Qu'est-ce qu'un chercheur de vérité ? Par Emmanuel Klinger

Je ne me connais pas. Pas plus que je ne connais ce qui m’entoure, ce monde que je perçois dans le miroir éclaté qui me constitue. Le monde est mon horizon familier. Comme un homme assis dans un train, dans le sens inverse de la marche, voit défiler et disparaître les paysages qu’il vient de traverser, j’assiste impuissant au déroulement de mon passé. Qui est-il, ce voyageur inconnu qui parle, décide, agit – ou plutôt réagit – en mon nom ?

D.T. Suzuki : Histoire de chats

Ce que vous avez appris c’est la technique de l’art. Les anciens Maîtres nous l’ont léguée pour que nous possédions une bonne méthode de travail, parfaitement efficace en elle-même à condition de ne pas négliger le point essentiel que, précisément, les disciples oublient presque toujours, trop occupés qu’ils sont à améliorer leur adresse technique et leur habileté manipu­latoire. Cette maîtrise ne suffit pas pour vaincre tous les obstacles. L’adresse est une activité de l’esprit qui doit être en parfaite harmonie avec la Voie (Tao). Quand la Voie est négligée et que l’adresse pure devient le but unique, le mental dévie et s’abuse. C’est là le point essentiel qu’il ne faut jamais oublier dans l’art du combat

Pierre Solié : Le sacrifice nécessaire

C’est en ce chapitre ‘sacrificiel’ de cet ouvrage (Métamorphoses, op. cit.) que Jung écrit : « Le cours naturel de la vie exige d’abord de l’homme jeune qu’il sacrifie son enfance et sa dépendance infantile de ses parents naturels, pour ne pas leur rester enchaîné par le lien de l’inceste inconscient, funeste au corps et à l’âme. Cette tendance à la régression a été combattue dès les stades les plus primitifs par les grands systèmes psychothérapeutiques que sont pour nous les religions. En se séparant du demi-jour de l’enfance, l’homme cherche à atteindre une conscience autonome. Le soleil se sépare des nébulosités de l’horizon pour atteindre la clarté sans nuages de sa fonction de midi. Une fois ce but atteint, alors le soleil recommence à descendre pour se rapprocher de la nuit. »

Talmud et biophysique entretien avec Henri Atlan

Tout d’abord, le Dieu de la Bible, ce n’est pas forcément le Dieu auquel les gens pensent lorsqu’ils disent qu’ils sont croyants. Le Dieu de la Bible, pour moi, c’est d’abord le sujet d’un texte. Plus exactement encore c’est le sujet dont parle un texte, et ce sujet qui parle et dont on parle, porte de nombreux noms. D’ordinaire, les traductions rendent ces noms de manière tout à fait indifférenciée. Lorsqu’on essaie de pénétrer dans ce texte, on s’aperçoit que les traductions sont tout à fait malvenues. En fait, il faudrait traduire chacune des désignations de Dieu par des noms différents. Du coup, bien sûr, se pose la question de l’unité éventuelle entre toutes ces désignations. Certains noms ont un caractère singulier, d’autres sont au pluriel…

Henri Blocher : Genèse et big-bang

Peut-on faire coexister la vision des origines du monde telle qu’elle est décrite dans le livre de la Genèse et les propositions que font les scientifiques ? Peut-on établir un lien entre les six jours de la Bible et les treize milliards d’années, sinon plus, qu’évoquent les chercheurs ? Trois conceptions : fidéiste, concordiste et créationniste, s’y sont employées. Sans y réussir pleinement.

Pierre-Sylvain Filliozat : Les Veda et la rationalité hindoue

L’hindouisme invite les hommes à se détacher du monde mais ne leur interdit pas de chercher à le comprendre. Ce qui explique que l’esprit scientifique ait toujours existé chez les Hindous qui, depuis les temps les plus reculés, ont su faire clairement la différence entre connaissance naturelle et surnaturelle. La prédilection des lettrés pour tout ce qui concernait la parole et la dialectique les a amenés à développer une véritable linguistique et à s’intéresser à l’homme plus qu’à la nature.

