Élie-Charles Flamand : Érotique de l'alchimie

L’alchimie affirme la nécessité d’une base matérielle pour l’édification d’une œuvre spirituelle. Selon ses concep­tions, les transformations que l’alchimiste fait subir à sa matière première sont analogiquement liées au pro­cessus initiatique qui s’opère spirituellement chez celui-ci. Du fait de l’Involution, la matière semble être ce qui demeure le plus éloigné du Divin. Pourtant, c’est au tréfond de la masse hyléenne déchue que l’opérateur trouvera l’étincelle du Feu incréé et pourra alors se transmuer spirituellement en communiant avec la trans­cendance. Le monde n’est en vérité qu’une forme illu­soire sous laquelle l’Absolu peut apparaître…

La Lumière

Jusqu’à ce que les chaînes de ta personnalité soient relâchées,
Tu ne pourras comprendre le profond mystère du Soi ;
Et elles doivent tomber pour que tu en aies la révélation.
Alors, tu la saisiras et l’emploieras à un noble service.
Ton cœur est la voie de la lumière pour tes yeux.
La vie changeante est constituée par le cœur des hommes.
Acquiers la connaissance, et tu posséderas la parole.

Guy Béatrice : Carl Gustav Jung et alchimie

Attentif à toutes les formes revêtues au cours des âges par la pensée humaine dans sa quête obstinée de la vérité, le psychanalyste zurichois n’avait pas été sans remarquer les analogies existant entre les rêves de certains de ses patients et les textes alchi­miques anciens dans lesquels, à l’encontre de ses confrères, il n’avait pas craint de se plonger afin de mieux appréhender les mécanismes de l’esprit.

Philippe Litzler : Isaac de l'Étoile et la connaissance de soi

La pureté à laquelle Isaac aspire procède en grande partie de « la purification des phantasmes qui sont absorbés par les sens, habitent au-dedans l’imagination et, comme de petits nuages intermédiaires, nous cachent la clarté du soleil. » Il nous faut ainsi « dépasser toute l’agitation des pensées par la vigilance de l’âme », nous élever au-dessus de « la foule intérieure » comme Jésus gravissant la montagne, car tant que nous sommes immergés dans cette foule il nous est impossible de la contempler lucidement : « il est difficile, dans la foule, de voir la foule ; il est inévitable, dans la foule, d’éprouver du trouble. Aussi doit-on laisser la foule pour voir la foule elle-même, pour juger de la foule même ». Cette prise de recul s’effectue extérieurement, par un retrait dans la solitude, et intérieurement. L’enseignement d’Isaac de l’Étoile ne sépare d’ailleurs jamais ces deux plans. Ce sont plutôt pour lui des sphères concentriques dont le centre est la Réalité une et immuable.

Étienne Wolff : L'Intention cachée

Que ces notions puissent être considérées par les uns comme purement mécanistes, par les autres comme finalistes, cela n’a rien d’étonnant : car c’est le plan même de l’orga­nisme qui est présent sous une forme concentrée, télégraphi­que, et qui se déroule suivant un mécanisme monté dans le temps et dans l’espace.

Michel de Salzmann : Les miettes du festin

Sans doute ne peut-on blâmer des tentatives de bonne foi – quoique à l’évidence prématurées – pour n’avoir pas réussi à relever un défi presque impossible, celui de transmettre, hors de son terrain propre, l’essence métaphysique d’un enseignement qui a pour fin, comme pour origine, la « réalisa­tion » des potentialités de l’être et de ses « pouvoirs correspondants de manifestation ». Mais comment, par ailleurs, ne pas savoir que toute naïveté, toute pré­tention, dans ce domaine, risque fatalement d’exposer les autres aux pires méprises, de provoquer inconsciem­ment plus de mal que de bien…

Pierre Schaeffer : Dialogue apocryphe avec Monsieur Gurdjieff

Quelqu’un lui a demandé un jour d’où venait cette musique. Il n’a pas répondu mais indiqué qu’elle venait, bien entendu, du même lieu que des danses, et que c’est grâce à la mémoire des mouvements qu’il s’était souvenu de la musique. La raison qu’il donne est cette correspon­dance mathématique, ces fameuses lois. Moi je veux bien, mais je crois, plus simplement, qu’il est comme tout vir­tuose : sa mémoire musicale est désor­mais dans ses muscles. Un pianiste joue Chopin sans avoir besoin de se remé­morer. La partition est dans le corps.

James Moore : Gurdjieff et Katherine Mansfield

Et voilà que, tout à coup, — c’était le bouquet —, surgissait Katherine Mansfield. « M. Gurdjieff n’est pas du tout comme je pensais », écrit Katherine, « il est comme on veut vraiment le trouver. Mais je suis absolument sûre qu’il peut me mettre sur la bonne voie en toutes circons­tances… » Et maintenant qu’il l’avait acceptée, quel poids pour Gurdjieff : le terrible diagnostic des médecins, le problème des soins intensifs, à lui assurer la mise en péril de son Institut par la mort d’une femme célèbre… Évidemment, il avait prévu ces difficultés, les avait mises en balance avec le besoin de Katherine et, tout bien pesé, les avait écartées. « Pour cela », écrit Ous­pensky, « il a reçu, au cours des années, et avec les intérêts, son plein salaire de mensonges et de calom­nies ». (Fragments d’un Enseignement inconnu.)

Hervé Soupiron-Michel : Le Zoo Humain

Le drame de cette humanité c’est de s’être persuadé qu’il valait mieux inventer sa provenance plutôt que de la vivre. Et pourtant, quand je les observe je vois clairement se manifester le flux de vie qu’ils ont tous en commun : fleuve, rivière, ruisseau, torrent, source ; je vois ce flux aborder leurs corps sclérosés, réels ou imaginés, essayer de se frayer un chemin, contournant les écueils que lui oppose la marionnette de bois qu’ils ont construit durant toute leur vie, souvent sans en avoir eu conscience.

Marcel Rainoird : Belzébuth, affaire à suivre

Cependant, tout en s’attachant à démonter les mécanismes du comportement individuel et social de l’homme contemporain, Gurdjieff remet à sa juste place ce qui obnubile tant le praticien des sciences humaines, à savoir le progrès technique, industriel avec ses aléas, ses succès ou ses crises. Il ignore ou lacère les élucubrations théoriques, il pulvérise les apparences. Son histoire de l’humanité se veut essentielle. Que ce soit dans la fresque ou dans le détail, en plan d’ensemble ou en gros plan, elle se situe au niveau des causes originelles. Qu’il s’agisse de faits mondiaux ou de faits divers, quel que soit l’angle d’attaque, la variation du ton – depuis l’injonction solennelle jusqu’à la farce, jusqu’au canular – Gurdjieff s’attache à certains événements, parce qu’ils entrent dans le champ d’une information créatrice.