M. Van Pé : Hypothèse

Dès sa prise de conscience d’être, l’homme se sentit dangereusement infinitésimal dans l’immensité de son environnement et, conséquemment craintif de tout ce qui échappait soit à sa compréhension, soit aux limites de son propre pouvoir. Immédiatement, le roulement du tonnerre lui fut menace d’une puissance supérieure à lui-même, l’éclair dans l’orage lui fut frayeur d’une autre puissance; la manne, terrestre, par contre, lui devint céleste; le soleil levant le blé lui fut sujet d’adoration; sujet d’émerveillement lui fut la pluie rafraîchissant la terre…

Roger Van Malder : Zen et peinture japonaise

Les peintres zen avaient maîtrisé leur technique. Bon nombre d’entre eux avaient aussi pacifié leur mental. La combinaison de ces deux éléments confère à leurs œuvres un prix, une importance unique, jamais ou trop peu soulignés. Leur peinture possède ces qualités fondamentales : modestie, pudeur, effacement, tranquillité, vigueur, profondeur, lucidité. Elle est foncièrement non-sentimentale, supra-intellectuelle, irrationnelle, impersonnelle, non-mentale, intuitive. Sa maturité psychologique et spirituelle, alliée à son frémissement, lui confèrent une saveur incomparable.

Jean Varenne : Le tantrisme et l’initiation au mandala

Le plus souvent, en Inde, le mandala est tracé au moment où l’on en a besoin, puis effacé lorsque le rite est achevé. On utilise de préférence des poudres de couleur que l’on achète sur le marché et que l’on mélange éventuellement avec divers liquides pour obtenir une sorte de peinture aisément lavable. Un texte recommande, par exemple, d’utiliser de la poudre couleur safran-rouge (vermillon vif) mélangée avec du lait de vache pour tracer le Shrî-Yantra. Ailleurs, il est expliqué que, si le dessin est fait avec de la poudre jaune, l’initié triomphe de la malignité verbale (calomnie, etc.) de ses ennemis. Ailleurs encore, on enseigne que si l’on veut du mal à quelqu’un on peut tracer un mandala avec du crottin de cheval délayé dans de l’urine de vache ! Ces quelques exemples donnent une idée de ce que sont ces enseignements secrets dispensés par les maîtres tantriques ; convaincus de l’efficacité intrinsèque des yantras, ils trouvent normal de les utiliser à toutes fins : progrès spirituel, certes, mais aussi magie blanche ou noire.

Francisco Varela : Au commencement fut la distinction…

L’illusion technocratique, c’est l’espoir qu’on pourrait petit à petit éliminer tous les points aveugles de notre connaissance. Au contraire, je pense qu’il y en aura toujours. Ils n’expriment pas une limitation de la connaissance, mais son mécanisme le plus fondamental, de la même manière qu’il y aura toujours des points aveugles dans notre vision. Un changement d’attitude ou de paradigme nous fait faire l’expérience de la nouveauté : un point aveugle devient visible.

Kenneth White : Un cheminement celte

C’est à la recherche de nos racines culturelles les moins connues que nous invite Kenneth White. Un espace euro-celte que nous connaissons peu ou très mal. Pourtant, une grande part de notre culture en porte la marque et il est regrettable que nous ayons perdu le fil de cette tradition qui a rayonné sur notre continent et que le christianisme triomphant et colonisateur a su si bien étouffer jusqu’à nous faire perdre le souvenir de ses beautés. Qu’en serait-il de notre monde, si nous le retrouvions ?

Kenneth White : Vers un nouvel espace culturel

La culture, c’est la manière dont l’être humain se conçoit, se travaille et se dirige. Une culture, c’est un ensemble de motifs et de motivations, une vue et une vie d’ensemble, telles que les connaissaient, par exemple, le Moyen Age ou, pour remonter dans le temps, une cité grecque, une tribu paléolithique. Nous ne pouvons guère prétendre, aujourd’hui, à une « culture » dans ce sens. Ce que nous avons c’est « de la culture », c’est-à-dire, un peu de ceci, un peu de cela : des restes de christianisme (réduit la plupart du temps à la platitude moralisante, au misérabilisme généralisé, au gnangnan sentimental), une dose d’humanisme gréco-latin (référence mythopoétique au 19e siècle, il ne nous sert plus guère que de structure grammaticale et de glossolalie byzantine), un peu de science (traduite d’un côté en science-fiction fantasmante, de l’autre, en scientisme universitaire) et quelques références exotiques et cosmopolites (depuis les Aztèques jusqu’au Zen) : « un plat dont même les chiens ne voudraient pas », disait sévèrement, Nietzsche.

Alan W. Watts : Peinture sans cadre

Connaître l’univers uniquement en termes de nos catégories, de nos cadres de valeurs est exactement ce que la philosophie indienne désigne par « maya ». Elle nous enseigne qu’une telle connaissance est en un certain sens une illusion. Le terme « maya » est en relation avec nos mots « mètre », « matrix » et « matériel ». Il provient de la racine sanscrite « matr- » signifiant « mesurer ». Toute mensuration est une mise en catégorie, une limitation dans un cadre, une description, comme un cercle est décrit par un compas, comme les minutes sont marquées sur une horloge. Tout ceci constitue le réseau fragile des abstractions à l’aide desquelles l’esprit humain tente de saisir le monde, mais c’est finalement toujours en vain.

Roger Van Malder : La caractérologie au service de la connaissance des Hommes et de soi-même

Nous avons, pour la plupart, la déplorable habitude de projeter sur nos semblables nos propres qualités et surtout nos propres défauts. En agissant de la sorte, nous nous imaginions, bien à tort, que les autres hommes possèdent un caractère égal au nôtre. Comme cela n’est généralement pas le cas, et qu’en plus, nous ne nous connaissons même pas nous-mêmes, la vie en société, le contact avec autrui est le plus souvent une source de conflits et de souffrances.

Pierre Vial : Les judéo–chrétiens ont-ils assassiné le monde antique

C’est sans doute le plus grand mérite de Gibbon d’avoir clairement aperçu en quoi les chrétiens, apportant une échelle des valeurs, une vision du monde inconciliable avec celle de l’Antiquité païenne, ont été amenés à constituer une contre-société, refusant la société romaine dont ils étaient théoriquement membres et même attendant avec impatience, dans leur logique propre, la fin d’un monde qui n’était, selon eux, qu’apparence et vaine agitation.

Jean Varenne : Hindouisme : L'âge noir mais aussi l'éternel retour

Prenons garde ici qu’une telle conception du devenir cosmique n’entraîne nullement le désespoir chez ceux qui la professent. C’est même tout le contraire, car la nature, changeante, variée, déploie sans cesse la beauté et la chaleur bénéfique, heureuse de la vie. Il y a là une véritable « magie » (en sanskrit : mâyâ) dont les prestiges sont goûtés avec gourmandise par tous les vivants. C’est pourquoi les hindous appellent daïvam (« divin ») ce destin auquel toutes choses sont soumises…