Marie-Magdeleine Davy (1903-1998) a fait ses études de philosophie à la Sorbonne et sa thèse de doctorat sur un théologien mystique du XIIe siècle. Elle fut assistante à Berlin, professeur durant trois ans à l’université de Manchester. Chargée de cours à l’École pratique des hautes études (Sorbonne), maître de recherches au CNRS, elle a fait […]
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Marie-Madeleine Davy : Henri le Saux, Itinéraire entre deux rives
Cet homme épris de silence et de solitude semble mener une existence paradoxale. Il consacre de longues périodes à des séjours dans des grottes, puis il fait des pèlerinages, prêche en particulier dans des Carmels, assiste à des séminaires, traverse l’Inde du nord au sud en de nombreux et épuisants voyages. Il lit et écrit énormément. Par manque d’interlocuteurs susceptibles de le comprendre, il se confie à son Journal. Le moine aime à la fois se taire et s’exprimer. Il apparaît semblable à la citerne dont parlait Bernard de Clairvaux qui déverse son trop plein pour recevoir encore.
Eric Edelmann : L’instant ultime entretien avec Marie-Madeleine Davy
L’homme privé de racines, désacralisé, se banalise. Il n’est plus qu’un personnage sociologique ; on anéantise son mystère et ses pouvoirs secrets. Un tel homme n’est plus qu’un produit de supermarché. La dimension humaine ne peut s’acquérir que par l’intériorité, au profit d’une structure lui permettant d’occuper la place qui lui revient et à laquelle il a droit. La radio, la télévision, les revues panoramiques genre Digest confèrent à l’homme un savoir horizontal qui le « gonfle », et lui donne l’illusion d’une connaissance qui risque de lui suffire.
Marie-Madeleine Davy : Habiter avec soi-même
Dans mon extériorité, on peut me voler, m’aliéner, briser mon honneur, souiller en quelque sorte mon existence. Dans mon intériorité, personne n’a accès. Si je vis en plénitude dans mon intériorité, j’aurai un impact sur l’univers entier, sur le soleil, la lune, les étoiles, les pierres, les fleurs, les animaux, les hommes. Mon unité, mon renoncement se couvriront d’espace. L’espace sera ma demeure. Je serai l’espace. Je serai, en quelque sorte, non pas un citoyen du monde extérieur, mais l’éternel voyageur, ne cessant plus de parcourir l’immensité du dedans, le passionné de l’Infini.
Marie-Madeleine Davy : Les Chartreux aujourd'hui comme hier, silence et solitude
La solitude est d’ordre alchimique. Elle est comparable au feu qui dans le fourneau provoque la fonte du plomb pour faire émerger l’or. Toutefois, il est une condition pour que l’opération soit réussie, c’est que tout soit jeté dans le chaudron. Si le solitaire conserve à part la moindre pensée, le plus infime désir, une affectivité privilégiante, rien ne se passe en dépit des apparences : tout est perpétuellement à recommencer. La solitude du corps apparaît inefficace, voire inutile, si elle ne se déploie pas au-dedans afin de décaper le corps et l’âme, dévorant par sa flamme les obstacles qui barrent l’entrée de la chambre du trésor. Le fond du fond — pour employer le langage de Maître Eckhart — n’est accessible qu’à ce prix.
Marie-Magdeleine Davy : Roger Godel, esquisse d'un portrait et d'une pensée
Un texte écrit par le Dr Godel — à propos du sage indien, libéré vivant (jivan mukta) — peut être repris à son propos: « N’espérons pas pouvoir donner de cet homme une définition exhaustive ni même adéquate. Ouvrons seulement sur lui une perspective: certain aspect se laisse déceler. Vis-à-vis de nous, c’est un évocateur d’effets catalytiques et de transmutations. A part cela, selon les apparences, un homme semblable à nous. Peut-être aussi un être bénéfique au travers duquel nous pouvons interroger notre plus profonde intériorité, miroir de vérité secrète. »
Marie-Madeleine Davy : Guides et méthodes de la vie intérieure chrétienne
Toute démarche concernant la vie intérieure commence et se poursuit par l’ascèse. Sans ascèse, l’homme intérieur est condamné à l’inauthenticité. Elle n’est pas un but, mais un moyen. Se contenter d’une ascèse extérieure concernant seulement le corps est insuffisant. A quoi bon se priver d’aliments si le cœur ne jeûne pas, si les pensées multiples dans leur mobilité dissipent l’esprit ? L’ascèse tend à trancher les racines du narcissisme, ou mieux à les déraciner et cela perpétuellement car telle l’hydre à sept têtes dès que l’une est coupée, une autre repousse. Les « moi » sont nombreux : quand l’un d’eux semble mort, un autre surgit.
M. M. Davy : Le guru
Au sein de sa solitude, l’homme est-il capable de recevoir la révélation du mystère ? Doit-il être orienté par quelqu’un qui a déjà fait l’expérience d’un chemin conduisant vers la libération ? Telle est la question que tout commençant se pose et que tout progressant agite en lui avec plus ou moins d’angoisse.
Marie-Magdeleine Davy : La séduction du dedans
Pour les hommes libérés exotérisme et ésotérisme ne sont pas opposés; extériorité et intériorité, dehors et dedans ne font qu’un, telle la coque de la noix et son fruit. Spontanément il devient possible de traverser la coquille pour savourer l’amande. Elle nourrit et répand son parfum. Franchir la muraille de la «lettre» des Ecritures sacrées, savoir que les faits historiques relatés symbolisent des événements qui se déroulent au-dedans ne convient qu’à ceux qui s’intériorisent. Certes, il est d’abord nécessaire de faire appel aux sens extérieurs qui mettent en route. Ensuite il devient possible de requérir les sens intérieurs, qu’il s’agisse de l’ouïe, de la vision et du goût.
Marie-Magdeleine Davy : Le face à face avec la mort, avec dieu
La grâce de l’Inde sera pour Henri Le Saux de pouvoir accomplir une descente dans le soi au sortir d’un long et douloureux cheminement. Le péril qu’il devra traverser — tel le rapide d’un torrent — consistera à remettre en question son adhésion au christianisme. La séduction de l’Inde fera trembler sa foi. Epreuves qui lui permettront d’acquérir une nouvelle structure tout en demeurant chrétien. Il ira se recueillir aux sources du Gange avant de pouvoir plonger dans les eaux vives du dedans. Il cherchera autour de lui et demandera des conseils — par exemple au sage Gnânânanda— jusqu’au jour où il deviendra capable de percevoir en lui-même, dans son propre mystère, la voix qui désormais guidera ses pas.