Paix n'est pas tranquillité. Entretien avec les frères Gilles et Siloane de l'abbaye cistercienne de Lérins

Car il y a un désir qui est trop grand. On vient trouver Dieu, on sait très bien que c’est là que l’on est en plénitude, que l’on trouve la paix établie et que tout ce qui est déséquilibre, tout ce qui est dispersion, tout ce qui est peur, inquiétude, disparaîtra. Entre le désir de vraiment aimer (on est là pour ça) et le concret de tous les jours, il y a une lutte. Seul, je crois que l’on ne s’en sort pas ; je crois vraiment que le moine qui veut s’en sortir tout seul s’il ne s’appuie pas sur Dieu est foutu. Et l’on en fait l’expérience vraiment quand on commence aussi à s’appuyer sur soi-même.

Pierre D'Angkor : Jésus et Judaïsme

De vieilles traditions juives reproduites dans les écrits talmudiques, antidatent d’un siècle l’existence historique de Jésus. Elles le font naître sous Alexandre Jeannée et le montrent, durant sa jeunesse, obligé de fuir, avec son Maître Juif, Ben Perachiah, les persécutions édictées par ce monar­que contre les initiés. Il dut en conséquence, nous assurent-elles, se réfugier en Égypte, à Alexandrie, où il étudia et travailla. D’autre part, les historiens juifs du 1er siècle, Philon-le-Juif et Flavius Josèphe, qui ne nous parlent pas de Jésus de Nazareth, nous renseignent abon­damment sur les milieux juifs, mystiques et éclectiques de ce temps (Esséniens de Palestine et thérapeutes d’Égypte), dont l’importance fut grande à cette époque et dont les rapprochements avec l’Église primitive – qui finit d’ailleurs par les absorber – sont tels que la question de Jésus essénien, ou Réformateur de l’Essenisme, s’est souvent posée à la critique…

Jean-Louis Siémons : De l'antiquité au christianisme - coup d’œil sur les avatars de la réincarnation

L’examen des modèles orientaux nous a fait toucher du doigt la diffi­culté du discours métaphysique. La doctrine peut tantôt affronter cou­rageusement les réalités de l’Être, en s’engageant dans des voies sibyl­lines pour le profane, tantôt demeurer dans le monde intermédiaire de l’allégorie, avec le risque permanent de tomber dans le « réalisme » où va se cantonner le catéchisme exotérique, en disant : « les âmes bonnes iront au ciel et goûteront le bonheur dans leur prochaine incarnation, les autres iront en enfer ». Sans prétendre que les modèles philoso­phiques, de l’hindouisme à la Théosophie, offrent toute-la-vérité sur l’itinéraire de l’être spirituel, nous y avons collecté au moins — dans des langages différents mais convergents — les principaux points forts où s’appuie toute la doctrine. On les retrouvera donc de quelque manière dans les autres schémas doués d’une certaine cohérence. Avec le parfum ajouté par le génie propre de chaque peuple.

le R.P. Bruckberger : Les entrailles de Marie lieu du miracle des miracles

La généalogie du Christ, telle que nous la rapporte l’Évangéliste Matthieu, qui est construite de manière très artificielle et où bien des chaînons manquent, il y a cependant une surprise de taille en ce qui concerne les femmes. Seuls les hommes sont nommés, ce qui est de tradition dans toute généalogie sémite. Mais pourtant quatre femmes sont introduites dans la généalogie : quelles sont ces femmes ? Toutes des marginales. Tha­mar, dont le fils, ancêtre direct de Jésus-Christ, est né de l’inceste et de la prostitu­tion. Rahab était une chananéenne, prostituée dans la ville de Jéricho. Ruth, grand-mère de David, était une Moabite, une païenne. La mère de Salomon, Bethsabée, fut adultère et ne devint l’épouse de David que par le meurtre abominable de son premier époux. On peut dire que pour le Christ le péché fut vraiment une affaire de famille, autant dans sa lignée paternelle parce que le péché est substantiellement une offense faite à Dieu, que dans la lignée maternelle : il n’avait qu’à se retourner vers ses ancêtres maternels pour savoir ce qu’est le péché. La généalogie de Marie aboutit paradoxalement à la Vierge Marie, qui resta vierge, et dont le mariage avec Joseph ne fut jamais consommé.

