Cette auto-défense d’un moi vitalisé par sa propre fissure, donc qui aspire à la retrouver, et qui dans chacun de ses actes ne fait au contraire que la replâtrer, est très exactement le nœud du drame de tous ceux qui connurent l’extase du présent (qui la désignent sous le nom d’état de grâce, ou sous tout autre nom mythique) et qui ne peuvent jamais plus la retrouver, du fait qu’ils la veulent retrouver ; qui dès lors se précipitent dans des pratiques à rebours qui sont censés amener leur opposé ; mais qui par toutes ces disciplines s’efforcent quand même de répondre au désir qu’à le moi de se nourrir, de se vitaliser aux dépens de la Réalité ; et qui finissent de ce fait par satisfaire le moi d’autant plus complètement qu’il aura mieux construit un monde illusoire où l’éternité ne pourra jamais plus pénétrer.
Carlo Suarès : La défaite sur le seuil : Jésus et Nietzsche