Daryush Shayegan : Le réel est toujours ailleurs

La Tour de Babel devient une réalité non seulement en ce qui concerne les langues — encore que là aussi nous ayons des problèmes quasi insolubles — mais les mentalités. Délire religieux, obsession révolutionnaire, émancipation des femmes, régression vers des utopies de plus en plus fumistes, guerre des étoiles, résurgence des croyances obsolètes, se côtoient les uns les autres dans un kaléidoscope d’opinions, de croyances, et de visions du monde où personne ne sait de quoi il parle, ni quelles sont les prémisses qui fondent tel discours politique plutôt que tel autre. Alors que les souhaits et les espoirs renvoient aux croyances les plus émotivement chargées d’antiques traditions, les structures conceptuelles aptes à les articuler restent celles-là les rejetons les plus tardifs et les plus monstrueux d’une modernité incomprise. L’entre-deux devient en quelque sorte la norme de la vie ; on essaie de comprendre, d’analyser, mais à force d’expliquer les détails et les motivations coupables de part et d’autre, on rate l’essentiel ; à savoir les ruptures historiques qui ont fait de l’Occident un bastion de la modernité et des autres civilisations du monde de grands monuments du passé.

Hubert Reeves : Vérité et conception du monde

L’erreur fondamentale, c’est précisément de penser qu’au niveau de l’interprétation, on peut arriver à une vérité générale en fait, chacun a sa vérité, qui est la bonne pour lui. C’est sa vie, c’est sa façon de vivre, et c’est très important que cela soit développé. C’est son parcours intérieur — dont il aura besoin quand il devra prendre des décisions, puisque notre vie est telle que nous sommes sans cesse confrontés à des situations dans lesquelles nous devons prendre des décisions morales devant la souffrance.

Aspects physiologiques du Zazen

La plus grande partie des expériences réalisées pendant la pratique de zazen utilisent la technique E.E.G. Grâce à cette technique, on peut enregistrer l’activité électrique de la surface du cerveau. Elle permet d’obtenir des informations sur le niveau d’excitation du cortex cérébral, mais les renseignements obtenus sont globaux puisqu’ils correspondent à l’activité de milliers des neurones présents dans la région où est réalisé l’enregistrement. L’E.E.G. a l’allure d’une oscillation rythmique, en général assez complexe. Mais on peut facilement reconnaître différents types de tracés correspondant à différents niveaux de vigilance.

Dany-Robert Dufour : La modernité, le désarroi et la formation

Puisqu’il y a un « espace aveugle derrière tout espace rempli », Törless « voit les choses sous un double aspect, toutes les choses et aussi bien les pensées ». Mais l’esprit mis sous cette tension dédouble de plus en plus fortement chacune des situations. Ce qui est obscur, ce qui est non rationnel l’est au point où ça échappe radicalement aux réseaux d’intelligibilité et où ça perdure et ressurgit après même que ç’ait fécondé, par voie de défi, la connaissance rationnelle : « aussi clairement que je sens une pensée prendre vie en moi, je sens « ce quelque chose » en moi s’éveiller à la vue des choses, au moment où les pensées se taisent. C’est quelque chose en moi d’obscur, au-dessus des pensées, je ne le puis mesurer rationnellement, c’est une vie que les mots ne cernent point et qui est pourtant ma vie »

Jean-Rémi Deléage : La logique des niveaux

On a parlé le plus souvent en sciences humaines (et même physiques) d’« effet d’expérimentateur » quand ce dernier, pour étudier un phéno­mène, lui fait correspondre un modèle descriptif en énonçant des lois de comportement, issues d’inférences partiales. Il y a là expérimentation de façon orientée, subjective, ce qui modifie, voire fausse les résultats. Or comme on l’admet aujourd’hui, même l’acte d’observer qui se veut passif oriente le résultat dans un sens précis. Tout observateur observe à travers lui-même et sa structure nerveuse humaine. Tout schéma perceptif en est tributaire, et l’on trouve le plus souvent sur le terrain ce que l’on y a apporté.

