dans l’enlèvement des voiles. Le voyant perçoit des choses qu’il ne voyait pas auparavant. Par « voiles » on entend les obstacles qui retiennent l’être en deçà de la parfaite vision de la Beauté Divine ; ils sont faits des mondes divers appartenant tous à la constitution de l’homme. L’homme possède un œil en corrélation avec chacun de ces mondes par lequel il observe ce monde durant le dévoilement. Ces mondes s’inscrivent tous sous une division en deux : lumière et obscurité, ciel et terre, invisible et visible, spirituel et physique – chaque paire exprimant le même sens en termes différents.

Michel Random : Mawlana Shams de Tabriz, les «gens du blâme» et Gurdjieff

De fait, Shams, dont le nom signifie « Soleil », est comme le feu. Il est celui par qui les choses arrivent, par qui l’être se consume, meurt et renaît. C’est le sens des paroles suivantes, rapportées par Aflaki et attribuées à Shams, alors qu’il parlait un jour dans le collège de Mawlana : « On lui demanda : « Qu’est-ce que la gnose ? » « C’est la vie du cœur par Dieu (qu’il soit exalté !), répondit-il ; ce qui est vivant, fais-le mourir : c’est ton corps que je veux dire ; ce qui est mort, vivifie-le ; c’est ton cœur que j’ai en vue ; ce qui est présent, cache-le : c’est le monde d’ici-bas ; ce qui est absent, fais-le venir : c’est le monde de la vie future, ce qui existe, anéantis-le : c’est la pas­sion ; ce qui n’existe pas, produis-le : c’est l’intention. La véritable connaissance est dans le cœur »

Murshida Sharifa Goodenough : Apprendre et désapprendre

Maintenant, dans la vie spirituelle, les données sont différentes de celles du monde : l’abandon des trésors, de ce que nous avons pris l’habi­tude de considérer comme nos trésors, est une condition essentielle. On peut dire que tout le progrès dans cette voie est cela. Et la première chose est d’abandonner le trésor de son savoir. Toute sa vie, on a appris qu’une chose était telle. Et il s’agit de l’oublier pour un moment, de la voir d’un autre point de vue, de différents points de vue ; par exemple du point de vue de celui dont on s’est approché pour qu’il soit le guide spirituel dans ce sentier.

Hazrat Inayat Khan : La religion du soufi

Il est désirable avant tout, pour le croyant en Dieu, de faire d’abord sa propre conception de Dieu. Naturellement l’homme ne peut pas se faire une conception de ce qu’il ne connaît pas. Par exemple, si on vous disait de vous imaginer un oiseau que vous n’avez jamais vu, qui ne ressemble à aucun oiseau que vous ayez vu, vous lui donnerez d’abord des ailes, en­suite la tête d’une vache, puis vous imaginerez peut-être les pieds du cheval, la queue du paon ; mais vous ne pourrez imaginer une forme que vous n’aurez pas vue, ni connue. Vous devrez rassembler dans votre es­prit des formes que vous connaissez déjà. Vous ne pourrez faire une con­ception que vous n’avez jamais vue ni connue. Puis la chose la plus fa­cile et la plus naturelle à l’homme est de concevoir tout être sous la forme de l’homme. Quand il pense aux fées ou aux anges, il les voit sous une forme humaine. C’est pourquoi, si un être humain conçoit même l’Idéal-­Dieu, la conception la plus élevée et la meilleure sera la personnalité humaine la plus élevée et la meilleure. Il n’y a en cela rien de fautif…

Hazrat Inayat Khan : Comment l'on peut vivre dans le monde

Quelle que soit la source d’où vient ce qui comble nos besoins, l’on peut voir une seule Source, Dieu, la Source Unique ; et en admirant, en honorant, en aimant chacun on peut considérer qu’on le fait envers Dieu. Dans le chagrin l’on peut se tourner vers Dieu et dans la joie on peut Le remercier. On ne se lamente pas sur le passé, ni ne s’inquiète du futur ; on essaye seu­lement de tirer le meilleur d’aujourd’hui. On ne devrait connaître aucun échec, car même dans une chute il y a une marche pour monter plus haut. Mais pour le Soufi, l’élévation ou la chute n’importent que peu.

Michel Guillaume : La voie soufie

La philosophie dont il est question en Soufisme est éveil à la vie de l’Esprit. Et c’est d’abord l’éveil à l’idée qu’au-delà de notre petite personnalité limitée, de notre « moi je », du personnage enclos dans son identité civile que nous croyons être, s’étend tout un domaine de conscience qui est beaucoup plus vaste, plus heureux, plus libre et plus durable et que ce domaine, il est possible pour nous de l’atteindre. Mais cette philosophie est encore « religieuse » dans le sens où ce n’est pas notre « moi-je », notre égo qui décide de cet éveil, de l’évolution de notre personnalité qui en est la conséquence, ni de ses modalités. Notre ego, notre « moi-je » ne peut qu’acquiescer à une volonté plus profonde qui s’est levée en nous et se soumettre à une autorité plus haute. Autorité qu’il peut reconnaître en un Dieu extérieur, ou bien dans la voix d’un Guide intérieur, ou bien encore sous forme humaine, comme son Maître spirituel.

Mohyi-d-din ibn-Arabi : Traité de l'unité

Du moment que ce mystère a été dévoilé à tes yeux, que tu n’es pas autre qu’Allah, tu sauras que tu es le but de toi-même, que tu n’as pas besoin de t’anéantir, que tu n’as jamais cessé d’être, et que tu ne cesseras jamais d’exister, jamais, comme nous l’avons déjà expliqué. Tous les attributs d’Allah sont tes attributs. Tu verras que ton extérieur est le Sien, que ton intérieur est le Sien, que ton commencement est le Sien et que ta fin est la Sienne, cela incontestablement et sans doute aucun. Tu verras que tes qualités sont les Siennes et que ta nature intime est la Sienne, cela sans que tu sois devenu Lui ou que Lui soit devenu toi, sans (transformation) diminution ou augmentation quelle qu’elle soit.

Hazrat Inayat : Notre part divine et notre part humaine

L’homme est comme un télescope. A une extrémité se trouve la part de l’homme, l’existence limitée : à l’autre la part de Dieu, l’Être Illimité. A l’une nous sommes si petits. A l’autre nous sommes tellement immenses que nous sommes l’Être tout entier. Comment peut-il y avoir de la place pour plusieurs dans ces conditions? Y a-t-il plusieurs êtres aussi complets?