Stan Rougier : Tendresse et colère

L’homme est ainsi fait qu’il sacralise tout ce qu’il touche. Il s’est vu plus grand dans la guerre que dans la paix. Le premier coup porté à la sacralisation de la violence, c’est l’affirmation judéo-islamo-chrétienne : « Dieu seul est Dieu », Dieu seul s’écrit avec une majuscule… La justice, la liberté, la nation, la race, la patrie… rien de ce que les hommes idolâtrent ne mérite de prendre la place de Dieu. Si l’homme admet une relativisation des lois de la survie, s’il accepte de se référer à une Loi divine, tout change… ou du moins tout peut changer.

Michel Random : La déesse danse à Mohendjodaro

La première grande religion de l’humanité était donc la religion de la vie elle-même associée à la vénération de tout ce qui manifeste cette vie elle-même, la terre, le ciel, les animaux et les plantes. Le concept originel semble aller de soi, le sacré s’attache à toutes les manifestations visibles et tan­gibles de, la vie elle-même, parce que l’ensemble de ces manifestations à la fois sacrées et magiques donc en elles-mêmes, révèlent la nature divine des choses. Il est en ce sens profondément naturel que la nature féminine du vivant soit vénérée sous sa forme immanente en premier lieu, et que de ce fait la Grande-Déesse établisse en quelque sorte son autorité économique, sociale et spiri­tuelle.

Pascal Ruga : En marge d'un paradis oublié

Au temps lointain de cette enfance, je ne priais pas, et pourtant tout m’était donné. Rien n’était demandé à ce royaume de lumière dont je sens encore en moi le calme et la force infuse. De ce royaume j’étais le prince innocent, le démiurge enfant pour qui tout vient de naître à chaque instant, – sans d’ailleurs qu’il s’en souciât. À chaque pas se levait un flot d’images, sitôt levées, sitôt défaites – aucune d’elles ne cherchant à prévaloir sur l’autre. Tout était accepté. Chaque chose avait une bonne odeur de bête sauvage, et accomplissait docilement son destin sans être séparée d’un « Principe Premier » dont elle se sentait inconsciemment en même temps créature et créatrice. Le canevas des relations n’avait pas la dureté de ce monde d’angles et d’agressions qui ensuite fut si longtemps mon hypnose majeure. Aucun échange ne présidait à l’échange ; alter­nativement, presque sans transition, les larmes succédaient aux rires avec la capricieuse douceur d’un jour d’avril dont on ne sait trop bien si l’on doit en aimer les nuages ou les ondées, les bleus tendres, ou les rayons primesautiers et malicieux de notre vieux et bon soleil qui rayonne en plein ciel. Chaque action était neuve, aimée pour elle-même, je ne cherchais pas à la garder comme un avare garde son trésor. Rien n’appartenait à rien, et tout appartenait à tout. Le désir d’être ne m’em­portait pas dans l’enfer de son devenir. La vie était une harpe, où le musicien, l’instrument, et l’harmonie qui en fusait, formaient une seule et unique réalité.

Michel Random : Le visage ou le mystère de l'être

C’est le propre du poète de prendre le risque de révéler en se révélant. Nous avons sans doute perdu la magie profonde au profit d’une magie apparente. Et pourtant le fait est là, la drogue de l’image est là. La hantise de voler l’instant et l’instant de l’instant est là pour cristalliser malgré et contre tout ce mystère. On le fait avec répugnance, avec mauvaise conscience, l’ina­vouable mystère se trouve imprimé et publié pour être touché et vu par les yeux de tous, et malgré tout le sacrilège est commis. Qu’on me pardonne ce sacrilège au nom de l’amour qui lui aussi existe hors du temps et de l’espace.

Joël Robert : Sophia ou la Mère Divine

[…] on retrouve toujours un récit qui explique comment les choses ont commencé, com­ment elles continuent et les possibilités de salut qui s’offrent à l’homme. Quelle que soit la version, le mythe assure une fonction de restauration dans une situation de désordre et d’aliénation. C’est toujours Sophia (ou Bar­bèlô) qui est impliquée dans. l’aventure de la dégradation du monde et de sa régénération. Les événements sont liés à la chute de Sophia et à son retour au Père. Mais cette histoire est en même temps celle de tout gnostique : le monde le met dans une situation aliénante d’où il cherche à sortir ; or le salut est dans le retour à l’Un dont il pro­cède. Du Père transcendant, inengendré, émane un monde divin qui a nom Plérôme ou Royaume, suivant les écrits. Il est constitué d’un certain nombre d’entités, générale­ment appelées éons. Le Plérôme est complet en lui-même. Le dernier éon, Sophia (ou Barbèlô) est victime de son éloignement de la Source, ce qui l’entraîne hors du Plé­rôme où elle devient la Mère du démiurge…