Émile Gillabert : L'Évangile selon Thomas et les Évangiles Canoniques

La libération de l’homme grâce à la connaissance par identification, tel est le trait essentiel de l’Évangile selon Thomas. Cette libération est conçue comme un éveil tandis que dans les évangiles canoniques elle devient la résurrection au sens de réanimation d’un cadavre ; elle est intérieure et individuelle et non régénération collec­tive de notre être pécheur par un sang rédempteur ; elle est prise de conscience que notre Être véritable est éternel alors que notre être psycho-somatique est mortel ; elle est invitation à faire le deux Un, et non dualité cultivée et entretenue dans le temps et pour l’éternité du Créateur et de la créature ; elle dénonce le caractère illusoire, voire mensonger, du temps et de l’espace, récusant ainsi la conception du salut dans le devenir historique.

Émile Gillabert : Les Esséniens étaient-ils gnostiques ?

La vraie gnose étant la connaissance – ou la reconnaissance – ici et maintenant de ce que nous sommes réelle­ment, toute forme de salut qui se situe dans un futur et un ailleurs n’est pas et ne peut pas être gnostique. La gnose, nous l’avons vu, transcende le temps et l’espace, or les esséniens vivaient orientés vers un salut qu’ils croyaient prochain mais qui était absolument spatio-temporel. Cette forme de salut – qui sera aussi celle des chrétiens – se situe dans la ligne exotérique alors que la gnose possède toutes les caractéristiques d’un véri­table ésotérisme. De plus, chez le gnostique, la réalisa­tion, ou l’éveil, est l’aboutissement d’une recherche individuelle. La découverte du Royaume intérieur – pour reprendre la terminologie de Jésus – est au terme d’une aventure solitaire, alors que chez les esséniens, comme aussi dans une certaine mesure chez les chrétiens, le salut à venir est collectif, la damnation également…

Un objet unique rechercher ce que Jésus a dit. Entretien avec Émile Gillabert

La science contemporaine remet en cause la réalité des objets. Cette table, ce cendrier apparaissent comme des objets solides alors que le chercheur en micro­physique voit de l’énergie en mouvement. Cette vision du monde va dans le sens de la non-dualité gnostique. C’est par suite d’une illusion que je vois les choses séparées. Le savant et le métaphysicien sont d’accord sur l’interdépendance de toute chose ; l’un et l’autre comprennent cette parole de Jésus : « Il y a de la lumière au dedans d’un être lumineux, et il illumine le monde entier » (log. 24).

Patrice Lambert : La bibliothèque gnostique de Nag-Hammadi

On désigne sous le nom de Bibliothèque de Nag-Hammadi un ensemble extraordinaire de papyrus découverts fortuitement par des paysans égyptiens sans doute en décembre 1945. Ces papyrus étaient enfermés dans une jarre au pied de la falaise du Gebel-el-Tarif, non loin de l’ancien monastère fondé par Saint Pâcome (286 + 346) sur le territoire du village de El Qsar-El Sayyad, l’antique Kheno­boskion, dépendant de Nag-Hammadi, soit à 550 km au sud du Caire et à 60 km au nord-ouest de Louksor. Le lot de papyrus enfoui dans une jarre brisée se composait de treize codices reliés, comme nos livres actuels, et protégés par des étuis en cuir, alors que les manuscrits de la Mer Morte et la plupart des manuscrits anciens se présentent en rouleaux. Ces codices sont écrits dans les deux dialectes coptes de Haute-Égypte, le sahidique et le subakhmîmian. Ils sont en général remarquablement conservés, car, sur les mille pages environ qui nous sont parvenues, près de huit cents sont intactes. L’extrême sécheresse de la région explique qu’ils aient ainsi été préservés des outrages du temps. Actuellement, les codices sont déposés au Musée Copte du Vieux Caire.

Roger Mehl : Le protestantisme : A l'écoute de l'Écriture sainte

Le protestantisme, né de la Réforme du XVIe, ne se pré­sente, dans l’histoire religieuse de l’Occident, ni comme une religion nouvelle ni même comme une forme nouvelle de christianisme. Il se veut réforme de l’Église d’Occident, réforme profonde dans son chef et dans ses membres. Aucune pensée schismatique ne préside à la naissance du protestantisme. Il s’insère dans une longue tradition de réforme de l’Église qui remonte au XIIIe siècle. Parmi ses ancêtres, certains furent condamnés par l’Église, d’autres ne le firent pas : hussites et vaudois, Savonarole, Pic de La Mirandole connurent des persécutions, mais saint Bernard, dont on n’est plus à souligner la parenté avec Luther, malgré ses attaques contre « l’envahissante et déjà lourde monarchie du Saint-Siège », vécut calmement dans l’Église…