Selon la loi de contradiction qui régit le moi, l’amour et l’intellect ont des fonctions qui s’opposent à leurs propres mouvements. L’amour donne à l’individu l’impression d’un mouvement centrifuge : le moi a l’impression de se donner, de s’abandonner ; mais s’il se laisse en effet emporter par le cours de ses sentiments et de ses passions, s’il accepte d’y éteindre le sentiment de soi, ce n’est que parce qu’il espère y trouver (par l’union avec l’objet de son amour) une permanence dont il ne se sent pas assez assuré. L’amour est une recherche de permanence, qui s’effectue au détriment du désir qu’a le moi de se percevoir ; l’amour cherche, par tous les moyens, à utiliser le monde extérieur pour construire cette permanence intérieure. Loin d’être centrifuge, c’est donc un mouvement centripète, mais qui donne l’illusion d’être centrifuge, parce que la notion qu’a le moi de sa propre réalité s’y trouve obscurcie. Dans le monde à rebours qu’est celui du moi, c’est donc bien en perdant le sentiment de sa réalité, donc en sortant de lui-même, que le moi rentre en lui-même, et s’affermit dans sa propre permanence intérieure.
Carlo Suarès : La maturation d'un moi : L'éducation créatrice