Louis-Marie Vincent : Champ morphobiotique – Structure invisible de l'être humain

Je dirais pour conclure que le champ morphogénétique ou morphobiotique tel qu’il vous a été exposé ressemble furieusement à la définition de l’âme que donnait Saint Thomas d’Aquin : Anima Forma Corporis, l’âme est la forme du corps… cette forme que vient remplir une matière. Il est significatif qu’à l’heure où la physique tente de découvrir l’esprit, la théologie catholique tend à retrouver la tradition juive, laquelle n’a jamais considéré l’âme comme strictement immatérielle. Bien entendu, les ressemblances avec d’autres termes tels que : aura, corps éthérique, mots qui nous sont familiers, ne sont pas fortuites.

André Préau : L'infini

Ce sont ces notes de grandeur, d’unité et de plénitude qui font de l’Infini l’Idée première par excellence. Étant le dernier fond, il est nécessaire; étant un, il est libre; conciliant l’ordre et la liberté, il est intelligent; sa plénitude étant parfaite, il peut être pure lumière et source universelle. Idée première et non exclusive, il est, comme René Guénon l’a bien vu, le mot-clef de la métaphysique, la réponse à la question : quel est le dernier fond ? ou : qu’est-ce que l’Ab­solu ? Les réponses, plus courantes, qu’on y a apportées, sont moins débordantes de sens et impliquent moins évidemment la transcen­dance de l’Absolu : l’Un, qui risque d’être entendu comme un chaos ou une confusion, d’où l’accusation — si fréquente, car trop facile — de panthéisme; — Dieu (Dyaus, le Ciel, ou le Seigneur céleste), menacé par l’immanence dans le devenir, comme on ne le voit que trop aujourd’hui; l’Être, mal distingué de l’existence; — ou encore le Maximum de Nicolas de Cuse, qui évoque trop la possibilité d’une comparaison, et celle d’un point d’arrêt. Nous ne critiquons pas ces appellations, dont nous nous servons nous-même; mais il est nécessaire qu’elles laissent entrevoir, derrière elles, un Fond transcendant et illimité…

M. H. Gobert : Technique de la mémoire

DANS la vie quotidienne, dans la vie professionnelle et sur le plan intellectuel pur, la Mémoire, sous toutes ses formes, n’est pas simplement souhaitable, elle est absolument indispensable et l’élément premier de toute réussite. Dès le plus jeune âge, l’individu doit, sous peine d’exclusion de la vie sociale, s’adapter aux coutumes de son milieu, les faire siennes, les assimiler, réagir suivant un véritable code qui le classe comme être social, membre d’une société déterminée. Nous verrons que sans Mémoire il n’est pas d’habitude, ou, si l’on préfère, que l’habitude n’est qu’une sorte de Mémoire.

Michael Alwany : Je pense, donc je ne suis pas

Je veux comprendre. Je veux comprendre ma pensée. Pas le contenu de ma pensée, ce qu’est la pensée. Je pense à propos de ma pensée avec ma pensée. Comment, alors, puis-je, être objectif ? Évidemment, ce n’est pas si facile. De même qu’il m’est difficile d’être objectif à propos de ma colère quand je suis en colère, de même il m’est difficile d’être objectif à propos de ma pensée quand je pense. Je peux l’analyser, bien sûr. Cela je peux. Je pour­rais citer des philosophes et des psycho­logues par douzaines si je voulais en faire la recherche. Mais cela ne m’inté­resse pas. Je ne m’intéresse pas aux théories sur la pensée, sur ce que disent les autres sur la pensée, sur l’acte de penser. Je répète : je ne veux pas l’ana­lyser. Je veux l’expérimenter. Je veux la voir — comment ça marche, ce qui la met en marche, en quoi elle consiste. Qu’est-ce que c’est la pensée ? Qu’est-ce que ça veut dire, penser ?

René Faure : L'expérience du désert

Les êtres et les choses, les évènements de la vie, perçus isolément, fût-ce avec le meilleur esprit critique et de synthèse, laisse l’homme dans une sècheresse intérieure. Et il n’est pas mauvais qu’il fasse l’expérience de son désert intérieur, quelle que soit la manière dont il vit et comprend les choses qu’il vit. Jusqu’à ce qu’il y ait une accepta­tion, même inavouée, de ne pas comprendre. Non pas un refus de comprendre, mais une acceptation de ne pas comprendre…