Louis Hoyack : Sur la métaphysique de la lumière

Dans le cadre de ces idées la matière devient une sorte de tombeau pour la lumière, un voile qui la couvre. Suhrawardi (mort en 1191) en arrive à une conception d’allure moderne, à savoir que la matière est une condensation de la lumière, et finalement de la lumière divine. Nous trouvons cette même conception chez Hazrat Inayat — peut-être pour quelques-uns en occident est-ce un enseignement très inhabituel — mais pourtant comme une annonce nouvelle d’un ancien savoir. Ainsi il considère la lumière du soleil comme « la forme la plus dense de l’Intelligence » et pour lui l’Intelligence est « La lumière de l’Intelligence ».

Sherifa L. Goodenough : La philosophie de l’âme

L’âme pendant sa vie sur la terre et ensuite ne change pas son plan d’existence; si quelque changement se produit c’est dans la direction de son mouvement. L’âme n’a originellement aucune pesanteur, mais dans son trajet elle s’entoure de possessions qu’elle a produit d’elle-même et qu’elle emprunte continuellement aux éléments qui composent l’univers; et de même que nos possessions ne sont pas nécessairement nous-mêmes, ainsi les possessions de l’âme ne sont pas l’âme.

Rokaya Boubakeur : Aperçu sur le soufisme musulman

Peu importe le résultat pour le soufisme; ce qui compte c’est la lumière qui illumine un cœur ivre de Dieu, la sincérité de l’élan vers Lui. Le paradis et l’enfer que le commun des mortels considère comme une équitable rétribution, une récompense pour les justes et une sanction pour les pécheurs, le soufi les tient pour un bas commerce échangiste, indigne de Dieu, du croyant sincère et du véritable amour. Tout calcul doit être banni, à ses yeux, dans les rapports de l’homme avec Dieu ; la vraie dévotion ne consiste pas à multiplier les « actions rentables », à se livrer à « d’intelligents investissements » pour accéder au paradis qui n’a aucun rapport avec les transactions, la spéculation boursière. C’est être fou que de matérialiser l’immatériel et d’aimer pour mériter.

Jean Néaumet : Deux contes traditionnels des derviches

Ainsi la littérature soufie peut être goûtée pour sa beauté, émouvoir, divertir ou stimuler l’esprit mais elle est essentiellement une littérature d’action. Pas plus que les rituels, les livres ne sont des monuments historiques, des objets de vénération ou de délectation. Et s’ils le deviennent, ils perdent alors tout pouvoir effectif pour celui qui les reçoit à ce niveau. Leur efficacité, leur pouvoir de communication, sont fonction de la connaissance, de l’« être », de celui qui les a modelés à l’adresse d’un groupe d’étudiants déterminés, d’une communauté ou d’une société particulière. Aucun texte, aucun « exercice », aucune méthode, dans cette optique, n’a de valeur universelle ou perpétuelle. D’où la nécessité, à chaque époque et pour chaque communauté — au sens large du terme — d’une reformulation, d’une révision du matériel par un soufi qualifié, en fonction des conditions nouvelles de temps, de lieu, de mentalité.

Yves Dauge : Trois miroirs de la sagesse

Au départ, il y a les éveils prodigieux, les expériences fulgurantes, l’irruption des énergies divines à travers des personnalités pleinement réalisées. Il y a les Maîtres de sagesse, et l’invitation universelle à les imiter. Puis des disciples codifient le message, structurent une communauté, établissent des règles et des distances, s’interposant entre les hommes et la lumière. Divinisé, le maître s’éloigne ; il est remplacé par un clergé avide de puissance, qui s’approprie l’autorité et « cache les clefs de la connaissance ». L’église alors a éclipsé le Royaume : une religion — ou une secte — est née, déformation psychologique et sociale de l’unique Vérité, et un peuple domestiqué de fidèles, aliénant sa responsabilité au profit des hiérarchies, des dogmes et des rites, achève de dénaturer le Divin par son ignorance et ses passions. Cependant, au sein même des religions, la Gnose malgré tout persiste, se transmet, illumine, grâce à une petite élite de libres esprits ; régulièrement combattus et persécutés par l’orthodoxie officielle, ils lui évitent pourtant une complète pétrification.

Marcel Hennart : Le Langage des oiseaux, Poème de Ferideddin Attar

On demanda un jour à l’Océan pourquoi il était couvert d’une robe bleue qui annonçait le deuil, et pourquoi son eau était agitée comme si le feu la faisait bouillonner. Il répondit que ses vêtements bleus annonçaient la douleur qu’il éprouvait d’être séparé de Dieu et que c’était le feu de son amour qui le faisait bouillonner.

Michel Random : Quand la sagesse danse: Mawlana et le soufisme

Le soufisme s’adresse comme toute mystique à la fusion amoureuse, qui est l’ultime connaissance. Celui qui a réalisé son unité en lui-même a réalisé son unité en Dieu. « Dieu c’est moi » crie Halladj au 9è siècle et ce cri va déchaîner la plus grande controverse de tout l’Islam entre les mystiques et les orthodoxes. La loi musulmane (la sharia) considère que l’accès de l’homme à Dieu se fait à travers le Prophète Mohammed. La conjonction mystique apparaît comme une hérésie digne de mort. Et effectivement le cri d’Halladj le conduisit à être crucifié et mis à mort.

Jean Chevalier : Pour mieux comprendre l'islam mystique

On n’insistera jamais assez, quand il s’agit de valeurs mystiques, sur le fait que la Parole ne découvre son sens qu’en s’incarnant dans la vie. Les musulmans repoussent toute incarnation du Verbe de Dieu parce qu’ils ne croient pas à un Dieu en trois personnes et parce qu’une Incarnation comme celle d’un Christ-Dieu contredirait, à leurs yeux, la souveraine transcendance. Mais parmi eux, en faisant par leur vie l’expérience de la vérité coranique, les mystiques ont, en quelque sorte, incarné la Parole et, en se désincarnant par leur ascèse, c’est elle qu’ils ont manifestée. Ils lui ont alors donné un sens et une valeur qui font exploser toutes les capsules des mots.

pir zadé vilayat inayat khan : Psychologie de la méditation dans le soufisme

On fait souvent, en religions comparées, une distinction, que je considère comme très superficielle, mais qu’il est tout de même bon de connaître, entre mystique naturelle et mystique surnaturelle. La mystique naturelle serait l’expérience d’une identité intrinsèque vécue sous forme d’une participation mystique. Qui dit transcendant dit « autre », car il y a toujours un peu d’altérité dans la transcendance. Ainsi, en l’absence de cet autre que soi-même, ou plutôt — car ce n’est pas un autre que soi-même — de cet élan qui nous fait transcender notre acte d’exister, nous nous renfermons dans la tour d’ivoire de cette conscience d’être. Et l’esseulement devient alors un isolement assez artificiel qui nous appauvrit.