Charles Legland : Ahimsa le Souffle de Gandhi

Le violent s’appuie très souvent sur les mêmes valeurs que le non-violent mais il s’attache à vaincre et la fin pour lui peut justifier les moyens. D’où l’avertissement de Gandhi qui dit que la fin est déjà dans les moyens « aussi sûrement que la roue du char suivra le pas du bœuf », aussi sûrement que l’arbre est déjà dans la semence. De la violence sortira la violence. De l’amour sortira l’amour.

Stan Rougier : Tendresse et colère

L’homme est ainsi fait qu’il sacralise tout ce qu’il touche. Il s’est vu plus grand dans la guerre que dans la paix. Le premier coup porté à la sacralisation de la violence, c’est l’affirmation judéo-islamo-chrétienne : « Dieu seul est Dieu », Dieu seul s’écrit avec une majuscule… La justice, la liberté, la nation, la race, la patrie… rien de ce que les hommes idolâtrent ne mérite de prendre la place de Dieu. Si l’homme admet une relativisation des lois de la survie, s’il accepte de se référer à une Loi divine, tout change… ou du moins tout peut changer.

Mahatma Gandhi

Pendant 30 ans et plus, l’immense majorité des Occidentaux n’a vu en Gandhi qu’un original, un exalté, ou pour mieux dire qu’un fou. On riait de bon cœur quand on apprenait qu’il avait refusé de mettre des pantalons pour aller voir le roi d’Angleterre, qu’il passait son temps à filer la laine ou qu’il voyageait accompagné d’une chèvre dont il buvait le lait. Son action politique paraissait chimérique aux plus avisés, démente ou incompréhensible à la plupart. Vaincre le plus puissant empire colonial du monde par des paroles ironiques ou par des jeûnes ? Proclamer la non-coopération pour quelques jours après la contremander ? Provoquer bagarres et émeutes pour le plaisir d’aller puiser un seau d’eau dans la mer ? Risible, pour le moins. Quant à son attitude religieuse et morale, elle ne provoquait que soupçons ou vertueuses condamnations. Notre plus grand indianiste, Sylvain Lévi, avait déclaré au Collège de France, du haut de la chaire, que la religion de Gandhi, c’était le culte de la vache. On racontait avec un frisson, que malgré sa connaissance du christianisme, il ne reniait pas le culte de ces abominables idoles hindoues sur lesquelles nos dévoués missionnaires nous rapportaient tant d’horreurs. Et l’on s’indignait de ce qu’au moment d’une guerre mondiale où l’Angleterre, la France et leurs alliés étaient en péril, il se fût permis de mettre en doute la justesse absolue de notre cause et le droit que nous avions de la défendre en enfreignant systématiquement le commandement: Tu ne tueras point. Faire une conférence sur Gandhi, j’en fis souvent l’expérience entre 1932 et 1939, était s’exposer à bien des sarcasmes, pour ne pas dire plus.

Henry Corcos : Le Pacifisme et la Bhagavad Gita

Gandhi traduit non résistance par « non violence », ce qui signifie qu’il convie à souffrir éventuellement la violence SANS LA RENDRE, mais non pas à s’abstenir d’y résister. Car il ne souscrit pas au développement : « si quelqu’un te frappe à la joue droite, présente-lui aussi l’autre », non plus qu’à celui-ci : « si quelqu’un veut te citer en justice pour t’enlever ta tunique, abandonne-lui aussi ton manteau ». Voici quelques extraits (tirés des Lettres à l’Ashram), pour préciser la pensée de Gandhi :
Ahimsa ne signifie pas uniquement ne pas tuer. Himsa signifie causer de la souffrance ou détruire une vie, soit par colère, soit sous l’empire de l’égoïsme, soit avec le désir de faire du mal. S’abstenir d’agir ainsi est ahimsa (Young India, 4 novembre 1926). La non-violence complète est absence totale de mauvais vouloir envers tout ce qui vit. La non-violence, sous sa forme active est bonne volonté pour tout ce qui vit. Elle est amour parfait (Young India, 9 mars 1920).

L'aventure humaine s'inscrit dans un Grand Dessein : Lanza Del Vasto et la non-violence

Je n’allais pas du tout en Inde pour chercher la spiritualité. J’avais retrouvé non sans peine ma propre religion et ma propre tradition. J’allais aux Indes pour y chercher très paradoxalement la solution de notre problème d’Occidentaux. Notre problème essentiel est celui de la guerre et de la paix. Si nous ne le résolvons pas, tous ceux que nous résoudrons, et nous qui les aurons résolus, seront emportés par la prochaine guerre. Je ne trouvais pas de réponse, en Occident, ni à l’Église ni dans les philosophies, moins encore dans les politiques. Donc je vis Gandhi. Je l’ai interrogé, j’ai trouvé en lui ce que je cherchais. J’avais quelque impression que la guerre ne tombait pas du ciel comme un bolide, qu’elle était liée avec l’espèce de paix que nous vivons, et qui la rend inévitable. Gandhi m’a indiqué tout cet ensemble, et ce que j’ai pris de lui, c’est l’unité de vie que j’ai tâché de rapporter à la maison.