René Fouéré : Lucidité, analyse et jugement

Il nous faut inlassablement mettre en question cette mosaïque d’opinions reçues, tous les éléments de cette verrière colorée qui nous dérobe la lumière blanche, la lumière directe de l’expérience. Une telle mise en question ne peut être opérée que par un individu qui s’est « idéologiquement » détaché du milieu, qui a consenti à la solitude perplexe de sa propre pensée. La connaissance de soi, nous dit Krishnamurti, ne passe pas par « l’introspection » (Sur le sens donné par Krishnamurti au terme « introspection », des réserves s’imposent que nous préciserons plus loin.): en essayant d’analyser sur le vif un sentiment qu’on éprouve, on le détruit.

René Fouéré : Indications sur mon chemeniment et l'enseignement de Krishnamurti

Par sa base, l’enseignement de Krishnamurti repose, en effet, sur un art de découvrir ces propositions, ces « théorèmes » psychologiques, et d’en établir solidement, au jugement de tout observateur de soi honnête, lucide et attentif, la réalité ; sur une mise en lumière impitoyable et irrécusable de la structure et de l’inévitable fonctionnement de notre esprit au niveau de conscience qui est celui de l’immense majorité des êtres humains. Dans ces conditions, il n’est absolument pas concevable qu’un individu intelligent, s’observant honnêtement, puisse, dans son for intérieur, entrer en conflit avec un tel enseignement une fois qu’il en a bien compris la véritable nature. Cela reviendrait pour lui à entrer en conflit avec lui-même, à renier sa propre transparence.

René Fouéré : De la prise de conscience partielle à la prise de conscience totale ou le chemin de la libération

L’action de la prise de conscience est, comme je l’ai déjà dit, un phénomène psychologique naturel qu’on observe, dans la vie courante, lorsqu’on découvre soudainement et perçoit très clairement qu’une conduite particulière est, de façon indiscutable et flagrante, foncièrement et irrémédiablement inapte à produire l’effet, le résultat qu’on en attendait et en vue duquel on l’avait adoptée. Cette perception entraîne une chute, un retrait instantanés de l’énergie et de l’attention qui se trouvaient jusque-là investies dans la mise en œuvre et l’entretien de cette conduite.

René Fouéré : Une parenthèse métaphysique

Quelque chose est là, éternellement là, caché sous le manteau des apparences, et qui est l’être même, la substance de l’être et l’essence de tout. Cette essence est là depuis toujours. Un « toujours » qu’elle a inventé, de même que l’espace, cette autre illusion de la fragmentation apparente de l’être. Mais ni le temps ni l’espace, qui sont ses fabrications engrenées, ne peuvent menacer son essentiel, son immuable « être-là ».

René Fouéré : « Etre » ou « être » pour « faire »

Comme si, incertain d’être là, inquiet de soi, on voulait se rassurer en se donnant la certitude de sa propre présence au monde. Comme si l’on voulait sortir de soi-même, en quelque sorte, pour se donner le spectacle, matériel ou psychologique, de sa propre existence effective. Ou encore comme si l’on voulait se trouver en mesure de dégager de sa propre conscience un observateur qui, de l’extérieur, se ferait le témoin de soi. En fait, ce témoin extérieur ne serait qu’une illusion de témoin. Car il devrait faire encore partie de la conscience s’interrogeant sur l’existence d’elle-même, sur la réalité de son être. S’il en était autrement, elle ne pourrait, en effet, avoir un accès intime à la conscience dudit témoin, elle ne pourrait entrer en lui.

René Fouéré : Prise de conscience résolutoire plénitude de l'énergie et perte de la conscience distinctive, oppositionnelle de soi

Les contradictions internes s’étant évaporées au feu de la prise de conscience résolutoire, l’énergie individuelle, jusque-là divisée en fractions rivales, se trouve dès lors totalement rassemblée, atteignant ainsi son plus haut niveau, s’élevant à une intensité qui efface toute conscience distinctive, oppositionnelle de soi. On pourrait dire que la conscience sent, perçoit ou agit tellement, si parfaitement, si pleinement, qu’elle ne « se » sent plus [1]; ne se perçoit plus, en tant que foyer spécifique de ce qu’elle éprouve ou de ce qu’elle fait — et faire, c’est encore éprouver ! Elle perd conscience de sentir ou d’agir, elle est la sensation ou l’action mêmes, sans se préoccuper d’en discerner, d’en identifier le siège.

René Fouéré : Une compréhension du monde née d'une « intelligence » non intellectuelle

Etymologiquement, « comprendre » veut dire « saisir ». Ce que je traduirai par « prendre sur soi », en donnant à cette expression une signification non pas impérieuse et agressive, mais, en quelque sorte, affectueuse. Pour moi, comprendre le monde, au sens profond du terme — et ce sens devient profond quand il s’agit de comprendre la totalité du monde sous tous ses aspects —, ce n’est pas s’en donner une explication intellectuelle, tenue pour satisfaisante, en observant scrupuleusement les règles d’une logique admise. C’est ou ce serait prendre conscience de son vrai, de son intime rapport avec nous, avec l’essence même de notre être.

René Fouéré : Conscience intemporelle et futur psychologique ou technique

On pourrait dire que, dans et par son action instantanée, la conscience intemporelle du libéré, qui est aussi énergie, engendre le futur. Un futur qu’elle fait arriver — pour elle-même comme pour autrui — mais qu’elle n’attend pas, dont elle ne ressent pas le « besoin » car elle est déjà tout entière là. Dans l’ordre vital, au regard de sa perception totale des choses, le futur ne peut être pour elle qu’un présent auquel elle fait face quand, chronologiquement survenu, il est là. Elle n’espère pas en sortir agrandie et ne redoute pas d’être, par sa venue, diminuée.

René Fouéré : Le désir de sécurité, la pensée et ses images

Krishnamurti dit, en substance, que si la pensée forme des images, c’est parce que ces images, possédant une stabilité dans le temps, satisfont chez l’individu humain un besoin de sécurité que les êtres ou objets réels, qui sont toujours instables, ne parviennent pas à satisfaire au même degré. L’image, en somme, serait un masque rassurant, construit avec les éléments du passé, qui aurait pour objet de nous dissimuler les fluctuations réelles, souvent déconcertantes, sinon inquiétantes, des êtres et des choses présents. Il est certainement vrai que les images jouent ce rôle et que, par leur intermédiaire, la pensée, créatrice et manipulatrice d’images, est mise par l’individu au service de sa recherche d’un sentiment de sécurité.

René Fouéré : La vérité ne se conquiert pas

Si nous ne découvrons pas d’abord notre propre vérité, le sens de nos propres actions et intentions, toute autre vérité que nous essaierons d’appréhender sera faussée, pervertie, par nos tensions internes, nos préoccupations secrètes. Or, la découverte authentique de la vérité sur nous-mêmes n’est qu’un autre nom de cette illumination spirituelle qui éveille en nous un autre regard. Une telle illumination est donc la condition préalable à la découverte de toute autre vérité qui ne serait pas simplement formelle ou d’ordre purement technique.