Jean Markale : Naître, connaître et re-naître

J’ai revêtu une multitude d’aspects avant d’acquérir ma forme définitive, il m’en souvient très clairement… TALIESIN Chaque être humain est amené, un jour ou l’autre, à se confronter avec l’idée de la mort et, par conséquent, à se poser la question de savoir si la mort est une fin ou un passage. Les apparences plaident […]

Jean Markale : Le royaume à l'ombre des dieux

(Revue Question De. No 59. 1984) De tous les peuples dont la structure sociale a été d’origine indo-européenne, les Celtes sont ceux qui paraissent avoir eu le système de royauté le plus étrange par rapport aux autres. A vrai dire, une étude de la royauté celtique n’est pas très facile pour plusieurs raisons. Il y […]

Jean Markale : Le conte populaire

Car tout conte populaire intègre des données d’observa­tion concernant la lutte de l’individu contre le Destin. En fait, il s’agit presque toujours d’une transgression d’interdits. Le héros du conte populaire défie le temps, défie la société, défie la mort. Il lui arrive même de défier Dieu. Cet aspect blasphématoire n’est d’ailleurs ressenti comme tel que dans le cadre qui est le nôtre, c’est-à-dire celui d’une religiosité teintée d’un christianisme passif, entièrement voué à l’obéissance d’un Dieu tout puissant. Il en a été différemment dans d’autres sociétés, même des sociétés qui affirmaient leur christianisme, comme l’Irlande de l’âge des Saints…

Jean Markale : Le temps étalé ou le destin-volonté

Dieu a souvent été proposé comme un Créateur perpétuel. Si l’on s’en tient à cette proposition, il faut admettre qu’un seul geste de Dieu — ou une seule parole suffit pour créer tout l’enchaînement des faits qui consti­tue le Monde, un peu comme le coup d’épingle dans le papier plié dont parlait Cocteau. Mais cette création per­pétuelle se fait à travers la créature, laquelle doit néces­sairement contribuer à la création sous peine d’être néan­tisée. Le système de pensée des Druides, pour ce que nous en savons, semble avoir eu cette prodigieuse intuition : c’est par la créature que Dieu — quel que soit son aspect —, créateur en perpétuel devenir, se crée lui-même : autrement, il n’existerait pas, ou il équivaudrait, selon le raisonnement hégélien, au pur néant. De là la confiance totale de la pensée druidique en la volonté hu­maine, la confiance totale des Celtes chrétiens dans le Libre-Arbitre absolu.

Jean Markale : Des liturgies ambiguës

À des titres divers, le théâtre participe de ce Sacré. On a voulu écarter toute notion de sacré au nom d’un vague rationalisme. On a profané le théâtre en en faisant un divertissement. Cependant, il ne suffit pas de vouloir écarter le sacré pour l’anéantir. Plus il est refoulé, plus il a tendance à franchir des niveaux de conscience qui devraient demeurer obscurs. Plus on le combat ouverte­ment, plus il affirme sa plénitude, ne serait-ce que par les biais les plus subtils, les plus innocents en apparence. Huis Clos de Sartre est une tragédie religieuse. Les ten­tatives du Living Theater sont les balbutiements d’une nouvelle formulation dramatique où le sacré envahit l’univers psycho-social dans lequel on prétendait enfer­mer l’action humaine. Alors, allons-nous assister, à l’aube du troisième millénaire, à une résurgence de la drama­turgie sacrée ?

Jean Markale : L'alchimie dans l'épopée occidentale

Car l’essentiel se trouve là : avant d’être opérative, l’Alchimie est un mode de pensée, une véritable structure mentale, une remise en cause de la logique aristotélicienne, une sorte de science paralogique ou plutôt hétérologique. Or il apparaît bien que le système de pensée des Celtes ait été lui aussi hétérologique. L’Alchimie met en relief la « mystérieuse et profonde unité » de la nature, de l’homme et du divin. La pensée celtique n’envisage pas l’être humain autrement que participant pleinement à la nature et à la divinité. L’Alchimie prétend agir en même temps sur le corps et sur l’esprit, sur l’inanimé et sur l’animé, en niant la différence que la pensée classique établit entre ces deux notions. Les Celtes ont toujours refusé le fossé entre nature et culture, entre corps et âme, insistant sur le fait que l’esprit ne s’incarne pas, mais se matérialise, ce qui n’est pas la même chose…

