Carlo Suarès : La société des hommes n'est pas espèce

Avons-nous eu des expériences spirituelles ? Leur sou­venir les a assassinées. La félicité que nous en avons ressentie les a assassinées. La certitude, le cri de joie, l’extase les a assassinées. Car ces délectables émotions se sont ajoutées au perçu, au goûté, au comparé, au connu, au passé, à la trame du tissu de nos jours. Goûtons-nous « encore une fois » cet ineffable ? Ce n’est donc pas lui. Peut-être nous a-t-il surpris une fois par mégarde. Mais si nous l’avons « senti » c’est qu’il n’était déjà plus là. Il n’y a pas de rencontre possible entre le neuf et le vieux. Et « qui » était là pour l’accueillir ? Est-on ?… Sommes-nous autre chose qu’un passé, et un passé est-il autre chose qu’une protection ? Qu’un système défensif ? Qu’une organisation fortifiée ?

Jean-Louis Siémons : Réincarnation - Le pour et le contre

(Extrait de La Réincarnation, Des preuves aux certitudes Éditions Retz 1982)  Chapitre Précédent  Premier Chapitre   Des preuves : pour et contre la réincarnation Étude critique À la recherche des preuves Un jour, un érudit bouddhiste voulut donner une preuve expérimentale de la réincarnation. Au cours d’un débat en présence du roi, il se donna la […]

Carlo Suarès : La comédie psychologique

[…] toute modification d’une constante (individuelle ou collective) est encore une constante; qu’un caractère transformé est toujours un carac­tère; que passer d’une condition à une autre condition, c’est être en condition. Si doit mourir le grain, de sa bonne mort, c’est en ce par quoi on le peut définir grain. Si doit mourir l’homme de telle mort qu’il vive, c’est en tout ce par quoi il se définit et s’enferme dans des architectures (propres, dites idiosyncrasiques, ou collectives, dites de classes, nationales ou idéologiques). Ces constructions ne sont jamais que des imageries simplettes et puériles. Dirait-on, encore, qu’entre autres caractéristiques, un-tel montre de l’avarice ou de la misanthropie; que un-tel a réagi en s’identifiant à ce qu’il croit être la France ou l’Indo-Chine; ou qu’un-tel encore, s’imaginant penser, n’a fait que répéter des opinions préfabriquées par un groupe social dans la défense de ses inté­rêts; cela indiquerait que cet individu multiple, ou plutôt multiforme, ou plutôt cacophonique, manifeste, entre autres choses, aussi cela. Il est cela à l’occasion; il l’est sous une de ses faces; demain il pourra ne plus l’être : cette face aura changé. Mais quoi? Où en arrive-t-on? Et combien fallacieuse, combien dangereuse, cruelle, meurtrière est cette découpure.

Carlo Suarès : Réflexions allant du complexe au simple

La controverse byzantine entre les métaphysiciens et les pragmatistes porte sur « la nature humaine ». Pour les premiers, elle est une constante et un absolu, pour les seconds, une variable en fonction du conditionnement. Existe-t-il une constante de liberté indéterminée, indéfinissable, insaisissable en chacun de nous, qui se trouve comme empri­sonnée dans nos caractères, dans nos qualités, « une liberté en condition » ? Mon caractère particulier, mes caractéris­tiques nationales, héréditaires, sociales, etc… ne sont-elles que des formes, des sortes de récipients contenant, limitant, mesurant ma liberté intérieure ? Dans ce cas, puis-je trans­cender mon conditionnement, refuser de m’identifier à mon métier, à mon état civil, et même à mon caractère, à mes goûts, à mes tendances, et retrouver par delà tout ce qui me définit, cette liberté emprisonnée ?…

Jean-Louis Siémons : De l'antiquité au christianisme - coup d’œil sur les avatars de la réincarnation

L’examen des modèles orientaux nous a fait toucher du doigt la diffi­culté du discours métaphysique. La doctrine peut tantôt affronter cou­rageusement les réalités de l’Être, en s’engageant dans des voies sibyl­lines pour le profane, tantôt demeurer dans le monde intermédiaire de l’allégorie, avec le risque permanent de tomber dans le « réalisme » où va se cantonner le catéchisme exotérique, en disant : « les âmes bonnes iront au ciel et goûteront le bonheur dans leur prochaine incarnation, les autres iront en enfer ». Sans prétendre que les modèles philoso­phiques, de l’hindouisme à la Théosophie, offrent toute-la-vérité sur l’itinéraire de l’être spirituel, nous y avons collecté au moins — dans des langages différents mais convergents — les principaux points forts où s’appuie toute la doctrine. On les retrouvera donc de quelque manière dans les autres schémas doués d’une certaine cohérence. Avec le parfum ajouté par le génie propre de chaque peuple.

