Pierre d'Angkor : Itinéraire 9 : La libération de l'homme

Ishvâra, le Logos, l’Homme céleste : ce qui est l’homme proprement dit, c’est cette conscience temporaire de la Vie, autrement dit le moi, hypostase du Moi divin. Et c’est en réalité une étrange et profonde expérience intime que la réalisation effective en nous de cette, dualité, que la prise de conscience du véritable caractère, transcendant et immanent, de la Vie en nous. Qu’importe désormais que mon petit moi personnel soit un être falot, impuissant et débile, si je sens en moi-même ce divin compagnon, cette Force suprême, qui m’inspire et me guide, qui me relève quand je tombe, qui me soutient quand je faiblis et qui est, mystérieusement, mon Être réel, le Dieu inconnu en moi en même temps que le sauveur incarné pour mon salut.

Pierre D’Angkor : Itinéraire 8: A tâtons vers l'absolu

Nous disons donc que la Vie et l’Intelligence créatrice qui président à tout le développement d’un Univers se trouvent dès l’origine contenues potentiellement dans son énergie primordiale. L’Esprit se dégagea progressivement de sa gangue de matière. Voilà pourquoi les « Upanishads » nous parlent de la matière comme étant Brahman (on sait que pour la science moderne la matière c’est de l’énergie) : « il s’ensuit », écrit un penseur de l’Inde, « que Sat, Chit, Ananda, l’être, la conscience, la béatitude, sont dans la matière et attendent de s’y manifester… La matière a fait apparaître la vie, et la vie a fait apparaître le mental : maintenant le mental s’efforce de faire apparaître un principe supérieur, auquel Shri Aurobindo a donné le nom de supramental, et que les prophètes de jadis connaissaient sous le nom de « Vignâna ».

Pierre D’Angkor : Itinéraire 7: Expérience mystique et haute science

Ici aussi, nous trouvons chez Krishnamurti un enseignement analogue, mais explicité plus directement et non sous le voile d’une parabole. Il nous dit qu’on n’atteint pas le Réel par la pensée conceptuelle, mais par l’Amour. Est-ce à dire qu’il faille dissocier l’amour de l’intelligence et exclure celle-ci dans cette approche ou cette recherche de Dieu? Non certes, et nous voyons les mystiques chrétiens eux-mêmes le reconnaître. Sans doute, tous les vrais mystiques, chrétiens et non chrétiens, reconnaissent-ils cette nécessité d’imposer le silence aux puissances du sentiment, de l’imagination et de la pensée discursive, avant d’aborder les sommets de l’union mystique. Pourquoi? Mais parce que ces puissances en nous sont naturellement orientées vers le monde sensible.

Pierre D'Angkor : Itinéraire 6: Noms et symboles divins

Quoiqu’il en soit, au niveau spirituel ou nous nous tenons, il semble que le Divin représente un ordre de réalité dont l’accession, ou la simple approche même, demeure encore fort ardue pour notre esprit comme pour notre cœur. Principe, Essence ou Souverain Bien, quel que soit le nom que l’on imagine, la plupart des esprits religieux eux-mêmes n’ont de la Divinité, nous l’avons vu, que la notion la plus vague, loin d’en avoir la moindre perception réelle. Il semble d’ailleurs que l’immense majorité des croyants, aujourd’hui comme hier, éprouve encore le besoin d’adorer un Dieu personnel, un Etre suprême, et que pour aimer Dieu, ils doivent aimer un Dieu, et non une formule abstraite comme le Souverain Bien ou la Suprême Réalité.

Pierre D'Angkor : Itinéraire 5: L'ésotérisme des écritures et le symbolisme des mythes dans les religions à mystères

Nous parlons de sagesse ésotérique mais n’entendons nullement donner à ce terme le sens de secret. Bouddha et Jésus, les deux plus grands Maîtres de l’Orient et de l’Occident, se sont défendus pareillement de donner à leurs disciples respectifs un enseignement secret, qui fût caché à la foule. « J’ai prêché la vérité », nous dit le Bouddha, « sans faire aucune distinction entre une doctrine exotérique ou ésotérique : car à l’égard de la vérité, Ananda, celui qui est le Maître parfait, n’a rien qui ressemble au point fermé d’un instructeur qui retiendrait par devers lui quelque vérité ». Exotérique et ésotérique ont ici le sens de public et de secret et le Bouddha rejette toute distinction de cette espère.

