Zéno Bianu : Bali : la mystique ondulatoire

L’apprenti est immé­diatement introduit en situation de danse, dans une globalité chorégraphique. En même temps que les posi­tions de base, il doit se pénétrer de la mélodie centrale des gender (métallophones), des figurations rythmiques des tambours, des différentes cadences des gongs. Lors­qu’il sera appelé à danser au temple, il devra interpréter la musique avec son corps tout en commandant l’inten­sité et le tempo de celle-ici, suivant un système de coor­dination extrêmement structuré. Chaque geste est alors hiéroglyphe : mouvements brefs de la tête et des yeux, arrêts brusques changements soudains de direction, séries de petits pas en staccato ponctuent la mélodie et constituent autant de signaux, d’appels aux musiciens, déterminant des changements de rythme, des pauses, des accélérations, au sein d’une parallélité frémissante où accent musical et geste fusionnent pour ne former qu’une seule impulsion. L’objectif du maître est donc de déclen­cher chez l’élève une réponse corporelle automatique aux modulations syncopées de l’orchestre…

Jean Biès : Gurdjieff, promesses d'une parole

École de rigueur et de lucidité, le « Travail » stimulait, éveillait, léguait un « sens » à l’existence d’être déracinés, confrontés à l’absurde, perplexes devant tant de ques­tions spoliées de leurs réponses, insatisfaits d’Églises plus militantes que méditantes. Il proposait un point de repère grâce auquel prendre sa mesure, se voir deve­nir, découvrir sa place, sa nature, non point celles qu’on croit avoir ou tenir abusivement. Voie du plus grand effort menant nécessairement à un changement de vision à une maturité, à l’acquisition d’un autre ordre. Voie permettant de distinguer l’essentiel du superflu, de se rendre responsable, d’ajuster la balance intérieure, à force de patience et de volonté.

Vincent Bardet : Comment le Zen est entré dans ma vie

Je détenais la preuve expérimentale de l’existence du corps de vacuité, du corps de jouissance, dénommé également corps glorieux ou corps subtil (dont la faculté psi, étudiée par les parapsychologues, est l’une des fonctions) et enfin du corps physique, de peau et de chair, de nerfs et d’os, sans compter ses milliards de neurones. Et j’avais l’impression que le second « travaillait » le troisième pour le rendre réceptif à l’énergie du premier. Je pouvais dès lors décoder la plupart des messages considérés comme ésotériques, véhiculés par les traditions spirituelles de l’humanité. Surtout, j’entrais inconsciemment dans le sentier du bodhisattva (Être éveillé, engagé à sauver tous les êtres), respirant largement au sein du cosmos car, comme dit le poète : « Le vent se lève, il faut tenter de vivre. »

Jacques Brosse : Satori

En zazen, pendant le zazen, il n’y a plus ni bonheur ni malheur. On se trouve spontanément par-delà. On expérimente, sans l’avoir cherché, cette situation qui est suprêmement positive, puisqu’elle transcende l’opposition positif-négatif ; on est sorti du cercle fermé ou l’opposition bonheur-malheur, bien-mal, vous obligeait à tourner en rond, cet état, transcendant le relatif, est donc en soi absolu. Et l’on s’y trouve, non plus par un acte volontaire, mais bien automatiquement. La volonté ne peut y aspirer par elle-même, puisqu’elle reste soumise à l’alternance, du fait même qu’elle est activité, action, intervention, elle ne peut jouer un rôle que dans le préalable : prendre la posture et s’y tenir. La posture, une fois acquise, c’est elle, et elle seule, qui agit en rééquilibrant le corps, lequel retrouve alors de lui-même son état naturel, sa disposition primitive.

Vincent Bardet et Zeno Bianu : La voie du chamane

Partout où l’on rencontre le chamanisme, deux conceptions quant à l’origine de la maladie prédominent ; soit le « rapt de l’âme » ou le vol du pouvoir, soit la possession ou l’intrusion d’entités malfaisantes dans le corps du malade. La cure chamanique se fonde donc soit sur un rappel, une chasse au pouvoir enfui, que le chamane rejoint en extase et rend au corps « despiritua­lisé », soit sur une expulsion/extraction du pouvoir per­turbateur. Quel que soit l’objet de la cure, celle-ci est subordonnée à une technique ancestrale qu’on retrouve à travers toute la planète, dans le temps comme dans l’espace : le voyage chamanique.

