XXX : Deux ou trois petites choses

Mais comment pourrait-on transformer le monde ou la vie des hommes si l’on ne change pas soi-même ? Ne seront-ce pas toujours les plus assoiffés de pouvoir qui commanderont le destin des autres ? Quand un massacre se produit quelque part sur la terre et que des adversaires s’accusent mutuellement de l’avoir commis, la question n’est pas de savoir qui est le vrai coupable mais qui est capable de commettre un tel acte. Dans tous les cas la réponse est que les deux parties pouvaient le faire, en s’étant donné chacun de bonnes raisons pour cela. Tous les génocides et toutes les tortures se justifient dès lors qu’ils sont perpétrés au nom d’un dieu ou d’une idéologie ; l’histoire est là pour nous le rappeler. Mais comment changer la nature humaine ? Au moyen de manipulations génétiques ou chimiques ? Le résultat risque d’être pire que le mal. Contrairement à ce qu’il a pu croire dans son délire d’orgueil, l’homme reste incapable de maîtriser son destin. On ne peut qu’être frappé par la lucidité qu’ont eue certains chefs politiques ayant entre les mains les leviers du pouvoir, et par la fatalité qui les a entraînés dans des événements néfastes sans qu’ils puissent les éviter, ni pour eux, ni pour les autres bien que les ayant prévus.

XXX : Si tu t'imagines...

Si l’on ne peut transmettre ce dont il est ici question, du moins par la parole verbale, écrite ou par une technique, peut-être pourrait-on aider les autres à s’approcher du point de rupture. Mais, quels sont ceux qui sont disposés d’emblée à mourir à leur imaginaire, à renoncer à se faire plaisir ? Quels sont ceux qui sont prêts à s’engager sans réserve aucune, sans arrière-pensée, totalement ? non pas en avançant simplement un pied et en se disant : Après, on verra bien… Si l’on sait par avance, comme il est dit dans le zen, que la chambre que l’on s’imagine être celle du trésor, et dans laquelle on va se glisser comme un voleur, va se révéler être une pièce vide ? Non, surtout pas cela. Renoncer à son confort et à ses sucreries spirituels, à son petit trésor intérieur personnel, aux chaudes satisfactions que procure le milieu « agitationnel » dans lequel on évolue, il ne saurait en être question. C’est en ce sens que l’on peut aussi comprendre la parabole du jeune homme riche de l’Evangile qui demande au Christ ce qu’il doit faire pour avoir la vie éternelle et auquel celui-ci répond : « Abandonne tout et suis-moi ». Et le jeune homme s’en alla tristement parce qu’il tenait trop à lui-même.

Kenneth White : Le chemin des étoiles

On parle beaucoup de progrès. On parle beaucoup de culture. Mais rares sont les réponses à un désir profond. On se dit : « Ça va », on se dit parfois : « Ça va mieux », mais au fond, ça ne va pas du tout. Il y a un manque, un manque radical. Il manque un fondement. On va d’une chose à l’autre, mais toujours sur le plan socio-personnel, et selon une certaine logique. Sans doute faudrait-il changer de plan et de logique. Mais ce n’est pas une mince affaire. Ni la politique, ni la psychologie, ni l’éducation, ni la religion, ni l’art tel qu’il est pratiqué le plus souvent ne touchent à cette dimension-là. Tout tourne en rond, comme un cirque. On n’en sort pas.

XXX : Avec de gros sabots

Si la nature humaine n’était que l’apparence extérieure d’une réalité-source, la folie ayant consisté jusqu’alors à pro­jeter l’intuition de cette nature-source soit à l’extérieur de soi-même et du monde en imaginant la divinité, soit sur les êtres et les choses en imaginant le sacré. Il suffit de s’installer comme gourou pour qu’en peu de temps des dévots vous canonisent ou, foin de cette limitation, ne fassent de vous un dieu vivant infaillible, c’est-à-dire une idole. Pourquoi projeter hors de soi ce qui se trouve en soi, à la source de soi. Pourquoi humilier jusqu’à l’autopunition sa nature humaine, comme si elle consti­tuait l’unique obstacle à retrouver un paradis. Pourquoi, en sens opposé, glorifier celle-ci en lui supposant un destin à part parmi les diverses formes du vivant, comme si les hommes, ainsi que toutes les autres espèces n’étaient pas soumis à la mort ?

XXX : Pardon, ou se trouve la sortie ?

L’agitation confuse qu’engendre le besoin de savoir est le plus sûr moyen de s’égarer, il faut plutôt se tourner vers ce qui en aucun cas ne peut être l’objet d’un savoir mais uniquement connu en soi, directement. Tout ce qui peut être dit et écrit sur ce dont il s’agit ici, y compris ces lignes, ne peut en aucune manière le faire vivre, mais seulement en indiquer l’existence, la possibilité de s’y trouver au cours de sa vie et enfin de le reconnaître si cela arrive sans éprouver ensuite la nécessité de s’en remettre à des gens d’appareils religieux qui ne sauront, eux, ce dont il s’agit que par ouïe-dire.

Kenneth White : Nul dieu à célébrer

(Revue Itinérance. No 1. 1986) Kenneth White est un poète et penseur contemporain, né le 28 avril 1936 à Glasgow. Il réside en France depuis les années 80 à Trébeurden (Bretagne). Théoricien de la « géopoétique », poétique porteuse de sens et de pensée, il alterne des récits de « voyages philosophiques » et les […]

Wei Wu Wei : La libération de l'absolu

L’Absolu ne pourra jamais être révélé par aucune formule verbale. Toutes les langues sont des formules verbales, tout langage est ‘relatif » à l »Absolu’, et il n’y a aucun ‘Absolu’ à être révélé, ses contreparties relatives — étant la négation mutuelle de Tel — sont ce que, et tout ce que, le concept de l »Absolu’ pourrait être. Si nous faisons un concept de l »Absolu’, nous sommes de ce fait asservis à ce concept….

Wei Wu Wei : Impératif

Il ne dit pas que ‘quand nous transcendons la dualité nous revenons à notre Nature Originelle’ mais, au contraire que ‘quand nous revenons à notre Nature Originelle, nous transcendons la dualité’. Cela n’implique pas, Comme dans le premier ‘nous’, qu’il y a quelque chose pour ‘nous’ à ‘faire’, mais que le dernier `nous’ est ce que nous sommes. Les deux ne sont pas deux incidents temporels, mais un seul. ‘Notre’ urgence à ‘faire’ quelque chose est ce qui ‘nous’ tient liés à la Relativité.

Wei Wu Wei : Trouver le chercheur

Quand tu me regardes c’est dans ‘ton’ mental que je parais exister.
Quand ‘je’ te regarde, c’est dans ‘mon’ mental que tu parais exister.
Quand chacun de nous regarde l’autre, c’est dans le mental du ‘regardant’ que ce qui est vu paraît.
Tout ce que nous pourrions penser, chacun de l’autre, ‘semble’ exister seulement dans le mental où il apparaît.