Jean-Louis Siémons : Des modèles de réincarnation sans âme

Sans matière physique, nous avait-on affirmé, pas d’Esprit. Mais, la page se tourne : voici l’ère du matérialisme transcendant ; on apprend que la Matière avait justement une face cachée : l’Esprit. Aussi, soyons rassurés, le « Moi » ne se perdra pas. Dans un univers dont le tissu est indestructible, il réapparaîtra sans cesse. Comme l’ont cru les Chinois : « Tu revivras dans tes milliers de descendants. »

Carlo Suarès : Réflexions allant du simple au complexe

Je ne vois pas pourquoi il me faudrait aller chercher tant de religions extraordinaires, au lieu de me rendre compte de la nature de ma pensée. Si le discontinu, la dissociation de l’espace et du temps, se posent à la fois comme objets et comme pensée, je ne vois pas pourquoi la pensée ne pourrait pas se penser elle-même, dans la relation entre les termes dissociés, relation qui n’est autre qu’elle-même. Au lieu de poser ma conscience en bloc, en une entité composée de deux pôles opposés, en face d’une pseudo entité inexistante, dénommée à tort « concept », puisqu’on ne la conçoit pas, dont on veut se persuader qu’elle n’est pas contradictoire dans sa nature, je ne vois pas pourquoi la pensée ne pourrait pas être simplement le témoin, le spectateur de son propre processus.

Jean-Louis Siémons : Le modèle théosophique de la réincarnation

Dans un article publié en 1889 « La mémoire chez les mourants » Mme Blavatsky cite un texte théosophique (datant de 1883) dont l’actualité saute aux yeux après les enquêtes du Dr Moody : « Au dernier moment, la vie tout entière est reflétée dans notre mémoire : elle émerge de tous les recoins oubliés, image après image, un événement succé­dant à l’autre. Le cerveau mourant déloge les souvenirs avec une impulsion de la dernière énergie et la mémoire restitue fidèlement chacune des impres­sions qui lui avaient été confiées pendant la période d’activité du cer­veau… Aucun homme ne meurt fou ou inconscient — comme l’affirment certains physiologistes. Même un individu en proie à la folie, ou à une crise de delirium tremens, a son instant de parfaite lucidité au moment de la mort, bien qu’il soit incapable de le faire savoir aux assistants. Souvent, l’homme peut paraître mort. Pourtant, après la dernière pulsation, entre le dernier battement de son cœur et le moment où la dernière étincelle de chaleur animale quitte le corps, le cerveau pense et l’Ego passe en revue en quelques brèves secondes l’inté­gralité de sa vie. Aussi parlez tout bas vous qui vous trouvez près du lit d’un mourant, en la présence solennelle de la mort. Tout spécialement observez le calme dès que la mort aura posé sa main moite et froide sur le corps. Parlez tout bas, dis je, de peur de troubler le cours naturel des pensées qui reviennent et d’empêcher l’activité intense du Passé projetant sa réflexion sur le voile du Futur… »

Jean-Louis Siémons : Le modèle bouddhiste de la réincarnation

Le bouddhisme est expert en analyse, en classement de toutes choses en catégories soigneusement répertoriées. Une simple approche de l’être humain suffit à montrer que tout en lui est impermanent : une composition d’éléments sans cesse fluctuants, que l’on réunit en cinq groupes, ou agrégats — les skandha. Énumérer leurs noms — forme (rupa), sensations (vedanâ), perceptions (samjña), formations mentales (samskâra), connaissance ou conscience (vijnâna) — équivaut à ne rien dire, si on n’ajoute pas au moins que ces skandha englobent toute l’expé­rience physique et psychique, tout le vécu de l’homme dans ce qu’il appelle sa personnalité et son corps.