Pierre D’Angkor : Itinéraire 4: La tradition immémoriale de la sagesse

La sagesse ésotérique, elle, n’a rien d’un syncrétisme de doctrines anciennes ; elle n’est pas davantage une synthèse nouvelle issue de leur confusion. Elle se situe au contraire aux premiers âges de l’humanité. Elle est identique, au surplus, à cette Révélation primitive dont nous parle la tradition judéo-chrétienne, à la différence près — différence capitale — qu’elle ne fut nullement réservée, exclusivement et une fois pour toutes, à un seul peuple déterminé, mais figure pareillement dans les traditions de tous les peuples anciens. Cette sagesse, au surplus, ne représente pas un ordre de croyances, comme ce qui fait l’objet des enseignements religieux, mais un ordre de connaissances acquises directement par les grands Sages, les Voyants de tous les temps, connaissances que chacun, jadis, espérait et savait pouvoir vérifier un jour par soi-même, s’il s’en montrait digne.

Pierre D'Angkor : Itinéraire 3: La religion peut-elle nous sauver?

Il s’agit au contraire d’intégrer l’homme dans le difficile problème de l’Unité du tout divin, en reconnaissant la transcendance de cette Unité; de montrer que par un de ses Rayons, le même Soleil divin est en chaque homme, quoique difficile à découvrir, parce qu’Il est en chacun au delà de sa conscience normale, au delà de son moi changeant, au delà de sa personnalité éphémère. Là nous paraît être en effet l’erreur fondamentale de nos philosophes et moralistes chrétiens, qu’ils n’ont jamais vu en l’être humain autre chose que ce moi, cette personnalité mortelle, et qu’ils l’ont prise pour le tout de l’homme, son âme immortelle et sa réalité suprême.

Pierre D'Angkor : Itinéraire 2: L'Unité

L’homme, lui aussi, est donc manifestation de l’Unité. Il est l’univers en raccourci, en miniature, le microcosme du macroscome. Toutefois, comme l’Unité absolue exclut toute autre chose qu’Elle-même, ses manifestations, macrocosmiques ou microcosmiques, ne sont possibles que par sa propre projection, sa réflexion, dirions-nous, dans une sorte de miroir illusoire que l’Inde nomme « Maya ». Ce miroir de l’Unité c’est l’Univers, qualifié d’irréel — non qu’il ne soit pour nous qu’un mirage : il est réel pour nous — mais parce qu’en regard de la seule Réalité éternelle, l’Unité absolue, il n’a qu’une réalité relative, passagère, illusoire.

Pierre D'Angkor : Itinéraire 1: L'agonie de notre civilisation dite chrétienne

La vraie connaissance est donc individuelle. La religion au contraire prétend nous enfermer dans une formation collective, créer en nous, sous l’égide de la foi commune, une mentalité grégaire par l’acceptation imposée à tous de ses dogmes incontrôlables. L’opposition des tendances est ici manifeste : d’un côté, un épanouissement progressif de la conscience humaine dans une harmonie collective faite de la richesse variée de ses notes individuelles, et tendant vers une connaissance personnelle qui s’accroît sans cesse. De l’autre, imposition d’un moule intellectuel uniforme dans lequel les esprits doivent être coulés, à l’effet de chanter les mêmes thèmes obligatoires.

Pierre D’Angkor : Poèmes: La grâce, la joie divine & Communion directe

Une joie ineffable, une douceur extrême

Jugée inaccessible est pourtant près de moi.

Lointaine, elle est en moi l’essence de moi-même

Ma demeure vivante et ma suprême loi.

Les passions du moi l’obnubilent d’un voile :

Tel le brouillard épais nous cachant le soleil.

L’égoïsme entrave notre marche à l’étoile

Nous recouvrant de l’UN le visage vermeil.