Carlo Suarès : La fin du grand mythe VIII

 (Extrait de Carnet No 8. Octobre 1931) Une métaphysique actuelle Trop de philosophes et de métaphysiciens ont érigé des systèmes sur leurs propres données inconscientes, des systèmes théoriques, abstraits, qui n’ont aucun lien avec la vie quotidienne. Trop de savants ont accumulé des milliards d’informations encyclopédiques dont nous ne savons que faire parce qu’elles sont […]

Carlo Suarès : La fin du grand mythe VII

(Extrait de Carnet No 7. Juillet 1931) Indétermination ou spécialisation ? La comédie métaphysique réduite à un seul thème, l’universel, qui s’interroge pour nier son interrogation, vient de nous révéler grâce à l’obstination retardatrice du personnage « l’Éternel », le thème fondamental qui donne naissance à la fois à l’Éternel, à Dieu, à Satan, à […]

Carlo Suarès : La fin du grand mythe VI

(Extrait de Carnet No 6. Juin 1931) Le laboureur et le berger Nous avons vu avec Caïn et Abel que mythiquement, le « je » libéré tue à chaque instant le « je » mythique. C’est Caïn le laboureur qui tue Abel le berger, afin de féconder une terre qui, rassasiée mais violentée, refusera de le nourrir. […]

Carlo Suarès : La fin du grand mythe V

Les thèmes mythiques que nous décrivons, chacun peut les transposer à son usage. La seule et unique dualité fondamentale qui constitue l’homme mythique assume tous les aspects possibles, et est la base de tous les problèmes possibles. Il appartient à chacun de ramener sa propre difficulté intérieure à la difficulté originelle. Tant qu’il n’aura pas rencontré celle-ci dans sa nudité, tant qu’il ne l’aura pas définitivement abandonnée derrière lui, il appartiendra à l’Univers du Mythe, à l’Univers des sous-hommes.

Carlo Suarès : La fin du grand mythe IV

Cette dualité, non pas entre l’homme et le monde extérieur, mais entre un principe intérieur à l’homme et un principe extérieur à lui, est, lorsqu’elle s’exprime à elle-même en créant l’inconscient, à la fois l’origine des hommes et l’origine des temps, elle est le thème initial du Grand Mythe que tous les hommes de tous les temps ont joué. Or les grands cycles que nous avons appelés Orient-Occident se caractérisent à leur origine suivant la façon dont l’inconscient a vécu au sein de cette équation. L’équation sous la forme « cela-je » c’est l’Orient; l’équation sous la forme « je-cela» c’est l’Occident…

Carlo Suarès : La fin du grand mythe III

S’affranchir du Temps veut dire s’affranchir de l’inconscient collectif, qui fabrique le temps collectif, et de l’inconscient individuel qui fabrique le temps individuel. Le temps individuel est toujours lié au temps collectif, car l’individu ne parvient que très difficilement à se libérer de l’emprise de l’inconscient. C’est pour desserrer cette étreinte mortelle que nous nous efforcerons de la décrire.

Carlo Suarès : La fin du grand mythe II

Mais il faut que le grain meure après seulement qu’il a été jeté dans la terre. S’il mourait avant, écrasé ou desséché, sa mort serait aussi stérile. L’être qui dit « je », ce grain de froment, ne doit pas s’annihiler, mais mourir dans le bon sol, il ne doit pas non plus chercher à devenir gigantesque, à se transformer en une maison, en croyant que les fruits viendront quand il sera devenu aussi gros que le monde. C’est ce que l’on croit habituellement. « Je » croit qu’il peut devenir universel, il veut prier Dieu, il veut trouver Dieu, il veut trouver la Voie et la Vérité, « je » est prêt à tout sauf à mourir dans le bon sol.

Carlo Suarès : La fin du grand mythe I

L’envoûtement c’est l’inconscient, qui s’interpose entre la Vérité et nous, en nous donnant comme point de départ de toutes nos pensées, comme base apparente de tout notre être, un monde irréel que nous ne mettons pas une seconde en doute. Chacun vit dans un état hypnotique, dans un état de rêve, qui lui fait accepter et vivre ce rêve sans s’en étonner le moins du monde. Ce rêve c’est tout l’Univers tel que chacun l’accepte. Plus on dort profondément moins on se demande le « pourquoi » des choses. Le sommeil est si profond que le fait de partir à la recherche de sujets d’étonnement, tables tournantes, coïncidences, « forces inconnues », semble déjà sublime, alors qu’au premier éveil la simple constatation que quelque chose existe suffit à nous remplir de stupeur…

Carlo Suarès : La société des hommes n'est pas espèce

Avons-nous eu des expériences spirituelles ? Leur sou­venir les a assassinées. La félicité que nous en avons ressentie les a assassinées. La certitude, le cri de joie, l’extase les a assassinées. Car ces délectables émotions se sont ajoutées au perçu, au goûté, au comparé, au connu, au passé, à la trame du tissu de nos jours. Goûtons-nous « encore une fois » cet ineffable ? Ce n’est donc pas lui. Peut-être nous a-t-il surpris une fois par mégarde. Mais si nous l’avons « senti » c’est qu’il n’était déjà plus là. Il n’y a pas de rencontre possible entre le neuf et le vieux. Et « qui » était là pour l’accueillir ? Est-on ?… Sommes-nous autre chose qu’un passé, et un passé est-il autre chose qu’une protection ? Qu’un système défensif ? Qu’une organisation fortifiée ?

Carlo Suarès : La comédie psychologique

[…] toute modification d’une constante (individuelle ou collective) est encore une constante; qu’un caractère transformé est toujours un carac­tère; que passer d’une condition à une autre condition, c’est être en condition. Si doit mourir le grain, de sa bonne mort, c’est en ce par quoi on le peut définir grain. Si doit mourir l’homme de telle mort qu’il vive, c’est en tout ce par quoi il se définit et s’enferme dans des architectures (propres, dites idiosyncrasiques, ou collectives, dites de classes, nationales ou idéologiques). Ces constructions ne sont jamais que des imageries simplettes et puériles. Dirait-on, encore, qu’entre autres caractéristiques, un-tel montre de l’avarice ou de la misanthropie; que un-tel a réagi en s’identifiant à ce qu’il croit être la France ou l’Indo-Chine; ou qu’un-tel encore, s’imaginant penser, n’a fait que répéter des opinions préfabriquées par un groupe social dans la défense de ses inté­rêts; cela indiquerait que cet individu multiple, ou plutôt multiforme, ou plutôt cacophonique, manifeste, entre autres choses, aussi cela. Il est cela à l’occasion; il l’est sous une de ses faces; demain il pourra ne plus l’être : cette face aura changé. Mais quoi? Où en arrive-t-on? Et combien fallacieuse, combien dangereuse, cruelle, meurtrière est cette découpure.