René Fouéré : « Etre » ou « être » pour « faire »

Comme si, incertain d’être là, inquiet de soi, on voulait se rassurer en se donnant la certitude de sa propre présence au monde. Comme si l’on voulait sortir de soi-même, en quelque sorte, pour se donner le spectacle, matériel ou psychologique, de sa propre existence effective. Ou encore comme si l’on voulait se trouver en mesure de dégager de sa propre conscience un observateur qui, de l’extérieur, se ferait le témoin de soi. En fait, ce témoin extérieur ne serait qu’une illusion de témoin. Car il devrait faire encore partie de la conscience s’interrogeant sur l’existence d’elle-même, sur la réalité de son être. S’il en était autrement, elle ne pourrait, en effet, avoir un accès intime à la conscience dudit témoin, elle ne pourrait entrer en lui.

René Fouéré : Prise de conscience résolutoire plénitude de l'énergie et perte de la conscience distinctive, oppositionnelle de soi

Les contradictions internes s’étant évaporées au feu de la prise de conscience résolutoire, l’énergie individuelle, jusque-là divisée en fractions rivales, se trouve dès lors totalement rassemblée, atteignant ainsi son plus haut niveau, s’élevant à une intensité qui efface toute conscience distinctive, oppositionnelle de soi. On pourrait dire que la conscience sent, perçoit ou agit tellement, si parfaitement, si pleinement, qu’elle ne « se » sent plus [1]; ne se perçoit plus, en tant que foyer spécifique de ce qu’elle éprouve ou de ce qu’elle fait — et faire, c’est encore éprouver ! Elle perd conscience de sentir ou d’agir, elle est la sensation ou l’action mêmes, sans se préoccuper d’en discerner, d’en identifier le siège.

René Fouéré : Une compréhension du monde née d'une « intelligence » non intellectuelle

Etymologiquement, « comprendre » veut dire « saisir ». Ce que je traduirai par « prendre sur soi », en donnant à cette expression une signification non pas impérieuse et agressive, mais, en quelque sorte, affectueuse. Pour moi, comprendre le monde, au sens profond du terme — et ce sens devient profond quand il s’agit de comprendre la totalité du monde sous tous ses aspects —, ce n’est pas s’en donner une explication intellectuelle, tenue pour satisfaisante, en observant scrupuleusement les règles d’une logique admise. C’est ou ce serait prendre conscience de son vrai, de son intime rapport avec nous, avec l’essence même de notre être.

René Fouéré : Conscience intemporelle et futur psychologique ou technique

On pourrait dire que, dans et par son action instantanée, la conscience intemporelle du libéré, qui est aussi énergie, engendre le futur. Un futur qu’elle fait arriver — pour elle-même comme pour autrui — mais qu’elle n’attend pas, dont elle ne ressent pas le « besoin » car elle est déjà tout entière là. Dans l’ordre vital, au regard de sa perception totale des choses, le futur ne peut être pour elle qu’un présent auquel elle fait face quand, chronologiquement survenu, il est là. Elle n’espère pas en sortir agrandie et ne redoute pas d’être, par sa venue, diminuée.

René Fouéré : Le désir de sécurité, la pensée et ses images

Krishnamurti dit, en substance, que si la pensée forme des images, c’est parce que ces images, possédant une stabilité dans le temps, satisfont chez l’individu humain un besoin de sécurité que les êtres ou objets réels, qui sont toujours instables, ne parviennent pas à satisfaire au même degré. L’image, en somme, serait un masque rassurant, construit avec les éléments du passé, qui aurait pour objet de nous dissimuler les fluctuations réelles, souvent déconcertantes, sinon inquiétantes, des êtres et des choses présents. Il est certainement vrai que les images jouent ce rôle et que, par leur intermédiaire, la pensée, créatrice et manipulatrice d’images, est mise par l’individu au service de sa recherche d’un sentiment de sécurité.

René Fouéré : La vérité ne se conquiert pas

Si nous ne découvrons pas d’abord notre propre vérité, le sens de nos propres actions et intentions, toute autre vérité que nous essaierons d’appréhender sera faussée, pervertie, par nos tensions internes, nos préoccupations secrètes. Or, la découverte authentique de la vérité sur nous-mêmes n’est qu’un autre nom de cette illumination spirituelle qui éveille en nous un autre regard. Une telle illumination est donc la condition préalable à la découverte de toute autre vérité qui ne serait pas simplement formelle ou d’ordre purement technique.

René Fouéré : On peut porter jugement sur un acte mais non sur son auteur

C’est saint Augustin et saint Thomas d’Aquin qui, à des siècles de distance, se sont accordés pour dire — dans l’esprit des préceptes rapportés au chapitre 5, versets 38 à 48, de l’évangile selon saint Mathieu — que nous devions détester le péché, parce qu’il est haïssable à Dieu, mais aimer le pécheur, parce qu’il est notre prochain. Sans pour autant me référer, ni vouloir obéir, à des textes ou à des commandements bibliques, je m’accorderais, en un sens, avec ces docteurs de l’Eglise quant à cette double attitude, si difficile à observer, qu’ils demandaient aux chrétiens d’adopter à l’égard de la faute commise et de son auteur.

René Fouéré : Psychologiquement, ce n'est pas autrui qui me fait mal, c'est moi qui me fais mal avec autrui

Si nos contacts avec le monde n’ont pas le caractère irrémédiable, implacable, des phénomènes objectifs, si c’est la manière dont nous accueillons les incidents de notre destinée qui décide si, après les avoir traversés, nous nous retrouverons enrichis ou appauvris, libérés ou asservis ; si c’est, en dernière analyse, notre attitude intérieure qui déterminera le caractère que ces incidents auront finalement pour nous, alors, nous pouvons à tout le moins concevoir qu’emprisonnés par notre interprétation actuelle de notre expérience, nous pourrions être libérés par une interprétation neuve et insolite

René Fouéré : Liberté et amitié : caricatures et réalités

Quand on sait qu’un acte est malsain, dangereux pour son auteur, et pas seulement pour lui, on ne saurait aider cet auteur, même sous prétexte de lui être agréable — et avec l’insidieuse arrière-pensée de se concilier ses bonnes grâces — à y persévérer, à s’y asservir, s’y enliser. Ce n’est pas manifester, se donner une vraie liberté ; c’est contribuer, socialement, à donner un mauvais exemple, c’est se faire le complice d’un esclavage, d’un désordre générateur de morts et de graves souffrances.

René Fouéré : Tortionnaires conscients et inconscients

On insiste beaucoup sur l’ignominie des tortionnaires militaires désignés, dont on fait volontiers des « criminels de guerre »… quand ils se sont trouvé être dans l’autre camp ! Ces tortionnaires pouvaient d’ailleurs avoir eu l’« excuse » de s’être donné pour objectif de chercher à épargner les vies de leurs compatriotes, en arrachant à leurs victimes, par la torture délibérée, des aveux, d’ordre stratégique ou tactique, précieux pour la conduite de la guerre dans leur propre camp. Mais on est étrangement muet sur la culpabilité humaine des simples combattants, ces tortionnaires inconscients qui tiraient des obus ou lançaient des projectiles sur l’ennemi catalogué. Lesquels obus ou projectiles désarticulaient, brûlaient atrocement, détruisaient les corps sur lesquels ils s’abattaient.