Jean Markale : Les impasses de la pensée occidentale

[…] ce n’est pas sans raison que la spiritualité occidentale contemporaine, du moins celle qui déborde du cadre dogmatique des églises, cherche ainsi tant de repères dans la tradition orientale : l’homme occidental est en effet en plein cœur d’un labyrinthe dont il ne connaît plus le secret, et il ne sait plus lire les signes susceptibles de lui indiquer le chemin qui mène vers le soleil…

Jean Markale : Y-a-t-il une tradition orientale ?

D’autre part, privés de ces sources proprement « indi­gènes », ceux qui sont en recherche spirituelle se sont réfugiés dans l’orientalisme qui lui, au moins, présente une chaîne ininterrompue. Mais il y a des inconvénients : sommes-nous, oui ou non, nous autres, gens de l’Europe du nord et du nord-ouest, capables de pénétrer autrement que par goût de l’exotisme, dans un monde mental et spirituel qui n’est pas le nôtre, et qui, bien souvent, par différence de sensibilité et d’approche logique, se révèle d’un accès difficile ? Personnellement, tout en reconnais­sant les louables tentatives de certains esprits éclairés, je crois à l’impossibilité de communication absolue entre l’esprit occidental et l’univers mental de l’hindouisme et du bouddhisme. Et cette impossibilité est pour ainsi dire « naturelle ». Le droit à la différence, sur lequel on s’étend volontiers aujourd’hui, n’est-il pas la reconnaissance de cette différence fondamentale ?

Jean Markale : Du grand œuvre à la pacotille

C’est en effet une désintégration quasi-absolue de l’être humain que d’ordonner son activité sur un temps abstrait et arbitraire. Où est l’Œuvre dans tout cela ? Et, ce qui est encore plus significatif, c’est que ce mode de vie qui s’impose à nous est non seulement contraire à la philo­sophie naturelle mais encore au marxisme théorique qui affirme que le travail, faisant partie intégrante de la personnalité, est propriété de l’ouvrier. Je voudrais bien voir un ouvrier d’une grande usine, où l’on travaille à la chaîne, conscient d’être le propriétaire de l’objet qu’il contribue à produire ? Je voudrais bien voir un employé d’une quelconque administration conscient d’être le pro­priétaire du travail qu’il accomplit dans le plus complet aveuglement. Il n’y a plus guère que certains privilégiés, artisans et artistes notamment, à pouvoir affirmer qu’ils sont les propriétaires de leurs œuvres.

Jean Markale : Le singulier pluriel

Alors apparaissent des problèmes qui semblent insurmontables et qui sont facteurs d’angoisse. Si l’on prend, par exemple, le problème de l’énergie, on va se heurter tout de suite à une incompréhension. Un individu qui, pour se chauffer, ou pour s’éclairer, n’a plus qu’à manœuvrer un commutateur ne sait absolument pas ce qu’est l’énergie : c’est seulement un vague courant électrique, invisible, mystérieux, magique même, dont les effets se font sentir mais dont l’existence réelle n’est pas discernable. En un sens, les dieux on été remplacés par la « Fée Électricité », et peu importe son origine puisque l’essentiel est que ses manifestations soient bienfaisantes. En somme, l’être humain n’a guère évolué depuis qu’il croyait aux fées et aux divinités anthropomorphiques qui font tant rire ceux qui se disent rationalistes. La men­talité de cet être humain serait complètement différente s’il devait aller lui-même couper son bois, le réduire en petits morceaux avant de le mettre dans sa cheminée ou dans son fourneau pour se chauffer. Là, le rapport aux choses, l’effort qu’il ferait, la quantité limitée de combus­tible dont il disposerait, tout cela lui montrerait l’utilité d’une économie, c’est-à-dire d’une utilisation consciente et raisonnée d’un élément indispensable à sa survie et à son bien-être.