Parmi les pratiques qui se proposent de nous mener (ou de nous ramener) au bord de l’intuition métaphysique, la « vision sans tête » est particulièrement directe. Le philosophe anglais contemporain Douglas E. Harding est l’initiateur de cette voie. Dans le prolongement de la philosophie éternelle, proche surtout du zen, de l’advaita vedanta et du soufisme, il nous réapprend à voir. Les voies les plus simples et les plus efficaces sont aussi celles qu’un homme qui n’est pas prêt s’empresse de rejeter au plus vite. Sans doute faut-il être suffisamment avancé dans le chemin de l’effacement de soi pour apprécier le sens, la beauté et les implications multiples de cette « décapitation ». Mais quiconque en est arrivé à sentir qu’il n’est rien (de ce qu’il pensait être), trouvera une joie certaine à le voir.
Les gens disent que je suis un homme « illuminé » – je déteste cette expression -; ils n’arrivent pas à trouver un autre mot pour désigner la manière dont je fonctionne. En même temps, je fais remarquer qu’il n’y a pas d’illumination – qu’il n’existe rien de tel. Je le dis parce que toute ma vie durant j’ai avidement cherché à être un illuminé et j’ai découvert qu’il n’existe pas d’illumination, ni rien qui y ressemble. Dès lors la question ne se pose pas de savoir si telle ou telle personne est illuminée ou non. Je ne débourserais pas un franc pour un « Bouddha-du-sixième-siècle-avant-J.C. », sans parler des prétendants qui se trouvent parmi nous. Ils forment une belle bande d’exploiteurs, bâtissant leur prospérité sur la jobardise des gens. Il n’y a pas de pouvoir en dehors de l’homme. C’est à partir de sa peur que l’homme a créé Dieu. Par conséquent, la peur constitue le vrai problème, et pas Dieu.
Il importe d’être à la fois l’acteur de sa vie et le spectateur radicalement libre, au-delà de toute convention et de toute complaisance. Tantôt l’un, tantôt l’autre primera, selon tes circonstances. Mais à une heure donnée, la pièce de théâtre se perd toujours dans des rebondissements interminables et désespérants, à moins que le spectateur n’arrive à y mettre fin, s’établissant une fois pour toutes dans ce qu’il est: un regard libre. Nous sommes tous animés par la propension à nous prendre pour tel physique distinct et tel personnage particulier; la plupart d’entre nous ne s’en dégagent jamais.
Beaucoup d’humains vivent dans une routine plus ou moins bien décorée par les divertissements et l’oubli. Ils sont satisfaits. D’autres ne sont nullement satisfaits. Et leur vie de tristesse, ils l’appellent « ténèbres ». Sans doute, peut-on se complaire dans le désespoir, y récolter une moisson infinie de bonheurs à rebours. Souvent, l’existence se déroule vaille que vaille, « pigmentée » de réflexions désabusées, d’amertume et de cynisme: toutes formes de sentimentalité à rebours. Dans les ténèbres de ces invertis spirituels, la mort est une lumière de dernière instance: on pourra toujours se suicider, s’il le faut.
Il n’y a pas de réalité plus singulière que le sujet. Rien n’est unique comme moi-même tel que je suis pour moi-même. Notamment, à la différence des humains qui m’entourent, je n’ai visiblement pas de tête. Tout au plus m’arrive-t-il d’en dénicher une dans mon miroir: tête réduite (par un indien jivaro?), présentée sens devant derrière et située à 30 cm de moi! Douglas Harding, avec sa « Vision sans tête », nous a fait prendre conscience de ce fait banal, tellement quotidien que nous le perdons de vue la plupart du temps. Et c’est grand dommage. Rien pourtant ne nous est plus familier que ce que nous sommes; pour nous-même, à chaque seconde de notre vie: une présence invisible.
Nous avons tous des problèmes… Nous en avons même tellement que nous n’avons pas le temps d’aborder celui qui consiste à se demander: pourquoi y a-t-il des problèmes ? Ce problème nous apparaît, en effet, comme étant essentiel, sinon unique, car si nous arrivions à le résoudre, les autres seraient résolus par la même occasion, mieux: ne se poseraient plus, s’élimineraient d’eux-mêmes. C’est ce que l’on appelle « remonter à la source ».
Dix fous, qui avaient décidé de partir en voyage, trouvèrent un moment donné en travers de leur route un fleuve au courant rapide et tumultueux. Tant bien que mal, ils arrivèrent à le traverser. Alors, parvenus sur l’autre rive, pour vérifier s’ils étaient vraiment tous parvenus à bon port, ils commencent à se compter l’un l’autre. Et chacun en compte neuf. Là-dessus, tout le petit monde se répand en pleurs et en lamentations sur le sort du pauvre frère qui s’est noyé.
Dans l’évidence du présent, êtes-vous plus sûrement un être humain qu’un atome, ou une étoile, ou un nuage, ou un oiseau de paradis, ou un gorille?
Et moi, qui suis-je? Ne se pourrait-il pas que je sois un magicien qui travaille en ce moment â vous transformer en toutes sortes d’êtres ou de choses? Et si je vous avais métamorphosé, en sauriez-vous jamais quelque chose?
Pour découvrir comment nous expérimentons notre corps – plus exactement: comment nous croyons l’expérimenter – il suffit, attentivement, de nous écouter parler. Nous entendrons alors trois versions tout à fait contradictoires. Le fait est surprenant! Parmi les questions claires et limpides qui devraient faire l’unanimité, celle-ci devrait figurer à peu près en tête de liste, puisque nous sommes tous dépositaires de l’évidence essentielle, de la manière la plus intime et la plus constante. Nous disposons de toutes les informations privées utiles et nécessaires. Pour savoir comment notre corps se présente à nous – et les corps humains diffèrent peu -, nous sommes tous des témoins de première main. Pourtant, en nous écoutant parler, on en viendrait à croire que nous ne formons pas une espèce, mais trois, complètement différentes.
Il y a tout un ensemble de théories, de grandes, de nombreuses abstractions, et les gens vivent dans les traditions du passé : acceptent l’autorité. Tout cela n’est pas la religion. Tout cela ne conduit pas à la spiritualité. Ils peuvent aller dans les temples. Ils peuvent avoir d’innombrables rituels, des traditions historiques, non! des fictions historiques! Il y a tout un tas de gourous dans le monde entier, gagnant de l’argent, et avec toute une bande de disciples. J’espère que vous ne vous froissez pas de m’entendre parler ainsi.
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