Attentif à toutes les formes revêtues au cours des âges par la pensée humaine dans sa quête obstinée de la vérité, le psychanalyste zurichois n’avait pas été sans remarquer les analogies existant entre les rêves de certains de ses patients et les textes alchimiques anciens dans lesquels, à l’encontre de ses confrères, il n’avait pas craint de se plonger afin de mieux appréhender les mécanismes de l’esprit.
Catégorie : Essais
Philippe Litzler : Isaac de l'Étoile et la connaissance de soi
La pureté à laquelle Isaac aspire procède en grande partie de « la purification des phantasmes qui sont absorbés par les sens, habitent au-dedans l’imagination et, comme de petits nuages intermédiaires, nous cachent la clarté du soleil. » Il nous faut ainsi « dépasser toute l’agitation des pensées par la vigilance de l’âme », nous élever au-dessus de « la foule intérieure » comme Jésus gravissant la montagne, car tant que nous sommes immergés dans cette foule il nous est impossible de la contempler lucidement : « il est difficile, dans la foule, de voir la foule ; il est inévitable, dans la foule, d’éprouver du trouble. Aussi doit-on laisser la foule pour voir la foule elle-même, pour juger de la foule même ». Cette prise de recul s’effectue extérieurement, par un retrait dans la solitude, et intérieurement. L’enseignement d’Isaac de l’Étoile ne sépare d’ailleurs jamais ces deux plans. Ce sont plutôt pour lui des sphères concentriques dont le centre est la Réalité une et immuable.
Étienne Wolff : L'Intention cachée
Que ces notions puissent être considérées par les uns comme purement mécanistes, par les autres comme finalistes, cela n’a rien d’étonnant : car c’est le plan même de l’organisme qui est présent sous une forme concentrée, télégraphique, et qui se déroule suivant un mécanisme monté dans le temps et dans l’espace.
Michel de Salzmann : Les miettes du festin
Sans doute ne peut-on blâmer des tentatives de bonne foi – quoique à l’évidence prématurées – pour n’avoir pas réussi à relever un défi presque impossible, celui de transmettre, hors de son terrain propre, l’essence métaphysique d’un enseignement qui a pour fin, comme pour origine, la « réalisation » des potentialités de l’être et de ses « pouvoirs correspondants de manifestation ». Mais comment, par ailleurs, ne pas savoir que toute naïveté, toute prétention, dans ce domaine, risque fatalement d’exposer les autres aux pires méprises, de provoquer inconsciemment plus de mal que de bien…
Pierre Schaeffer : Dialogue apocryphe avec Monsieur Gurdjieff
Quelqu’un lui a demandé un jour d’où venait cette musique. Il n’a pas répondu mais indiqué qu’elle venait, bien entendu, du même lieu que des danses, et que c’est grâce à la mémoire des mouvements qu’il s’était souvenu de la musique. La raison qu’il donne est cette correspondance mathématique, ces fameuses lois. Moi je veux bien, mais je crois, plus simplement, qu’il est comme tout virtuose : sa mémoire musicale est désormais dans ses muscles. Un pianiste joue Chopin sans avoir besoin de se remémorer. La partition est dans le corps.
James Moore : Gurdjieff et Katherine Mansfield
Et voilà que, tout à coup, — c’était le bouquet —, surgissait Katherine Mansfield. « M. Gurdjieff n’est pas du tout comme je pensais », écrit Katherine, « il est comme on veut vraiment le trouver. Mais je suis absolument sûre qu’il peut me mettre sur la bonne voie en toutes circonstances… » Et maintenant qu’il l’avait acceptée, quel poids pour Gurdjieff : le terrible diagnostic des médecins, le problème des soins intensifs, à lui assurer la mise en péril de son Institut par la mort d’une femme célèbre… Évidemment, il avait prévu ces difficultés, les avait mises en balance avec le besoin de Katherine et, tout bien pesé, les avait écartées. « Pour cela », écrit Ouspensky, « il a reçu, au cours des années, et avec les intérêts, son plein salaire de mensonges et de calomnies ». (Fragments d’un Enseignement inconnu.)
