Zéno Bianu et Vincent Bardet : L'ivre livre

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Ce n’est plus aujourd’hui un secret pour personne que le recours à des substances modifiant le champ de la conscience et provoquant l’émergence d’états de « réalité non ordinaire » est l’une des pratiques fondatrices de la culture humaine. Du chant chamanique universel aux univers déréalisants de Phi­lip K. Dick, du soma védique au moksha d’Huxley, de la dive bouteille à la grande beuverie, de la connaissance par les gouffres à l’algèbre du besoin, l’ivresse postule un voyage hors de l’horizontalité, une ouverture en deçà ou au-delà, vers ce que Ernst Jünger désigne comme le « Grand Passage », soit la destruction du temps par la complétude.


Jean-Louis Siémons : Le modèle bouddhiste de la réincarnation

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Le bouddhisme est expert en analyse, en classement de toutes choses en catégories soigneusement répertoriées. Une simple approche de l’être humain suffit à montrer que tout en lui est impermanent : une composition d’éléments sans cesse fluctuants, que l’on réunit en cinq groupes, ou agrégats — les skandha. Énumérer leurs noms — forme (rupa), sensations (vedanâ), perceptions (samjña), formations mentales (samskâra), connaissance ou conscience (vijnâna) — équivaut à ne rien dire, si on n’ajoute pas au moins que ces skandha englobent toute l’expé­rience physique et psychique, tout le vécu de l’homme dans ce qu’il appelle sa personnalité et son corps.


Carlo Suarès : Introduction à la logique de l'Irrationnel

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Poser le problème de la connaissance c’est le postuler insoluble. Car quelle que soit la question préalable, elle n’existe qu’en tant qu’expression d’une contradiction. Les noms que l’on veut donner aux deux termes de cette contra­diction importent peu, car ils n’ont jamais un sens propre : matière et esprit, fini et infini, subjectif et objectif, etc… sont autant de catégories de l’esprit qui n’existent que du fait qu’on les oppose à leurs contraires. Or la pensée qui les confectionne, (en les opposant et les posant) ne le ferait pas si elle n’était elle-même la conscience de cette scission. Étant cette scission, le problème qu’elle établit et la méthode qu’elle se donne sont le résultat, le produit d’une contradic­tion. Et l’on se demande alors par quel miracle survenant en cours de route, cette conscience qui est contradiction, se servant de moyens qui sont contradiction, deviendrait brus­quement autre chose qu’elle-même, se transformerait en Connaissance. Cette transfiguration du philosophe par sa philosophie ne s’est jamais produite, l’Histoire ne nous en donne pas d’exemple.



Zéno Bianu : L'esprit plante

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Voir. Savoir. Passer cette porte des nuages mouvants que le chamane huichol évoque dans sa longue pérégrination vers la terre sa­crée du peyotl. « Nous devons aller et voir notre vie », dit-il. Là, retour à la demeure di­vine, à l’espace mythique, où la vision divinatoire est la lecture des signes du Temps Primordial, temps de l’origine de toutes choses. Sur la terre du Jicuri, le peyotl parle, chante et danse. La communauté entre dans l’orbite du « rêve les yeux ouverts ». Ouverture de la plante élue qui lève le voile de l’amnésie tissée par les sens. Ainsi les indiens Tukano prennent-ils du yage pour retour­ner à la matrice, au tréfonds de l’origine, ainsi les Zunis pénétrant dans le Royaume des plumes, ainsi la prêtresse de Delphes respirant la fumée des graines de jusquiame et prononçant l’oracle.


Archaka : La mort de la Mort

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Ni religieux, ni scientifique, ni théiste, ni athée, un nou­veau mode de pensée se prépare où vont se fondre les deux tendances actuelles de notre esprit. Jusqu’à présent, elles se sont tenues à distance, se méprisant et s’estimant tour à tour, mais refusant de s’allier : d’un côté, le monde et, de l’autre, Dieu. Même pour ceux qui devinaient que le monde est Dieu sous un visage étranger, le monde n’en était pas moins inférieur, négligeable, ou vaguement mau­dit. Quant à ceux pour qui le monde était le seul souci, Dieu, s’il existait, leur semblait ne rien avoir à faire avec ce qu’enseignaient les religions : comment parler en termes de Bien et de Mal, de compassion, de rachat, quand il s’agit d’établir que la Terre tourne ou que l’effon­drement gravitationnel d’une étoile peut aboutir à un autre univers, ou quand on veut enregistrer la mort d’un proton pour savoir si le monde se désintégrera ?


L'astrologie, entretien avec Arnold Waldstein

L’astrologie, en tant que science initiati­que, est une école de sagesse et de luci­dité ; elle peut aider en premier lieu des individualités à se réaliser, à mieux vivre dans une époque troublée et à certains égards très dangereuse, donc à réagir elle peut aussi avoir des applications mé­dicales importantes. En aucun cas, elle ne peut suppléer à la volonté de la person­ne. Toute application « séduisante » de l’astrologie est « satanique ». Le véritable astrologue est un poète : l’astrologie est l’articulation sensible du Verbe, elle joue les ragas de la trame des astres. Elle est recherche de la qualité, de l’harmonie : comment pourrait-elle être prédiction d’une machine pour des êtres sans être ?



Christian Charrière : J'ai peur de mon ombre

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J’avais peur de mon ombre, j’avais peur de tout ce qui en moi n’était pas présentable : faiblesse, instinctivité, émotion et, tendues vers l’autre, jusqu’aux deux mains qui s’ouvrent sur le petit lapin blanc d’un amour. Je voulais avancer dans la vie d’une démarche impitoyable et sans rien qui me fît chanceler. C’est pourquoi, tel le héros de Chamisso, je m’étais séparé de mon ombre au premier carrefour. Mais on ne peut vraiment la répudier. À pas de loup elle revient vous assassiner au coin des bois. Mieux vaut l’accueillir en notre demeure et lui offrir ce qu’elle demande…