Carlo Suarès : La défaite sur le seuil : Jésus et Nietzsche

Cette auto-défense d’un moi vitalisé par sa propre fissure, donc qui aspire à la retrouver, et qui dans chacun de ses actes ne fait au contraire que la replâtrer, est très exacte­ment le nœud du drame de tous ceux qui con­nurent l’extase du présent (qui la désignent sous le nom d’état de grâce, ou sous tout autre nom my­thique) et qui ne peuvent jamais plus la retrouver, du fait qu’ils la veulent retrouver ; qui dès lors se précipitent dans des pratiques à rebours qui sont censés amener leur opposé ; mais qui par toutes ces disciplines s’efforcent quand même de répondre au désir qu’à le moi de se nourrir, de se vitaliser aux dépens de la Réalité ; et qui finissent de ce fait par satisfaire le moi d’autant plus complè­tement qu’il aura mieux construit un monde illu­soire où l’éternité ne pourra jamais plus pénétrer.

Biologie et foi

La science et la foi sont deux modes de connaissance. Mais elles diffèrent par leur source, leur mé­thode, leur objet. Les sciences de la Nature étudient la matière inerte et les êtres vivants. Astrono­mie, physique, chimie, biologie s’efforcent de découvrir les lois qui régissent ce qu’el­les étudient. D’autres branches sont plus descriptives, comme la paléontologie. Mais toutes les sciences tentent de connaître comment les choses se passent ou se sont passées. Pour y parvenir, le moyen qui a fait ses preuves est la méthode expérimen­tale. Tout cela est bien connu. La foi se situe sur un tout autre plan. Elle ne repose pas sur une expérience de type scientifique. Elle n’est pas un catalo­gue de propositions résumées dans un Credo. Elle est d’abord adhésion à Quel­qu’un dont la science ne me dit rien. L’ob­jet de la foi, c’est Dieu se révélant. De même que les premiers disciples de Jésus l’ont écouté et suivi, de même le croyant accueille le message de Dieu afin d’y trou­ver le sens de sa vie. S’il s’engage dans la voie que Dieu lui propose, s’il fait « l’expé­rience de la foi », il éprouve alors la convic­tion d’être dans la vérité. Vous m’avez parlé de conflit entre science et foi. Je ne vois pas comment deux types de connaissance situés sur des plans aussi différents pourraient entrer en conflit.

Credo de scientifique : Science et foi

D’une certaine manière, la démarche scientifique en général, et mathématique en particulier, nous apprend surtout ce que Dieu n’est pas. Elle permet d’éviter tout un ensemble d’idolâtries qui fait partie du patrimoine de l’humanité. La science a, comme vertu, non pas de tuer Dieu, mais de décaper son image, de faire en sorte que la partie idolâtre s’amenuise peu à peu.

Carlo Suarès : La maturation d'un moi : L'éducation créatrice

Selon la loi de contradiction qui régit le moi, l’amour et l’intellect ont des fonctions qui s’op­posent à leurs propres mouvements. L’amour donne à l’individu l’impression d’un mouvement centrifuge : le moi a l’impression de se donner, de s’abandonner ; mais s’il se laisse en effet emporter par le cours de ses sentiments et de ses passions, s’il accepte d’y éteindre le sentiment de soi, ce n’est que parce qu’il espère y trouver (par l’union avec l’objet de son amour) une permanence dont il ne se sent pas assez assuré. L’amour est une recherche de permanence, qui s’effectue au détriment du désir qu’a le moi de se percevoir ; l’amour cherche, par tous les moyens, à utiliser le monde extérieur pour construire cette perma­nence intérieure. Loin d’être centrifuge, c’est donc un mouvement centripète, mais qui donne l’illu­sion d’être centrifuge, parce que la notion qu’a le moi de sa propre réalité s’y trouve obscurcie. Dans le monde à rebours qu’est celui du moi, c’est donc bien en perdant le sentiment de sa réalité, donc en sortant de lui-même, que le moi rentre en lui-même, et s’affermit dans sa propre permanence intérieure.