Hervé Soupiron-Michel : Le Zoo Humain
Le drame de cette humanité c’est de s’être persuadé qu’il valait mieux inventer sa provenance plutôt que de la vivre. Et pourtant, quand je les observe je vois clairement se manifester le flux de vie qu’ils ont tous en commun : fleuve, rivière, ruisseau, torrent, source ; je vois ce flux aborder leurs corps sclérosés, réels ou imaginés, essayer de se frayer un chemin, contournant les écueils que lui oppose la marionnette de bois qu’ils ont construit durant toute leur vie, souvent sans en avoir eu conscience.
Marcel Rainoird : Belzébuth, affaire à suivre
Cependant, tout en s’attachant à démonter les mécanismes du comportement individuel et social de l’homme contemporain, Gurdjieff remet à sa juste place ce qui obnubile tant le praticien des sciences humaines, à savoir le progrès technique, industriel avec ses aléas, ses succès ou ses crises. Il ignore ou lacère les élucubrations théoriques, il pulvérise les apparences. Son histoire de l’humanité se veut essentielle. Que ce soit dans la fresque ou dans le détail, en plan d’ensemble ou en gros plan, elle se situe au niveau des causes originelles. Qu’il s’agisse de faits mondiaux ou de faits divers, quel que soit l’angle d’attaque, la variation du ton – depuis l’injonction solennelle jusqu’à la farce, jusqu’au canular – Gurdjieff s’attache à certains événements, parce qu’ils entrent dans le champ d’une information créatrice.
Léonel Beudin : Le point : la matérialisation du néant ?
Dans cette étude nous avons essayé, au contraire, de ne faire appel qu’aux faits réels et de ne suivre que ce qu’indique le bon sens, ce vieux bon sens, si décrié actuellement. La logique permet beaucoup de choses. Elle ne porte pas de jugement sur les prémisses qui lui sont fournies. Quelle que soit leur nature, elle en tire des conclusions, paradoxales ou non, avec la plus grande sérénité. Le bon sens est plus pointilleux. Il permet beaucoup moins d’envolées et se fait souvent juge, ce qui le fait considérer comme un frein. Il nous a cependant conduit, dans les pages suivantes, à certaines idées que nous pensons plus saines et qui apportent des réponses plus naturelles aux questions précédentes. Il nous a permis aussi de mieux comprendre les liaisons existant entre l’étendue et les objets qu’elle contient.
Patrice Godart : Champs de cohérence et yoga
Mais il existe aussi un autre mental, plus intérieur, plus profond, qui n’est plus conditionné par l’ego, l’ambition, la vanité, le désir personnel, un mental réceptif, capable de se taire et d’écouter, de s’adapter, de s’élargir et de s’enrichir sans qu’aussitôt il ne se gargarise de sa propre importance. Il travaille dans la nuance, dans la subtilité, cherche à établir toujours de nouvelles relations, se contente souvent de frôler des essences psychiques, comme dirait J. Ravatin, sans aussitôt vouloir les annexer et les mettre en repères. Il sait se mettre à l’écoute, en silence, veille avec soin sur ces effluves d’un autre monde pour qu’elles pénètrent en lui et fécondent mille sensations et pensées qui deviendront à leur tour les germes d’autres expériences et d’autres sensations. Il aime se fondre dans l’objet qu’il interroge et vivre au cœur des êtres et des choses quand d’autres se contenteraient d’un survol rapide à la surface. Pour lui, la diversité du monde ne constitue pas un fardeau de compilation, mais une voie d’enrichissement, de relations illimitées et la source d’une joie toujours renouvelée devant le mystère d’une unité infiniment morcelée et cependant toujours inaltérable.