Jean Biès : À l'ombre d'arbres purs...

L’opportunité, au niveau poétique, d’un élargissement des dimensions et d’un approfondissement des messages s’est très vite révélée à nous comme corrélative d’une époque qui est témoin, à la fois, d’un désir de renouvellement, d’une culture planétaire et d’une gnose dévoilée. Il nous est apparu qu’à la suite du classicisme et du romantisme puisant leurs lois et leurs principes, l’un, dans les littératures gréco-latines, l’autre, dans les littératures anglo-germaniques, les temps présents autorisaient une démarche de même nature à partir de l’aire asiatique, et qu’en réponse aux sécheresses et aux épuisements de l’heure, était devenu nécessaire l’arpentage systématique, quoique toujours incomplet, de ce vaste domaine.

Vincent Bardet : Discours du silence

Derrière ce que l’écriture rend manifeste — la succession de phrases s’organisant dans l’espace de la page et dans le temps du livre — un « autre chose » se profile, que le phénomène du discours recouvre, sans le voiler complètement.
La pulsation essentielle au discours n’est pas à trouver dans l’univers clos des signes où il se meut, mais dans la démarche première du sujet qui parle.

Jean Biès : À l'école de L'Humanité Nouvelle

La pédagogie officielle fait de l’école, pour cette majorité d’enfants dont on se dit soucieux, un monde où l’on s’ennuie, parce qu’en dehors des contrôles qu’elle exerce et des diplômes qu’elle décerne, on ne la voit proposer aucun idéal de réalisation ou de dépassement, investir d’aucune mission, d’aucun message. Si elle n’est plus lieu de supplices, elle n’est sûrement pas jardin de délices : aux grincements de dents ont succédé la platitude et la monotonie, que seule parvient à transmuer en allégresse la sonnerie des fins de cours…

Claude Barbat : De l'alchimie intérieure à l'alchimie extérieure

La différence entre un Chimiste et un Alchimiste devant le même sujet minéral c’est que le premier ne rêve plus et que cette « masse » matérielle, il la place (en esprit aussi bien qu’en opération) dans un milieu stérile, tandis que l’Alchimiste, lui, appartient à la famille des plus prodigieux rêveurs, parmi les « hommes de Désir »… (lisez les études de Gaston Bachelard à ce propos car ce philosophe a très utilement rêvé, en seconde main, sur ces rêveurs); et ce fragment de la chair de Mère Nature à partir de quoi va cristalliser son Œuvre, le Fils d’Hermès va le placer dans le lieu de son laboratoire le plus propice à la Vie : l’Œuf philosophique !…

Jean Biès : La crise spirituelle : de la religion de Dieu à la religion l'homme

La « mort de Dieu » a pour corrélatif la « divinisation » de l’homme, qui n’est que la contrefaçon de sa « déification » dans l’Esprit-Saint. Il s’agit bel et bien d’une substitution de l’humanité à la divinité, une humanité qui se prend elle-même pour objet de sa propre adoration, et où l’Homme, pour reprendre l’expression de Protagoras, est devenu la « mesure de toutes choses ». Tel un second Créateur, il repense et refait le monde ; s’enivrant de sa puissance, il s’applique à lui-même les paroles du Christ « Voici que je fais toutes choses nouvelles » (Apocalypse, XXI, p. 5). L’animal raisonnable s’auto-divinise et s’absolutise dans un logos qui n’est plus le Verbe, mais la seule raison raisonnante ; son envol vers la Lune est pris pour l’Ascension de l’humanité. La « sainte Matière » nie Dieu en tant que « Moteur immobile » qui meut l’univers ; la « sainte Evolution » fait que Dieu se trouve lui-même entraîné par le « cyclone » montant de la Matière : il est un Dieu « cosmogénèse », captif de l’Existence et du Devenir qu’il a créés.