Si nous ne découvrons pas d’abord notre propre vérité, le sens de nos propres actions et intentions, toute autre vérité que nous essaierons d’appréhender sera faussée, pervertie, par nos tensions internes, nos préoccupations secrètes. Or, la découverte authentique de la vérité sur nous-mêmes n’est qu’un autre nom de cette illumination spirituelle qui éveille en nous un autre regard. Une telle illumination est donc la condition préalable à la découverte de toute autre vérité qui ne serait pas simplement formelle ou d’ordre purement technique.
Le conditionnement est tel que certains d’entre nous ont de la peine à croire que Douglas Harding entend nous faire prendre à la lettre ce qu’il nous dit, et cela en dépit de son insistance. Pourtant, ce qu’il exprime, et ses citations le prouvent, tous les grands Maîtres l’ont enseigné à leurs contemporains, chacun à sa propre manière, dans le contexte et l’esprit de son temps. Dans ce petit livre, cela nous est dit à nous dans notre propre génie, d’une façon amusante et personnelle, à tel point que peut-être nous trouvons difficile de croire qu’une si bonne lecture doive être prise au sérieux.
C’est saint Augustin et saint Thomas d’Aquin qui, à des siècles de distance, se sont accordés pour dire — dans l’esprit des préceptes rapportés au chapitre 5, versets 38 à 48, de l’évangile selon saint Mathieu — que nous devions détester le péché, parce qu’il est haïssable à Dieu, mais aimer le pécheur, parce qu’il est notre prochain. Sans pour autant me référer, ni vouloir obéir, à des textes ou à des commandements bibliques, je m’accorderais, en un sens, avec ces docteurs de l’Eglise quant à cette double attitude, si difficile à observer, qu’ils demandaient aux chrétiens d’adopter à l’égard de la faute commise et de son auteur.
Si nos contacts avec le monde n’ont pas le caractère irrémédiable, implacable, des phénomènes objectifs, si c’est la manière dont nous accueillons les incidents de notre destinée qui décide si, après les avoir traversés, nous nous retrouverons enrichis ou appauvris, libérés ou asservis ; si c’est, en dernière analyse, notre attitude intérieure qui déterminera le caractère que ces incidents auront finalement pour nous, alors, nous pouvons à tout le moins concevoir qu’emprisonnés par notre interprétation actuelle de notre expérience, nous pourrions être libérés par une interprétation neuve et insolite
Quand on sait qu’un acte est malsain, dangereux pour son auteur, et pas seulement pour lui, on ne saurait aider cet auteur, même sous prétexte de lui être agréable — et avec l’insidieuse arrière-pensée de se concilier ses bonnes grâces — à y persévérer, à s’y asservir, s’y enliser. Ce n’est pas manifester, se donner une vraie liberté ; c’est contribuer, socialement, à donner un mauvais exemple, c’est se faire le complice d’un esclavage, d’un désordre générateur de morts et de graves souffrances.
On insiste beaucoup sur l’ignominie des tortionnaires militaires désignés, dont on fait volontiers des « criminels de guerre »… quand ils se sont trouvé être dans l’autre camp ! Ces tortionnaires pouvaient d’ailleurs avoir eu l’« excuse » de s’être donné pour objectif de chercher à épargner les vies de leurs compatriotes, en arrachant à leurs victimes, par la torture délibérée, des aveux, d’ordre stratégique ou tactique, précieux pour la conduite de la guerre dans leur propre camp. Mais on est étrangement muet sur la culpabilité humaine des simples combattants, ces tortionnaires inconscients qui tiraient des obus ou lançaient des projectiles sur l’ennemi catalogué. Lesquels obus ou projectiles désarticulaient, brûlaient atrocement, détruisaient les corps sur lesquels ils s’abattaient.
Non seulement l’amour, tel que nous le connaissons, conduit à l’attachement, mais encore notre esclavage à l’égard d’autrui ou l’esclavage d’autrui à notre égard sont communément pris pour mesures de l’existence, de la force, de l’authenticité de l’amour. L’attachement dont nous sommes l’objet de la part d’autrui a d’autant plus de prix à nos yeux qu’il nous flatte, qu’il témoigne de la valeur qu’on nous attribue. Ce qui est très rassurant pour ceux d’entre nous qui sont assez attentifs pour se rendre compte qu’en profondeur ils ne se sentent jamais tout à fait sûrs d’être quelque chose. Au regard d’une notion pure de l’amour, d’un amour qui serait lumière, offrande et dévouement inconditionnels, il serait inconcevable qu’on pût se réjouir d’enchaîner autrui, de le rendre dépendant de soi, esclave de soi ! Un tel « amour » carcéral, qui ferait injure à la liberté, à la plénitude de l’autre, à son rayonnement, à son épanouissement, ne serait pas digne de ce nom.
Nos propos risquent de heurter les adeptes de « Voies Abruptes ». Ils mettent en évidence la fréquence d’une confusion existant entre une compréhension intellectuelle de l’inexistence de l’égo et la plénitude de son dépassement total. L’auteur estime être bien placé pour dénoncer l’ampleur des obstacles résultant de la conceptualisation. Celle-ci est souvent inconsciente en raison de sa subtilité. Elle bloque cependant la route du méditant malgré sa sincérité. Certains attentistes déclarent que l’égo n’est qu’un mirage faisant partie du « Jeu Cosmique ». Une simple compréhension intellectuelle suffirait à nous libérer de ses exigences.
Une attention soutenue, des investigations perspicaces nous montrent que nous ne sommes pas une unité mais une pluralité, que nous abritons, temporairement, des hôtes d’origines différentes, venus de toutes les directions de l’univers, en longues suites de causes et d’effets entremêlés, sans qu’il nous soit possible de leur découvrir un point initial de départ.
Nous savons tous que notre époque est explosive, que les moyens de l’homme, demeurés à peu de chose près constants pendant des millénaires, sont tout à coup multipliés des millions de fois ; que les calculateurs électroniques, pour ne mentionner que cela, deviennent d’heure en heure plus fantastiques ; que demain on ira dans la Lune ou ailleurs ; que la biologie est en train de découvrir le mystère de la vie et même de créer la vie. Nous savons que les données les mieux établies de la science s’écroulent ; que tout est constamment remis en question et que les cerveaux sont contraints et forcés de se mettre en mouvement. Nous savons tout cela ; il n’est donc pas nécessaire de revenir sur cet aspect de notre époque. Dans la confusion actuelle, l’homme est à la recherche d’une sécurité matérielle qui ne peut être trouvée que par des connaissances technologiques. Les religions sont devenues des superstructures qui n’ont guère une réelle importance dans les affaires du monde, cependant que les questions fondamentales demeurent sans réponse: le Temps, la Douleur, la Peur…
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