Joël Robert : Les écrits hermétiques de Nag Hammadi

[…] le gnostique ne cherche pas à se soustraire à sa condition humaine. Son âme n’est pas envisagée indépendamment de son corps ; elle ne cherche pas dans une ascension, soit avant, soit après la mort, à quitter une prison qui, en fait, n’existe qu’en mode illusoire, la gnose lui ayant appris que la réalisation se fait ici bas dans la recon­naissance que le Royaume est déjà là et que la Résur­rection a déjà eu lieu. Cela étant bien précisé, nous pouvons dire que tout texte gnostique ou hermétique qui dissocie l’âme du corps pour lui faire miroiter le salut dans un ailleurs et un futur s’écarte de la gnose proprement dite, telle qu’elle se présente dans l’Évangile selon Thomas et telle que nous l’enseigne l’Orient.

Alexander Ruperti : Le Symbolisme de l’univers

Dans notre expérience de l’existence il y a deux éléments que l’on peut considérer comme les plus fondamentaux : la réalisation que tout change constamment mais que, derrière ce changement, on peut discerner un certain ordre, une périodicité, des lois structurales. Chaque existant est une réalité spatiale et temporelle ; c’est un tout différent de, mais lié à tous les autres tout et son existence a une certaine durée. Pendant ce temps – la vie de l’existant – ce qui est potentiel à la naissance cherche à s’actualiser aussi pleinement que possible. On peut donc déceler un certain processus, structuré sous forme de phases définies. Un cycle devient évident, qui structure le processus dont l’existant est une expression…

Michel Random : Le pouvoir des symboles

Le pouvoir des symboles tient à leur disposition géométrique qui anime à son tour un champ de forces physiques, psychiques et spirituelles. Tout symbole a un pouvoir d’incarnation (la Manifestation), de mouve­ment (la dynamique des forces opposées) de Révélation ultime (la centralité). Il situe l’espace-temps sous ses trois aspects, continu (la forme et la mesure), discontinu (l’aspect vibratoire-l’amour) éternel : l’essence-être. Le rapport de chaque être à l’égard du symbole situe le plan le plus élevé de cet être. Sa compréhension dépend de son propre accès spirituel, de ces identifications psychiques, de ses interdits religieux. Tout symbole fonctionne comme un amplificateur de ses propres possibilités. Ainsi la fonction sociale, religieuse ou magique même du symbole est une interaction constante et particulière du symbole lui-même avec chaque être particulier.

Vladimir Rosgnilk : La nécessite d'une nouvelle compréhension du monde

Cette question doit être encore transformée, mais avant d’aller plus loin, je pense qu’il faut se demander comment on est par rapport au monde, quelle position on occupe ? On va partir des assertions suivantes : le monde n’est pas, il n’est qu’un écho à un champ de cohérence. Qu’il ne soit pas, c’est ce qu’avaient assuré en particulier les doctrines orientales. Qu’il soit un écho, c’est autre chose, car on est en race d’un deuxième stade, et d’autre part il y a ce concept de champ de cohérence ; ici champ est pour domaine, quant à cohérence, que va-t-on pouvoir en dire ? Là un tournant va se faire qui va marquer peu à peu notre abandon de l’approche rationnelle : il ne sera pas donné de définition alors que dans l’approche usuelle, on commence par définir les termes et une classification se forme également rapidement.

Roland Rech : Zazen voie de l'autre rive

Les différents aspects de la pratique ne sont pas séparés. Il n’y a ni degré ni étape, et la pratique n’est pas un moyen, comme une échelle pour grimper jusqu’au ciel, ou un tabouret sur lequel on grimpe pour attraper un pot de confiture. L’esprit de tous les jours, la vie quotidienne sont la pratique de la Voie. Il n’est pas nécessaire de vouloir se couper du monde, de se séparer des autres. L’esprit du Zen, c’est la pratique avec les autres, au milieu de la souffrance du monde. La pratique elle-même crée une véritable métamorphose dans le corps et l’esprit du pratiquant et cette révolution intérieure influence tout l’environnement : quand l’esprit devient libre de ses attachements, tout l’environnement devient libre à son tour et chaque jour est un bon jour pour ceux qui pratiquent la Voie.